Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


Juillet 1871


Sommaire : VariétésNécrologie Correspondance Réfutations : La réincarnation et l’école spiritualiste américaine , Réponse au magnétiseur de Genève - Questions et problèmes : Dissertations spirites : Monseigneur Darboy, Archevêque de Paris , Le Brigadier Pons - Poésie spirite.

Avis

L'abondance des matières, la multiplicité des articles d'actualité par lesquels nous ne voudrions pas nous laisser déborder, nous obligent à remettre à un prochain numéro la publication des articles posthumes d'Allan Kardec.
Nous ajournons également, bien à regret, le compte rendu de plusieurs ouvrages intéressants, et des travaux accomplis par la presse spirite à l'étranger pendant la période de dix mois qui vient de s'écouler. Félicitons seulement, en passant, la rédaction du Phare qui a su défendre avec fermeté la bannière du maître, et se tenir constamment à la hauteur des événements. Nous reviendrons prochainement sur les heureuses innovations qu'elle a su introduire dans sa manière de faire.
Les groupes spirites ne sont pas non plus restés inactifs, les sociétés liégeoises ont organisé un centre de direction, dont nous attendons beaucoup pour l'avenir. A Rochefort, une bibliothèque a été organisée, un groupe de cinquante membres fondé. A Genève, madame Bourdin et ses amis ont poursuivi avec succès leurs intéressants travaux. Une communication de l'archevêque de Paris, que nous publions plus loin, laissera nos lecteurs juges des progrès accomplis.
Que n'avons-nous plus de place pour répondre à toutes les exigences du développement de la doctrine!... Mais tout vient à point à qui sait attendre, aussi ne désespérons-nous pas de voir un jour le Spiritisme à la place que lui assigne son influence prépondérante sur les destinées futures de l'humanité.
La Rédaction

 

Variétés

Le Spiritisme et la presse
Sous la signature Ch. Monselet, nous extrayons du Monde illustré du 13 mai dernier, le paragraphe suivant :
« Par où sont passés les spirites ?
On n'en entend plus parler depuis le commencement de la guerre.
Ce serait cependant bien le moment pour eux de se manifester et de nous faire quelques communications sur les événements.
Il doit y avoir dans l'air, à l'heure qu'il est, une multitude d'Esprits qui ne demandent pas mieux que de causer. Que ne les interroge-t-on comme autrefois ?
Il serait infiniment intéressant d'avoir l'opinion de M. de Talleyrand sur M. de Bismark par exemple, ou celle du grand Frédéric sur M. Thiers, ou celle du peintre David sur le peintre Courbet. »
Ch. Monselet

Est-ce bien par sollicitude pour le Spiritisme et par intérêt pour les spirites que M. Ch. Monselet veut bien appeler l'attention de la foule sur nos modestes travaux ? Hélas ! Il est permis d'en douter, car quelque sympathie que le spirituel chroniqueur du Monde illustré éprouve pour nous, il n'a pas été sans doute jusqu'à consacrer à l'étude de nos croyances quelques-uns de ses précieux instants, autrement certes il ne confondrait pas spirites et Esprits au point d'ignorer quels sont ceux qui se communiquent et ceux qui reçoivent les communications.
Mais depuis quand est-il bien nécessaire à la plupart des critiques qui, par état, ne devraient rien ignorer, de connaître les productions nouvelles de l'esprit humain pour les railler et les ridiculiser ? Ceux qui ont vu dans Salomon de Caus un pauvre fou, digne des cabanons de Bicêtre, peuvent bien renfermer le Spiritisme tout entier dans l'armoire des frères Davenport. Les spirites ? Des niais et des jongleurs ! A quoi bon lire les sottises des uns et les mensonges des autres. Quelques bons mots font justice d'une pareille misère. Qu'importe qu'ils frappent juste ou non ! Quelques brocards agréables sur le Spiritisme, cela fait bien dans une chronique, c'est un cliché tout fait pour combler les lacunes de la mise en pages et varier le fait divers.
Qu'y a-t-il derrière cette tête de Turc sur laquelle toute la phalange de la littérature légère a frappé tour à tour à coups redoublés ? Peut-être la branche de salut destinée à arracher l'humanité à l'abîme sur les bords duquel elle chancelle mais c'est bien là le moindre des soucis de la gent moqueuse qui depuis un demi-siècle sape incessamment les vieilles croyances de l'humanité, et invite la masse ignorante à s'abreuver à longs traits à, la coupe ardente du matérialisme. Peut-être une nation tout entière y périra-t-elle ? Peut-être tout un peuple s'ensevelira-t-il sous les ruines embrasées de ses édifices, sous les débris croulants de ses institutions? ...
Sous la satire des sceptiques l'esprit religieux a été anéanti, le respect de la famille amoindri, l'amour de l'or exalté, les aspirations sensuelles décuplées. On a détruit les principes d'équilibre et de stabilité sans lesquels la vie sociale est impossible. C'étaient des rouages usés, dira-t-on, mais encore ils faisaient aller la machine, en les livrant à la pioche du démolisseur, fallait-il au moins les remplacer par quelque chose, on n'a rien reconstruit et tout s'est détraqué. Qu'est-ce que cela peut faire ? Le monde peut sombrer !.... Qu'importe ! On a fait de l'esprit, on a provoqué le sourire du lecteur oisif, n'est-ce pas suffisant ?...
Et pendant ce temps-là que faisait le Spiritisme ? Pourquoi donc aucun bruit ne s'élevait-il autour de lui ?
C'est qu'il avait compris que la polémique devait céder la place à l'action. C'est que les spirites, profondément convaincus de la puissance moralisatrice de leurs doctrines, descendaient de la lutte orale à la lutte active. Ce qu'ils avaient commencé à propager par la puissante irradiation de la démonstration logique et rationnelle, ils le continuaient par les actes de la vie journalière. A l'armée, soldats ou gardes nationaux, ils donnaient l'exemple du respect à la loi, de l'obéissance aux chefs, du courage dans les combats, de la miséricorde après la lutte, vieillards auxquels la faiblesse des ans interdisait la défense armée du territoire envahi, mères de famille, épouses ou filles, ils enseignaient la résignation dans l'adversité, prodiguaient aux affligés les paroles de consolation et d'espérance, relevaient les courages abattus, soutenaient les esprits défaillants, ouvraient leur bourse et leur âme à toutes les infortunes, pansaient sur les champs de bataille et dans les ambulances les blessures du corps, et s'attachaient partout à guérir ou à soulager les plaies incurables des âmes, où certaine littérature avait semé le ver rongeur du doute et de l'incrédulité. Voilà ce que faisaient les spirites, et peut-être la situation de notre malheureux pays serait-elle tout autre, si au lieu de chercher à les noyer sous le ridicule, on leur eût fraternellement tendu la main pour les soutenir dans leur oeuvre régénératrice.
Réduits à leurs propres forces, ils ont essayé de faire beaucoup de bien, et ne sont arrivés qu'à adoucir quelques maux. Nous verrons bientôt ce qu'ils eussent pu faire s'ils eussent rencontré l'appui qu'une connaissance consciencieuse de la puissance moralisatrice de leurs principes eût dû leur créer dans la partie éclairée et intelligente de la société.
Il est tellement évident aujourd'hui pour les écrivains sérieux, que nous devons aux enseignements désagrégeants de l'école matérialiste la plus grande partie de nos maux, qu'ils s'accordent tous, sans distinction de croyance philosophique, à jeter sur elle la responsabilité des événements accomplis.
C'est ainsi que dans le numéro du Bien public du 3, juin, M. H. Vrignault explorant rapidement, mais d'une main habile et sûre, les plaies béantes de notre malheureux Paris, aperçoit au fond de tous nos désastres la haine creusant dans le monde social de profondes démarcations, complotant de nouveaux dangers. Et cette haine, à qui doit-elle en grande partie son essor, selon M. Vrignault ? A l'école matérialiste, à ceux qui depuis de longues années « ont tout raillé, tout nié, tout blagué » (sic), et c'est à la panser et à la guérir, dit-il, qu'il faut aujourd'hui s'appliquer.
Plus loin, il ajoute :
Qu'a-t-on fait depuis un siècle pour les classes laborieuses?
Des phrases, des discours!
Qu'a-t-on fait d'elles? Des instruments d'ambition. Lui dire la vérité, l'instruire, la moraliser, assurer sa vieillesse contre la faim, qui donc y a songé?  Il est temps!  La justice frappe à cette heure, c'est son droit...
L'heure viendra bientôt où la charité devra agir, non pas la charité maladroite, humiliante, celle qui jette enliassant un morceau de pain, mais la charité intelligente et forte, qui cherche les douleurs à la source des douleurs. Que tous s'y mettent, que ceux qui n'iront pas avec le coeur, y aillent par intérêt, par égoïsme. Des crises comme celles que nous traversons, laissent des traces immenses, et les haines qu'elles sèment sont terribles; les représailles, quand vient l'heure, affreuses. Empêchons que cette heure ne vienne jamais, et pour cela, au lieu de nous empresser d'enlever toutes les traces de la lutte, nous disons les traces morales, au lieu de passer en gens avides d'oubli le pinceau sur ces cicatrices, laissons-les à nu; souvenons-nous, et voyant chaque jour l'effet du mal, allons résolument le chercher à sa source, au germe, et guérissons-le.
H. Vrignault

Interrogeons enfin Alexandre Dumas fils, soit dans ses écrits antérieurs où il prévoit la crise, soit dans la longue et remarquable analyse qu'il fait actuellement des événements accomplis. N'est-ce pas encore à l'école matérialiste tout entière qu'il s'adresse, lorsqu'à propos du but philosophique des représentations théâtrales, il considère le drame, la comédie et le vaudeville, comme un puissant moyen de moralisation et d'instruction, tandis que Francisque Sarcey, son adversaire, n'y voit qu'un amusement pour les masses, qu'une distraction pour l'intelligence.
N'avait-il pas le don de la seconde vue lorsqu'il s'écriait alors : « On n'a perdu que trop de temps (pour l'éducation et la moralisation des masses) et dans un an, dans six mois peut-être, le drame ne sera plus au théâtre, il sera dans la rue. »
Ces paroles prophétiques échappées à l'auteur du Fils naturel, dans un de ces rares instants de la vie humaine où l'avenir s'entrouvre momentanément sous nos regards étonnés, ne se sont que trop réalisées, mais quels que fussent ses pressentiments, il était loin sans doute de prêter au drame de la rue les sombres couleurs et l'horrible mise en scène sous lesquelles il s'est déroulé devant nous.
Il y a un peu plus d'un an, Alexandre Dumas fils apercevait l'abîme où pouvaient s'engloutir la puissance, la richesse, la liberté et jusqu’à l'autonomie de la France. Ecoutons-le aujourd'hui s'entretenir avec nous des moyens de salut qui nous restent :
Il y a d'un côté, dit-il, les gens qui possèdent, les gens qui travaillent et les gens qui savent.
Il y a de l'autre côté les gens qui ne possèdent pas, les gens qui ne travaillent pas et les gens qui ne savent pas.
Il faut que ceux qui possèdent viennent en aide, sous toutes les formes possibles, à ceux qui ne possèdent pas, il faut que ceux qui travaillent fassent travailler ceux qui ne travaillent pas ou les exterminent impitoyablement s'ils s'y refusent. L'oisif doit disparaître du monde.
Il faut que ceux qui savent, enseignent, instruisent, élèvent ceux qui ne savent pas, et les subordonnent en attendant au nom du droit, de la justice, de la nature et de la société, parce que celui qui ne sait pas, quelle que soit la raison de son ignorance, est inférieur et doit être soumis à celui qui sait.
L'être autonome et conscient sachant d'où il vient et où il va, ce qu'il veut et doit faire de sa vie et de la vie du groupe dépendant de lui, ayant son idéal et son absolu enfin, n'existe pas en France ou du moins est très rare.
Aujourd'hui, il ne s'agit plus d'ergoter, de discuter, de philosopher, d'analyser, de s'en remettre aux autres et d'attendre un homme-ange, il s'agit, car l'épreuve est décisive et nous sommes tous plus ou moins atteints dans nos profondeurs, il s'agit de nous dégager de nos habitudes, de nos moeurs, de nos conventions d'hier, de remonter aux sources primitives de la véritable humanité et de nous poser simplement, mais résolument ces questions :
Faut-il décidément, oui ou non, qu'il y ait un Dieu, une morale une société, une solidarité humaine ? L'homme doit-il travailler, savoir, progresser  ? La femme doit-elle être respectée, ralliée, associée ? La vérité est-elle le but ? La justice est-elle le moyen ? Le bien est-il l'absolu ?
Oui ! Oui ! Mille fois oui !
Les États, les sociétés, les gouvernements, les familles, les individus peuvent-ils, pour être valables, durables et féconds, se passer de ces éléments ?
Non ! Non ! Mille fois non !
Alors il faut que cela soit ainsi et que soient exterminés tous ceux qui ne voudront pas que cela soit, fussent-ils nos fières, fussent-ils nos fils. »
Alexandre Dumas fils[1]

Tels sont le langage et l'attitude des porte-flambeaux littéraires de la France, des maîtres de la pensée, lorsque l'orage dévastateur a fait sen oeuvre et qu'il convient de construire un édifice social inébranlable sur l'immense effondrement du passé.
Les uns, comme Ch. Monselet, raillent avec esprit, ceux qui seuls au milieu de l'incrédulité générale et du scepticisme politique, social et religieux, qui ont causé tous nos malheurs, ont su conserver une conviction inébranlable en la justice éternelle, et puiser dans la pureté de leur morale et de leur enseignement une fermeté que n'ont pu faire chanceler ni les péripéties de l'investissement par l'étranger, ni les périls de l'insurrection.
D'autres, comme H. Vrignault, déplorent nos désastres, et en accusent la légion militante des penseurs qui n'ont rien fait pour instruire et moraliser les classes laborieuses. N'en faudrait-il pas accuser plutôt ceux qui ont étouffé dans un sourire les innovations des Nemours, des Ballanche et des Jean Reynaud, ceux qui, après avoir raillé impitoyablement les systèmes philosophiques créés de pied en cap par les penseurs éminents du dix-neuvième siècle, ont essayé d'anéantir sous le ridicule, la science doctrinale et expérimentale qui venait donner aux travaux des partisans de la pluralité des existences de l'âme, la sanction et la consécration du fait?
Après l'école des théosophes, après la Philosophie de l'univers de Nemours, après Terre et Ciel de Jean Reynaud, procédant par induction et allant à la vérité par la logique et la justice, le Livre des Esprits d'Allan Kardec est venu, s'appuyant sur les manifestations des Esprits, non plus affirmer, mais démontrer rigoureusement la pluralité des existences et la réincarnation, la raison des inégalités sociales, etc. ; il a fait connaître d'où venait l'homme et où il allait, ce qu'il venait faire sur la terre, quels étaient enfin ses moyens d'action pour assurer son bonheur et l'avenir progressif de l'humanité.
Mais le sourire qui avait attaché aux précurseurs de la philosophie spirite, le stigmate morbide du rêveur et de l'utopiste, se changea en un immense éclat de rire, lorsqu'une intelligence d'élite osa proclamer, les preuves à la main, les relations du monde des Esprits et du monde terrestre.
On fit danser des tables, on s'amusa des Esprits frappeurs, le Spiritisme eut momentanément la vogue qui s'attache à toute farce colossale et ingénieuse, mais nul n'osa le prendre au sérieux et ne pensa à se demander quels résultats il pourrait produire si la philosophie était acceptée et pratiquée par les masses.
Quelques temps d'études sérieuses, consciencieuses, sans parti pris, eussent convaincu tous les gens de bonne foi et en eussent fait autant de propagateurs ardents de la doctrine, mais qui eût pu supposer que la gangue informe renfermait le plus pur et le plus précieux des diamants ? On s'abstint par dédain, par respect humain, par indifférence, et, plus tard, ne se souvenant plus des lutteurs près desquels on était passé sans leur tendre la main, on s'écriait : « Qu'a-t-on fait depuis un siècle pour moraliser les masses ? »
Un troisième enfin, contemplant l'abîme au fond duquel nous nous précipitons, s'écrie : « Il faut à tout prix sortir de là, et pour cela il nous faut un Dieu, une morale, une société, une solidarité humaine, il nous faut le travail, le savoir, la progression; il nous faut le respect et l'émancipation de la femme; la vérité doit être notre but, la justice notre moyen, le bien notre absolu !... »
C'est bien, il nous faut vraiment tout cela pour vivre, mais comment parviendrez-vous à faire accepter ce novum organum à ceux qui s'entendent répéter depuis un siècle : Votre Dieu n'est qu'une fiction, votre morale mensonge, les gens vertueux des dupes, le but de la vie, c'est d'acquérir et de jouir, la société n'est qu'une banque immense où vous versez votre sueur, votre santé et votre vie, tandis que d'autres y puisent sans fatigue la richesse et le plaisir, la solidarité, c'est la ligue des forts contre les faibles, etc., etc.
Suffira-t-il de dire : il faut, à ceux qui, ne voyant la vérité, la justice et le bien que dans un mirage lointain, désespèrent de jamais les atteindre. Ils avaient une croyance, une résignation, une espérance incomplètes et faussées, il est vrai; une raison bornée et aveuglée par les sophismes mais, pour marcher à l'aventure, ils n'en avaient pas moins un but, quelque incertain qu'il fût, et un guide boiteux et aveugle, mais sur lequel ils pouvaient appuyer leur faiblesse.
Vous leur avez été la lueur trompeuse qui dirigeait leurs pas, vous les avez plongés dans la nuit du doute, vous leur avez fermé le livre de la connaissance aride mais saine, en leur ouvrant les horizons fallacieux d'une fausse science et d'un enseignement décevant, et vous pensez aujourd'hui qu'il suffise de leur dire : Vois, sache, progresse, pour qu'ils voient, qu'ils sachent et qu'ils progressent en effet.
Pour atteindre ce but, pour obtenir ce résultat, il faut plus que de la volonté et de la contrainte, il faut de la persuasion, étayée sur la conviction et la vérité. Sur le socle impérissable d'où le scepticisme a renversé le Dieu de convention du passé, il faut montrer à la foule le Dieu bon, le Dieu juste, le Dieu miséricordieux, et surtout le Dieu vrai de l'avenir. Par la connaissance de son passé, par la justification de son présent, par les espérances de son avenir, vous lui ferez un devoir facile et agréable à accomplir, du travail, de la vraie solidarité et du respect à la Ici. Faites-lui concevoir enfin l'égalité absolue des hommes devant l'éternité; montrez-lui spiritement tous les membres de l'humanité égaux à l'origine, s'élevant successivement à tous les étages de l'édifice social par leur mérite et leurs travaux, montrez-lui la richesse comme un moyen et non comme le but, faites-lui reconnaître que tout homme est tour à tour riche et pauvre, puissant et faible, homme et femme; qu'il n'y a d'acquisitions réelles que celles de l'intelligence, de richesses impérissables que celles du coeur, et vous aurez réorganisé la société sur des bases indestructibles, car le frein qui maintient la foule dans le droit chemin ne sera plus dans la loi, mais dans le coeur de chaque individu.
Étudiez le Spiritisme, messieurs les littérateurs et les philosophes, messieurs les législateurs et les savants, et vous y trouverez tout cela et plus encore!... Peut-être alors, M. Ch. Monselet pensera-t-il qu'il y a quelque chose de mieux à faire que de demander aux grands hommes passés leur opinion sur les hommes d'aujourd'hui; sans doute, M. H. Vrignault reconnaîtra qu'on eût beaucoup fait en écoutant jadis les spirites, et qu'on peut tout refaire aujourd'hui avec leurs doctrines, quant à M. Alexandre Dumas, nous en sommes convaincus, il renoncera certainement à l'impitoyable extermination de ceux qui ne pensent pas comme lui (la violence n'a jamais rien prouvé, nous en avons fait la trop récente et trop cruelle expérience) pour puiser uniquement dans l'invincible irradiation du vrai, la réorganisation du travail et de la richesse, du savoir et de la justice.
Peut-être alors trouvera-t-on, comme nous, plus de puissance moralisatrice dans la plus petite conséquence du principe de la réincarnation que dans toute la phraséologie banale et coulissière du Fils de Giboyer, de la Dame aux Camélias et de presque tout le théâtre contemporain.
Au moment de mettre sous presse, nous recevons d'un de nos correspondants de Spa (Belgique), sous la signature de Pis, un extrait du Chroniqueur de Francfort, qui vient à point pour corroborer l'opinion que nous exprimions tout d'abord, c'est-à-dire que la plus grande partie de nos désastres sont dus aux enseignements démoralisateurs de l'école matérialiste.
Écoutons plutôt M. de Pis, dont nous partageons entièrement la manière de voir :
M. Sarcey (du Gaulois), dit-il, après avoir écrit : « C'en est fait de Paris !... Qui sait si ce n'est pas le commencement d'une immense jacquerie ?... » ajoute : « Dans cet écroulement, tâchons de rester fermes. Ramassons toutes les forces de notre esprit. De grands devoirs nous restent à remplir. C'est une de ces occasions où l'on est bien taché de ne pas croire, on se réfugierait au moins dans un recours consolant vers une puissance supérieure. Fions-nous au bon sens et à la raison. »
Autant de mots, autant de naïvetés funestes.
M. Sarcey est à coup sûr un honnête et galant homme, nul plus que lui probablement ne déplore les malheurs qui nous accablent, et je ne lui crois pas la moindre sympathie pour les jacques qui nous font peur. Comment, dès lors, ne prend-il pas garde que saisir, pour se proclamer athée, juste le moment où le sang coule, où la splendide capitale de la France sombre pour ainsi dire dans un océan de feu; et cela parce que la matière a détrôné l'esprit, parce que toute barrière morale a disparu contre l'envahissement des passions les plus atroces, exaltées jusqu'au délire.., c'est justifier d'un seul coup le mal dont on se plaint ?
Vous êtes bien fâché, dites-vous, de ne pas croire à l'existence d'un Être supérieur; car cette croyance aurait du moins, à vos yeux, ceci de bon, qu'elle pourrait vous consoler. C'est un peu égoïste, ce que vous débitez là; essayez cependant. La foi vient à l'homme souvent à l'heure où il s'y attend le moins, témoin saint Paul sur la route de Damas…
Dieu, d'après M. Sarcey, peut cependant sans trop de désavantage être remplacé par notre raison au milieu des épreuves qui nous affligent.
Entendons-nous bien. Il y a deux espèces de raisons : la raison vraie, unique, invariable, absolue; et la raison variable et mobile à l'excès... La première s'appelle Dieu, la seconde se nomme Intérêt... Vous êtes riche, vous êtes puissant et vous voulez jouir, c'est juste, vous avez raison (raison Sarcey, c'est entendu) ; mais ce prolétaire qui grouille dans le ruisseau et que vous écrasez parfois sous la roue de vos équipages, il se relève un jour, et, groupant autour de lui l'armée des besogneux, il envahit vos hôtels, il souille vos tapis, il vole votre argent, il boit le vin de vos caves, il fait griser les soldats, et, tout ce beau monde s'installant chez vous, ils vous hurlent en choeur : « Hors d'ici! Chacun son tour! » N'ont-ils pas raison également ?... car si Dieu n'existe pas, ainsi que vous avez eu l'obligeance de le leur apprendre, ils seraient, ma foi ! bien bons de s'abstenir, eux, leurs femelles et leurs petits, de toucher aux jouissances de ce monde, aux seules fins de vous en laisser une plus grosse part.
Mais la conscience, me direz-vous !... Pardon, laquelle, s'il vous plaît ? Croyez-vous que la conscience de l'homme qui force votre serrure pour s'emparer de votre or, de vos bijoux, et cela dans le but de s'en servir comme vous vous en servez vous-même, raisonne exactement comme la vôtre ? Il veut prendre, vous demandez à retenir. Qui vous mettra d'accord?
Donc, en supprimant Dieu, vous supprimez en même temps distinction entre le bien et le mal, ou, pour mieux dire, l'athéisme étant admis, il n'y a, plus ni mal ni bien, lesquels ne sauraient exister sans l'idée de loi, mais la loi, de son côté, ne pouvant pas exister sans une sanction, où la prendrez-vous ? Aurez-vous toujours des gendarmes à votre service pour châtier le crime, et des prix Monthyon pour récompenser la vertu ?
Arrière donc, journalistes professeurs d'athéisme ! Ce sont vos doctrines qui pervertissent, oblitèrent le sens moral chez ces masses d'infortunés que leurs appétits, nullement contenus, lancent à l'assaut de la civilisation. Vous ne voulez pas croire à Dieu : il vous faudra bien croire à l'incendie !
De Pis.

 

Nécrologie

Pierre Leroux
Pendant les troubles qui bouleversaient Paris et dont la commotion se faisait sentir jusque dans les montagnes de la Kabylie et nos possessions plus lointaines de la Cochinchine, le Spiritisme et la philosophie perdaient, l'une un de ses plus savants précurseurs, l'autre un de ces hommes que Dieu suscite au sein des nations lorsque l'humanité sent le besoin de se plonger tout entière dans les effluves vivifiantes d'une croyance rajeunie et d'institutions sociales régénérées.
Pierre Leroux était, en effet, de ceux qui sentaient chanceler les croyances surannées de notre époque, de ceux qui criaient le plus ardemment naguère aux promoteurs de l'école matérialiste détruisant ce qui existe sans le remplacer par autre chose, Vous creusez sous les pas de la génération qui s'élève un abîme où elle ira fatalement s'engloutir un jour. Nous n'en voulons pour preuve que l'article qu'il publiait sous le titre du Ciel sur la terre, il y a plus de vingt ans, dans les premiers numéros de la Revue indépendante et que reproduisait, il y a quelques jours, le numéro du Journal des Étrangers du 30 mai dernier.
C'est à Pierre Leroux que la doctrine doit encore les meilleurs travaux que nous possédions sur le Spiritisme dans l'antiquité. Son livre de l'Humanité, publié en 1840, renferme en effet les documents les plus précieux sur la croyance des anciens à la réincarnation. Mettant à contribution Virgile, Platon, Pythagore, Apollonius de Tyane, Moïse, les sectes juives, le Christ et, en un mot, tous les historiens de l'antiquité, il démontre jusqu'à l'évidence l'authenticité de ce principe et en développe toutes les conséquences sur lesquelles sont basées nos convictions.
Nous regrettons que l'abondance des matières ne nous permette pas d'analyser dès à présent ce remarquable ouvrage, mais nous nous ferons certainement un devoir d'en publier prochainement un compte rendu très développé, afin d'appeler l'attention et l'admiration du monde spirite sur les travaux de cet éminent philosophe.
Nous n'avions pas l'honneur de connaître personnellement Pierre Leroux de son vivant, cependant nous n'ignorions pas qu'il traînait misérablement les dernières années de sa vie dans une petite ville d'Allemagne, sollicitant en vain un modeste emploi pour gagner honorablement de quoi vivre indépendant. Peut-être les générations futures lui élèveront-elles des statues!... Ses contemporains, dont il a essayé de décupler les richesses intellectuelles et morales, ont passé indifférents et oublieux auprès de cette grande intelligence méconnue!...
Désireux de payer un juste tribut de sympathie et de reconnaissance à cet infatigable pionnier du progrès, nous avons sollicité un entretien avec son Esprit. Il a bien voulu nous donner une communication que nous livrons sans commentaires à l'appréciation de nos lecteurs[2] :
Chose bizarre et cependant essentiellement conforme à l'immuable justice du Père Eternel des êtres, des rares sympathies que m'aient créées mes travaux, celles qui subsistent après ma mort corporelle sont peut-être les seules que j'aie dédaignées de mon vivant, car je ne compte pas pour des sympathies les exhibitions de mes vieux articles par ceux qui ne voient en ma mort, en mon nom, en mes oeuvres qu'un moyen d'exploiter l'actualité.
C'est une bien belle chose que la mort. Pendant la vie, entouré de jaloux et d'envieux qui souvent ne vous repoussent que parce qu'ils ne vous ont pas compris, ou, mieux encore, parce qu'ils ne vous ont pas précédé, le novateur qui n'a pour capital monnayé que ses idées, voit l'ombre et le silence se faire autour de lui. Meurt-il de faim, de dégoût et de misère, qu'importe ! On ne le connaît pas. L'insuccès l'a tué ! Pourquoi le niais devançait-il son époque ? Pourquoi entrevoyait-il les lumières de l'avenir lorsque tout était encore obscurité autour de lui ?
Mais il est mort, la thèse change! Qui fut plus grand que lui, qui parla mieux et avec plus d'esprit, qui fut plus vrai et plus juste!
De toutes ces exhumations menteuses du talent de Pierre Leroux, nulle ne m'a touché, car elles ne devaient avoir que la durée de l'éclair. Et, en effet, l'insurrection s'anéantissait à peine sous les ruines qu'elle avait creusées, que, dans le bruit du canon, dans la clameur des mourants et les cris de triomphe des vainqueurs, le grand homme s'est abîmé comme ces machines qui, au théâtre, disparaissent par une trappe après avoir produit leur effet.
Avant-hier Pierre Leroux n'était rien, car il était homme! Hier, il mourait et on le portait aux nues!... Aujourd'hui, il est mort! Qui s'en souvient ?...
Pardon, messieurs, de répandre ainsi ma bile et de laisser s'échapper au dehors l'excès de mon humeur atrabilaire, vous me comprenez, vous au moins, et si vous ne les approuvez pas, vous excusez néanmoins les violences de mon âme froissée par l'injustice humaine.
Vous le dirai-je! Je n'étais point spirite! Je n'avais point cherché l'application, la démonstration pratique des lois que j'avais entrevues. J'avais deviné le sphinx, et cela m'avait suffi, dans mon égoïsme philosophique, j'avais oublié qu'une oeuvre n'est vraiment utile qu'après que la théorie, destinée au monde savant, est confirmée par la pratique qui seule porte le progrès à la connaissance des masses. Par vous je vivrai dans l'avenir, par Allan Kardec, par l'école spirite qu'il a fondée, mon oeuvre et celles de mes devanciers seront arrachées à la mort de l'oubli, la plus terrible et la plus inexorable des morts!... Permettez-moi donc de me faire l'écho de toute une pléiade de penseurs pour vous remercier d'avoir découvert le toit qui leur donnera l'immortalité sur la terre, et leur permettra de se glorifier dans les espaces d'avoir été pour une petite part, les précurseurs à demi clairvoyants et les pionniers infatigables de la législation, de la philosophie, de la vie sociale de l'avenir.
Devant les événements qui s'accomplissent aujourd'hui et qui sont la conséquence fatale des sophismes du passé, je suis heureux de ne plus faire partie de cette humanité, toujours railleuse même sur des ruines, et qui ricane devant le sang qu'elle a fait couler, devant les incendies qu'elle a allumés, lorsqu'elle devrait se frapper la poitrine et s'écrier : C'est ma faute !
Et l'étranger, qui nous contemple comme un peuple de sages contemplerait un peuple de fous, en apercevant notre paille qui flamboie en sinistres lueurs sur l'horizon de nos monuments écroulés, oublie la poutre immense qui bientôt s'abattra sur lui pour le broyer, lui, son machiavélisme administratif et les mille petits rouages qui n'en font un peuple fort que par son égoïsme et par son orgueil. Mais vienne la pomme de discorde, et de tous ces nains ambitieux acharnés les uns contre les autres, il ne restera bientôt plus que la cendre vouée à l'exécration des peuples qu'ils auront failli engloutir avec eux.
Dans la chronique universelle de l'humanité, il est des siècles entiers qu'on voudrait biffer et détruire comme inutiles. Il s'est accompli dans ce monde, des erreurs qu'un enfant même semblerait ne devoir plus commettre. Que de routes étroites, tortueuses, sombres, impraticables, écartées du but, ont été choisies par l'humanité, alors même qu'elle cherchait la vérité et que, devant elle, le droit chemin s'ouvrait large comme l'avenue qui mène au palais d'un souverain. Plus majestueuse et plus splendide que toutes les autres, elle est éclairée le jour par le soleil et la nuit par des feux innombrables, et les hommes passeront par un obscur chemin qui se trouve là de côté....
Que de fois, mus par une pensée divine, ils ont cependant trouvé le moyen de s'égarer, de prendre en plein jour le chemin de traverse, d'épaissir le brouillard à leurs yeux, à ceux des autres, de se précipiter au fond de l'abîme pour se demander ensuite l'un à l'autre : où est le but? Où est la route?
La génération présente voit tout cela, elle s'étonne des erreurs commises, elle raille impitoyablement l'imprévoyance des générations qui l'ont précédée, mais ne voit pas que cette chronique est faite justement pour diriger son doigt sur le chemin qu'elle doit prendre, elle, cette génération présomptueuse qui entame fièrement une suite de nouvelles erreurs que railleront plus tard celles qui la suivront.
Telle est l'humanité! Puisse la France profiter de la leçon sanglante et terrible qu'elle s'est attirée !... Mais, hélas ! Combien de ces leçons devront frapper encore et la France et le monde, avant que tous les hommes soient unis dans un même but commun : la conquête de tous les progrès, la destruction de tous les rongeurs qui s'opposent à leur marche rapide et heureuse vers la suprême félicité.
Pierre Leroux

 

Correspondance

Depuis longtemps privés de relations régulières avec nos correspondants de la France et de l'étranger, nous avons vu avec joie prendre fin les événements qui, en nous confinant dans un cercle restreint d'opérations, nous privaient de l'échange journalier de nos sympathies et de cette communion de pensées qui fait la force de ceux qui, devançant leur époque, doivent s'attendre à rencontrer sur leur route autant d'épines, de ronces, de déboires de la part des uns, qu'ils ont de consolations, d'encouragement et d'appui bienveillant à cueillir dans le coeur des autres.
Notre attente n'a pas été trompée, et la circulation était à peine rétablie, l'administration des postes était encore désorganisée, que déjà les lettres arrivaient de toutes parts à notre bureau de la rue de Lille, sauvé des flammes par la vigilance inquiète d'un spirite, M. X., lieutenant de vaisseau. Disons en passant que M. X., occupant le quartier avec ses marins, déjoua, grâce à une surveillance de tous les instants, deux tentatives d'incendie dirigées contre ce qui restait encore de la rue de Lille, ce qui aurait eu pour résultat de condamner à l'anéantissement ce qu'on a pu sauver de ce malheureux quartier. Nous sommes heureux de nous faire en cette circonstance, auprès du lieutenant X., l'écho du monde spirite européen pour la part qu'il a prise au sauvetage de nos documents.
Les témoignages bienveillants d'inquiète sollicitude, les bons souvenirs, les remercîments chaleureux qui sont venus nous récompenser de nos efforts pour continuer sans interruption l'oeuvre du maître, nous ont bien payé au centuple des quelques fatigues et des difficultés que nous avons dû surmonter, pécuniairement et moralement parlant, pour maintenir la Revue à flot. Qu'importe après cela que quelques-uns nous méconnaissent. L'amertume du calice disparaît sous le tribut d'éloges dans lequel il a été enseveli.
Le temps matériel nous manque pour répondre individuellement comme nous le voudrions, à tant d'honorables marques d'estime, et même pour nous acquitter brièvement de notre dette par la voie de la presse, c'est à peine si le cadre tout entier de la Revue suffirait,
Aussi sollicitons-nous, avec l'espérance d'être entendus, l'indulgence du grand nombre, que nous prions de bien vouloir recevoir collectivement ici l'assurance de notre profonde gratitude et de nos sincères remerciements. Peut-être l'avenir nous réserve-t-il d'autres épreuves, soit individuellement, soit collectivement, mais sous quelque forme qu'elles se présentent, quel que soit le péril qu'il lui faille affronter, la Société anonyme restera fidèle à son poste, tenant tête à l'orage et soutenant fermement le drapeau du maître. Si la récompense est venue la surprendre et l'émouvoir profondément avant même l'accomplissement de sa tâche, elle s'engage à se montrer digne du mandat d'honneur dont le monde spirite a bien voulu l'investir, en se maintenant sur la brèche au premier rang, partout où notre cause devra être défendue, partout où l'humanité souffrante et militante réclamera notre concours.
Dans cette correspondance venant grossir nos archives d'une foule de documents précieux, combien n'avons-nous pas vu d'exemples de la force d'âme puisée par nos adhérents dans l'incommensurable puissance consolatrice de la doctrine. Combien de malheureux sauvés du désespoir, combien ont échappé aux étreintes vertigineuses de la folie, grâce aux sages prévisions des Esprits, qui dès longtemps avaient préparé les palliatifs de tous ces maux. Nombre de ces pages intéressantes trouveront certainement place dans quelque prochain numéro de la Revue.
Cependant malgré le peu d'espace dont nous disposons, nous ne pouvons résister au désir de citer quelques extraits d'une remarquable appréciation de la situation par le capitaine B**** :
« N'ayons pas trop d'amertume, dit-il ; car, parmi les nombreuses victimes que la tourmente emporte, il y avait beaucoup de bois mort et de plantes parasites. Les richesses que l'ennemi nous prend en se retirant, voilent un partage déguisé, un don secret que notre égoïsme ne peut comprendre. Dieu a voulu établir l'équilibre matériel entre ses enfants, et ce que la France riche et prospère n'aurait pu se résoudre à donner par charité, il l'y contraint par la violence.
En emportant nos milliards, la Prusse emportera une part de nos vices, car j'ai la certitude que si nous sommes moins riches, nous serons plus vertueux. Nous avions pendant vingt ans ravagé l'Allemagne, et je crois que nos revers, comme peine du talion, étaient dans les décrets divins. La plupart des Esprits, honteux des ruines avaient jadis apportées sur une terre étrangère,
auront peut-être voulu les réparer en défendant dans une nouvelle incarnation le sol qu'ils avaient si souvent envahi.
Que de réflexions à faire sur nos épreuves et sur nos revers ! Quand je porte mes regards en arrière, que je contemple le présent et que j'interroge l'avenir, je trouve que tout ce qui nous avait été prédit vient de s'accomplir. Nous allons donc entrer dans une période de calme et d'apaisement pendant laquelle chacun pansera ses plaies morales et physiques, jusqu'au jour où les hommes plus confiants chercheront à s'aimer et à se connaître.
Je ne vous dirai pas toute la joie que me causait notre chère doctrine, vous la goûtez aussi chaque jour. Sous la tente en Afrique, ou en captivité en Allemagne, j'ai toujours été parfaitement heureux. Je n'étais jamais seul, mes amis de l'espace venaient pendant nos longues soirées de bivouac, causer mentalement avec moi et deviser de la campagne. Souvent, pendant le combat, je sentais la présence d'un de ces chers invisibles, qui me remplissait de quiétude.
Ma médiumnité mentale a pris un peu de développement, et mes frères spirituels préfèrent parler qu'écrire. Qu'il fait bon vivre avec eux. Mon coeur est constamment en fête, et le bonheur depuis que je connais cette philosophie ne me quitte plus.
B. »

Parmi les nombreux documents de cette correspondance que nous pourrons prochainement publier, nous devons citer en première ligne quelques communications remarquables et un certain nombre de pièces de vers auxquels nous devons mesurer largement les éloges. Mais, quelques-uns d'entre eux, nous l'avouons à regret, nous ont moins heureusement impressionnés. Une prière en particulier, quelques compositions poétiques bien qu'éminemment patriotiques et très satisfaisantes sous le rapport de la confection du vers, conséquences logiques de l'indignation française, en présence des violences de l'occupation étrangère, nous eussent sans doute paru plus justifiées par les événements si elles fussent émanées de toute autre plume que de celle d'un spirite.
Peut-être les auteurs ont-ils un peu oublié que le Spiritisme était par nature essentiellement cosmopolite, qu'au-dessus de toutes les formes religieuses et de toutes les nationalités, il ne voyait dans l'humanité que des hommes auxquels sa tolérance était due, qu'ils fussent d'ailleurs vainqueurs ou victimes, persécuteurs ou persécutés.
Le Dieu des armées n'est plus de notre temps, nous ne pouvons plus croire, nous qui connaissons toute l'étendue de sa justice et de son infatigable bonté, qu'il place le glaive dans la main de quelques-uns de ses enfants pour éprouver les autres, et qu'il convienne aux vaincus de solliciter sa protection et l'appui de son bras pour accomplir une oeuvre de vengeance.
L'époque du favoritisme religieux disparaît à nos yeux dans les ténèbres du moyen âge, il n'y a plus à cette heure de fille aînée de l'Église et de nations bien-aimées de Dieu, mais des hommes coupables qui se châtient les uns par les autres des fautes qu'ils ont commises.
Au lieu de rejeter sur la violence de l'étranger la cause unique des maux qui nous affligent, ce qui serait par trop commode, ne serait-il pas plus sage et plus juste d'examiner sérieusement le passé, et de s'écrier : C'est ma faute, en reconnaissant dans les erreurs, peut-être dans les crimes d'autrefois, l'origine du châtiment du présent.
Lorsque touchés des malheurs du pays, malheurs que nous supportons pour notre faible part, nous élevons notre âme vers la source de toute miséricorde, plaignant peut-être plus encore l'instrument qui a frappé que les victimes des désastres, nous ne sollicitons qu'une seule chose : la lumière et le progrès pour tous, sans distinction de culte, de nationalité ni de race. Nous demandons aux puissances supérieures de nous aider dans notre oeuvre de pacification générale, de multiplier nos moyens d'action pour extirper tous les sentiments de haine et développer les principes d'humanité, de solidarité, de fraternité par lesquelles les armées n'auront plus de raison d'être, et qui réduiront un jour les armes détenues précieusement dans nos arsenaux, à l'état de souvenir d'une époque de barbarie lointaine.
Il est bon de s'intéresser à l'avenir de son pays et de vouloir sa grandeur et sa prospérité, mais les spirites ne sont pas seulement des Français, ils sont encore les citoyens du monde, et s'ils doivent désirer une revanche, c'est celle qui, reposant sur l'oubli des injures et la pratique du bien, permettra à la France de tenir le premier rang dans le monde civilisé par l'exemple de tous les progrès humanitaires.

 

Réfutations

 

La réincarnation et l’école spiritualiste américaine
Nous lisons dans le Banner of Light du 6 mai :
Nous avons reçu une brochure de 16 pages, intitulée : Un appel aux chefs du Spiritualisme en Angleterre et en Amérique, qui est extraite du journal spirite l'Aurora, publié à Florence.
Dans cette brochure se trouve un appel en faveur d'Allan Kardec et de la réincarnation, avec une protestation contre le traitement cavalier du sujet, par miss Emma Leardinge (aujourd'hui madame Witten[3]) et autres.
Cela ressemble à un appel aux spiritualistes pour reconnaître Allan Kardec comme le Swedenborg du Spiritualisme, et ses enseignements comme une autorité et un article de foi. Nous n'avons aucune objection à faire à ceux qui l'appellent maître, comme l'auteur de la brochure qui trouve bon de le faire, mais nous ne sommes pas préparé pour avoir un maître, ni un chef, et nous refusons sérieusement d'être reconnu comme tel, préférant gouverner notre propre barque sans nous occuper de celle des autres[4].

Remarque : Nous avons lu avec un vif intérêt dans l'Aurora les articles publiés jadis par M. Parisi en faveur de la réincarnation. Nous sommes heureux de lui témoigner de nouveau toute la reconnaissance du monde spirite réincarnationiste, pour le nouvel effort qu'il vient de faire en faveur de notre thèse. De quelque attaque qu'ils soient l'objet, ses travaux ne seront point perdus. Ils sont le grain de sable dont l'apport mille fois répété constitue le ciment des grands édifices.
Déjà de nombreuses sympathies sont acquises en Amérique et en Angleterre au principe de la pluralité des existences.
Quelques conférenciers en ont fait l'objet de leurs études, et certains d'entre eux n'ont pas craint de plaider ouvertement en sa faveur. D'autre part, les Esprits sont loin d'y être aussi hostiles que veulent bien le dire certains spiritualistes, et le Banner of Light lui-même a publié plusieurs communications confirmant l'authenticité de cet enseignement.
Ce que nous demandons de concert avec M. Parisi, ce n'est pas qu'on accepte la supériorité de nos doctrines, ni la suprématie d'Allan Kardec, mais qu'on veuille bien nous répondre par des raisons et non par des qualificatifs victorieux peut-être dans une dispute, mais que la discussion philosophique ne saurait admettre. Ce n'est pas en taxant d'odieux un enseignement accepté par des millions d'adeptes et proclamé par des milliers d'Esprits, qu'on prouve son insanité, mais en le réfutant victorieusement et logiquement.
Analysez consciencieusement chacun des arguments par lesquels la réincarnation s'affirme, discutez-les, substituez-y quelque chose qui justifie mieux la situation de l'homme sur la terre, sans toucher à l'intégrité des lois naturelles, sans amoindrir la justice, la bonté et la toute-puissance de Dieu, et nous qui n'avons, quoi qu'on dise, d'autre maître et d'autre guide que la vérité et le bien, nous adhérerons à l'enseignement quel qu'il soit qui se rapprochera le plus du vrai absolu.
Allan Kardec est notre maître comme sont nos maîtres tous ceux qui, bienfaiteurs de l'humanité, ont su attacher quelques nouveaux fleurons à la couronne intelligente de l'homme. Nous l'admirons et le vénérons à ce titre, comme nous admirons et vénérons tous ceux dont les travaux nous ont ouvert des horizons encore inexplorés. Si nous proposons à nos compétiteurs l'étude des doctrines qu'il a coordonnées, ce n'est point pour reconnaissent un chef dans l'homme, mais afin que, soumettant l'oeuvre au droit commun, ils la rejettent ou l'acceptent selon qu'après une étude approfondie l'auront jugée satisfaisante ou non.
Etudiez les doctrines d'Allan Kardec comme nous étudions les vôtres, messieurs les spiritualistes, et ne reconnaissant pour chef d'école que la vérité appuyée sur la logique et la raison, il n'y aura bientôt plus aucune séparation entre les Kardécistes de l'école française et les Spiritualistes de l'école américaine.

Réponse au magnétiseur de Genève
Dans son numéro d'avril 1871, le rédacteur du journal le Magnétiseur, de Genève, M. Ch. Lafontaine, reproduit l'article du Banner of Light, intitulé : Un Charmeur de reptiles, que nous avons publié en novembre 1870, et en fait l'objet de quelques réflexions concernant nos doctrines, dans lesquelles le Spiritisme et ses adhérents ne sont point épargnés. Nos lecteurs en jugeront en prenant connaissance de ces réflexions et de l'article suivant :
Un cheval boiteux guéri par une prière et..... par le magnétisme.
Un de nos amis, que nous connaissons depuis vingt ans, nous contait, il y a quelques jours, qu'il y a soixante ans, voyageant à cheval pour ses affaires, son cheval s'était mis à boiter dans la dernière journée. Arrivé à l'auberge, il envoya chercher le maréchal vétérinaire, qui pensa que le cheval avait un fer mal placé. Il y remédia et fut très étonné que le cheval boitât tout aussi bas après le changement qu'il avait opéré.
Notre ami se désolait dans la cour de l'auberge, car il désirait partir le lendemain, et il en voyait l'impossibilité.
Un homme s'approcha de lui et lui proposa de guérir à l'instant son cheval : il accepta avec joie.
L'homme mit la main sur la croupe du cheval du côté où il boitait, et, au bout d'un instant, il récita une prière, passa le pied plusieurs fois sur la jambe et le pied malade du cheval, tout à coup il s'arrêta et dit : « Votre cheval est guéri ». On fit marcher le cheval, il ne boita plus et parut très content et très dispos.
Ces deux faits ne nous étonnent nullement, dit M. Lafontaine ; nous avons produit nous-même des faits analogues. Seulement, nous ne les attribuons pas aux mêmes causes que ceux qui les racontent, c'est en cela que nous différons avec eux.
Pour nous, l'action de l'homme sur le cheval boiteux est toute magnétique. Quand un animal ou un homme est atteint d'une douleur dans une jambe ou dans un bras, nous pesons une main soit sur l'épaule, soit sur la hanche, nous nous concentrons en nous-même pour émettre le fluide vital, comme l'homme qui prie se concentre dans sa prière, qui le met dans le même état que celui dans lequel nous nous trouvons. Lui et nous, agissons avec une volonté intense, le fluide envahit le malade, il ramène la circulation interrompue par n'importe quelle cause, il rétablit l'équilibre chez l'homme ou chez l'animal. C'est un fait des plus simples, des plus naturels, et qui se présente chaque jour, il n'est donc point nécessaire d'attribuer aux Esprits ou à des causes surnaturelles ces effets journaliers.
Nous avons guéri des chevaux, des chiens, en passant les mains sur les membres douloureux ou gonflés. Quant aux charmeurs de serpents, c'est aussi par un acte magnétique, la fascination et l'émission du fluide, tant par les yeux que par le son, que ces effets s'obtiennent. Les reptiles sont eux-mêmes de grands magnétiseurs, de grands fascinateurs, la couleuvre, le crapaud, par le regard, attirent l'oiseau et le font descendre de branche en branche jusqu'au moment où ils peuvent le saisir.
Nous avons fait souvent des expériences sur les reptiles et nous pourrions nous donner, nous aussi, comme charmeur et possédant des Esprits à nos ordres. Mais en vérité, les hommes sont étonnants, ils préfèrent toujours chercher en dehors et dans un autre monde ce qu'ils ont eux-mêmes, ils prétendent être religieux en s'appelant Spiritualistes ou spirites, et ils ne comprennent pas que leur manière de faire est la négation même du Spiritisme, avec tous leurs bons ou mauvais Esprits. Qu'ils se persuadent donc une bonne fois qu'ils ont en eux un Esprit, une âme, qui, dans certains moments, dans de certaines conditions, jouit de facultés qui lui sont inhérentes, et qui sont bien supérieures à celles que les Spiritistes présentent et accordent à leurs Esprits qu'ils divisent en supérieurs et inférieurs.
Descendez des nuages et remontez des caves où vous prétendez rencontrer des revenants, laissez cela aux siècles antérieurs et marchez en avant avec votre raison et votre bon sens. Etudiez-vous, et vous reconnaîtrez que vous possédez en vous une âme, un Esprit bien supérieur à tous ceux que vous inventez tous les jours.
Ch. Lafontaine

Remarque : Nous ne sommes point de ceux qui, une théorie étant admise, veulent à tout prix en trouver l'application dans tous les phénomènes naturels, et nous sommes plus disposés à blâmer qu'à féliciter ceux qui, croyant servir la cause du Spiritisme, font intervenir les Esprits à tous propos et s'écrieraient volontiers comme dans le souper ridicule de Boileau Aimez-vous les Esprits, on en a mis partout. Nous nous attachons à laisser, au contraire, à leur place dans l'univers, chacun et chaque chose, et nous ne doutons pas que tout n'en irait que mieux si tous les hommes usaient de la même discrétion.
Si M. Lafontaine s'était donné la peine d'étudier les remarquables articles publiés par Allan Kardec dans la Revue Spirite sur le but et le rôle de la prière, et d'autre part sur la médiumnité guérissante, il s'apercevrait sans doute que dans le cas particulier dont il s'agit, nous ne voyons comme lui dans la prière qu'un moyen de concentration, et en quelque sorte un état physiologique plus favorable à l'émission du fluide vital, magnétique ou périsprital, ou quel que soit le nom qu'on veuille lui donner. Si l'étiquette est différente, la liqueur et ses propriétés sont les mêmes.
Comme Deleuze, dont M. Lafontaine ne déclinera sans doute pas l'autorité, nous nous disposons à l'intervention magnétique par la prière, non parce que nous pensons que la prière guérit, mais parce que nous considérons le recueillement qui en est la conséquence, comme la meilleure préparation à l'acte que nous allons accomplir. Que M. Ch. Lafontaine lise nos articles sur les guérisseurs, et il n'ignorera plus que si nous reconnaissons dans certaines guérisons l'intervention d'un tiers invisible, nous n'hésitons pas à attribuer uniquement à l'homme la grande majorité des cures magnétiques.
Nous sommes donc tout disposés à accorder au Magnétiseur de Genève, qu'il peut avoir raison en ne faisant remonter aux Esprits ni la guérison du cheval boiteux par la prière, ni la fascination exercée sur les serpents par un charmeur, mais en conclure que le Spiritisme est une fiction, c'est s'abuser étrangement sur la nature et l'étendue des croyances spirites, et s'exposer comme le chien de la fable à quitter la proie pour l'ombre.
Certes, personne ne reconnaît plus que les spirites l'existence de l'âme ou Esprit individuel, et l'étendue des facultés et de la puissance d'action de cet Esprit, mais c'est justement en raison de leurs études spéciales de cette question, qu'ils ne peuvent attribuer uniquement à l'homme quelques-uns des événements dont la terre est le théâtre.
Nous sommes peut-être plus magnétistes que M. Lafontaine lui même, car nous voyons intervenir le magnétisme dans tous les rapports de l'homme avec la matière, de l'homme avec l'homme, de l'homme avec les Esprits et avec Dieu, mais le fluide magnétique n'est et ne sera jamais pour nous qu'un agent de transmission, aussi incapable de faire quelque chose par son propre pouvoir, que l'électricité d'écrire une dépêche intelligente sans le concours d'aucune intelligence.
Le magnétisme n'est donc qu'un agent, agent émané de l'homme lorsqu'il ne produit que des résultats humains, mais qu'il faut bien faire remonter plus haut, lorsque les actes dont il est l'intermédiaire échappent à la possibilité agissante de l'homme réduit à ses propres forces.
Jusqu'à ce que M. Lafontaine nous ait démontré que c'est uniquement dans le magnétisme que les somnambules ignorants dans l'état normal, puisent des connaissances bien supérieures à leur acquis, jusqu'à ce qu'il nous ait expliqué pourquoi nombre de somnambules, et surtout de somnambules consultant pour les maladies, semblent s'effacer pour se faire l'écho d'un médecin invisible et dont ils parlent souvent à la troisième personne, jusqu'à ce qu'il ait trouvé dans la puissance illimitée du fluide magnétique l'explication des visions et apparitions de personnes mortes depuis longtemps, dont les somnambules peuvent être l'objet; jusqu'à ce qu'enfin il nous ait fait comprendre, magnétiquement parlant, comment ils peuvent décrire ces personnes qu'ils n'ont jamais vues, et raconter des particularités de leur existence qu'ils n'ont jamais connues, nous croirons aux Esprits et à leurs rapports avec les hommes.
Et les bruits insolites, et les maisons hantées, et les manifestations typtologiques, et les soulèvements dans l'espace de meubles pesants, etc., etc., que nous en dira M. Lafontaine? Où est le magnétiseur qui les ait jamais produits, ou qui, plus simplement, leur ait trouvé dans le magnétisme une explication inattaquable?
Ils démontreront peut-être que le magnétisme est le levier grâce auquel ces manifestations ont lieu! D'accord, mais qui fait mouvoir ce levier?
Qui veut trop prouver ne prouve rien. Laissons à chacun son domaine d'exploration, mais qu'il nous soit permis en terminant de rappeler à M. Lafontaine que le magnétisme a pour adhérents tous les partisans du Spiritisme.
La réciproque est loin d'être vraie, mais nous ne doutons pas qu'un jour les magnétiseurs, se rappelant les luttes de leur origine et l'intolérance qui les frappait, cherchant la vérité partout où elle se trouve, ne soient aussi spirites que les spirites sont dès aujourd'hui magnétistes.

 

Questions et problèmes

Le spiritisme et la science : Traitement de la Petite vérole par les Esprits. Opinion de feu le docteur
Sydney Doane sur la vaccine.

Combien de fois n'avons-nous pas vu les incrédules du monde savant, interroger des Esprits spéciaux, qui, sur la manière de traiter certaines maladies, qui, sur telle ou telle découverte scientifique, qui, sur les résultats probables de telle exploitation industrielle? N'ayant reçu aucune réponse, ou peu satisfaits de la solution obtenue, ils en ont conclu soit que les Esprits n'existaient pas, soit qu'il importait peu d'entrer en rapports suivis avec eux, vu le peu de valeur des résultats. Ils ont fait du Spiritisme un assemblage de morale banale à l'usage des sots, des ignorants et des crédules, et tout a été dit!...
Et cependant, avec un peu de persévérance et de bonne volonté, dans cette philosophie des naïfs d'esprit et des simples de cœur, peut-être eussent-ils trouvé le mot de l'énigme de la vie future, cet éternel problème, objet des incessantes préoccupations des penseurs de tous les temps! Peut-être, à une époque si fertile en événements, où l'existence s'use si vite, où tant d'êtres inconscients du but de la création s'en vont dans l'inconnu sans comprendre la vie terrestre et sans croire à la vie immortelle, peut-être serait-il sage de chercher un guide capable de maintenir tous ces aveugles dans la voie du vrai et du juste, d'arrêter tous ces sourds sur la pente fatale où l'incrédulité les pousse et où, si l'on n'y prend garde, ils sombreront quelque jour, en entraînant dans leur ruine des nations tout entières!... N'est-ce pas là une oeuvre grande et belle, bien digne de ceux qui ont reçu du ciel la mission d'éclairer l'humanité dans sa marche ascendante vers l’infini.
Certes, nous sommes de ceux qui voudrions voir les masses populaires gravir jusqu'aux sommets, à la suite de nos brillantes pléiades scientifiques, les sentiers ardus de la connaissance, mais n'est-ce pas exposer l'humanité aux chutes effroyables, aux sanglants holocaustes dont nous venons d'être les témoins, que l'entraîner à ces hauteurs où les esprits les plus sérieux ne sont pas exempts de vertige, sans autre balancier que le scepticisme, sans autre guide que les appétits passionnels du matérialisme?... Oui, il faut à tous l'instruction, la science, mais avec la puissance morale pour frein, mais avec la croyance sensée, rationnelle, logique, pour appui et pour soutien. Avec la connaissance des lois scientifiques qui donnent la puissance d'agir et la faculté de jouir, il faut celle des lois morales qui enseignent où il convient de s'arrêter pour ne point violer la justice et abuser de la possession.
Ce frein que ne peuvent plus donner les croyances arbitraires et intolérantes du passé, cet appui qui s'est effondré dans les ruines fumantes encore de nos derniers désastres, et que le matérialisme impuissant ne peut ressaisir, vous le trouverez peut-être en nous, messieurs les savants lorsqu'il vous conviendra d'exhumer nos doctrines de l'oubli solennel où vous les avez ensevelies, lorsque vous voudrez procéder scientifiquement, méthodiquement, à l'étude de nos croyances et de nos découvertes. Vous vous apercevrez évidemment alors qu'il n'est pas de sciences auxquelles le Spiritisme n'ouvre d'immenses horizons encore inconnus pour la plupart. Et comme résultats, non des révélations des Esprits, mais des travaux combinés et solidaires des Esprits savants et des savants terrestres, nous verrons surgir, à côté de la médecine, de la physiologie, de l'optique, de la physique ordinaires, la médecine, la physiologie, l'optique et la physique spirites.
Les Esprits ne sont point venus pour livrer à l'humanité la connaissance toute faite des mystères inexplorés de la nature, par les preuves mêmes qu'ils nous donnent de leur existence, ils décuplent l'étendue de nos champs d'exploration, mais c'est à nous qu'il appartient de nous instruire et de nous enrichir en exploitant les mines qui se découvrent à nos yeux.
Néanmoins, tout en cherchant surtout à nous éclairer sur les mystères de nos destinées spirituelles, en bien des circonstances, d'une manière spontanée et quelquefois sur sollicitation, certains Esprits s'attachent à traiter de main de maître les questions scientifiques les plus abstraites.
Tel est, par exemple, l'Esprit du docteur Sydney Doane, dont nous publions ci-joint une remarquable instruction sur la petite vérole : extraite de l'un des derniers numéros du Banner of Light de Boston. Nous livrons sa méthode sans commentaire à la libre discussion du monde savant, espérant qu'en raison des ravages actuels de la petite vérole dans nos campagnes, elle pourra être utile à quelques-uns de nos correspondants.

Communication[5] : Je sais à peine par où commencer la réponse que je dois faire à une question si nouvelle, si toutefois je puis appeler ainsi ce qui m'amène ici. Mais, pour être compris, je dirai d'abord que la personne qui m'a prié de venir se nomme Albert H. Standish. Il a été jadis un de mes clients à New York, c'était à cette époque un homme d'une foi solide dans la doctrine orthodoxe. Il me fait savoir aujourd'hui, par le télégraphe spirituel, qu'il est devenu un adepte fervent du Spiritisme, et que sa conversion à la doctrine enseignée par les Esprits a eu lieu à la suite d'une vision où on lui a prédit que s'il ne prenait pas une voie différente à celle, qu'il suivait, il serait attaqué de la petite vérole dans le courant du printemps de l’année 1871 et qu'il en mourrait.
Comme il ne veut pas mourir, il a pensé qu'il serait sage d'évoquer son vieil ami le docteur Sidney Doane, à son avis, passé maître dans l'art de guérir cette affreuse maladie, et qui, sans doute, a dû faire encore des progrès à cet égard depuis qu'il est dans le monde des Esprits. En conséquence, il me prie de vouloir bien lui donner, par l'intermédiaire du Banner of Light, quelques instructions sur ce qu'il aurait à faire dans le cas où la prédiction qui lui a été faite viendrait à se réaliser :
« Mon ami, comme vous avez votre libre arbitre, c'est-à-dire, comme vous êtes libre de suivre ou de négliger mes avis, je veux bien vous donner mes conseils en conséquence, la petite vérole présente généralement certains symptômes avant-coureurs auxquels il est presque impossible de se tromper, surtout lorsqu'on s'attend à recevoir la visite d'un pareil hôte.
Si toutefois vous éprouviez ces premiers symptômes qui sont : une douleur aiguë à la base du cerveau, une fraîcheur aux mains et aux pieds, une grande chaleur à l'estomac accompagnée de nausées, il vous restera encore assez de temps pour vous procurer une grande chambre bien aérée, dans une maison située tout à fait à l'extrémité de la ville, procurez-vous également deux personnes, ayant déjà eu cette maladie, pour vous soigner; si votre chambre n'est pas assez bien aérée, faites pratiquer un trou dans le mur, et s'il y a une cheminée, pratiquez-y une ouverture que vous laisserez toujours ouverte. Baissez la partie supérieure de vos fenêtres en ayant soin de ne pas établir un courant d'air sur vous, maintenez dans votre chambre une température de 65° Fahrenheit (environ 18° centigrades), pas plus, pas moins, au moyen d'un feu de bois, pas autre chose. Prenez ensuite beaucoup de tisane chaude, mangez spécialement de la soupe à la farine de maïs, préparée à l'eau et très claire, mettez peu ou point de sel dans votre nourriture.
Si les boutons s'obstinaient à ne pas sortir, faites tremper dans l'eau chaude un drap, que vous ferez ensuite tordre et dans lequel vous vous envelopperez bien en vous faisant couvrir de plusieurs couvertures pour provoquer une transpiration abondante, buvez eu même temps de la tisane faite avec de la ciguë, et du safran, vous aurez soin que votre chambre soit toujours assez obscure pour que vous ne puissiez pas voir votre main devant vous. Ces précautions, bien observées, préserveront la peau et rendront les boutons moins sujets à prendre une mauvaise tournure, ainsi que cela arrive parfois quelques heures après leur sortie, quand la chambre est trop éclairée.
Continuez ainsi, sans prendre aucune nourriture solide pendant quatorze jours et vous pourrez être certain, à moins que l'heure de quitter votre enveloppe matérielle soit arrivée, de surmonter la maladie et de mieux vous porter après qu'avant. »
Question (faite par un des assistants) : Si le mal venait à sortir intérieurement, est-ce qu'en enveloppant la personne malade de la manière que vous venez d'indiquer, on ferait revenir le mal au dehors?
Réponse : Quelquefois, mais pas toujours.
Q. : Je connais à New York un médecin allemand qui pratique avec beaucoup de succès, il prétend que la petite vérole et ses analogies ne sont que des développements sanitaires de la nature, et il s'engage à le prouver par la pratique, son opinion est que c'est le mode de traitement qui occasionne la mort. Les médecins, dit- il, prennent le résultat pour la cause, cela est-il exact?
R. : C'est mon opinion, aussi vous avez dû remarquer que je n'ai pas dit à mon ami d'appeler un médecin.
Q. : Votre système est bon, j'ai quelque expérience de cette maladie.
R. : Toutes ces maladies ne sont que le résultat des efforts que fait la nature pour se débarrasser de certains détritus qui se sont amassés dans le corps et qui sont nuisibles aux organes.
Q. : La médecine n'a-t-elle pas pour habitude de se rejeter sur les causes?
R. : C'est vrai, et si les praticiens voulaient étudier un peu plus le grand livre de la nature et un peu moins les livres écrits, ils auraient moins de décès à enregistrer pour cause de maladies.
Q. : Le système d'envelopper le malade dans un drap trempé dans l'eau chaude et que l'on fait tordre ensuite, est-il bon dans les cas de rhumatismes?
R. : Admirable dans certains cas, mais dans d'autres il agit d'une manière tout à fait différente. Les rhumatismes et la petite vérole sont deux classes de maladies bien distinctes.
O. Êtes-vous partisan de la vaccine, et doit-on se faire vacciner ?
B. Jamais! Jamais! Jamais! De toutes les pratiques introduites dans la médecine, c'est la plus condamnable, c'est une entrave apportée aux efforts que fait la nature pour vous débarrasser des humeurs qui vous sont nuisibles, ceux qui souffrent de cette pratique se nomment légion, vos maisons de fous sont remplies de ses victimes, et la consomption qui domine dans les États de la Nouvelle-Angleterre a, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, pour cause la vaccine. Je le répète, la majorité des maladies qui affligent l'humanité sont dues à cette pratique, et le docteur Jenner, aujourd'hui dans le monde des Esprits, déplore sa venue sur la terre, pour les ignorants, la petite vérole est une malédiction, mais pour ceux qui comprennent la nature, ses lois et son travail, c'est une bénédiction. En conséquence, nous ne pouvons conseiller d'imprégner le système organique d'un virus dont les résultats seront pernicieux pendant toute la vie, en tenant à l'écart le médecin envoyé par la nature avec la sonde et le scalpel pour chasser la maladie[6].
Docteur Sidney Doane

 

Dissertations spirites

Monseigneur Darboy, Archevêque de Paris[7]
Le médium : Je vois l'archevêque de Paris entouré des otages qui, comme lui, ont été victimes du mouvement révolutionnaire.
Nous sommes sur une place publique au milieu de laquelle s'élève une tribune. De cette tribune, l'archevêque domine une foule d'Esprits et de vivants dont les uns lui font bon accueil, tandis que
d'autres semblent encore le menacer. Il paraît calme et s'adresse à la foule. Je lis ces mots qui m'apparaissent au-dessus de sa tête :
Mes amis, les grands événements qui viennent de s'accomplir se déroulent ici d'une manière bien différente que sur la terre.
Sur la tête de chacun de nous vous avez écrit victime, et ici nous lisons justice, mais ce mot a aussi une signification différente de celle que vous lui attribuez.
Le principe des existences successives, en nous éclairant sur le passé, dénoue le lien des consciences. Dans ce grand livre immortel de la réincarnation, nous lisons d'anciennes pages écrites avec du sang, et c'est alors que nous pouvons nous appliquer cette parole du Christ : Celui qui se servira de l'épée périra par l'épée.
Que d'existences nous avons déjà parcourues depuis celle qui a signé cette page sanglante, combien d'autres encore ont essayé de l'effacer! Enfin, nous voilà quittes envers notre conscience, nous avons subi la peine du talion!...
Qu'il y a de tristes souvenirs à parcourir dans ce grand livre ouvert à nos yeux! Celui qui attriste le plus mon âme, revit dans cette ligne qui semble écrite en lettres de feu : Inquisition!...
Si je vous fais cet aveu, c'est qu'en même temps qu'il peut servir à votre instruction, je sens le besoin d'une confession sincère.
Il y aura plus tard des scènes qui terrifieront le monde entier et qui arracheront ce cri de toutes les poitrines : Horreur! Horreur! Et nous dirons encore ici : Justice! Justice!
Ce sera la contrepartie du drame qui vient de se passer sous vos yeux. Rien ne reste impuni : persécuteurs et persécutés se châtient et se pardonnent, parce que tout doit entrer dans le grand ordre de l'unité.
Les révolutions sociales sont terrible, mais elles doivent amener inévitablement un grand changement moral, elles doivent ébranler les trônes pour unir les peuples : elles doivent persécuter le clergé pour le ramener à une saine doctrine. Le riche subira des échecs dans ses projets ambitieux et des pertes considérables dans ses calculs financiers, ce qui l'amènera à comprendre plus facilement les inquiétudes et les privations de la classe ouvrière. Il ne regardera plus le peuple comme une chose à son usage, et le peuple lui-même verra se rapprocher de lui toutes ces classes de la société qui semblaient le regarder de si haut, il s'instruira davantage, ce qui élèvera ses sentiments à un degré plus digne, parce que l'instruction tempérera ses passions.
C'est alors seulement que le calme se fera dans les esprits, et que la sécurité affermira le règne de la fraternité et de la solidarité. C'est le vœu du peuple, et le cri du peuple est la voix de Dieu !

Le Brigadier Pons
Comme l'Église, le Spiritisme a payé son tribut à l'insurrection. Un excellent spirite, M. Pons, ex-garde de Paris à la caserne des Célestins, arrêté et mis au nombre des otages après les événements du 18 mars, a succombé comme ont succombé l'archevêque de Paris, l'abbé Deguerry et tant d'autres. Nous avons appris sa mort en même temps que sa captivité, et connaissant ses sentiments d'humanité et ses convictions, nous voyions en lui une victime. Comme l'archevêque de Paris, dans une communication qu'un de nos correspondants de Montauban, M. de C., a bien voulu nous adresser, il ne voit que justice et réparation dans les événements accomplis. Voici d'ailleurs cette communication :
« Merci de l'intérêt que vous et d'autres amis me portez. J'ai quitté la vie en victime, c'est vous dire que si, dans cette existence, j'ai eu quelques défaillances, elles m'ont été en partie pardonnées.
J'avais l'intuition du sort qui m'était réservé, et je n'ai jamais voulu faire part de mes craintes à ma femme, mais je dois dire qu'en raison de ma foi, j'attendais avec calme le moment de ma délivrance. J'ai quitté cette captivité qui prend l'homme à son enfance, et aujourd'hui je jouis de cette liberté que vous ignorez encore. Que les oeuvres du Créateur sont belles et grandes ! Quelle harmonie ! Quel ravissement n'éprouve-t-on pas à, la vue de tant de merveilles ! Songez tous à vous améliorer pour jouir de la vraie vire. Je ne regrette nullement le monde terrestre, il n'y a ici-bas qu'égoïsme et souvent méchanceté, tandis que dans le milieu aérien, tout n'est qu'amour.
Je prends à tâche d'inculquer les idées qui m'ont été données, elles ont fait souvent ma consolation, et elles m'ont donné le courage qui manquait à beaucoup de ceux qui sont morts par la fusillade.
Pons

 

Poésie spirite

La Mort[8]
Pourquoi craindre la mort? Pourquoi la dernière heure
Serait-elle pour nous un moment plein d'effroi ?
Pourquoi tant se troubler de ce qu'il faut qu'on meure ?
Pourquoi tant regretter cette triste demeure,
Si Dieu, de la quitter, nous a fait une loi ?
Quand tout autour de nous change et se renouvelle ;
Quand tout meurt pour renaître et pour mourir encor ;
Quand tout puise en la mort une force nouvelle,
Pourquoi voudrions-nous, prisonnière immortelle,
Enchaîner pour toujours notre âme à notre corps ?
Eh qu'est donc cette mort que si fort on redoute ?
C'est l'Esprit affranchi du joug matériel,
Qui, par le repentir, par la foi, par le doute,
Par la douleur, s'élève en parcourant la route
Qui, du plus bas degré, nous conduit jusqu'au ciel.
Notre existence est double; et la mort, la naissance,
Sont, pour celui qui sait, un seul et même mot !
Lorsque l'on meurt ici, là-haut on recommence ;
Et l'Esprit qui descend, c'est l'homme qui s'avance
Et qui vient pratiquer ce qu'il apprit là-haut.
Tour à tour homme, Esprit; voilà la destinée,
Jusqu'à ce que, lavé des souillures da coeur,
Par la lutte grandi, l'être, vers l'Empyrée
S'élève sans effort, sur l'aile diaprée
De l'ange, pur Esprit, messager du Seigneur !
V. Tournier (de Carcassonne)

Pour le Comité d'administration, le Secrétaire-gérant : A. Desliens


 

[1]Le Puys, 8 juin 1871.

[2] Paris, 15 juin 1871. Médium M. Desliens.

[3]Miss Emma Hardinge s'est mariée à Londres au mois de novembre 1870, avec M. Britten, originaire lui-même de Londres. Les partisans américains du spiritualisme lui reprochent d'avoir réclamé la bénédiction nuptiale du ministre de l'Eglise épiscopale anglaise. Ils considèrent cette action comme étant anti-spiritualiste. (Note de la rédaction du Banner)

[4]Traduit du Banner of Light du 6 mai 1811, par E. Blache.

[5] Cette communication est encore une preuve irrécusable de l'existence des Esprits et de l'identité du docteur Sydney Doane, car elle fut faite en réponse à un pli cacheté dont le médium n'avait pu prendre connaissance. Inutile d'ajouter que la solution, quelle que soit d'ailleurs sa valeur médicale, répondait de tout point à la question proposée. Les détails concernant l'évocateur sont de la plus stricte exactitude.

[6]Traduit du Banner of Light du ler avril 1871, par E. Bloch.

[7] Genève, 11 juin 1871. Médium, Madame Bourdin. Cette remarquable communication a été obtenue par la vision au moyen d'un verre d'eau.

[8]Extrait du Phare du ler avril 1871.

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