Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec

LES POLEMIQUES AU SUJET DES SEANCES
DE LA VILLA CARMEN

Un journal d’Alger publiait dernièrement l’information suivante : Conférence du Docteur Z[1].
L’annonce d’une conférence sur Bien Boa, avec reproduction exacte des séances de la villa Carmen, avait incité les curieux de l’au-delà à venir en grand nombre à l’université populaire.
La réunion a commencé à 8h 1/2 par un exposé très bref du docteur Z… sur les nombreuses mystifications dont de tout temps ont été victimes le général et la générale Noël. Entre autres faits, celui ci extrêmement typique et d’autant plus intéressant que tous les acteurs sont encore à Alger :
Dans le numéro de janvier 1904 de la Revue Scientifique et morale du Spiritisme paraissait le procès verbal d’une expérience véritablement étonnante qui s’était produite à la villa Carmen. Ce procès verbal était authentiqué par le général, la générale, M. V…, employé à la banque d’Algérie ; M. H… propriétaire à Alger, et le docteur X…, fort connu dans le monde savant de notre ville. Voici le procès verbal dont il s’agit :
Le 18 décembre, nous, soussignés, constatons que nous avons vu M. Charles H…, sur l’invitation de la générale Noël, prendre le crayon pour la troisième fois seulement (il s’agissait de médiumnité mécanique). Nous savons que M.H… ne connaît pas l’anglais et nous savons qu’il n’a jamais été médium écrivain. Nous déclarons que les seules personnes du groupe sachant l’anglais sont la général et le docteur X…
Le général en sait quelques mots ; enfin, les autres membres ignorent absolument cette langue. En ces conditions, les membres virent avec stupéfaction m. H… tracer calmement, méthodiquement ces mots :
My lovery Carmencita, be calm and hope : consult your sister whenever consult … major Branhaudan arrives. Ici la main de M.H… parut être violement saisie par une autre influence, cette main tapota fortement le papier, puis le crayon lui tomba des doigts.
En foi de quoi nous signons :
Carmencita Noël, Général Noël, docteurs X…, V…, Ch. H…, L. H…
Je déclare ne pas savoir l’anglais et être absolument incapable d’écrire moi même la phrase ci dessus mentionnée. En outre, j’ignorais absolument posséder ces facultés médiumniques. Ch H… Comme on le voit, rien ne manque, à ce procès verbal d’une expérience, on peut dire la plus remarquable de la villa Carmen. Le malheur c’est qu’il s’agit d’une simple fumisterie.


Brelan d’aveux
Le Docteur Z… a recueilli du principal intéressé et du signataire, dont l’autorité fit surtout foi, l’aveu de la plaisanterie.
Le Docteur X… qui savait l’anglais, avait tout simplement fait apprendre par cœur, avant la séance, la phrase en anglaise à son complice en fumisterie. Le docteur X…, ne prévoyait pas à ce moment qu’on ferait signer un procès verbal. Il se trouva pris à son propre piège et l’avoue maintenant fort ingénument. Il est même désolé qu’un tel amusement ait pu troubler la conscience de quelques personnes qui lui ont écrit pour avoir sont attestation particulière et qu’il a, du reste, fort loyalement détrompées.
On peut voir par ce précède comment la simplicité des habitants de la villa Carmen a pu être exploitée depuis dix ans par tous les plaisantins de la ville. La chronique locale fourmille d’anecdotes à ce sujet.
On aurait certainement entretenu pendant longtemps encore le général et la générale dans leur douce illusion si un fait grave intéressant la science, ne s’était produit.
Le professeur Richet a donné à toutes ces plaisanteries, inoffensives jusqu’alors, le poids de son autorité. Ici la chose devient dangereuse pour la science, et M. le docteur Z…, bien qu’il soit désespéré de peiner le général et la générale, croit de son devoir de leur révéler la vérité. M. le docteur Z… accuse le médium Mlle M. B…, de tricherie.
Il raconte qu’en présence de deux jeunes gens de notre ville, qui ne refuseraient pas leur témoignage, elle simula, en manière de plaisanterie, Bergolia, la sœur de Bien Boa. « Puis, est il besoin de tant discuter ? dit le docteur Z… ; j’ai reçu une lettre du général Noël lui même qui me déclara, en parlant de Mlle M.B… :
Elle a brûlé ce qu’elle a adoré, et adore maintenant ce qu’elle a brûlé. En un mot, son père a écrit à l’illustre maître Richet qu’elle avait avoué qu’une trappe existait dans notre salle de séances et que tous les phénomènes obtenus ici, avec Richet et Delanne, étaient dus à la fraude.
Et cela, après nous avoir servi de médium depuis août 1904 et avoir, avec l’autorisation de son père, laissé son nom et celui de ses sœurs paraître tout au long tous les mois dans le Revue de M. Delanne qui a publié le récit de nos séances…
Nous avons donc, dit M. E…, l’aveu même d’un des prétendus médiums, Mlle M.B…Je vais tout à l’heure vous présenter l’autre.
Celui ci, Areski, cocher du général Noël, avait été déjà pris en fraude par M. Delanne lui même. M. Delanne le déclare formellement dans sa Revue de novembre 1905, p.528 :
La loyauté, écrit-il, me fait un devoir de signaler que le cocher arable nommé Areski fut pris deux fois par moi en flagrant délit de tentative de fraude. La première fois en se cachant dans un réduit attenant au cabinet de toilette de Mme Noël, où des coups violents étaient frappés contre la porte de communication pour faire croire à la présence d’un esprit méchant et perturbateur ; la seconde fois en cachant une pièce d’étoffe nommé haïk, dans le baldaquin de la salle des réunions, où je le découvris en visitant le cabinet, un jour où il croyait assister à une séance, où d’ailleurs, il ne se produisit rien.
Cet Areski, qu’on avait ainsi déjà surpris en flagrant délit, parut être au docteur Z.. le complice de B… M.Z… se mit en rapport avec lui et obtint l’aveu que c’était lui qui remplissait, en compagnie de Marthe B…, le rôle de Bien Bola. Bien mieux, sur les instances du docteur Z…, Areski reproduisit en sa présence les soi disant phénomènes de la villa Carmen. Ces phénomènes il va les reproduire ici même.


L’apparition
Sur l’ordre du docteur Z… on baisse tous les becs de gaz de façon que la scène demeure dans une demi obscurité. On entend bientôt dans le cabinet à matérialisation une formidable série de coups (ce sont des raps, explique le docteur Z…). Puis on entend un frôlement. Les rideaux s’agitent comme secoués par un fort vent.
L’assistance, quoique prévenue, est anxieuse.
Tout à coup, dans l’interstice des rideaux apparaît, se glissant de haut en bas, une forme indécise blanche ; elle disparaît soudain et l’on entend des soupirs étouffés, puis une autre série de (raps) rapides. Les rideaux s’agitent encore.
A hauteur d’homme apparaît une forme de tête blanche qui, lentement, très lentement, examine à droite et à gauche comme pour inspecter l’assistance, puis la tête se retire aussi lentement.
Le rideau est retiré rapidement sur la droite.
Une forme blanche apparaît : c’est Bien Boa, qui glisse lentement et prudemment sur le sol d’une allure hésitante.
Il se baisse par un mouvement lent, insensible, puis se redresse vivement de toute sa hauteur, et tout cela dans un silence impressionnant. Tout à coup, violemment, Bien Boa rentre dans le cabinet. Il va y chercher les fluides nécessaires. Il reparait ensuite par le bas du rideau en faisant entendre une suite de raps très doux. Il s’aventure hors du rideau et se présente au docteur Z …, qui lui tâte le pouls. « Ainsi, dit il, fit le professeur Richet ». Bien Boa disparaît ensuite avec majesté dans le cabinet de matérialisation.
La séance est terminée. Le docteur Z… fait allumer le gaz ; non sans avoir essayé de produire avec de l’huile phosphorée les phénomènes lumineux. Mais la préparation pharmaceutique a été mal faite et on ne distingue que très peu une main brillante et une boule de coton phosphorescent.


Areski – Bien Boa
Lorsque le gaz est rallumé, le docteur Z… présente alors à son auditoire Areski, habillée cette fois à l’européenne. « Areski, fait observer le docteur Z…, à la peau basanée, telle que signale M. Delanne. »
Comment Areski, se demande le docteur, pouvait il pénétrer dans le cabinet à l’insu du professeur Richet ? De la façon la plus simple. Il entrait dans le pavillon avec tout le monde, aidait à soulever les tapis, à regarder dans la baignoire et sous les meubles. Puis, lorsque l’attention se portait ailleurs, ou bien lorsque le gaz, brusquement éteint, ne permettait pas aux yeux non encore habitués à l’obscurité de s’apercevoir qu’il se glissait dans le cabinet, Areski se cachait dans l’encoignure gauche de la draperie qu’on venait d’explorer.
Le docteur Z… explique que Mlle B.., ne dédaignait pas aussi de faire son petit Bien Boa. Ainsi s’explique l’étonnement de M. Delanne, qui constatait que tantôt la main de l’apparition était blanche et tantôt brune.
Enfin, continue M. Z…, M. Delanne dit que le 29 août « le rideau est tiré brusquement ; je distingue très nettement dans contestation possible Mlle M. et Aischa la négresse, assises l’une à côté de l’autre ; il n’y a pas à douter que ce soit elles et je les ai vues se mouvoir. En même temps, je vois une grande draperie blanche, comme enveloppant un bras placé très haut, qui achève de tirer le rideau et disparaît avec la rapidité de l’éclair. »
C’était, termine M. Z…, le bras d’Areski déjà habillé en fantôme !
En finissant, M. Z… déclare qu’avant de faire sa conférence il a écrit au professeur Richet pour prévenir, au préalable, de ses intentions. Le professeur Richet n’a pas daigné répondre. M.Z… fera une communication au prochain Congrès de Lisbonne.
Après le docteur Z…., M. Verdier demande la parole. Avec un courage digne du meilleur sort, il entreprend de réfuter les dires de M.Z… Mais l’assistance, devant les faits matériels qu’on vient de lui mettre sous les yeux, ne se laisse pas convaincre par une argumentation abstraite.
Tout ce que M. Z… annonce sur la fraude ou les fraudes de la villa Carmen repose en réalité sur ceci :
On a pu, sur un théâtre, montrer un individu qui, couvert d’un drap blanc, jouait le rôle d’un fantôme, absolument comme dans les Cloches de Corneville, et le public naïf en a aussitôt conclu que les phénomènes de la villa Carmen étaient frauduleux.
Le docteur Z…, n’a pas eu à se mettre en frais de grande imagination pour exhiber à l’université populaire d’Alger un fantôme à si bon compte. Il eut même désiré montrer les phénomènes lumineux en employant de l’huile phosphorée, mais ses connaissances en chimie n’ont pas été suffisantes pour réussir cette petite préparation.
Toute cette scène qui se passait dans un silence impressionnant a ému l’assistance. Elle avait cela de piquant que l’acteur jouant le fantôme était le cocher du général Noël, un nommé Areski, renvoyé par le général pour malversations et mensonges.
Comment le cocher Areski est il intervenu ? Le docteur Z… nous l’apprend. C’est tout simplement en entrant avec nous dans la salle des séances, et cela par des procédés qui ne semblent pas mystérieux, c’est à dire en examinant, conjointement avec nous, le tapis, la baignoire et les meubles ; puis lorsque l’attention se portait ailleurs, il se glissait dans le cabinet et se cachait derrière le rideau.
Or je tiens à déclarer formellement et solennellement que, sur les vingt expériences environ auxquelles j’ai assistés, pas une seule fois il n’a été permis à Areski d’entrer dans la salle des séances. Ses agissements nous avaient inspiré assez de méfiance pour que nous prissions soin de la tenir complètement à l’écart. J’ajoute qu’il lui eut été impossible aussi bien de sortir du cabinet que d’y entrer ; et que, de toutes les hypothèses de supercherie qu’on peut imaginer, celle d’Areski ou d’un autre personnage entrant et sortant à notre insu est de beaucoup la plus invraisemblable. Elle est même tellement invraisemblable que j’ai peine à croire qu’il puisse encore se trouver un individu de bon sens capable d’y ajouter foi.
Ce sont propos de cuisine ou d’écurie que j’eusse dédaigneusement passés sous silence, si le docteur Z… n’avait voulu révéler à l’univers ces menteries d’une domestique renvoyé.
Restent les deux autres aveux, ou soit disant aveux, qu’a récoltés après enquête le docteur Z… Il raconte d’abord qu’un médecin, dont il a la pudeur de ne pas donner le nom, aurait fait à Mme Noël une face consistant à apprendre par cœur une phrase en anglaise ridicule et à la donner ensuite comme preuve d’un pouvoir médiumnique imaginaire. Eh bien ! Je déclare que je ne connaissais pas la plus petite parcelle de cette histoire ; qu’il n’en a jamais été question dans mon récit, que je ne suis aucunement responsable de ce qui a pu être dit et fait en dehors de moi[2] , et que je plains sincèrement, si l’histoire est vraie, et le médecin qui consentit à jouer ce rôle et Mme Noël qui a accueilli avec bienveillance un tel personnage.
Quant au soit disant aveu de Mlle Marthe B…, c’est, d’après M. Z…, qu’il y a une trappe dans la salle des séances. Or :
1° Jamais Mlle Marthe B… n’a écrit ou dit qu’il y avait une trappe ;
2° Il n’y a pas de trappe.
Nous devons tirer cependant une conclusion, sur les objections qu’après six mois de réflexions, à grand renfort d’aveux extorqués, de contre-enquêtes et d’enquêtes, de faux témoignages, de propos de bas étage, on est parvenu à édifier contre les faits dont j’ai donné le récit.
Ce sont les cinq affirmations suivantes :
1° Un individu habillé d’un drap blanc peut s’amuser sur la scène et faire le fantôme ;
2° Cet individu peut être le cocher du général Noël ;
3° Le cocher du général Noël affirme qu’il a pénétré librement avec nous dans la salle des séances, lorsque cette affirmation est un audacieux mensonge ;
4° Un médecin a fait une face à Mme Noël il y a deux ans en faisant apprendre onze mots d’anglais à un individu qui ne sait pas l’anglais ;
5° Mlle Marthe B… aurait dit que tout se passait par le moyen d’une trappe, alors que d’abord elle ne l’a pas dit et ensuite qu’il n’y a pas de trappe. L’existence de cette trappe à propos de laquelle un avocat d’Alger m’avait écrit une lettre émue que je publie quelque jour, si besoin est, est démentie par le procès verbal qui suit.
J’avoue, pour ma part, qu’en rapportant ces phénomènes extraordinaire de la villa Carmen, leur étrangeté m’avait, malgré toutes les preuves reçues, souvent inspiré des doutes ; et je les avais hardiment exprimés, sans dissimuler leur force. Mais maintenant, après la pauvreté des objections qu’on a pu leur opposer, mes doutes ont en partie disparu.
Charles RICHET

[1] Le nom du conférencier est donné en entier par le journal en question

[2] Aussi bien pour ce qui a été dit, que ce qui sera dit. Je laisserai sans répondre s’écouler le flot boueux des allégations fausses et des histoires inventées. Je suis pleinement responsable de ce que j’ai écrit ; nullement responsable des écrits qu’on me prête ; des interviews frauduleux qu’on m’attribue, et des racontars mensongers qu’on colporte. A tout cela j’oppose un démenti total et formel.

 

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