Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


CHAPITRE II
DESCRIPTION DE LA SÉANCE DONNÉE PAR Mme D'ESPÉRANCE, LE 11 DÉCEMBRE 1893, A HELSINGFORS EN FINLANDE OU LE PHÉNOMÈNE DE LA DÉMATÉRIALISATION PARTIELLE DU CORPS DU MÉDIUM FUT CONSTATÉ PAR LA VUE ET LE TOUCHER

Madame d'Espérance eut la bonté, après son séjour à Helsingfors, en novembre 1893, de venir passer chez moi, à St-Pétersbourg, cinq jours pendant lesquels elle donna dans ma maison deux séances qui satisfirent pleinement ceux qui y prirent part[1]. Lorsqu'elle retourna en Suède, elle s'arrêta encore deux jours à Helsingfors d'où je reçus cette lettre, écrite le lendemain de son arrivée :

Helsingfors 12 décembre 1893

Bien cher ami,

….« Nous eûmes encore une séance hier au soir, bien que je ne m'y sentisse pas très disposée ; mais je préférai ne pas la remettre à aujourd'hui, craignant toutes sortes de dérangements.
« La séance eut lieu dans la maison de M. l'ingénieur Seiling et nous étions, je crois, en tout 14 personnes. Les manifestations furent d'une nature tout à fait extraordinaire ; et, comme je pensai que leur description vous intéresserait, je priai Mme Seiling et le général Toppelius de vous en faire le récit et de vous l'envoyer ; ce que ces Messieurs me promirent aussitôt. Le côté caractéristique de cette séance consiste en ce que la moitié de mon corps disparut, ce que je ne découvris que par hasard. La tête, ou plutôt la nuque, me faisait beaucoup souffrir et je la soutenais avec mes mains croisées ce qui semblait soulager un peu ma douleur. Mes bras se fatiguèrent dans cette position ; voulant les reposer sur mes genoux, je découvris que ceux-ci n'existaient plus et que mes mains au lieu d'être posées sur eux l'étaient sur la chaise. Cela m'effraya un peu et je voulus savoir si c'était vrai ou bien si je rêvais. La lumière était suffisante, et j'attirai l'attention de mon voisin sur cette particularité ; il examina la chaise, ainsi que quatre des assistants, et tous affirmèrent ce fait, que seule la partie supérieure de mon corps existait véritablement.
« Le siège était vide à l'exception de mes vêtements les bras, les épaules, la poitrine étaient bien à leur place au-dessus du siège. Je pouvais parler, remuer la tête et les bras, boire de l'eau, et même sentir mes genoux et mes pieds quoiqu'ils fussent absents.
« Pendant tout ce temps, des formes allaient et venaient, mais elles se montraient seulement ; des mains de différentes formes et grosseurs touchèrent les personnes les plus rapprochées du cabinet.
« Je crois bien qu'une heure a dû se passer à partir du moment où j'ai découvert mon état particulier, ce qui était suffisant pour les constatations, et surtout pour moi qui voulais savoir si jamais je rentrerais en possession de mes jambes et serais capable de rentrer chez moi, ce qui me rendait très nerveuse.
« Ceci est le court résumé de ce qui se passa, et j'espère bien que quelqu'un d'ici vous en enverra un rapport très circonstancié...
« Amicalement à vous, etc .....

« E. d'Espérance. »

Connaissant l'auteur de cette lettre comme une personne absolument véridique, je n'avais aucune raison de mettre ses paroles en doute, et je compris immédiatement la grande impatience de ce fait au point de vue théorique et phénoménal. Mais, l'essentiel était de voir comment il avait été observé et constaté par les témoins ; jusqu'à quel point ce témoignage pourrait être considéré comme satisfaisant pour établir un fait aussi extraordinaire que fabuleux. On comprendra avec quelle impatience j'ai attendu les détails et avec quelle satisfaction j'ai reçu les trois témoignages que le général Toppelius a eu la complaisance de me transmettre. Je les donne ici en premier lieu avec la correspondance qui s'en suivit :

1. Témoignage de mademoiselle Hjelt [2] avec description complète de la séance

A. - Lettre de Mlle Hjelt à M. Aksakow (L'original et en suédois)

Monsieur,

Selon le désir de Mme d'Espérance je m'empresse de vous communiquer les détails de la dernière séance qu'elle a donnée ici le 11 décembre 1893.
La séance a eu lieu chez M. l'ingénieur Seiling. Les arrangements étaient à peu près les mêmes qu'aux séances précédentes avec la différence qu'il y faisait plus clair. J'observai ce qui suit :
Avant la séance : - La médium entra dans la pièce en pleine lumière et prit place sur une chaise assez large et rembourrée, avec dossier également en partie rembourré. La médium ôta le petit châle qu'elle avait souvent sur les épaules dans les séances précédentes, la pièce que nous occupions alors étant plus grande et plus froide. Elle proposa plus tard de l'employer pour atténuer la lumière de la chambre, ce qui fut fait. Elle ôta ses gants et les mit dans sa poche. Avant le commencement des manifestations elle ne retira rien de sa poche, pas même son mouchoir. Je fis particulièrement attention à ces faits, parce qu'après les dernières séances on s'était demandé si le châle n'était pas pour quelque chose dans les matérialisations, de même que les gants qui pouvaient passer pour des mains si on les croisait sur le châle blanc pendant que la médium, sous l'aspect d'un esprit, se promènerait dans la chambre ou le cabinet. Au léger mouvement que fit la médium en glissant ses gants dans sa poche, j'entendis comme un bruit de clefs ou de monnaie dans la dite poche. Je résolus d'avoir l'esprit en éveil et d'observer si, au courant de la séance, ce bruit se répéterait, quelqu'un du cercle venant d'insinuer que la médium pouvait bien nous avoir trompés. Il me parut impossible qu'elle put remuer sans occasionner le même bruit : et, à part moi, je fis la réflexion que ce serait on ne peut plus étourdi de la part d'une personne résolue à tromper, que de porter dans ses poches des objets faisant du bruit. Au cours de la séance je n'entendis cependant pas le moindre bruit de ce genre.
Avant le commencement de la séance, j'observai encore que la médium croisait les mains derrière la tête, et que, avec un mouvement de lassitude elle s'étirait quelque peu, en appuyant la nuque contre ses mains. Ce mouvement, observé pendant qu'il faisait encore tout à fait clair dans la chambre, n'avait rien que de naturel et me fit conjecturer qu'elle avait dû passer une mauvaise nuit en wagon, en revenant de Saint-Pétersbourg.
Pendant la séance : - La séance commença dans le cercle composé de 15 personnes, j'étais la troisième du côté droit de la médium. Cette place était fort avantageuse : j'avais la médium devant moi, dans un angle de 45o et la partie supérieure de son corps se dessinait distinctement en demi-profil sur le store blanc, descendu à l'une des fenêtres de la chambre. J'étais si près de la médium que je pouvais voir sa personne vêtue d'une toilette claire, ses mains, ses pieds posés assez en avant et croisés. Je pouvais donc, quelque peu penchée en avant, entendre et voir le moindre de ses mouvements.
Nous n'attendîmes pas longtemps. Une main et un avant-bras s'étendirent hors du cabinet, du côté opposé à celui où, moi, je me trouvais. Sur le fond blanc du store je pus parfaitement étudier tous leurs mouvements et ceux des doigts. Le poignet était fin et la main paraissait être celle d'une femme. De la main pendait un assez long pan d'étoffe d'un tissu transparent comme une gaze, au travers duquel on ne distinguait qu'imparfaitement le store de la fenêtre. L'étoffe paraissait plus foncée que celle du store. A plusieurs reprises la main se tendit et serra les mains des personnes voisines, après quoi elle se retira. Un peu plus tard parut, du même côté, une apparition lumineuse qui tendit la main aux personnes les plus rapprochées d'elle[3]. Un membre de notre cercle, M. Seiling, remit à l'apparition une paire de ciseaux et lui demanda de bien vouloir lui couper un morceau de son voile. L'apparition les prit et les emporta dans le cabinet. Quelques minutes plus tard, elle revint et rendit les ciseaux à M. Seiling. Celui-ci exprima son regret de n'avoir pas reçu d'étoffe et demanda la permission d'en couper un peu lui-même. On y consentit. J'entendis distinctement le bruit des ciseaux coupant l'étoffe, et, un moment plus tard, M. Seiling nous dit: « J'ai le voile[4] ». Pendant que les phénomènes se poursuivaient je distinguais clairement la médium et ses mains. Une fois, elle se pencha en avant et tourna la tête dans la direction de l'apparition, comme pour la voir aussi[5] . Mlle Hjelt est assise à la place du médium et tourne la tête vers l'apparition de la main droite. Sur le rideau on aperçoit le profil du buste et de la tête du médium. A droite est assis M. Boldt à côté de M. Seiling[6] .
Un phénomène lumineux se produisit entre les draperies, au milieu du cabinet ; on eut dit une figure se tenant debout derrière la chaise de la médium. Celle-ci (la médium) poussa un de ces gros soupirs comme il lui en échappait quelquefois durant les séances. Le soupir dénotait une sensation pénible. Puis elle prononça ces mots : « Quelqu'un du cabinet m'a touché par derrière, je l'ai très bien senti[7] ». Le phénomène disparut. Un monsieur de notre cercle la pria de prendre du papier et un crayon pour le cas où les esprits voudraient nous communiquer quelque chose relativement aux arrangements à prendre, ou autre chose dans ce genre. La médium n'y parut guère disposée. « Peut-être n'est-ce pas la peine de les déranger pour écrire, dit-elle ; attendons plutôt. » Mais la demande fut réitérée et on lui tendit un crayon et du papier. Elle les prit en disant. - « Eh bien ! Je puis les tenir et nous allons voir ce qui arrivera
Je distinguai à ce moment très nettement la médium tenant le papier d'une main et croisant l'autre par dessus. De mon côté, dans la fente latérale du cabinet, une main, un avant bras et une partie du bras s'étaient montrés à plusieurs reprises et ceux qui étaient assis tout près avaient serré cette main. Moi, je me contentai de saisir un pan du long voile qui pendait et de bien le palper. Il paraissait quelque peu humide et d'un tissu très fin. La main me parut bien plus grande que celles que j'avais vues jusque-là.
Bientôt dans la même ouverture de la draperie, de notre côté, parut une grande figure lumineuse. Elle sembla vouloir sortir du cabinet, fit un pas en avant, mais se retira aussitôt[8] . Presque immédiatement après, nous vîmes un bras sortant du cabinet ; de très haut, dans la même fente latérale, il s'abaissa, lentement et tout lumineux, dans la direction des mains de la médium[9] . Au moment de toucher la médium il arracha des mains de cette dernière, avec un mouvement prompt comme l'éclair, le papier et le crayon et les emporta dans le cabinet. On entendit distinctement comme si on y froissait et déchirait le papier en deux ; après quoi la main sortit encore et tendit les deux morceaux de papier froissés au capitaine Toppelius qui les donna à la médium. Celle-ci (la médium) tenait le papier entre ses mains, le crayon ne lui avait pas été rendu, lorsque le bras lumineux se baissa encore avec la même lenteur extraordinaire et arracha de nouveau brusquement le papier des mains de la médium pour l'emporter dans le cabinet. On entendit aussitôt le bruit que fait un crayon en écrivant rapidement ; et, un instant après, la main tendit le papier hors du cabinet. La personne la plus proche, M. Toppelius, le prit et allait de nouveau le remettre à la médium, lorsque la main (le bras et une partie du corps devinrent alors visibles) d'un mouvement décidé l'en empêcha en ressaisissant le papier et en le rendant à M. Toppelius d'un geste significatif, l'appuyant contre la poitrine de ce monsieur. Nous comprimes donc que les paroles écrites étaient destinées à M. Toppelius. (Après la séance nous fûmes à même de les lire, les voici : « Je t'aiderai ! » «Jag skal hjälpa dig » ! C'était écrit en suédois d'une bonne écriture lisible). Il n'y avait dans le cabinet, ni chaise, ni table sur lesquels on eut pu écrire. Tout ceci se passa très vite mais d'une façon très nette. Pendant que tous ces phénomènes avaient lieu je voyais toujours distinctement la médium à sa place. Elle nous parlait quelquefois. A M. Toppelius elle conseilla de mettre le papier dans sa poche afin de le lire plus tard, et ceci pendant que la figure était encore visible.
De tout ce qui se faisait je dus conclure que, dans le cabinet, deux mains au moins opéraient avec une force physique et de par une volonté bien déterminée. Ces mains ne pouvaient pas appartenir à la médium ; elles devaient appartenir à une figure qui était debout, à côté et derrière la médium qui était assise, dont je voyais les mains et le corps et à qui j'entendis pousser un cri d'étonnement, un Oh ! Lorsque le papier lui fuit arraché.
Je constatai ensuite que, dans l'attente d'un nouveau phénomène qui tardait à se produire, la médium profitant d'un moment de répit entre les manifestations joignait ses deux mains derrière la tête, comme elle l'avait fait avant la séance. Pendant qu'elle restait dans cette position, j'eus le temps de regretter qu'elle se fût surmenée à ce point, de suite après son voyage, et je souhaitai ardemment que les personnes plus éloignées d'elle n'interprétassent pas en mal ce geste des mains derrière la nuque et son mouvement pour s'étendre.
Vus de loin on pouvait les mal interpréter[10], de près jamais !
Quelques instants plus tard ses mains retombèrent sur ses genoux. Je la vis alors tâter des mains ses genoux, et j'observai qu'elle s'agitait de plus en plus. Cela me parut curieux. Je me penchai plus en avant et cherchai de toutes mes forces à comprendre ce qui se passait. La médium poussa de nouveau ce gros soupir qui faisait supposer quelque sensation bien désagréable. Encore quelques secondes, et elle dit à son premier voisin de gauche, M. Seiling : « Donnez-moi votre main. » M. Seiling se leva et lui tendit la main. Elle dit alors : « Touchez ici ! » M. Seiling répondit : «C'est extraordinaire je vois Mme d'Espérance et je l'entends parler, mais en tâtant le siège je le trouve vide ; elle n'y est pas ; il n'y a là que sa robe. » L'attouchement semblait produire une vive douleur à la médium ; néanmoins elle engagea encore plusieurs personnes à venir toucher la chaise. Elle prit les mains de M. Toppelius dans les siennes et les promena sur la partie supérieure de son corps à elle jusqu'à ce qu'il touchât subitement le fond de la chaise ; il exprima à plusieurs reprises sa stupeur et sa consternation par de vives exclamations.
La médium permit à cinq personnes de constater ce phénomène et, chaque fois, elle parut ressentir une grande souffrance. Elle demanda à boire deux fois au moins et, chaque fois, elle buvait avec une impatience fébrile ; elle était visiblement angoissée, et, en attendant l'eau, elle se tordait nerveusement.
Sur le fond blanc du rideau de la fenêtre je voyais distinctement, nettement la partie supérieure du corps de la médium, chaque fois qu'elle se penchait en avant. Plusieurs fois elle tâtonna en l'air, cherchant une main qu'elle voulait guider pour faire toucher la chaise et elle-même. Dans ces occasions, je vis non seulement le devant de son corps mais aussi son dos qui se détachait sur le rideau blanc. La forme de sa tête se dessinait si nettement que je pus même distinguer sa coiffure. Je ne puis me souvenir de combien la partie supérieure se prolongeait au-dessous de la taille ; mais ce dont je suis certaine, c'est qu'elle se voyait encore au-dessous de la taille ; ce qui me paraît être un fait important, c'est que je voyais tout le temps la médium à mon niveau.
Une fois elle se pencha en avant, comme on le fait quand on est en proie à une atroce douleur. La partie supérieure de son corps prit alors l'attitude de quelqu'un qui, étant assis, croise les mains sur les genoux et se penche profondément en avant. A ce moment elle se trouvait devant le dossier de la chaise. Elle n'aurait pas pu se trouver derrière ; le dossier l'aurait empêchée de prendre la pose que je viens d'indiquer. Les jupes de la médium restaient étendues comme elles l'avaient été pendant la séance et s'amincissaient vers les pieds. Il me semblait qu'elles devenaient plus flasques à mesure qu'elles étaient palpées par les assistants.
Quelqu'un dans le cercle proposa de mettre fin à la séance, du moment qu'elle épuisait les forces de la médium. Mais celle-ci s'y opposa et demanda à continuer la séance jusqu'à ce que ses jambes[11] lui fussent rendues. Nous continuâmes donc ; et moi, j'avais toujours le regard rivé sur la partie inférieure du corps de la médium afin de bien observer le retour de ses jambes . Sans qu'il se fut produit le moindre mouvement de sa robe, j'entendis la médium qui disait : « Cela va déjà mieux » puis, quelques instants plus tard elle dit vivement « Les voici ! » Quant aux plis de sa robe, je les vis pour ainsi dire s'emplir, et, sans que je susse comment, les bouts des pieds reparurent croisés comme ils l'avaient été avant ce phénomène[12] .
Pendant la production du phénomène, l'attention de tous était attachée à la médium. La conversation était ininterrompue, tantôt avec Mme d'Espérance, tantôt entre les membres du cercle ; on s'agitait, on changeait de place, on marchait par la chambre etc...
Après la cessation de ce phénomène, le cabinet bougea de sa place. Alors la médium poussa sa chaise en avant, craignant que le cabinet ne tombât sur elle. Pendant que la médium était ainsi assise loin du cabinet et que je voyais distinctement ses mains et ses pieds, le cabinet bougea de nouveau plusieurs fois de sa place.
A un moment donné, et afin de m'assurer que j'avais l'esprit lucide en faisant toutes les observations que je viens de relater, j'entrepris de détacher ma pensée de ce qui se passait autour de moi et de la fixer sur quelque chose d'indifférent et ne se rapportant pas à la séance. Je voulus voir si ma pensée obéirait à ma volonté. J'y réussis parfaitement. En vertu de ce fait, j'ose donc affirmer que les phénomènes énumérés – si peu naturels qu'ils aient paru à ma raison - se sont effectivement produits, et que la médium n'a fait aucun mouvement pour contribuer à l'apparition ou à la disparition des dits phénomènes.
Après la séance : J'eus l'occasion de voir le morceau d'étoffe qui avait été coupé ; c'était un tissu fin comme de la gaze et rappelant la toile d'araignée, mais plus serré et plus fort. Il ne paraissait pas lumineux dans l'obscurité.
J'entrai en conversation avec la médium qui m'apprit que ce qui venait de se passer était un phénomène inconnu pour elle-même. Il paraît que jusque là elle n'avait guère pu elle-même observer et contrôler ses dématérialisations. Elle avait donc été excessivement surprise lorsque, posant ses mains sur ses genoux, elle avait trouvé la chaise vide. Voulant faire constater ce fait par d'autres, elle avait prié M. Seiling de venir toucher la chaise. Elle dit avoir eu la sensation très précise d'avoir les extrémités d'en bas toujours à leur place, mais que ses mains ne pouvaient les sentir.
Reste à ajouter que ce ne fut pas la médium qui communiqua ce phénomène à l'assistance, mais M. Seiling, quand il retourna à sa place.
Agréez etc...

VERA HJELT
Helsingfors, 15 décembre 1893


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

B. - Lettre de M. Aksakow à Mlle Hjelt (l'original est en français)

St-Pétersbourg, 3 / 11 janvier 1894 Perspective Nevsky 6

Mademoiselle,

C'est avec un sentiment de profonde satisfaction que j'ai lu la relation de la séance du 11 décembre 1893 avec Mme d'Espérance, que vous avez eu la bonté de me transmettre par l'entremise du général Toppelius.
C'est un bon monument que vous avez élevé en l'honneur de Mme d'Espérance attaquée par le général Sederholm. J'ai été émerveillé de l'exactitude et de la finesse de vos observations ! Chose rare en spiritisme, même parmi les hommes ; et quand je pense que vous n'avez pas l'habitude de ces expériences, je m'étonne encore davantage.
Veuillez donc agréer ma profonde reconnaissance et si j'ai tardé jusqu'à présent à vous l'exprimer c'est que je n'avais point votre adresse que je viens seulement de connaître.
Un seul détail essentiel manque dans votre relation c'est la quantité de lumière dans la chambre ? Vous dites seulement qu'il y faisait plus clair qu'aux séances précédentes, et que vous distinguiez clairement la médium et ses mains. C'est beaucoup, c'est bien important, mais à quel point, avec quels détails, etc.... par exemple, pouviez-vous voir les doigts, le visage, la coiffure de la médium. La quantité de lumière n'a-t-elle pas varié durant la séance ?
Je passe à présent à quelques détails.
Vous dites : « Bientôt dans l'ouverture de la draperie parut une grande figure lumineuse »... et de suite après : « alors parut un bras sortant du cabinet de très haut. » Dois-je comprendre que l'apparition (de la figure) et le bras parurent dans l'ouverture centrale du cabinet au-dessus de la médium ceci est un point de grande importance qu'il est essentiel de préciser.
Quelles ont été les 5 personnes qui ont examiné la chaise lors de la disparition des jambes ? Combien de fois Mme d'Espérance a t-elle demandé à boire dans cet état et qui lui a donné l'eau? Voici encore un autre point essentiel, vous dites :
« Les jupes de la médium restaient étendues comme elles l'avaient été pendant toute la séance, et s'amincissaient vers les pieds. » Que vent dire : « s'amincissaient ? » Plus loin vous dites : « Quant aux plis de la robe, je les vis, pour ainsi dire s'emplir. » Donc, les jupes ne restaient pas étendues comme elles avaient été durant toute la séance comme vous venez de le dire plus haut ? Il y a là contradiction ou manque de quelques détails.
Et enfin, vous dites : « Et, sans que je sache comment, les pieds reparurent croisés comme ils l'étaient au commencement de la séance. » Vous parlez, certainement, du bout des pieds, des bottines ou souliers. Mais, ne peut-on pas supposer que la médium les avait sous ses jupes et sortis plus tard ? Pourquoi cet incident vous avait-il paru incompréhensible ?
Voilà tout, je crois, pour le moment.
Je me permets donc de compter sur votre obligeance, et espère que vous voudrez bien me renseigner sur les points auxquels j’ai touché.
Veuillez agréer encore une fois ma profonde reconnaissance et l'expression de ma profonde, considération.

A. AKSAKOW

C. - Réponse de Mlle Wera Hjelt à M. Aksakow (L'original est en suédois)

Helsingfors, le 28 janvier 1894

Monsieur le conseiller d'État,

Recevez, je vous prie, mes remerciements les plus sincères pour votre lettre. J'ai été heureuse d'apprendre que mon compte rendu de la séance du 11 décembre vous a satisfait.
Je passe directement aux renseignements que vous désirez.
Vous me priez de définir, d'une manière plus précise, l'éclairage de la chambre. A ce propos, je tiens à vous dire qu'il m'a été possible de voir distinctement toute la figure de la médium, ainsi que le contour de ses mains se dessinant contre sa robe claire. Quant aux traits de son visage et à sa coiffure, il m'a été difficile de les apercevoir continuellement, la médium étant assise contre le cabinet dont la draperie était très foncée. Cependant, chaque fois qu'elle changeait de position, son buste faisait un petit mouvement en avant et ses parties se dessinaient très distinctement contre le store blanc déjà mentionné. Chaque fois qu'elle allongeait le bras, j'ai pu voir se dessiner contre ce même store, non seulement le mouvement de ses doigts mais aussi ces doigts eux-mêmes serrant la feuille de papier qu'elle tenait en main.
Je viens d'apprendre avec joie, que vous vous proposez, Monsieur, de venir à Helsingfors. J'ose espérer que votre arrivée sera d'une grande importance. Il vous sera certainement facile, à vous, Monsieur, de débrouiller tout le désordre d'idées que ce phénomène de la dématérialisation surtout a fait naître dans les esprits.
Si vous le désiriez, Monsieur, je serais toute disposée à jouer un moment devant vous le rôle de la médium c'est-à-dire que je m'offre à revêtir une robe de la même nuance que celle portée par Mme d’Espérance et à contrefaire, à la même lumière, tous ses faits et gestes tels que je les ai observés à ladite séance.
J'espère qu'il vous sera alors facile de constater combien les insinuations du général Sederholm doivent paraître injustes.
La place que j'occupais pendant la séance était telle que je me juge capable d'exécuter les détails sus-mentionnés ; de même, je puis prouver que ma vue et celle de mon amie sont d'une finesse excessive. Je puis affirmer qu'il eût été impossible à la médium de tromper sans que je l'eusse remarqué.
Vous me demandez quelques détails sur les point, suivants :
« Bientôt, dans l'ouverture de la draperie parut une grande figure lumineuse, etc. »...
Une fois, je vis un buste dans l'ouverture centrale du cabinet. La figure faisait l'effet de se tenir debout derrière la chaise de la médium. Elle effleura son épaule de sa main lumineuse[13] ; à ce contact, Mme d’Espérance fut saisie d'un frisson.
Mais l'autre figure lumineuse, celle sur laquelle vous désirez une description plus précise, parut à l'ouverture droite de la draperie. Ses mouvements étaient assez étranges : debout, elle semblait fixer de côté la feuille de papier, que la médium tenait en main, puis elle se retira et laissa retomber devant elle la draperie ; enfin, et soudain, elle allongea le bras et s'empara du papier.
Je pourrais imiter toute la scène d'une manière si précise qu'infailliblement j'en évoquerais le souvenir dans l'esprit des autres témoins. Le sceptique devrait bien comprendre qu'il eut été impossible à la médium d'user d'artifice, assise comme elle l'était pendant tout le temps, et causant avec nous.
Les cinq personnes qui tâtèrent la chaise pendant la disparition des jambes de la médium étaient M. l'ingénieur Seiling, le capitaine Toppelius, le docteur Hertzberg, l'ingénieur Schoultz et M. Boldt.
Mme d'Espérance demanda au moins deux fois à boire, pendant la durée du phénomène. L'eau lui fut offerte par MM. Seiling et Hertzberg.
L'expression « les jupes de Mme d'Espérance s'amincissaient vers les pieds » vous semble obscure. Je voulais dire par là, que la jupe, enveloppant pour ainsi dire les chevilles, paraissait nécessairement plus étroite en bas qu'au haut du corps.
« Quant aux plis de la robe, je les vis pour ainsi dire s'emplir etc... »
Il va de soi qu'ils ne pouvaient être également lisses durant toute la séance, et cela parce que, lors de la constatation du phénomène, les mains qui palpèrent le siège durent nécessairement les aplatir fortement ; mais ensuite, lors de la cessation du dit phénomène, les jupes se gonflèrent à nouveau.
« Sans que je sache comment, les pieds reparurent. »
Je veux dire la pointe des souliers.
Vous me demandez : « Ne pouvait-on pas supposer que la médium les avait tout simplement retirés sous ses jupes ? » Très bien ; mais alors un mouvement de ses jambes eut été nécessaire ; et je l'eusse de suite remarqué, car je fixais sans interruption la place où les jambes devaient revenir dans le but de voir comment cela se ferait, si ce serait par un mouvement de côté ou non.
C'est aussi ce que je pourrai vous montrer quand vous viendrez, afin que vous puissiez juger par vous-même pourquoi ce procédé m'a semblé incompréhensible. Un peu plus tôt, c'est-à-dire quelques minutes avant que notre attention fut attirée vers « la dématérialisation », la médium s'était étiré, en allongeant ses pieds, et alors il eut été naturellement impossible de les retirer sans faire un mouvement avec les jambes.
Moi, du moins, je ne puis pas parvenir à exécuter ce mouvement, malgré des essais réitérés.
J'ai tâché de répondre de mon mieux à vos questions. Si quelque chose encore vous parait obscur, je serai très heureuse de vous éclairer, pour peu que vous le désiriez.
En attendant, veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mon profond respect et de ma considération distinguée.

WERA HJELT

D. - Réponse complémentaire de Mlle Hjelt (L'original est en suédois)

Helsingfors, 25 mars 1894

Monsieur le Conseiller d'État,

J'ai l'avantage de vous communiquer ce qui suit au sujet des questions que vous avez eu la bonté de me poser par l'entremise de M. Seiling.
1) Concernant ma situation antérieure à l'égard du spiritisme. Je connais ce mouvement depuis l'année 1880 mais, sans toutefois l'avoir compris autrement (sauf depuis deux ans) qu'en croyant qu'il s'agit simplement d'affaire de revenants. Mais, pendant ces deux dernières années, j'ai lu avec un vif intérêt des livres tant en faveur que contre le spiritisme, et j'ai pris part à des séances dans des cercles de familles d'ici et à celles de la « Société pour les Recherches psychiques », à Stockholm.
J'étais donc parfaitement familiarisée avec les théories du spiritisme, du moins avec les plus importantes. Quant à la partie physique de la chose, je croyais à la possibilité des phénomènes, mais je n’en étais pas persuadée. Mais, j'acquis cette certitude à la suite des séances tenues avec Mme d'Espérance, ayant eu plusieurs fois l'occasion de constater l'authenticité des phénomènes. La dernière de ces séances fut, pour moi, particulièrement convaincante. Ce que je vis et éprouvai de ma place n'est pas une croyance pour moi ; c'est un fait. En même temps, je continue à faire mes observations sur les faits du spiritisme avec le plus grand intérêt, sans rien perdre de la faculté, qui me caractérise spécialement, de juger des choses avec une saine critique.
Je me suis permis d'émettre ce jugement sur moi-même parce que la manière dont une personne a la tendance et l'habitude de considérer les choses exerce une certaine influence sur son jugement et sur son don d'observation. Et comme vous êtes assez bon pour accorder de la valeur à mes observations pendant la séance, je désire que vous ne puissiez pas croire que je suis assez « sanguinisch » pour m'être laissé tromper ou entraîner.
2) J'ai assisté à six séances, de Mme d'Espérance, à Helsingfors.
3) Dans la dernière séance, la distance entre la médium et moi était d'environ trois pieds ; mais en me penchant en avant, ce que j'ai fait presque tout le temps pour mieux pouvoir observer, la distance n'était plus guère que d'un demi-pied.
4) J'avais conscience de l'importance qu'il y a à faire les observations exactement, et à voir la médium et la figure en même temps et séparés l'un de l'autre, parce que je m'étais vraiment disputé auparavant avec des personnes qui mettaient l'honnêteté de la médium en doute. Je me souviens spécialement d'une conversation pendant le séjour de Mme d'Espérance à Saint-Pétersbourg où, journellement on parlait de son honnêteté et de la possibilité des phénomènes ; si bien que je fis le serment, au cas où une nouvelle séance aurait lieu, de me procurer une bonne place près de la médium et de scruter la chose assez à fond pour pouvoir jurer de l'exactitude de mes observations. Les deux personnes avec lesquelles je pris cet engagement, promirent de s'en rapporter à mon jugement. Nous résolûmes formellement que j'examinerais la chose. Je n'ai pas demandé aux personnes en question l'autorisation de les nommer dans cette lettre, mais je ne doute pas quelles ne le désirent. C'étaient le Dr Hertzberg et sa femme. Je leur promis de ne pas me laisser effrayer par les fantômes, parce que, interloqué, on oublie de faire attention au médium. C'est pourquoi, dans la dernière séance, la médium fut pour moi le principal objet d'observation, alors même je ne pouvais m'empêcher d'observer en même temps d'autres choses.
5) Pendant la dématérialisation de la médium, je ne fus naturellement pas en état de faire attention à la façon dont elle se produisit. Mais la médium ne fit aucune sorte de mouvement avec ses pieds ni de côté, ni en arrière. J'aurais été forcée de le remarquer car je n'en étais distante que de quelques pouces et je n'ai pas cessé de regarder fixement ses pieds.
Lorsque ces Mrs examinèrent la chaise et constatèrent la dématérialisation, je résolus de prendre bien garde comment et d'où reviendraient les pieds.
Il faut remarquer que je m’attendais à ce que cela se produirait par le cabinet, de l'un des deux côtés de la chaise sur laquelle était assise la médium. Je ne sais pourquoi j'admettais que les pieds reviendraient d'une façon violente quelconque, peut-être par un mouvement de la médium. Je m'attendais à cela et je considérais la médium d'extraordinairement près et très exactement, pour juger du processus. Mais je ne remarquai aucun mouvement de la partie inférieure du corps et tout se passa comme je l'ai raconté précédemment.
6) Le vêtement de la médium est serré au corps ; c'est une robe princesse avec un large pli Watteau derrière et un plus petit par devant, comme vous l'avez vu ; les plis sont fixés à un vêtement de dessous ajusté, en shirting. Des vêtements de ce genre sont portés quelquefois par des dames à des solennités. La couturière qui a fait ma robe prétend que ces plis ne pourraient pas tomber naturellement si on faisait un vêtement de ce genre d'une autre manière ; du reste, elle ne saurait se figurer une autre façon. Une robe de ce genre ainsi faite, est très difficile à mettre. Ce n'est pas seulement sur mes observations que repose la preuve de l'exactitude de ma description de cette robe faite ici, mais encore sur plusieurs conversations que j'ai eues là-dessus avec les dames Toppelius chez lesquelles Mme d'Espérance logeait.
A la suite du soupçon émis par le général Sederholm (dont il fit mention verbalement avant son article de journal ) on avait examiné la robe et trouvé qu'elle ne différait en rien de la façon dont elle devait être faite, la chose considérée au point de vue féminin. En d'autres termes : les vêtements de Mme d'Espérance n'avaient rien qui pût éveiller le soupçon ; ils étaient tout à fait corrects.
Si je pouvais, Monsieur le conseiller d'État vous être utile en vous donnant de plus amples explications, je considérerais toujours comme une amabilité de votre part de me poser des questions et j'aurai grand plaisir à vous communiquer tout ce que je puis.
Bien à vous,

WERA HJELT

2. M. le capitaine d'État-major Toppelius (L’original est en russe) ....

Après que plusieurs personnes se furent approchées de Mme d'Espérance pour examiner la chaise il me le fut permis à moi-même.
Mme d'Espérance prit mes mains et les fit passer sur son corps depuis les épaules et le long des deux côtés en descendant ; tout à coup, au lieu de sentir la continuation de son corps, je rencontrai un vide. Ensuite Mme d'Espérance conduisit mes mains sur le siège de la chaise jusqu'au dossier et je ne sentis rien autre que sa robe.
L'espace entre le corps de la médium et le siège de la chaise était assez petit.
Je me souviens que pendant tout ce temps, la médium se trouvait dans une grande agitation. Je ne me suis pas décidé à faire une investigation plus détaillée et suis retourné à ma place.

GUSTAVE TOPPELIUS, capitaine d'Etat-major
Helsingfors, 3/15 décembre 1893.

[1] Voyez Psychische Studien Livraisons de janvier 1894 et avril 1894.

[2] Mlle Hjelt fondatrice et directrice d'une grande maison d'éducation pour sculpture sur bois à Helsingfors est l'auteur des brochures survivantes : « La femme dans son champ d'activité pratique. L'autorisation d'apprendre un métier dans les écoles dites professionnelles. Méthode de sculpture sur bois pour les enfants. »

[3] Voir plus loin les témoignages de M. Seiling et de Melle Tavaslstjerna.

[4] Voir plus loin le rapport de M. Seiling.

[5] Voyez la planche no2.

[6] Voir plus loin Chap. III.

[7] Mlle Hjelt me dit qu'elle vit dans l'ouverture centrale un buste derrière la médium et, une main descendre et toucher l'épaule de la médium. - Voir plus loin la lettre de Mlle Hjelt.

[8] A ce moment, Mlle Hjelt vit très distinctement la médium et la figure dont la tête se montra en dehors du cabinet et jeta un coup d'œil sur la médium et le papier qu'elle tenait dans ses mains.

[9] Voir la planche n°1 qui est la reproduction d'une photographie prise le 3 mars 1894 par M. Aksakof dans les conditions indiquées plus loin, chap. III.

[10] Supposer, par exemple, que la médium se levait de sa place.

[11] Pendant tout ce temps le visage de Mlle Hjelt était à six pouces de distance des jambes de la médium.

[12] Mlle Hjelt n'avait pas remarqué le moment de leur disparition.

Chapitre II suite




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