Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


Chapitre XVIII : L’ectoplasme

Dès les tout premiers jours les spiritualistes ont soutenu que les phénomènes reposaient sur une base matérielle physique. Vous trouverez dans la littérature spiritualiste des premiers temps des centaines de descriptions d'une vapeur épaisse serai-lumineuse qui émane du flanc ou de la bouche d'un médium et qu'on aperçoit à peine dans la pénombre. On a même été plus loin et on a observé comment la vapeur se solidifie à son tour en une substance plastique dont sont faites les diverses constructions de la séance. D'autres observations scientifiques plus précises n'ont pu que confirmer les affirmations de ces pionniers.
Prenons quelques exemples : en 1877, le juge Peterson déclare qu'il a vu avec le médium W.Lawrence « un nuage cotonneux » qui semblait sortir du flanc du médium et qui a pris progressivement la forme d'un corps solide[1]. Il parle aussi d'une silhouette se formant à partir d'une « boule de lumière ». En 1878, James Curtis voit, avec Slade en Australie, une « vapeur gris blanchâtre, comme un nuage » se former et s'accumuler, préparant l'apparition d'un personnage entièrement matérialisé. Alfred Russel Wallace dit avoir vu, avec le Dr Monck, d'abord une « tache blanche » qui prit peu à peu la forme d'une « colonne nuageuse ». Cette même expression « colonne nuageuse » est utilisée par M. Alfred Smedley à propos d'une apparition avec le médium Williams, où John King se manifesta, et il en parle aussi comme d'« un nuage légèrement illuminé ». Sir William Crookes vit avec le médium D.D. Home un « nuage lumineux » qui se condensa en une main parfaitement formée. Aux États-Unis, en 1885, M. E. A. Brackett vit avec le médium Helen Berry « une petite substance blanche en forme de nuage » qui grandit jusqu'à mesurer environ un mètre cinquante de haut « quand soudain en sortit la forme pleine, ronde et sylphique de Bertha qui s'avança vers nous[2] ». Dans son récit d'une séance avec Eglington en 1885, M. Edmund Dawson Rogers dit avoir vu émerger du côté du médium « une substance blanche et terne » qui vacillait et battait comme un pouls. M. Vincent Turvey, le sensitif bien connu de Bournemouth, parle d'une «matière rouge et visqueuse[3] » tirée du médium. Un intérêt particulier s'attache à une description donnée par un merveilleux médium à matérialisation, Madame d'Espérance, qui dit : « Il me semblait pouvoir sentir des fils fins tirés hors de moi à travers les pores de ma peau[4]. » Cela exerce une influence importante sur les recherches du Dr Crawford et ses remarques sur les « baguettes psychiques » et la « matière qui ressemble à des spores ». Nous trouvons aussi, dans le Spiritualist que tandis que l'esprit matérialisé de Katie King se manifestait à travers Mlle Florence Cook, « elle était reliée au médium par des fils légèrement lumineux et vaporeux[5] ».
Pour faire pendant à ces brèves références, donnons en détail trois expériences de la formation d'ectoplasme. L'un des participants du cercle de Madame d'Espérance donne la description suivante :
 « D'abord, on observe par terre devant le cabinet la tache vaporeuse de quelque chose de blanc. Elle grandit ensuite progressivement, s'étendant visiblement comme si c'était un morceau de mousseline animé, se dépliant pli après pli, par terre jusqu'à mesurer un mètre sur un mètre, sur une profondeur de quelques centimètres –quinze, peut-être plus. Bientôt, elle se met à s'élever lentement au centre, ou près du centre, comme si une tête humaine se trouvait en dessous, tandis que le film vaporeux par terre se met à ressembler de plus en plus à de la mousseline tombant en plis autour de la partie qui se soulève si mystérieusement. Quand elle atteint une cinquantaine de centimètres, on dirait qu'un enfant se cache dessous, et qu'il remue les bras dans tous les sens comme s'il manipulait quelque chose dessous. Elle continue de s'élever, parfois retombant un peu pour remonter à nouveau encore plus haut, jusqu'à ce qu'elle atteigne une hauteur d'environ un mètre cinquante, où on imagine une forme en train d'arranger les plis d'une draperie autour d'elle. Bientôt, les bras s'élèvent notablement au-dessus de la tête et s'ouvrent au-dehors à travers la masse de draperie vaporeuse de l'esprit, et Yolande se tient devant nous, sans voile, gracieuse et belle, grande de près d'un mètre cinquante, avec une coiffure en forme de turban, de dessous lequel ses longs cheveux noirs tombent sur ses épaules et dans son dos... La draperie blanche, pareille à un voile, est enroulée autour d'elle par commodité ou jetée sur le tapis par terre, sur le côté jusqu'à ce qu'elle en ait à nouveau besoin. Tout cela demande de dix à quinze minutes pour s'accomplir[6]. »
Le second récit est de M. Edmund Dawson Rogers[7]. Au cours de cette séance, dit-il, hormis le médium, M. Eglington, quatorze personnes étaient présentes, toutes bien connues, et il y avait assez de lumière pour permettre à l'auteur du récit « d'observer nettement tout et tous dans la pièce » ; et quand la « forme » se tint debout devant lui il « put facilement remarquer chaque trait. » M. Eglington, en état de transe, fit les cent pas à travers la pièce au milieu des participants pendant cinq minutes puis :
« Il commença doucement à tirer de son flanc et à montrer à angle droit une substance vaporeuse et blanchâtre qui tombait par terre à gauche. Le tas de matière blanche s'élargit, commença à palpiter et à monter et à descendre, se balançant aussi sur le côté, la puissance motrice se trouvant apparemment en dessous. La hauteur de cette substance s'accrut jusqu'à environ un mètre et peu après la « forme » grandit rapidement et en silence jusqu'à sa taille définitive. D'un geste vif de la main, M. Eglington tira sur le tissu blanc qui recouvrait la tête de la « forme » et il retomba en arrière sur les épaules et se fondit dans le costume du visiteur. Le lien (l'apparition blanche qui sortait du flanc du médium) fut tranché ou devint invisible et la « forme » s'avança vers M. Everitt, lui serra la main et fit le tour du cercle, traitant presque tout le monde de la même manière. »
Cela se produisait à Londres en 1885.
La dernière description nous montre une séance à Alger en 1905 avec Eva C., alors connue sous le nom de Marthe Béraud, Madame X. écrit[8] :
« Cette fois-ci, Marthe se trouvait seule dans le cabinet. Après une attente d'environ vingtcinq minutes, Marthe ouvrit elle-même le rideau en grand puis s'assit sur sa chaise. Presque immédiatement – alors que Marthe était bien en vue des participants, les mains, la tête et le corps nettement visibles – nous vîmes une chose blanche à l'air diaphane se construire progressivement tout près de Marthe. Tout d'abord, la chose ressemblait à une grande tache vaporeuse, proche du coude droit de Marthe, et elle semblait rattachée à son corps ; très mobile, elle grandit rapidement à la fois vers le haut et vers le bas, revêtant finalement l'aspect quelque peu amorphe d'une colonne vaporeuse qui s'étendait de ses pieds jusqu'à une soixantaine de centimètres au-dessus de sa tête. J'étais incapable de distinguer ni mains, ni tête ; ce que je vis ressemblait .à des nuages blancs et cotonneux qui brillaient de façon inégale, qui se condensèrent peu à peu, se concentrèrent autour (le quelque corps – pour moi invisible. »
Nous avons là un récit qui concorde merveilleusement avec ceux que nous avons cités concernant des séances antérieures de nombreuses années.
Quand nous examinons les descriptions d'apparitions d'ectoplasme dans les cercles spiritualistes il y a quarante ans ou cinquante ans et que nous les comparons a celles d'aujourd'hui, nous voyons combien plus riches étaient ces premiers résultats. Les méthodes « non scientifiques » étaient alors en vogue, en accord avec les conceptions de nombreux chercheurs psychiques modernes. Pourtant, au moins, les premiers chercheurs observaient une règle d'or. Ils enveloppaient le médium d'une atmosphère d'amour et de sympathie. Examinant les premières matérialisations qui se produisirent en Angleterre, The Spiritualist écrit dans un éditorial[9] :
« L'influence de l'état spirituel des observateurs trouve une expression optique lors des séances à visages matérialisés. Les personnes mondaines et soupçonneuses obtiennent des manifestations plus faibles ; les esprits ont alors souvent une allure livide, comme d'habitude quand le pouvoir est moindre. (Ceci est une description singulièrement exacte de nombreux visages des séances avec Eva C.) Les personnes spirituelles en présence desquelles le médium se sent complètement heureux, voient de loin les plus belles manifestations... Bien que les phénomènes spiritualistes soient gouvernés par des lois fixes, ces lois fonctionnent pratiquement de telle sorte que le spiritualisme participe indubitablement pour une large part de la nature d'une révélation particulière à des personnes en particulier. »
M. E.A. Brackett, auteur du livre remarquable Materialised Apparitions (Apparitions matérialisées) exprime la même vérité d'une autre manière. Bien sûr, sa conception excitera la dérision dans les cercles prétendument scientifiques, mais elle enveloppe une vérité profonde. C'est l'esprit de ses mots plutôt que leur interprétation littérale qu'il veut transmettre :
« La clef qui ouvre les gloires d'une autre vie est l'affection pure, simple et confiante, comme celle qui pousse l'enfant à jeter les bras autour du cou de sa mère. Pour ceux qui s'enorgueillissent de leurs réalisations intellectuelles, cela peut sembler une défaite de l'exercice de ce qu'ils appellent leurs plus hautes facultés. Bien loin que ceci soit le cas, je peux affirmer en vérité que jusqu'à ce que j'adopte cette ligne, sincèrement et sans réserves, je n'ai rien appris sur ces choses. Au lieu d'obscurcir ma raison et mon jugement, j'ai ouvert mon cerveau à une perception plus claire et plus intelligente de ce qui se passait devant moi. Cet esprit de douceur, de gentillesse aimante qui, plus que toute autre chose, couronne d'une beauté éternelle les enseignements du Christ, doit trouver sa pleine expression dans notre association avec ces êtres. »
Si quelqu'un devait penser, à partir de ce passage que son auteur était un pauvre fou crédule à qui n'importe quel médium tricheur pouvait facilement en imposer, l'examen de son excellent ouvrage démontrera rapidement le contraire. En outre, sa méthode fonctionnait. Il était aux prises avec le doute et la perplexité quand, sur le conseil offert par un esprit matérialisé, il décida d'abandonner toutes réserves et « d'accueillir ces formes comme de chers amis défunts venus de loin et qui s'étaient donné beaucoup de mal pour m'atteindre ». Le changement fut instantané.
« Dès ce moment, les formes qui avaient paru manquer de vitalité s'animèrent d'une force merveilleuse. Elles accoururent pour me saluer ; de tendres bras m'étreignirent ; des formes qui étaient restées presque muettes pendant mes investigations parlaient désormais librement ; des visages qui avaient eu davantage l'aspect de masques que de la vie réelle, éclataient désormais de beauté. Celle qui se disait ma nièce... me submergeait de démonstrations d'égards. Jetant ses bras autour de moi et posant sa tête sur mon épaule, elle leva les yeux et dit : « Maintenant nous pouvons tous venir si près de vous ».
Il est mille fois dommage qu'Eva C. n'ait pas eu une chance de montrer ses pouvoirs dans l'atmosphère d'amour d'une séance spiritualiste à l'ancienne mode. Il est tout à fait certain que le résultat aurait atteint un niveau de matérialisation bien différent. Pour preuve de cela, Madame Bisson, entourée d'un cercle familial et privé, assura des résultats merveilleux jamais obtenus par les méthodes rigoureuses des investigateurs scientifiques.
Le premier médium à matérialisation à avoir fait l'objet d'une investigation scientifique réelle fut cette Éva, ou Éva C. comme on dit habituellement, qui s'appelait en réalité Carrière. En 1903, elle est examinée au cours d'une séance à la Villa Carmen, à Alger, par le professeur Charles Richet et c'est en observant la curieuse matière blanche qui semble émaner de sa personne qu'il est conduit à forger le mot « ectoplasme ». Éva a alors dix-huit ans et est au sommet de ses pouvoirs qui s'épuiseront progressivement au fil de longues années d'investigations contraignantes. On a fait quelques tentatives pour jeter le doute sur les résultats atteints par Richet et on a prétendu que les personnages matérialisés étaient en réalité des domestiques déguisés mais la réponse définitive est que les expériences sont menées derrière des portes verrouillées et que depuis des résultats analogues sont obtenus à maintes reprises. C'est simplement une forme poétique de la justice que le professeur Richet ait été soumis à cette désagréable critique, injuste de surcroît, car dans son grand livre Trente années de Recherches Psychiques il se montre lui-même très injuste envers les médiums, croyant toutes les histoires en leur défaveur et agissant en permanence suivant le principe qu'une accusation équivaut à une condamnation.
Dans ses premiers rapports, publiés dans les Annales de la science psychique, Richet décrit avec quantité de détails l'apparition avec le médium Éva C. de la forme matérialisée d'un homme qui se nomme lui-même « Bien Boa ». Le professeur dit que cette forme possède tous les attributs de la vie. « Il marche, parle, bouge et respire comme un être humain. Son corps est résistant et a une certaine force musculaire. Il ne s'agit ni d'un mannequin ni d'une poupée ni d'une image réfléchie dans un miroir ; il est comme un être vivant ; il est comme un homme vivant ; et il y a des raisons pour rejeter résolument toute autre supposition que l'une ou l'autre de ces deux hypothèses : soit celle d'un fantôme possédant les attributs de la vie ; soit celle d'une personne vivante jouant le rôle d'un fantôme[10] ». Il analyse en détail les raisons qu'il a de repousser la seconde possibilité.
Décrivant la disparition de la forme il écrit :
« Bien Boa essaie, à ce qu'il me semble, de venir parmi nous mais il a une démarche hésitante, boitillante. Je ne saurais dire s'il marche ou s'il glisse. A un moment, il titube comme s'il était sur le point de tomber, boitant d'une jambe, qui semble incapable de le porter (je donne mon impression personnelle). Puis il se dirige vers l'ouverture des rideaux. Et, sans même ouvrir les rideaux, autant que je puisse en juger, il s'abîme subitement, disparaît dans le sol et, au même instant on entend un son de « clac ! clac ! » comme le bruit que ferait un corps jeté par terre. »
Tandis que cela se produit, le médium dans le cabinet est parfaitement en vue d'un autre participant, Gabriel Delanne, rédacteur en chef de la Revue du Spiritisme.
Richet poursuit :
« Très peu de temps après (deux, trois ou quatre minutes) aux pieds mêmes du général, dans l'ouverture des rideaux nous voyons à nouveau la même boule blanche (sa tête ?) par terre ; elle monte rapidement, tout droit, s'élève à hauteur d'homme, puis s'effondre subitement sur le sol, avec le même bruit « Clac ! clac ! » que produit un corps tombant par terre. Le général sent le choc des membres qui, en tombant, lui heurtèrent la jambe avec une certaine violence. »
L'apparition et la disparition soudaine du personnage évoquent tant l'action d'une trappe que le lendemain, Richet procède à un examen minutieux du sol dallé de pierre ainsi que du plafond de la remise qui se trouve en dessous, sans découvrir la moindre trace de trappe. Pour apaiser les rumeurs absurdes courant sur l'existence d'un tel passage, il obtient par la suite un certificat de l'architecte. L'intérêt de ces rapports des premières manifestations est augmenté par le fait qu'à cette époque le médium obtient des matérialisations complètes qui plus tard, à l'occasion des séances qu'elle donnera à Paris, deviendront extrêmement rares.
Une curieuse expérience a lieu avec Bien Boa ; on essaie de le faire respirer dans une bouteille remplie d'eau de baryte pour voir si son souffle contient du gaz carbonique. La forme fait ce qu'on lui demande avec difficulté et le liquide montre la réaction attendue. Pendant cette expérience, on voit nettement les formes du médium et d'une jeune autochtone assise avec elle dans le cabinet. Richet rapporte un incident amusant pendant cette expérience. Quand l'eau de baryte devient blanche les participants crient « Bravo ! » Sur quoi, la forme de Bien Boa apparaît par trois fois entre les rideaux et s'incline comme un acteur au théâtre qui salue après un rappel.
Richet et Delanne ont pris de nombreuses photographies de Bien Boa que Sir Oliver Lodge décrit comme les meilleures du genre qu'il ait vues. Un trait frappant à leur sujet est qu'un bras du médium présente un aspect plat, indiquant le processus de dématérialisation partielle si bien observé avec un autre médium, Madame d'Espérance. Richet fait observer avec acuité[11] : « Je ne crains pas de dire que le vide de cette manche, loin de démontrer une fraude, établit au contraire qu'il n'y pas eu de fraude ; elle semble également parler en faveur d'une sorte de désagrégation matérielle du médium qu'elle-même est incapable de soupçonner. »
Dans son dernier livre, déjà cité, Richet publie pour la première fois un compte rendu d'une splendide matérialisation à laquelle il a assisté à la Villa Carmen.
« Presque aussitôt après que les rideaux furent tirés, ils furent réouverts et au milieu apparut le visage d'une jeune et belle femme avec une sorte de ruban doré ou de diadème couvrant ses cheveux blonds et le sommet de sa tête. Elle riait de bon coeur et paraissait très amusée ; je me souviens encore nettement de son rire et de ses dents nacrées. Elle apparut deux ou trois fois, montrant la tête puis la dissimulant, comme un enfant qui joue à cache-cache. »
On lui demanda d'apporter des ciseaux le lendemain, car on lui permettrait de couper une boucle des cheveux de cette reine d'Égypte, ainsi qu'on la qualifia. C'est ce qu'il fit.
« La reine d'Égypte revint mais ne montra que le dessus de sa tête avec des cheveux très blonds et très abondants ; elle voulait absolument savoir si j'avais apporté les ciseaux. Je pris alors une poignée de ses longs cheveux mais je ne pus guère distinguer le visage qu'elle tenait dissimulé derrière le rideau. Comme j'étais sur le point de couper une boucle très haut, une main ferme derrière le rideau abaissa la mienne de telle sorte que je ne coupe que quinze centimètres. Comme je faisais cela avec une certaine lenteur, elle dit à voix basse : « Vite ! Vite ! » et disparut. J'ai gardé cette boucle ; elle est très fine, soyeuse et non teinte. L'examen au microscope montre qu'il s'agit de vrais cheveux, et j'ai appris qu'une perruque de cette sorte coûterait un millier de francs. Les cheveux de Marthe sont très noirs et elle a les cheveux plutôt courts[12]. »
On peut faire, en passant, allusion à ce que le professeur Richet appelle les « ignobles racontars des journaux » au sujet d'une soi-disant confession de tromperie par le médium, et aussi à l'affirmation d'un cocher arabe au service du général Noël, qui prétendit avoir joué le rôle du fantôme à la Villa Carmen. Concernant ce dernier, l'homme ne fut jamais admis dans la salle de séance, quant au premier cas, le médium a nié cette accusation en personne et publiquement. Richet observe que même si l'accusation était vraie, les chercheurs psychiques savent quelle valeur attacher à ce genre de révélations qui ne font que montrer l'instabilité des médiums.
Richet résume :
 « Les matérialisations données par Marthe Béraud sont de la plus haute importance. Elles ont présenté de nombreux faits illustrant le processus général des matérialisations et ont fourni à la science métapsychique des données entièrement nouvelles et imprévisibles. »
Tel est son jugement définitif et raisonné.
La première investigation systématique prolongée de l'ectoplasme fut entreprise par une Française, Madame Bisson, veuve d'Adolphe Bisson, homme public bien connu. Il est probable que Madame Bisson prendra place aux côtés de sa compatriote Madame Curie dans les annales de la science. Madame Bisson acquit une influence personnelle considérable sur Éva qui, après les expériences d'Alger avait été soumise à la persécution habituelle de l'intolérance. Elle la prit sous sa protection et lui offrit son aide à tous égards. Elle commença alors une série d'expériences qui s'étendit sur cinq années et qui donna des résultats si solides que pas une mais plusieurs sciences trouveront en eux leur origine dans l'avenir. Dans ces expériences, elle s'associa avec le Dr Schrenck Notzing, savant munichois dont le nom restera impérissablement attaché à la première investigation sur l'ectoplasme. Leurs études se poursuivirent entre 1908 et 1913 ; elles sont relatées dans l'ouvrage de Madame Bisson les Phénomènes dits de matérialisation et dans celui de Schrenck Notzing Phenomena of Materialisation, dont il existe une traduction en anglais.
Leur méthode consiste à demander à Éva C. de changer entièrement de vêtements sous leur contrôle et de se vêtir d'une robe sans bouton et qui s'attache par derrière. Elle n'a que les mains et les pieds libres. On l'emmène ensuite dans la salle d'expérimentation à laquelle elle n'a pas accès autrement que pour les séances. A une extrémité de cette pièce il y a un petit coin fermé par des rideaux à l'arrière, sur les côtés et au-dessus mais ouvert devant. On l'appelle le cabinet et son but est de concentrer la vapeur ectoplasmique.
En décrivant leurs résultats communs, le savant allemand dit : « Nous avons très souvent pu établir que par un processus biologique inconnu il émane du corps du médium une matière, d'abord seraifluide, qui possède certaines propriétés d'une substance vivante, notamment celle de pouvoir se changer, de se mouvoir et d'assumer des formes précises. » Il ajoute : « On pourrait douter de la vérité de ces faits si on ne les avait vérifiés des centaines de fois au cours de tests laborieux dans des conditions variables et très strictes. » Pourrait-il y avoir, dans la mesure où cette substance est concernée, justification plus totale de ces premiers spiritualistes qui, pendant deux générations ont supporté avec patience que le monde les tournât en ridicule ? Schrenck Notzing termine sa digne préface en exhortant ses collègues à prendre courage. « Ne vous laissez pas décourager dans vos efforts pour ouvrir un nouveau domaine à la science ni par les attaques imbéciles, les lâches calomnies, le travestissement des faits, la violence des mauvais, ni par aucune sorte d'intimidation. Progressez toujours sur le chemin que vous avez inauguré, en songeant aux paroles de Faraday : « Rien n'est trop étonnant pour être vrai. »
Les résultats se situent parmi les plus notables de toutes les séries d'investigations dont nous gardons trace. Il est assuré par des témoins nombreux et compétents et confirmé par des photographies qu'émane de la bouche du médium, de ses oreilles, de son nez, de ses yeux, de sa peau, cette extraordinaire matière gélatineuse. Les images sont bizarres et repoussantes mais nombreux sont les processus de la nature qui le sont aussi à nos yeux. On peut voir cette substance visqueuse et zébrée pendre comme des stalactites de son menton, dégouliner sur son corps et former un tablier blanc sur le devant, ou se projeter en lambeaux informes hors des orifices du visage. Quand on y touche, ou quand la lumière vient l'éclairer par surprise, cette matière se retire à l'intérieur du corps aussi vivement et secrètement que les tentacules d'une pieuvre cachée. Si on s'en saisit et qu'on la pince, le médium crie fort. Elle traverse les vêtements et disparaît à nouveau, ne laissant guère de trace sur eux. Avec l'accord du médium, on en ampute un petit morceau. Il se dissout dans la boîte où on l'a placé comme le ferait de la neige, laissant de l'humidité et quelques grandes cellules qui auraient pu provenir d'un champignon. Le microscope révèle également des cellules épithéliales dans la membrane muqueuse d'où la substance semble originaire.
La production de cet étrange ectoplasme suffit en soi à faire de ces expériences un événement révolutionnaire qui fait date mais ce qui suit est encore plus étrange et répondra à la question présente à l'esprit de tout lecteur : « Qu'est-ce que tout cela vient faire avec les esprits ? » Aussi totalement incroyable que cela puisse sembler, cette substance après s'être formée commence, dans le cas de certains médiums –Eva en étant un – à se solidifier en des formes précises et ces formes sont des membres humains et des visages humains, d'abord en deux dimensions, à plat, puis se moulant d'eux-mêmes par les bords ils deviennent détachés et complets. Nombre de photographies montrent ces étranges fantômes qui sont souvent beaucoup plus petits que dans la vie. Certains de ces visages représentent probablement des formes-pensées du cerveau d'Eva qui prennent une forme visible et on a retrouvé une nette ressemblance entre certains d'entre eux et des tableaux qu'elle aurait pu voir et garder en mémoire. Il en est une, par exemple, qui ressemble à un président Wilson extrêmement coquin, avec une moustache, tandis qu'une autre ressemble à une réplique féroce de M. Poincaré. L'une d'elles montre le mot « Miroir » imprimé au-dessus de la tête du médium, ce qui, ont affirmé certains, montre qu'elle avait introduit le journal de ce nom afin de l'exhiber, bien que l'objectif d'une telle manoeuvre n'ait guère pu être expliqué. Sa propre explication est que les forces de contrôle ont d'une certaine façon, peut-être par apport, introduit la légende afin de transmettre l'idée que ces visages et ces silhouettes ne sont pas leurs vraies personnalités mais leurs personnalités vues dans un miroir.
Même maintenant, le lecteur peut ne voir aucune relation évidente avec le spiritualisme mais la prochaine étape nous fait parcourir le reste du chemin. Quand Eva est à son meilleur, et cela se produit seulement à de longs intervalles et à un certain prix pour sa santé, il se forme un personnage complet ; ce personnage est moulé pour ressembler à quelque personne décédée, le cordon qui le relie au médium est détaché, une personnalité qui soit est, soit prétend être, celle du mort en prend possession et le souffle de la vie est insufflé dans l'image si bien qu'elle remue, parle et exprime les émotions de l'esprit qui est à l'intérieur. Les derniers mots du rapport Bisson sont : « Depuis ces séances, et en de nombreuses occasions, le fantôme entier s'est montré ; il est sorti du cabinet, a commencé à parler et s'est approché de Mme Bisson qu'il a embrassée sur la joue. Le son du baiser était audible. » Y eut-il jamais un final plus étrange à une investigation scientifique ? Cela peut servir à illustrer combien il est impossible, même pour le plus intelligent des matérialistes de trouver à ces faits la moindre explication qui reste cohérente avec ses théories. La seule que M. Joseph McCabe, lors de son récent débat public, ait pu avancer est qu'on se trouve en face d'un cas de régurgitation de nourriture ! Il ne paraît pas être au courant qu'un voile à mailles fines était ajusté sur le visage du médium dans certaines expériences, sans que cela empêche le moins du monde le flux d'ectoplasme d'émaner du médium.
Ces résultats, quoique vérifiés de toutes les façons possibles, sont néanmoins si surprenants que l'enquêteur a le droit de suspendre son jugement jusqu'à ce qu'ils soient confirmés. Mais désormais cela a été totalement fait. Le Dr Schrenck Notzing est retourné à Munich et là, il a été assez heureux pour découvrir un autre médium, une Polonaise, qui possède la faculté de matérialisation. Avec elle, il a mené une série d'expériences qu'il relate dans le livre déjà cité. Travaillant avec Stanislawa, le médium polonais, et adoptant les mêmes méthodes strictes qu'avec Eva, il obtient exactement les mêmes résultats. Son livre recouvre celui de Mme Bisson puisqu'il donne une relation des expériences de Paris, mais la partie la plus importante est le recoupement fourni par ses expériences de contrôle pendant l'été 1912 à Munich. Les diverses photographies d'ectoplasme, aussi loin qu'elles aillent, sont à peine différentes de celles déjà prises, si bien que toute théorie de fraude élaborée de la part d'Eva postule une fraude identique de la part de Stanislawa. Beaucoup d'observateurs allemands ont vérifié les séances.
A sa façon teutonne systématique, Schrenck Notzing s'avance plus profondément dans la question que Mme Bisson. Il obtient des cheveux de l'une des formes matérialisées et les compare au microscope avec des cheveux d'Eva (cet épisode a lieu pendant la série française), montrant par plusieurs tests qu'ils ne peuvent provenir de la même personne. Il donne aussi le résultat chimique de l'examen d'une petite portion d'ectoplasme, qui brûla et se réduisit en cendres, laissant une odeur de corne. Parmi les composants on trouve du chlorure de sodium (sel ordinaire) et du phosphate de calcium. Enfin, il obtient effectivement un enregistrement cinématographique de l'ectoplasme se déversant de la bouche du médium. Une partie est reproduite dans son livre.
Il faut expliquer que bien qu'en état de transe pendant ces expériences, le médium n'est certainement pas inanimé. Une personnalité distincte semble le posséder, ce qu'on pourrait expliquer comme étant l'une de ses propres individualités secondaires ou encore comme une obsession réelle venant du dehors. Cette personnalité a l'habitude de faire allusion au médium avec une certaine sévérité, disant à Mme Bisson qu'il lui faut de la discipline et qu'on doit la remettre à son travail. De temps à autre, cette personne montre des signes de clairvoyance, expliquant correctement, par exemple, ce qui cloche dans une installation électrique qui tombe en panne. Un accompagnement continu de grognements et de protestations en provenance du corps d'Eva semble n'avoir été qu'une simple clameur animale indépendante de toute intelligence.
Ces résultats sont encore une fois corroborés par le Dr Gustave Geley, dont le nom vivra à jamais dans les annales de la recherche psychique. Le Dr Geley est médecin généraliste à Annecy, où il remplit les hautes promesses que lui ont données ses études à Lyon. Il est attiré par la science naissante et est sagement nommé par M. Jean Meyer à la tête de l'Institut Métapsychique. Son travail et ses méthodes seront de tout temps un exemple pour ses successeurs. Il montre vite qu'il est non seulement un expérimentateur habile et un observateur précis mais encore un philosophe à la pensée profonde. Son grand livre De l'inconscient au conscient résistera sans doute à l'épreuve du temps. Il est assailli par les habituels moustiques humains qui s'attaquent aux premiers pionniers qui font une percée dans n'importe quelle jungle vierge de la pensée mais il leur fait face avec bravoure et bonne humeur. Sa mort tragique survient brutalement. Il se rend à Varsovie où il obtient quelques moulages ectoplasmiques tout frais du médium Kluski. Malheureusement, l'aéroplane à bord duquel il voyage au retour s'écrase et Geley est tué – perte irréparable pour la science psychique.
Le comité de l'Institut Métapsychique, reconnu par le gouvernement français comme étant « d'utilité publique », comprend le professeur Charles Richet, le professeur Santoliquido, ministre italien de la santé publique, le comte de Gramont, de l'Institut, le Dr Calmette, inspecteur général de médecine, M. Camille Flammarion, M. Jules Roche, ancien ministre de l'intérieur, le Dr Treissier, de l'hôpital de Lyon, et le Dr Geley lui-même, directeur. Parmi ceux qui viennent se joindre au comité par la suite on trouve Sir Oliver Lodge, le professeur Bozzano et le professeur Leclainche, membre de l'Institut et inspecteur général des services sanitaires au ministère de l'agriculture. L'Institut Métapsychique est équipé d'un bon laboratoire pour la recherche psychique et dispose également d'une bibliothèque, d'une salle de lecture, d'une salle de conférence et de pièces de réception. Le détail des travaux paraît dans sa revue intitulée La Revue Métapsychique.
Un aspect important du travail de l'Institut a consisté à inviter des hommes publics importants de la science et de la littérature à assister personnellement aux investigations psychiques en cours. Plus d'une centaine d'hommes de cette importance ont reçu des preuves de première main et, en 1923, trente d'entre eux, dont dix-huit médecins de renom, ont signé et autorisé la publication d'une déclaration où ils affirment leur totale foi dans l'authenticité des manifestations auxquelles ils ont assisté dans des conditions de contrôle sévères.
Le Dr Geley organise à une époque une série de séances avec Eva, convoquant une centaine de savants à venir assister à l'une ou l'autre d'entre elles. Ses tests sont si stricts qu'il conclut son rapport par ces mots : « Je ne dirai pas simplement qu'il n'y a pas de fraude. Je dirai qu'il n'y a pas eu la possibilité d'une fraude. » Il parcourt à son tour le vieux chemin et obtient les mêmes résultats sauf que les fantômes dans ses expériences ont pris la forme de visages féminins, parfois beaux et, comme il l'a assuré à l'auteur, inconnus de lui. Ils peuvent avoir été des formes-pensées d'Eva, car dans aucun de ses résultats enregistrés il n'obtiendra d'esprit absolument vivant. Cela suffit pourtant pour que le Dr Geley dise : « Ce que nous avons vu est la mort du matérialisme. Il n'y a désormais plus de place pour lui dans le monde. » Par ces mots, il veut parler, bien entendu, du matérialisme à l'ancienne mode, de l'époque victorienne, selon lequel la pensée était l'aboutissement de la matière. Toutes les nouvelles preuves indiquent que la matière est l'aboutissement de la pensée. Ce n'est que lorsque vous demandez « La pensée de qui ? » que vous entrez dans le domaine de la discussion.
A la suite de ses expériences avec Eva, le Dr Geley obtient des résultats encore plus merveilleux avec Franek Kluski, un Polonais avec qui les personnages ectoplasmiques sont si solides qu'il peut faire un moulage en paraffine de leurs mains. Ces gants de paraffine, qu'on peut voir à Londres[13], sont si petits aux poignets que la main n'a aucune possibilité de se retirer par là, sans briser le fragile moulage. La sortie n'a pu se faire que par une dématérialisation – aucune autre solution n'est possible. Ces expériences sont conduites par Geley, Richet et le comte de Gramont, trois hommes extrêmement compétents. On trouvera un examen critique complet de ces moulages, entre autres, pris sur des personnages ectoplasmiques au chapitre Vingt. Ils présentent une très grande importance car ce sont les preuves les plus tangibles et les plus indéniables de ce type de structures qu'on ait jamais avancées. Aucune critique rationnelle n'en a encore jamais été faite.
Un autre médium polonais, Jean Guzik, est mis à l'épreuve à l'Institut parisien par le Dr Geley. Les manifestations consistent en lumières ainsi qu'en mains et en visages ectoplasmiques. Dans les conditions de contrôle les plus sévères, trente-quatre personnes de qualité, à Paris, dont la plupart affichent un complet scepticisme, affirment après une investigation longue et précise, leur croyance en l'authenticité des phénomènes observés avec ce médium. Parmi eux, on trouve des membres de l'Académie Française, de l'Académie des Sciences, de l'Académie de Médecine, des docteurs en médecine et en droit ainsi que des experts de la police.
L'ectoplasme est une substance des plus protéiques qui peut se manifester de nombreuses façons avec des propriétés variables. Cela est démontré par le Dr W.J. Crawford, maître de conférences associé de Génie Mécanique au Queen's University, à Belfast. Il mène une importante série d'expériences s'étendant de 1914 à 1920, avec le médium Mlle Kathleen Goligher. Il en a donné une relation dans trois livres The Reality of Psychic Phenomena en 1917, Experiments in Psychical Science en 1919 et The Psychic Structures at the Goligher Circle en 1921. Le Dr Crawford meurt en 1920 mais il laisse un monument impérissable dans ces trois livres de recherche expérimentale originale qui ont probablement autant contribué à donner à la science psychique une base solide que tous les autres travaux sur le sujet.
Pour comprendre complètement les conclusions auxquelles il est arrivé il faut lire ses livres mais ici, nous dirons brièvement qu'il a démontré que les lévitations de la table, les coups frappés sur le plancher de la pièce et les mouvements d'objets dans la salle de séance sont dus à l'action de «baguettes psychiques » ou, comme il les a baptisées dans son dernier ouvrage, des « structures psychiques » qui émanent du corps du médium. Quand la table est soulevée du sol, ces « baguettes» opèrent de deux façons. Si la table est légère, la baguette, ou structure, ne touche pas le sol mais joue le rôle d'un « cantilever solidement fixé au corps du médium à une extrémité et qui s'accroche sous la surface ou aux pieds de la table par l'extrémité laissée libre ». Dans le cas d'une table lourde, au lieu de prendre appui sur le médium la force s'exerce sur le sol et forme une sorte de levier entre la table en lévitation et le médium. Placé sur une balance, le médium voit son poids augmenter lorsque la table se soulève.
Le Dr Crawford propose aussi cette intéressante hypothèse sur les processus en oeuvre dans la formation d'ectoplasme dans un cercle. Il faut comprendre que par « opérateurs » il veut parler des esprits opérateurs qui contrôlent les phénomènes :
« Les opérateurs agissent sur le cerveau des participants et donc ainsi sur leur système nerveux. De petites particules, il peut même s'agir de molécules, sont chassées du système nerveux hors du corps des participants par les poignets, les mains, les doigts ou d'autres parties. Ces petites particules, désormais libres, sont chargées d'une quantité considérable d'énergie latente, énergie qui peut réagir au contact de tout système nerveux humain. Ce flux de particules chargées d'énergie circule autour du cercle des participants, sans doute en partie sur la périphérie de leurs corps. Le flux, par une augmentation progressive de la part des participants, atteint le médium avec un haut degré de « tension », le charge d'énergie, reçoit de celui-ci un nouvel accroissement, retraverse le cercle, et ainsi de suite. Finalement, lorsque la « tension » est suffisamment forte, le processus circulatoire cesse et les particules chargées d'énergie se rassemblent sur, ou s'attachent au système nerveux du médium, qui acquiert de ce fait une réserve dans laquelle il pourra puiser. Les opérateurs disposent maintenant d'une quantité suffisante de l'énergie qui convient, c'est-à-dire une énergie nerveuse, et ils peuvent agir sur le corps du médium qui est fait de telle façon que la matière brute de son corps peut, au moyen de la tension nerveuse à laquelle il est soumis, être effectivement et temporairement détachée de son état ordinaire et être projetée dans la salle de séance[14]. »
Il s'agit probablement ici de la première tentative pour expliquer clairement ce qui se passe au cours d'une séance à phénomènes physiques et il est possible qu'elle décrive avec une assez grande exactitude ce qui se produit en fait. Dans l'extrait suivant, le Dr Crawford fait une importante comparaison entre les premières manifestations psychiques et les plus tardives et il énonce également une théorie audacieuse qui rend compte de tous les phénomènes psychiques :
« J'ai comparé l'aspect blanchâtre et vaporeux de la matière de la structure avec des photographies de phénomènes de matérialisations à tous les stades, obtenus avec (le nombreux médiums un peu partout dans le monde. J'en suis arrivé à la conclusion que cette matière ressemble de très près, si tant est qu'elle n'y soit pas identique, à la matière qui sert dans tous ces phénomènes de matérialisation. En fait, il n'est pas trop hardi de dire que cette matière blanchâtre, translucide et nébuleuse est la base de tous les phénomènes psychiques dans l'ordre physique. Sans elle, dans une certaine mesure, aucun phénomène physique n'est possible. Elle est ce qui donne de la consistance aux structures de toutes sortes édifiées par les opérateurs dans la salle de séance ; quand elle est correctement manipulée et appliquée, elle est ce qui permet aux structures d'entrer en contact avec les formes ordinaires de la matière qui nous sont familières, que pareilles structures soient analogues à celles dont je m'occupe particulièrement ou qu'elles soient des matérialisations de formes corporelles comme des mains ou des visages. En outre, il me paraît vraisemblable que cette matière se révélera finalement constituer la base des structures apparemment édifiées pour la manifestation de cette forme particulière de phénomènes qu'on connaît sous la désignation de Voix Directe, tandis que les phénomènes de Photographie d'Esprit semblent également l'avoir pour support[15]. »
Tandis que Crawford travaillait sur ses baguettes ectoplasmiques à Belfast, le Dr Geley vérifiait les résultats obtenus avec Éva C. dans une nouvelle série d'expériences. Il résume ainsi ses observations sur les phénomènes constatés :
« Une substance émane du corps du médium, elle s'extériorise et se présente d'abord sous un aspect amorphe ou polymorphe. Cette substance prend diverses formes mais en général elle montre des organes plus ou moins composites. Nous pouvons distinguer : 1) la substance comme un substratum de matérialisation ; 2) son développement organisé. Son apparition est généralement annoncée par la présence de flocons fluides, blancs et lumineux, d'une taille qui va de celle d'un petit pois à celle d'une pièce de cinq francs et qui se distribue ici et là sur la robe noire du médium, principalement du côté gauche... La substance elle-même émane du corps tout entier du médium mais surtout des orifices naturels et des extrémités, du sommet de la tête, des seins et du bout des doigts. L'origine la plus courante, qu'on observe le plus facilement, est la bouche... La substance survient sous diverses formes, parfois comme une galette, parfois comme une véritable masse protoplasmique, parfois sous la forme de nombreux fils fins, parfois comme des cordes d'épaisseurs variables, avec des contours mal définis et irréguliers. L'apparence la plus bizarre est offerte par une membrane largement étirée, avec des franges et des plis qui ressemblent à un filet.
« La quantité de matière extériorisée varie dans des limites très étendues. Dans certains cas, elle enveloppe complètement le médium comme dans un manteau. Elle peut avoir trois couleurs différentes – blanc, noir ou gris. La couleur blanche est la plus fréquente, peut-être parce qu'elle est la plus facilement observée. Parfois, les trois couleurs apparaissent simultanément. La visibilité de la substance varie grandement et elle peut augmenter ou diminuer doucement et successivement. Au toucher, elle donne diverses impressions. Parfois elle est humide et froide, parfois visqueuse et collante, plus rarement sèche et dure... La substance est mobile. Parfois, elle monte ou descend lentement le long du médium, sur ses épaules, sa poitrine, ses genoux, avec un mouvement rampant comme celui d'un reptile. Parfois, les mouvements sont soudains et rapides. La substance apparaît et disparaît comme l'éclair et est extraordinairement sensible... La substance est sensible à la lumière.»
Nous n'avons pu donner qu'une partie de l'analyse et de la description magistrale du Dr Geley. Ce passage final traite un aspect important :
« Pendant toute la durée du phénomène de matérialisation, le produit formé est en relation physiologique et psychique évidente avec le médium. Le lien physiologique est parfois perceptible sous la forme d'un fin cordon reliant la structure au médium et qu'on pourrait comparer au cordon ombilical reliant l'embryon à la mère. Même si ce cordon n'est pas visible, le rapport physiologique est toujours étroit. Toutes les impressions reçues par l'ectoplasme réagissent sur le médium, et inversement. La sensation réflexe de la structure s'unit avec celle du médium ; en un mot, tout prouve que l'ectoplasme est le médium lui-même qui s'est en partie extériorisé. »
Si on compare les éléments de ce compte rendu avec ceux donnés plus haut dans ce chapitre, on verra immédiatement combien les points de ressemblance sont nombreux. L'ectoplasme dans ce qu'il a de fondamental a toujours été le même. Après ces confirmations ce n'est pas le scepticisme mais l'ignorance pure qui nie l'existence de cet étrange matériau.
Eva C., comme nous l'avons déjà dit, vient à Londres et y donne trente-huit séances sous les auspices de la Society for Psychical Research, mais le rapport est un document très contradictoire et insatisfaisant[16]. Le Dr Schrenck Notzing a cependant réussi à faire venir un autre médium avec lequel il obtient de l'ectoplasme, et les résultats correspondent en gros à ceux obtenus à Paris. Il s'agit d'un garçon de quatorze ans, Willie S. Dans le cas de Willie S., le Dr Schrenck Notzing montre cette nouvelle substance à une centaine d'observateurs choisis ; aucun ne peut nier le témoignage de ses propres sens. Parmi ceux qui signent une déclaration d'approbation on trouve des professeurs ou d'anciens professeurs de Iéna, de Giessen, de Heidelberg, de Munich, de Tubingen, d'Upsala, de Fribourg, de Bâle et d'autres universités ainsi que des médecins, des neurologues et toutes sortes de savants célèbres.
Nous pouvons dire que son existence ne fait aucun doute. On ne peut pourtant le produire sur commande. C'est une opération délicate qui peut échouer. Ainsi, plusieurs expérimentateurs, notamment un petit comité de la Sorbonne, échouent effectivement. Nous avons appris qu'il faut les hommes adéquats et les conditions adéquates, conditions qui sont davantage d'ordre mental et spirituel que chimique. Une atmosphère harmonieuse y contribuera alors qu'une ambiance d'antagonisme et de chicane s'opposera, parfois totalement, à toute apparition. En cela, l'ectoplasme démontre ses affinités spirituelles, ainsi d'ailleurs que le fait qu'il diffère d'un produit purement physique.
Qu'est-ce que c'est ? Il prend des formes. Qui détermine la forme ? Est-ce le cerveau du médium en état de transe ? Est-ce le cerveau des observateurs ? Est-ce quelque cerveau indépendant ? Parmi les expérimentateurs on trouve une école matérialiste qui prétend que nous sommes en train de découvrir une propriété latente extraordinaire des corps normaux ; une autre école, à laquelle appartient l'auteur, croit que nous sommes tombés sur un maillon qui pourrait bien appartenir à une
chaîne conduisant à quelque nouvel ordre de vie. Il faut ajouter qu'il n'y a rien le concernant qui n'était déjà connu des anciens alchimistes du Moyen Age. Ce fait très intéressant a été mis en lumière par M. Foster Damon, de l'université Harvard, qui a donné une série d'extraits des œuvres de Vaughan, philosophe qui vécut aux environs de 1650, où sous le nom de « Matière Première » ou de « Mercure » une substance est décrite, tirée du corps, qui a toutes les caractéristiques de l'ectoplasme. C'est une époque où, entre d'un côté l'Église catholique et les chasseurs de sorcières des Puritains, de l'autre, les chemins de la recherche psychique étaient ardus. C'est pourquoi les chimistes de cette époque ont déguisé leurs connaissances sous des noms fantastiques et pourquoi, en conséquence, ces connaissances se sont éteintes. Quand on se rend compte que par Soleil ils veulent dire « l'opérateur », par Lune, « le sujet », par Feu « la force mesmérique » et par Mercure l'ectoplasme qui en résulte, on tient la clef de certains de leurs secrets.
L'auteur a souvent vu l'ectoplasme sous sa forme floconneuse mais une seule fois dans sa forme solide[17]. C'était au cours d'une séance avec Éva C. sous la conduite de Madame Bisson. A cette occasion, cette étrange et variable substance apparut sous la forme d'une bande de matière de quinze centimètres de long, assez semblable à un morceau de cordon ombilical enfoncé dans l'étoffe de la robe du médium, vers le bas de l'estomac. Elle était visible dans une bonne lumière et l'auteur fut autorisé à la serrer entre ses doigts ; elle lui donna l'impression d'une substance vivante, palpitant et reculant sous ses doigts. En cette occasion, il n'y avait aucune possibilité de tromperie.
Il est impossible de contempler les faits connus sur l'ectoplasme sans apercevoir leur rapport avec la photographie psychique. Les clichés pris autour d'Éva, avec leurs franges estompées et floues, sont souvent exactement semblables aux photographies obtenues par M. Hope, entre autres. L'opinion la plus rationnelle semble être que l'ectoplasme une fois formé peut être modelé par le cerveau et que ce cerveau peut, dans les cas les plus simples, être tout simplement celui du médium inconscient. Nous oublions parfois que nous sommes nous-mêmes des esprits et qu'un esprit dans un corps possède, on peut le présumer, des pouvoirs analogues à un esprit hors d'un corps. Dans les cas les plus complexes, et particulièrement dans la photographie psychique, il est parfaitement clair que ce n'est pas l'esprit du médium qui est à l'oeuvre mais qu'intervient une force plus puissante et plus énergique.
Quant à lui, l'auteur est d'avis qu'on découvrira plusieurs formes différentes de plasme avec différentes activités, le tout formant, à l'avenir, une science distincte qu'on pourrait bien nommer la plasmologie. Il croit aussi qu'on peut faire remonter à cette source tous les phénomènes psychiques extérieurs au médium, y compris la clairvoyance. Ainsi, un médium clairvoyant pourrait bien être quelqu'un qui émet cette substance ou une substance analogue qui construit autour de lui une atmosphère spéciale permettant à l'esprit de se manifester à ceux qui possèdent le pouvoir de perception. Comme l'aérolithe qui traverse l'atmosphère terrestre est pendant un moment visible entre deux éternités d'invisibilité, ainsi se peut-il que l'esprit traversant l'atmosphère psychique du médium ectoplasmique a la possibilité pendant un court laps de temps d'indiquer sa présence. De telles spéculations dépassent nos preuves actuelles mais Tyndall a montré comment des hypothèses exploratoires de la sorte peuvent devenir les pointes extrêmes de la vérité. La raison pour laquelle certaines personnes voient un fantôme et que d'autres n'en voient pas peut être que certains fournissent suffisamment d'ectoplasme pour une manifestation, et d'autres non, tandis que le frisson
de froid, le tremblement, l'évanouissement consécutif peuvent être simplement dus non à la terreur mais en partie à l'écoulement soudain des ressources psychiques.
Mis à part ce genre de spéculations, la pleine connaissance de l'ectoplasme que nous avons désormais acquise nous donne enfin une base matérielle ferme pour la recherche psychique. Quand les esprits descendent dans la matière, ils ont besoin d'une base matérielle de cette sorte, sinon ils sont incapables de produire une impression sur nos sens matériels. Encore en 1891, Stainton Moses, premier sujet psychique de son temps, était obligé de dire : « Je n'en sais pas plus sur la méthode, ou les méthodes, par lesquelles des formes matérialisées sont produites que lorsque je les ai vues pour la première fois. » S'il vivait encore aujourd'hui, il ne pourrait guère en dire autant.
Ces nouvelles connaissances précises sont utiles car elles nous donnent une explication rationnelle de ces coups frappés qui ont été parmi les premiers phénomènes à attirer l'attention. Il serait prématuré de dire qu'on ne peut les produire que d'une seule manière mais on peut au moins affirmer que leur méthode ordinaire de production consiste en l'extension d'une baguette d'ectoplasme, visible ou non, qui vient percuter quelque objet solide. Il est probable que ces baguettes sont des conducteurs de force plutôt qu'elles ne sont fortes en elles-mêmes, tout comme un petit fil de cuivre peut transporter la décharge électrique qui va désintégrer un cuirassé. Dans l'une des admirables expérimentations de Crawford, quand ce dernier découvre que les baguettes proviennent de la poitrine de son médium, il imprègne son corsage d'un liquide rouge puis demande que les coups soient frappés contre le mur d'en face. On constate que le mur est semé de points rouges, les saillies ectoplasmiques ayant emporté chacune un peu de la couleur de la blouse qu'elles ont traversée. De la même manière, les mouvements de table, dans le cas où ils sont authentiques, semblent dus à une accumulation d'ectoplasme sur la surface, recueilli auprès des divers participants et utilisé ensuite par l'intelligence directrice. Crawford conjecturait que les extrusions devaient souvent posséder des suceurs ou des pinces à leur extrémité afin de pouvoir saisir ou soulever, et l'auteur rassembla en conséquence plusieurs photographies de ces formations qui montrent nettement un profil en dent de scie tout au bout qui remplirait une telle fonction.
Crawford prêta aussi une grande attention à la correspondance qui existe entre le poids d'ectoplasme émis et la perte de poids du médium. Ses expériences semblent montrer que tout le monde est médium, que chacun perd du poids au cours d'une séance à matérialisation et que le médium principal ne diffère des autres que par sa constitution particulière qui lui permet d'émettre un flux plus important d'ectoplasme. Si on se demande pourquoi un être humain est différent d'un autre sur ce point, nous touchons à cette controverse stérile sur la question de savoir pourquoi un tel aura l'oreille musicale tandis qu'un autre sera imperméable à toute mélodie. Nous devons prendre ces attributs personnels comme nous les trouvons. Dans les expériences de Crawford, le médium perdait couramment de cinq à sept kilos au cours d'une seule séance – le poids lui étant rendu immédiatement dès que l'ectoplasme se rétractait. Il arriva une fois qu'on enregistrât l'énorme perte de poids de vingt-cinq kilos. On pourrait croire que la balance était détraquée en cette occasion si des pertes encore plus importantes n'avaient été enregistrées avec d'autres médiums, ainsi qu'on l'a déjà mentionné pour les expériences d'Olcott avec les frères Eddy.
Il y a certaines autres propriétés des excroissances ectoplasmiques qu'il faudrait noter. Non seulement la lumière exerce un effet destructeur sur elles, sauf si elles y sont progressivement acclimatées ou encore si elles sont spécialement préparées auparavant par les contrôleurs, mais la conséquence d'un éclair soudain est de Taire rentrer brutalement la structure dans le médium avec la force d'un bandage élastique qui claque. Cela n'est en aucun cas une affirmation fausse destinée à protéger le médium de toute surprise mais c'est un fait bien réel vérifié par maints observateurs. Toute intervention sur l'ectoplasme, sauf si sa production frauduleuse est avérée, doit être fortement déconseillée et une puissante traction sur la trompette, ou tout autre objet soutenu par la baguette ectoplasmique est presque aussi dangereuse que l'exhibition d'une lumière. L'auteur garde en mémoire un cas où un participant peu averti se saisit de la trompette qui flottait devant lui et la retira du cercle. Cela se produisit dans le silence mais le médium se plaignit néanmoins d'une douleur à ceux qui l'entouraient et resta prostré pendant quelques jours. Un autre médium exhiba une cicatrice qui courait de la poitrine à l'épaule provoquée par la détente de la baguette ectoplasmique au moment où quelque apprenti dénonciateur avait allumé une torche électrique. Quand l'ectoplasme se replie vers une surface muqueuse il peut s'ensuivre une grave hémorragie, dont plusieurs cas sont venus à l'attention de l'auteur. Dans un cas précis, celui de Susanna Harris, à Melbourne, le médium a dû garder le lit une semaine après une expérience de ce type.
Il est vain de vouloir donner en un seul chapitre d'un travail qui couvre un vaste sujet une vue détaillée d'une partie de ce sujet qui pourrait parfaitement être traitée dans un volume séparé. Nos connaissances de cette substance étrange, fuyante, protéique, qui pénètre partout, a toutes chances d'augmenter d'année en année et on peut prophétiser que si la dernière génération s'est occupée du protoplasme, la suivante sera accaparée par son équivalent psychique qui, espérons-le, conservera le nom d'ectoplasme donné par Charles Richet, bien que diverses autres dénominations comme « plasme », « téléplasme » et « idéoplasme » soient malheureusement déjà en circulation. Depuis le moment où ce chapitre a été mis en chantier de nouvelles démonstrations d'ectoplasme se sont produites en diverses parties du monde, la plus remarquable ayant eu lieu avec « Margery », ou Mme Crandon, de Boston, dont les pouvoirs ont été entièrement étudiés dans l'ouvrage portant ce nom et qui a pour auteur M. Malcolm Bird.

[1] Essays from the Unseen. (Essais de l’Invisible).

[2] Materialised Apparitions, p. 106.

[3]Beginnings of Seership, p. 55.

[4]Shadow Land, p. 229

[5] The Spiritualist, 1873, p. 83.

[6]Life and Experience, p. 58.

[7] Shadow Land de E. dEspérance (1897), pp. 254‐5.

[8]Annales de la science psychique, vol. II, p. 305.

[9] 1873, p. 82‐83.

[10] Annales de la science psychique, vol. II, p. 273.

[11]Annales de la science psychique, vol. II, p. 238.1

[12] Trente ans de recherche psychique, p. 508.

[13] On peut voir des moulages semblables au Psychic College, 59 Holland Park, W., ainsi qu’au Psychic Museum, Abbey House, Victoria Street, Westminster.

[14]The Reality of Psychic Phenomena, p. 243.

[15] The Psychic Structures at the Goligher Circle, p. 19.

[16]S.P.R. Proceedings, vol. XXXII, p. 209‐343.

[17] Excepté dans les nombreuses occasions où il a vu des visages ou des silhouettes effectivement matérialisés

 

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