Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec



DEUXIÈME PARTIE

- ANIMISME -

- L'AUTOMATISME GRAPHIQUE NATUREL -

INFLUENCE DE LA CLAIRVOYANCE, DE LA PRÉMONITION, DE LA TRANSMISSION DE PENSÉE, DE LA TÉLÉPATHIE, DE L'AME DES VIVANTS, SUR LE CONTENU DES ÉCRITS.


CHAPITRE I
L'Automatisme naturel

 

Sommaire : Vrais et faux médiums. Dès l'origine du spiritisme, des distinctions ont été faites par tous les écrivains qui ont étudié ce sujet. - Allan Kardec, Jackson Davis, Hudson Tuttle, Metzger. L'automatisme étudié par MM. Salomons et Stein. - Exemples : Clélia. — Incohérence de ces messages. Affirmations mensongères de l'automatisme.Le mécanisme de l'écriture automatique est produit par le pouvoir moteur des idées. L'inconscience tient à une inhibition de la mémoire, déterminée par la distraction ou un état hypnoïde. Celui-ci est produit par auto suggestion. Démonstration de chacun de ces points.D'où proviennent les renseignements qui semblent étrangers à l'écrivain ?Travail de l'âme pendant le sommeil.Etats demi somnambuliques pendant la veille. Mémoire latente. - Exemples d'automatismes graphiques simulant parfaitement les communications spirites. - Les observations de M. Flournoy. - Personnalités fictives créées par auto suggestion. -

 

Vrais et faux médiums

Nous avons vu dans les chapitres précédents que les savants qui cherchent à classer dans une même catégorie les médiums et les hystériques, ne peuvent le faire qu'en forçant les analogies au-delà de toutes les limites permises. Il nous a été possible de constater aussi que ce n'est qu'en négligeant systématiquement tous les faits qui ne cadrent pas avec leurs théories, qu'ils se flattent d'avoir donné une explication scientifique de la médiumnité. Mais si l'insuffisance de ces démonstrations est évidente, il n'en résulte pas moins que nous avons assisté à des expériences intéressantes en ce qui concerne l'écriture automatique, et qui pourront peut-être nous servir pour comprendre les phénomènes de pseudo-médiumnité, comme il s'en rencontre parfois dans les séances spirites.
Nous avons constaté qu'un sujet qui paraît parfaitement réveillé, qui cause avec les assistants, écrit cependant sans s'en douter et témoigne par cette opération qu'une partie de son intelligence est devenue étrangère au moi normal. Nous savons bien qu'il n'y a là que l'effet d'une suggestion post-hypnotique, ou faite pendant l'état de distraction, mais avec la répétition des mêmes exercices, nous avons vu naître une association idéo-organique produisant ensuite, spontanément, des actes d'automatisme graphique. C'est ici que le rapprochement avec, ce qui se passe dans les séances spirites devient possible. Il s'agit de savoir si un individu normal peut arriver, sous l'empire d'une émotion vive, d'une idée fixe ou d'un ardent désir, à produire en lui un changement analogue. Il ne faut pas nous laisser arrêter par la crainte de paraître donner des armes à nos adversaires ou de porter le trouble chez les investigateurs peu habitués à ces recherches ; ce qui importe avant tout, c'est la vérité, et rien ne doit nous coûter pour la trouver. Hâtons-nous d'ajouter que le vrai phénomène spirite n'a rien à redouter de cet examen attentif, qui nous est recommandé par les plus autorisés des auteurs qui ont écrit sur ces matières.
Depuis que le spiritisme s'est répandu dans le monde entier, il a fait des recrues dans toutes les classes de la société ; mais, malgré leur diversité, il est facile cependant de diviser ses adeptes en deux catégories bien distinctes : d'un côté, ceux qui, tout en étant persuadés de sa réalité, continuent à étudier les phénomènes pour en découvrir les lois ; et de l'autre, les croyants qui acceptent aveuglément tous les faits. — parce qu'ils ont été convaincus de la réalité de quelques-uns, — sans se demander si quelquefois les médiums n'en seraient pas, inconsciemment et par conséquent de bonne foi, les auteurs. Nous regrettons que dans beaucoup de cercles où on se livre aux évocations spirites le sens critique ne soit pas plus développé, car il n'est pas rare de constater que toutes les communications mécaniques sont invariablement attribuées à l'action des Esprits, alors même qu'elles ne révèlent aucune trace de leur provenance supra-normale. Ce manque de discernement a été une cause de discrédit pour notre doctrine et a nui à la propagation du spiritisme dans les milieux instruits. Trop souvent les plus banales, les plus plates élucubrations sont signées de noms illustres, qu'accepte sans sourciller le béotisme de ceux qui croient indistinctement à l'authenticité de tout ce qui est écrit par les pseudo-médiums.
Ce n'est qu'en nous assurant, par une minutieuse analyse de leur contenu, de la réalité des communications, que nous éviterons l'invasion des théories fantaisistes écloses dans l'imagination des automatistes et qui ne correspondent à rien de réel. On ne peut douter qu'une sévère investigation ne nous débarasse d'une énorme quantité de documents équivoques et de soi-disant preuves, qui ne font que surcharger inutilement le bagage spirite, et noient des renseignements précieux dans un déluge de bavardages sans valeur. Beaucoup de prétendues révélations méritent d'être jetées au panier, car elles ne sont que de pauvres et insipides niaiseries. Parfois même ces productions témoignent d'une ignorance scientifique absolue et contiennent des affirmations mensongères que l'on découvre aussitôt qu'on se donne la peine de les vérifier. Tous ces faits, signalés dès l'origine des manifestations spirites, ont été attribués à des esprits farceurs s'amusant à mystifier leurs candides correspondants. Il est certain que cette explication est parfois exacte, car l'humanité supra-terrestre n'étant en grande partie que la nôtre, moins le corps, renferme encore bon nombre d'ignorants et de sots qui ne reculent devant aucune mauvaise plaisanterie ; mais il est des circonstances où l'on peut reconnaître l'influence du médium lui-même, et où l'intervention d'une cause étrangère est superflue pour expliquer les faits.
Ce que nous affirmons ici est en concordance absolue avec l'enseignement spirite dans tous les pays ; si l'on a négligé d'en tenir compte, la faute n'en incombe pas à nos instructeurs, mais bien aux adeptes qui ne lisent pas assez leurs maîtres.

Les Enseignements Spirites

Voici en effet, comment Allan Kardec traite ce point spécial dans son «Livre des Médiums[1] » :

"D. — Le médium, au moment où il exerce sa faculté, est-il dans un état parfaitement normal ?
R. — Il est quelquefois dans un état de crise plus ou moins prononcé, c'est ce qui le fatigue, et c'est pourquoi il a besoin de repos ; mais le plus souvent, son état ne diffère pas sensiblement de l'état normal, surtout chez le médium écrivain."


Il est sûr que pour ce genre de manifestation la dépense nerveuse est peu considérable, lorsque l'habitude d'écrire est établie. Il n'en est pas de même pour les effets physiques, qui sont toujours accompagnés d'une forte consommation d'énergie nerveuse.

"D. — Les communications écrites ou verbales peuvent-elles émaner de l'esprit même du médium ?
R. — L'âme du médium peut se communiquer comme celle de tout autre ; si elle jouit d'un certain degré de liberté, si elle recouvre ses qualités d'Esprit. Vous en avez la preuve dans l'âme des personnes vivantes qui viennent vous visiter et se communiquer à vous par l'écriture, souvent sans que vous les appeliez. Car, sachez bien que parmi les Esprits que vous évoquez, il y en a qui sont incarnés sur la terre, alors ils vous parlent comme Esprits et non pas comme hommes. Pourquoi voudriez-vous qu'il n'en fût pas de même pour les médiums ?
D. — Cette explication ne semble-t-elle pas confirmer l'opinion de ceux qui croient que toutes les communications émanent de l'esprit du médium, et non d'esprits étrangers ?
R. — Ils n'ont tort que parce qu'ils sont absolus, car il est certain que l'esprit du médium peut, agir par lui-même ; mais ce n'est pas une raison pour que d'autres n'agissent pas également par son intermédiaire.
D. — Comment distinguer si l'Esprit qui répond est celui du médium ou un Esprit étranger ?
R. — A la nature des communications. Etudiez les circonstances et le langage, et vous distinguerez. C'est surtout dans l'état de somnambulisme ou d'extase que l'Esprit du médium se manifeste, parce qu'alors il est plus libre ; mais dans l'état normal c'est plus difficile. Il y a d'ailleurs des réponses qu'il est impossible de lui attribuer, c'est pourquoi je vous dis d'étudier et d'observer."


Nous avons dans cette dernière phrase le critérium nécessaire pour faire, parmi ceux qui écrivent mécaniquement, la différence entre le vrai médium et celui qui ne l'est pas. Le vrai médium fournit des preuves de connaissances qu'il n'a pu acquérir normalement. Par exemple, il donne des renseignements exacts sur des morts dont il ignore totalement l'existence ; il écrit dans des langues étrangères qu'il n'a jamais apprises ; son style est parfois si au-dessus de ses facultés que l'on est obligé de reconnaître l'intervention d'une autre individualité ; il disserte aussi sur des sujets scientifiques qui lui sont absolument inconnus. L'automatiste, au contraire, n'obtient que des communications ordinaires qui ne dépassent guère, comme style et comme intelligence, ce qu'il pourrait écrire normalement et ne révèle jamais de faits inconnus, relatifs à des personnes étrangères avec lesquelles il n'a eu aucun rapport.
Cette distinction est encore indiquée par Allan Kardec dans la Revue Spirite de 1865[2] .

"Il ne faut jamais attribuer aux Esprits — dit une communication — j'entends aux Esprits élevés, ces dictées sans fond ni forme qui ajoutent à leur nullité le ridicule d'être signées par des noms illustres. La médiumnité sérieuse n'investit que les cerveaux pourvus d'une instruction suffisante ou tout au moins éprouvés par les luttes passionnelles. Les meilleurs médiums reçoivent seuls l'afflux spirituel ; les autres subissent simplement l'impulsion fluidique matérielle qui entraîne leurs mains, sans faire produire à leur intelligence autre chose que ce qu'elle contenait à l’état latent : il faut les encourager à travailler, mais non initier le public à leurs élucubrations.
Les manifestations spirites doivent être faites avec la plus grande réserve ; et s'il est indispensable, pour la dignité personnelle, d'accumuler toutes les preuves d'une parfaite bonne foi autour des expériences physiques, il importe au moins autant de préserver les communications spirituelles du ridicule qui s'attache trop aisément aux idées et aux systèmes signés dérisoirement de noms célèbres, qui sont et demeureront toujours étrangers à ces productions. Je ne mets pas en cause la loyauté des personnes qui, recevant le choc électrique, le confondent avec l'impulsion médianimique. La science a ses faux savants, la médiumnité a ses faux médiums, dans l'ordre spirituel s'entend.
J'essaye d'établir ici la différence qui existe entre les médiums inspirés par les fluides spirituels et ceux qui n'agissent que sous l'influence fluidique corporelle ; c'est-à-dire ceux qui vibrent intellectuellement et ceux dont la résonance physique n'aboutit qu'à la production confuse et inconsciente de leurs propres idées ou d'idées vulgaires et sans portée.
Il existe donc une ligne de démarcation parfaitement tranchée entre les médiums écrivains : Les uns obéissant à l'influence spirituelle qui ne leur fait écrire que des choses utiles et élevées ; et les autres subissant l'influence fluidique matérielle qui agit sur leurs organes cérébraux, comme les fluides physiques agissent sur la matière inerte. Cette première classification est absolue, mais elle admet une foule de variétés intermédiaires."


Allan Kardec commentant cette communication, dit : « Quoique l'étude de cette partie intégrante du spiritisme (la médiumnité) soit loin d'être complète, nous sommes loin déjà du temps où l’on croyait qu'il suffisait de recevoir une impulsion mécanique pour se dire médium et se croire apte à recevoir les communications de tous les esprits. Le progrès de la science spirite, qui s'enrichit chaque jour de nouvelles observations, nous montre à combien de causes différentes et d'influences délicates qu'on ne soupçonnait pas, sont soumis les rapports intelligents avec le monde spirituel ».
En Amérique, Jackson Davis disait déjà en 1855[3] : « L'esprit humain est si merveilleusement doué et dispose de moyens si variés d'activité et de manifestation, qu'un homme peut inconsciemment laisser réagir sur lui-même et en lui-même ses forces organiques et ses facultés cérébro-dynamiques. Dans certaines dispositions d'esprit, les forces conscientes concentrées dans le cerveau entrent en action involontairement et continuent à fonctionner sans la moindre intervention de la volonté et sans être soutenues par elle ».
Aksakof, dans son ouvrage si documenté[4] , non seulement attribue beaucoup de phénomènes spirites à la conscience somnambulique du médium, mais il prouve que, dans bien des cas, cette origine est évidente. Hudson Tuttle, célèbre médium américain et écrivain intuitif, a, lui aussi, insisté sur la provenance humaine de beaucoup de messages spiritiques ; enfin M. Metzger[5] appelle également notre attention sur les causes d'erreurs qui peuvent vicier les communications, et il exhorte les spirites à étudier les phénomènes du magnétisme, de la clairvoyance et de la télépathie avant de croire aveuglément que tout ce qui nous arrive par le canal de ceux qu'on appelle médiums, vient nécessairement des Esprits désincarnés.
On voit donc que les savants qui nous accusent de manquer de discernement, portent sur nous des jugements téméraires ; et lorsqu'ils nous enseignent doctoralement que l'esprit de l'automatiste est le seul auteur de ses élucubrations, ils s'exposent un peu au ridicule de découvrir l'Amérique après Christophe Colomb.
Cependant il faut avouer que les auteurs spirites en sont restés à ces indications générales, tandis que les psychologues, depuis quelques années, ont soumis ces faits à l'expérimentation. Aussi sont-ils arrivés à des résultats qu'il est intéressant de connaître pour se faire une idée claire du phénomène complexe de l'écriture automatique.

L'automatisme graphique

Il existe un malentendu entre les spirites et les savants qui résulte de ce que les uns et les autres ne veulent envisager qu'une partie du problème. Pour les savants, l'automatisme, avec son caractère d'inconscience, est parfaitement compréhensible par le seul jeu du mécanisme cérébral, soumis à certaines influences anormales. Ceci est vrai dans beaucoup de cas, mais il existe aussi des faits que cette théorie ne suffit pas à expliquer ; le tort de ces savants est de passer sous silence ces témoignages embarrassants et de raisonner comme s'ils n'existaient pas. D'autre part, beaucoup de spirites refusent absolument d'admettre la possibilité de l'automatisme pur et simple, qui leur paraît invraisemblable, ce en quoi ils se montrent également trop absolus.
Il est difficile de faire comprendre à quelqu'un qui sent sa main obéir à une force contraire à sa volonté, que c'est cependant lui qui est l'auteur de ce mouvement. Lorsque cette main trace des caractères dont il n'a pas conscience, dont il ne peut prendre connaissance que lorsque l'impulsion mécanique ne se fait plus sentir, et que cette écriture énonce des idées qui lui semblent nouvelles, des raisonnements qu'il n'a pas l'habitude de formuler, il lui paraît absurde qu'on les lui attribue. Aussi il repousse les explications « officielles » et accuse les savants d'orgueil et de parti-pris, tandis que ceux-ci le taxent d'ignorance et de crédulité.
Dans les cas douteux, il faut avoir recours à l'expérience, au fait, qui est le souverain juge et qui prononce en dernier ressort. En dépit des apparences, malgré le témoignage du sens intime, il faut admettre que l'automatisme graphique est une réalité indiscutable, même chez des sujets normaux, parfaitement sains de corps et d'esprit.
Nous avons vu que les hystériques présentent fréquemment des exemples de cette écriture inconsciente, mais c'est lorsqu'ils sont sous l'empire de suggestions à réalisation post-hypnotique, ou de suggestions faites pendant l'état de distraction, ou enfin à la suite d'incitations tactiles. Nous laisserons maintenant de côté toutes des études d'hôpital pour nous placer dans les conditions de la vie courante. Il nous faut observer des personnes ordinaires, ni malades, ni suggestionnées, ni hypnotisées, en un mot jouissant entièrement de toute leur liberté d'esprit et comprendre pourquoi :
1° Elles écrivent sans le vouloir ;
2° Sans savoir ce qui est écrit ;
3° D'où viennent les raisonnements, les renseignements qui leur sont inconnus ;
4° Pourquoi ces idées écrites semblent émaner d'une personnalité étrangère à l'écrivain, et pourquoi elles sont presque toujours signées d'un nom connu.
Lorsque l'on veut étudier un phénomène complexe, il faut d'abord rechercher ses modalités les plus simples. L'expérimentateur ne doit pas s'attendre à trouver d'emblée des sujets qui écrivent des pages entières sans avoir conscience de ce qu'ils font.
Il est clair que la manifestation graphique de l'automatisme ne peut pas être obtenue avec tout le monde ; il est nécessaire de faire un choix parmi les personnes qui veulent bien se prêter à l'expérience. Voici la méthode préconisée par M. Binet ; elle est lente et exige un peu de patience, c'est son seul inconvénient[6] .

"On s'assied à côté du sujet, devant une table, on le prie de s'abstraire dans une lecture intéressante ou dans un calcul mental compliqué et surtout de distraire son attention, d'abandonner sa main, et de ne pas s'occuper de ce que l'on va faire avec cette main. La main tient un crayon, elle est cachée au sujet par un écran. On s'empare donc de cette main, sans brusquerie, par des mouvements doux, et l'on imprime à la main et au crayon un mouvement quelconque, par exemple, on fait dessiner des barres, des boucles, marquer de petits points. Au premier essai, l'expérimentateur avisé s'aperçoit à qui il a affaire ; certains sujets raidissent la main, elle est comme en bois, elle résiste à tous les efforts ; et quoiqu'on recommande au sujet de se laisser aller, de ne pas penser à sa main, celle-ci n'obéit pas au mouvement qu'on lui imprime. D'ordinaire, ces sujets-là sont peu éducables. Un autre obstacle vient s'opposer fréquemment à la continuation de l'expérience ; il y a des personnes qui, lorsqu’on prend leur main, ne peuvent pas continuer à lire ; malgré elles, leur attention quitte le livre, se porte sur ce qu'elles ressentent dans la main. Les meilleurs sujets sont ceux dont la main docile exécute avec intelligence tous les mouvements qu'on lui imprime.
Il y a là une sensation particulière qui apprend à l'opérateur que l’expérience aura du succès. De plus, pour empêcher le sujet de trop s'occuper de sa main, j'use souvent d'un artifice très simple, qui produit une distraction plus forte qu'une conversation avec un tiers, une lecture intéressante ou un calcul compliqué. Cet artifice consiste à faire croire au sujet que la main restera pendant toute l'expérience, continuellement morte et passive, et que c'est l'expérimentateur qui, de temps en temps, pour les besoins d'une expérience qu'on n'explique pas, imprime à la main un mouvement. Cela suffit pour tranquilliser le sujet qui, dès lors, abandonne sa main sans résistance, s'en désintéresse et se trouve dans des conditions mentales excellentes pour que la conscience se divise.
Au bout de quelque temps, la distraction devient plus continue et plus profonde. Voici les signes qu'on peut relever :
C'est d'abord l'anesthésie par distraction. La personne distraite n'est pas devenue absolument insensible comme une hystérique distraite, dont on peut traverser la peau ou lever le bras sans qu'elle s'en aperçoive ; sa sensibilité n'est pas détruite, mais la finesse de certaines de ses perceptions est bien diminuée. Il est difficile, du reste, d'explorer cette sensibilité à un degré aussi faible de distraction.
Ce qui est le plus facile à provoquer, ce sont les mouvements passifs de répétition. Le crayon étant placé entre les doigts du sujet, qui est prié de se tenir comme s'il voulait écrire, on dirige la main et on lui fait exécuter un mouvement uniforme, choisissant celui qu'elle exécute avec le plus de facilité, des hachures, des boucles, des petits points. Après avoir communiqué ce mouvement pendant quelques minutes, on abandonne doucement la main à elle-même, ou on reste en contact avec elle, pour que la personne ne s'aperçoive de rien ; mais on cesse d'exercer une action directrice sur les mouvements. La main, abandonnée à elle-même, fait quelques légers mouvements. On reprend l'expérience d'entraînement, on la répète avec patience pendant plusieurs minutes ; le mouvement de répétition se perfectionne ; au bout de quatre séances, j’ai vu chez une jeune fille la répétition si nette, que la main ne traça pas moins de quatre-vingts boucles sans s'arrêter ; puis la personne eut un mouvement brusque et secoua ses épaules en disant : « Il me semble que j'allais m'endormir... »

Ce sont là tout à fait les débuts de cette éducation que l'on perfectionne par l'habitude. Nous avons constaté que M. le Dr Gley fait écrire à une personne , sans qu'elle s'en doute, le mot auquel elle a pensé[7] . Nous allons maintenant assister à des essais plus compliqués faits par deux savants américains : Salomons et Stein[8] sur l'automatisme graphique. Suivons le compte-rendu très net qui en a été publié par le Dr Binet dans les Annales Psychiques de Mai-Juin 1900.

Les recherches de Salomons et Stein

"Le but des auteurs a été de chercher à développer l'automatisme de la vie normale jusqu'à son maximum de complexité.
Ils se sont pris comme sujets ; ils se disent d'excellente santé. Leurs expériences se groupent sous quatre chefs :
1° Tendance générale au mouvement, sans impulsion motrice consciente ;
2° Tendance d'une idée à se dépenser en mouvement, involontairement et inconsciemment ;
3° Tendance d'un courant sensoriel à se dépenser en réaction motrice inconsciente ;
4° Travail inconscient de la mémoire et de l'invention.
1° La main est mise sur une planchette analogue à celle des spirites (c'est une planchette glissant sur des billes de métal et armée d'un crayon) ; on met la planchette sur une table, sur du papier, et le crayon inscrit tous ses mouvements. L'esprit du sujet est occupé à lire une histoire intéressante. Dans ces conditions, il se produit facilement, quand le sujet a pris l'habitude de ne pas surveiller sa main, des mouvements spontanés, qui dérivent d'ordinaire du stimulus produit par une position fatigante ; en outre, des excitations extérieures (par exemple si on remue la planchette) produisent dans la main des mouvements de divers sens, dont on peut provoquer la répétition et qui alors se continuent assez longtemps. La distraction de l'attention est une condition importante ; mais il ne faut pas que l'histoire lue pour distraire soit trop émouvante, car cette émotion peut produire des mouvements réflexes ou une tension musculaire qui nuisent aux mouvements inconscients ;
2° Le sujet lit à haute voix en tenant un crayon à la main ; parfois il écrit un mot qu'il lit, surtout lorsque ce mot est court, les mots longs sont seulement commencés ; cette écriture se fait souvent sans que le sujet le sache ;
3° Le sujet lit à haute voix et écrit les mots que pendant sa lecture une personne lui dicte à voix basse. A ces expériences on n'arrive qu'après beaucoup d'entraînement. Au début, c'est très pénible ; on s'arrête de lire dès qu'on entend un mot. Il faut apprendre à retenir son attention sur la lecture. On arrive bientôt à continuer la lecture sans l'interrompre, même quand il y a des dictées de 15 à 20 secondes, l'écriture devient inconsciente ;
4° Ici les expériences sont plus difficiles et n'ont réussi que parce que les sujets étaient bien exercés par les expériences précédentes. D'abord, ils ont fait de l'écriture automatique spontanée ; par exemple, en lisant, leur main écrivait ; puis ils ont même pu se dispenser de lire pour détourner l'attention ; chez l'un des sujets, Miss Stein, la distraction était suffisante quand elle lisait les mots que sa main venait d'écrire quelque temps auparavant, l'écriture spontanée de la main était involontaire et inconsciente ; les paroles écrites étaient parfois dénuées de sens ; il y avait surtout des répétitions de mots et de phrases. Les auteurs ont pu par la même méthode, reproduire inconsciemment des passages qu'ils savaient par coeur, mais n'avaient jamais écrits."


Notons ici une remarque de ces observateurs qui appuie très fortement ce que nous avons déjà dit, à savoir : que c'est bien la même personnalité qui suit simultanément deux séries d'idées : 1° celle de la lecture à haute voix ; 2° celle de l'écriture, cette dernière étant oubliée aussitôt que produite, car si l'attention est trop fortement excitée par la lecture, l'action automatique s'arrête. Il n'y a donc pas en jeu à ce moment un second personnage subconscient, car s'il possédait réellement une existence distincte, il prendrait d'autant plus d'importance que le moi normal lui laisserait plus de liberté, tandis qu'au contraire il disparaît. Voici la remarque de MM. Salomons et Stein.

"La condition essentielle de toute cette activité automatique est une distraction de l'attention obtenue volontairement ; il ne faut pas cependant que l'attention directe soit sollicitée avec trop de force ; si par exemple, on relit un passage d'une histoire qu'on n'avait pas compris tout d'abord, et qui est nécessaire pour l'intelligence du reste, alors, sous l'influence de ce surcroît d'attention toute l'activité automatique est suspendue."

Aussi bien chez les personnes normales que chez les hystériques, il est parfaitement inutile d'imaginer une autre conscience, formée avec les éléments dissociés de la première, puisque celle-ci suffit à expliquer toutes les anomalies, en supposant simplement une modification de la mémoire produite précisément par la distraction. Cette attitude de l'esprit est une sorte d'anesthésie psychique qui retranche de la mémoire des séries d'idées enchaînées ; celles-ci, nous l'avons vu, ont un pouvoir moteur avec lequel elles actionnent le mécanisme psycho-physiologique de l'écriture ; l'oubli immédiat de cette action donne à l'écriture son caractère d'automatisme, mais celui-ci n'est qu'apparent puisqu'il ne correspond pas à une réalité. En fait, l'écriture est toujours consciente ; seul le souvenir de ces idées est aboli, et c'est ce qui donne au phénomène son caractère d'étrangeté.
M. F. W. H. Myers[9] paraît partager cette opinion, car il dit : « Il y a des cas fréquents dans lesquels la personne qui écrit affirme être ignorante des caractères qu'elle trace pendant qu'elle écrit, ou quelquefois jusqu'à ce qu'ils soient écrits. Dans ces cas, le processus nerveux qui cause cette écriture semble être inconscient, quoique l'acte mental requis pour produire la formation des lettres est si simple et si rapide qu'il est difficile d'être sûr qu'il n'y a pas une demi-conscience de le faire, presque immédiatement oubliée... »
Le plus curieux, c'est que M. Binet est passé à côté de cette explication sans en comprendre la valeur, tandis qu'il signalait soigneusement tous les faits sur lesquels elle s'appuie. Il note en effet les points suivants qu'il relève dans les observations de Salomons et Stein :

"Quand l'histoire qu'on lit pour se distraire devient très émouvante, 1° les mouvements subconscients cessent ; 2° ils cessent également s'il faut faire un effort intellectuel considérable pour comprendre ce qu'on lit ; 3° dans le cas où l'on écrit automatiquement sous la dictée, si la dictée se fait à voix très basse, exigeant un effort pour comprendre, la conscience reparaît."

On ne saurait mieux choisir les arguments pour démontrer que l'écriture automatique n'est due qu'à la distraction à laquelle est en proie le moi normal, et non à une seconde individualité fantastique qui n'a jamais existé que dans l'imagination des psychologues.
Nous venons d'assister à une progression continue des manifestations automatiques de l'état de veille, depuis les simples mouvements de répétition décrits par M. Binet, jusqu'à l'écriture mécanique semi-spontanée de miss Stein. Toutes ces expériences ont exigé un apprentissage, une éducation du sujet. Il est intéressant d'observer maintenant les cas naturels, puisque ce sont ceux qui se rapprochent le plus des manifestations spirites. Le sujet n'étant plus soumis à des suggestions orales, ce seront ses propres pensées qui s'extérioriseront par l'écriture et nous feront connaître des idées que lui-même n'a pas conscience de posséder.

L'Automatisme graphique naturel

Les expériences de MM. Binet, Salomons et Stein, Gley, etc. ne peuvent plus laisser de doute sur la possibilité d'écrire sans conscience. Ils n'ont fait que reproduire artificiellement ce qui a lieu spontanément pour les personnes qui ont des dispositions à l'automatisme. Le mécanisme de cette action n'offre plus rien d'obscur, de sorte que les affirmations des spirites et des savants sur ce point sont confirmées expérimentalement, ce qui leur donne une certitude complète. Ce qu'il est nécessaire maintenant de comprendre, c'est pourquoi les pensées qui sont reproduites par l'écrivain lui semblent si étrangères qu'il les attribue à une autre intelligence.
Deux raisons concourent à donner aux idées écrites ainsi un caractère insolite, nouveau, inattendu : c'est d’abord qu'elles semblent surgir spontanément sans que rien les rattache à nos conceptions ordinaires ; et ensuite qu'elles sont personnifiées, qu'elles paraissent et qu'elles disent appartenir à une autre individualité. Ces phénomènes psychologiques ne sont anormaux qu'en apparence. Chacun de nous a été à même de les observer, peut-être pas pendant la veille, mais sûrement pendant le rêve. Or, nous l'avons constaté, l'automatisme se produit pendant que le sujet est distrait, c'est-à-dire dans une sorte de rêverie qui le rapproche du sommeil. L'état de distraction de l'écrivain laisse à l'imagination toute latitude. Celle-ci n'étant plus contrôlée s'abandonne aux hasards de sa fantaisie ; comme dans le rêve, elle en suit les capricieux méandres. Les auteurs qui ont étudié le sommeil nous signalent les singuliers résultats auxquels peut arriver la folle du logis, lorsqu'elle est livrée à elle-même, et tous nous avons ressenti l'étonnement que produit cette incohérence. Mais toujours un fil léger relie ces conceptions désordonnées, Le plus souvent, ce lien nous échappe ; quelquefois il peut être remarqué. En voici plusieurs exemples[10] .

"Il m'arrive souvent, à mon réveil, de recueillir mes souvenirs et de chercher par la réflexion à reconstruire les songes qui ont occupé ma nuit ; non pas, bien entendu, pour en tirer des règles de conduite et des révélations sur l'avenir, ainsi que le faisaient les anciens Egyptiens, les papyrus trouvés en Egypte nous le montrent, mais afin de soulever le voile qui couvre la mystérieuse production du rêve. Un matin que je me livrais à un travail de ce genre, je me rappelais que j'avais eu un rêve qui avait commencé par un pélerinage à Jérusalem ou à la Mecque ; je ne sais pas au juste si j'étais alors chrétien ou musulman. A la suite d'une foule d'aventures que j'ai oubliées, je me trouvai rue Jacob, chez M. Pelletier le chimiste, et dans une conversation que j'eus avec lui, il me donna une pelle de zinc, qui fut mon grand cheval de bataille dans un rêve subséquent, plus fugace que les précédents, et que je n'ai pu me rappeler.
Voilà trois idées, trois scènes principales qui sont visiblement liées entre elles par les mots : Pélerinage, Pelletier, Pelle, c'est-à-dire par trois mots qui commencent de même et s'étaient évidemment associés par l'assonance ; ils étaient devenus les liens d'un rêve en apparence fort incohérent. Je fis un jour part de cette observation à une personne de ma connaissance, qui me répondit qu'elle avait le souvenir très présent d'un rêve de la sorte. Les mots Jardin, Chardin, et Janin s'étaient si bien associés dans son esprit, qu'elle vit tour à tour en rêve le jardin des plantes, où elle rencontra le voyageur en Perse, Chardin, qui lui donna, à son grand étonnement, je ne sais si c'est à cause de l'anachronisme, le roman de M. Jules Janin de l'Ane mort et la femme guillotinée.
Je cite un nouvel exemple encore emprunté à mes propres observations, et qui dénote encore une association d'une nature également vicieuse. Je pensais au mot kilomètre, et j'y pensais si bien, que j'étais occupé en rêve à marcher sur une route où je lisais les bornes qui marquent la distance d'un point donné, évaluée avec cette mesure itinéraire. Tout à coup, je me trouve sur une de ces grandes balances dont on fait usage chez les épiciers, sur l'un des plateaux de laquelle un homme accumulait des kilos, afin de connaître mon poids, puis, je ne sais trop comment, cet épicier me dit que nous ne sommes pas à Paris, mais dans l’ile Gilole, à laquelle je confesse avoir très peu pensé pendant ma vie ; alors mon esprit se porta sur l'autre syllabe de ce nom, et, changeant en quelque sorte de pied, je quittai le premier et me mis à glisser sur le second ; j'eus successivement plusieurs rêves dans lesquels je voyais la fleur nommée lobélia, le général Lopez, dont je venais de lire la déplorable fin à Cuba ; enfin ; je me réveillai en faisant une partie de Loto. Je passe, il est vrai, quelques circonstances intermédiaires dont le souvenir ne m'est pas assez présent, et qui vraisemblablement avaient aussi des assonances semblables pour étiquette. Quoi qu'il en soit, le mode d'association n'en est pas moins ici manifeste. Ces mots, dont l'emploi n'est certes pas journalier, avaient enchaîné des idées fort disparates.
Les rêves, de même que les idées du fou, sont donc après tout moins incohérents qu'ils ne le paraissent de prime abord ; seulement la liaison des idées s'opère par des associations qui n'ont rien de rationnel, par des analogies qui nous échappent généralement au réveil, que nous saisissons d'ailleurs d'autant moins que les idées sont devenues des images, et que nous ne sommes pas habitués à voir des images se souder les unes aux autres comme les diverses parties de la toile d'un panorama mouvant."


Lorsque l'automatiste abandonne sa main, l'imagination peut donc développer sa fantaisie puisque la distraction a eu pour résultat, en supprimant l'attention, de réduire le pouvoir que nous possédons de diriger nos pensées. Celles-ci se suivent, s'appellent, se suscitent et peuvent présenter une telle originalité qu'elles semblent véritablement étrangères au moi normal. Nous verrons plus loin quelles ressources immenses possède la mémoire et jusqu'à quel point il est difficile de connaître exactement ce qu'elle recèle dans ses profondeurs.
On ne doit donc pas être trop surpris de l'imprévu des idées dont fait montre parfois l'écriture automatique. Ce qui semble plus difficile à comprendre, c'est que ces idées s'organisent de manière à simuler une individualité indépendante, un être en dehors de l'écrivain.
Pour nous renseigner sur la genèse de ces personnages imaginaires, il est utile d'examiner les cas pathologiques qui ne sont que l'exagération des faits nouveaux, comme le faisait justement observer Claude Bernard[11] . En pleine santé, nous pouvons parfaitement concevoir quelles seraient les pensées de telle ou telle personne placée dans une situation donnée. Les romanciers, les poètes, les auteurs dramatiques composent des types qui ont des sentiments, des pensées, des actes conformes à leur âge, leur sexe, leur tempérament, leur nationalité, etc. Mais s'ils s'identifient avec ces personnages pour les faire agir et parler, ils ne perdent jamais le sentiment de leur existence personnelle. Ils ont beau être emportés par la flamme de l'inspiration, ils savent qu'ils ne sont qu'écrivains ; il leur reste le souvenir d'eux-mêmes parce que leur moi est normal. Chez l'aliéné, au contraire, il se produit une illusion morbide qui le porte à personnifier les produits de son imagination, à en faire des êtres réels.

"Le fou, dit Maury[12] , attribue à des interlocuteurs différents, parfois même à toute une assemblée qui siège dans sa tête, les pensées qui lui viennent à l'esprit, les paroles qu'il prononce. Un aliéné que j'ai connu se disait incommoder par la dispute de plusieurs démons qui l'entouraient. Il m'a cité les invectives, qu'à son grand scandale, s'adressaient entre eux ces esprits malins. Or, ce colloque diabolique n'était autre que les paroles que l'aliéné prononçait lui-même, mentalement ou vocalement, paroles qu'il rapportait tantôt à un démon, tantôt à un autre. Une folle que j'ai eu l'occasion de voir à plusieurs reprises aux environs de Paris, et à laquelle la dévotion et les procès avaient tourné la tête, madame de P. se croyait sans cesse en discussion avec un juge qui lui avait fait perdre, disait-elle, son procès. Elle avait étudié, chose remarquable, tout exprès pour lui répondre, le code et la procédure ; mais, de son aveu, le juge était encore plus fort qu'elle, et il lui poussait des arguments, lui jetait à la tête des termes du palais qu'elle ne pouvait ni retorquer, ni même comprendre."

Cette dernière phrase pourrait faire croire à certains spirites que ces mots nouveaux, qu'elle ne connaissait pas, devaient être prononcés par un esprit obsesseur ; mais nous verrons plus loin que cette femme ayant lu beaucoup d'ouvrages juridiques et ayant fréquenté assidûment le palais, pouvait parfaitement avoir conservé la mémoire latente de ces termes, sans que sa conscience actuelle en fut avertie. Continuons :

"Il n'est guère d'ouvrages sur l'aliénation mentale où ne se trouvent rapportés des faits analogues. Ce fractionnement de la personnalité qui s'opère dans l'imagination du fou, tient généralement aux ordres différents d'idées dont il est agité. Il est assailli par des pensées contraires, entraîné ou retenu tour à tour par des motifs différents, et il suppose que ces idées et ces motifs contradictoires ne procèdent pas tous également de son esprit. Lui vient-il une idée, puis une objection s'y présente-t-elle, il rapporte l'idée ou l'objection à une personne différente de lui-même. Tantôt il croit simplement obéir à des inspirations émanées d'êtres antagonistes, par exemple, de Dieu ou des démons, des prêtres et des impies, tantôt il admet que ce sont des êtres ennemis qui parlent par sa bouche et agissent à sa place."

Cette tendance à la personnification des idées que l’on remarque chez l’enfant qui fait parler sa poupée, chez les personnes qui causent tout haut en marchant et entretiennent des dialogues dans lesquels elles font les demandes et les réponses, est générale ; chacun de nous l’éprouve pendant le rêve. Comme le sujet est important, nous allons citer quelques faits caractéristiques qui réunissent ces deux caractères : 1° de paraître inconnus et 2° d’être personnifiés.

"Nous attribuons en songe, — dit toujours Maury, — à des personnages différents des pensées, des paroles qui ne sont autres que les nôtres. Dans un des rêves les plus clairs, les plus nets et les plus raisonnables que j'aie jamais eus, je soutenais, avec un interlocuteur, une discussion sur l'immortalité de l'âme, et tous deux nous faisions valoir des arguments opposés, qui n'étaient autres que les objections que je me faisais à moi-même. Cette scission qui s'opère dans l'esprit et où le Dr Wigan voit une preuve de sa thèse paradoxale The duality of the mind (la dualité de l'esprit), n'est la plupart du temps qu'un phénomène de mémoire ; nous nous rappelons le pour et le contre d'une question, et, en rêve, nous rapportons à deux êtres distincts les deux ordres opposés d'idées.
Jadis, le mot de Mussidan me vint soudain à l'esprit ; je savais bien alors que c'était le nom d'une ville de France, mais où était-elle située, je l'ignorais ; pour mieux dire, je l'avais oublié. Quelque temps après, je vis en songe un certain personnage qui me dit qu'il arrivait de Mussidan ; je lui demandai où se trouvait cette ville. Il me répondit que c'est un chef-lieu du département de la Dordogne. Je me réveille à l'issue de ce rêve : c'était le matin ; le songe me restait parfaitement présent, mais j'étais dans le doute sur l'exactitude de ce qu'avait avancé mon personnage. Le nom de Mussidan s'offrait encore à mon esprit dans les conditions des jours précédents, c'est-à-dire sans que je susse où est placée la ville ainsi dénommée. Je me hâte de consulter un dictionnaire géographique, et, à mon grand étonnement, je constate que l'interlocuteur de mon rêve savait mieux la géographie que moi, c'est-à-dire, bien entendu, que je m'étais rappelé en rêve un renseignement oublié à l’état de veille, et que j'avais mis dans la bouche d'autrui ce qui n'était qu'une mienne réminiscence.
Il y a bien des années, à une époque où j'étudiais l'anglais, et où je m'attachais surtout à connaître le sens des verbes suivis de prépositions, j'eus le rêve que voici : je parlais l'anglais, et voulant dire à une personne que je lui avais rendu visite la veille, j'employai cette expression : « I called for you yesterday. » Vous vous exprimez mal, me fut-il répondu, il faut dire : « I called on you yesterday. » Le lendemain, à mon réveil, le souvenir de cette circonstance de mon rêve m'était très présent. Je pris une grammaire placée sur une table voisine de mon lit, je fis la vérification ; la personne imaginaire avait raison."


Il est parfaitement inutile de supposer des causes occultes quand les causes naturelles suffisent amplement à expliquer les faits. La mémoire conserve d’une façon indélébile toutes les empreintes qu’elle a reçues ; si nous n’avons pas conscience de tout ce qu’elle recèle dans ses profondeurs, c’est parce que l’oubli est précisément une des conditions d’une bonne mémoire. Pouvoir oublier est indispensable pour acquérir de nouvelles connaissances. Cette question se relie si intimement au contenu des messages écrits automatiquement que nous ne craignons pas d’y revenir encore en donnant deux autres exemples tout aussi démonstratifs que les précédents toujours empruntés au même auteur[13] .

"J'ai passé, dit-il, mes premières années à Meaux, et je me rendais souvent dans un village voisin, nommé Trilport, situé sur la Marne, où mon père construisait un pont. Une nuit, je me trouve en rêve transporté aux jours de mon enfance et jouant dans ce village de Trilport ; j'aperçois, vêtu d’une sorte d'uniforme, un homme auquel j'adresse la parole, en lui demandant son nom. Il m'apprend qu'il s'appelle C. qu'il est garde du port, puis disparaît pour laisser la place à d'autres personnages. Je me réveille en sursaut avec le nom de C. ? Je l'ignorais, n'ayant aucun souvenir d'un pareil nom. J'interroge, quelque temps après, une vieille domestique, jadis au service de mon père et qui me conduisit souvent à Trilport. Je lui demande si elle se rappelle un individu du nom de C..., et elle me répond aussitôt que c'était un garde de port de la Marne, quand mon père construisait son pont. Très certainement je l'avais su comme elle, mais le souvenir s'en était effacé. Le rêve, en l'évoquant, m'avait comme révélé ce que j'ignorais.
Je rapportais un jour cette dernière remarque à un ami M. F..., qui a fait quelques observations sur ses rêves. Il me fournit un exemple encore plus frappant. Dans son enfance, il avait visité les environs de Montbrison, où il avait été élevé. Vingt-cinq ans après, il fait un voyage en Forez, dans le but de parcourir le théâtre de ses premiers jeux et de revoir de vieux amis de son père qu'il n'avait pas rencontrés depuis. La veille de son départ, il rêve qu'il est arrivé au terme de son voyage; il est près de Montbrison dans un certain lieu qu'il n'a jamais vu, et où il aperçoit un monsieur dont les traits lui sont inconnus, et qui lui apprend qu'il est M. T... ; c'était un ami de son père, qu'il avait vu en effet dans son enfance, mais dont il se rappelait seulement le nom. Quelques jours après, M. F. arrive réellement à Montbrison. Quel n'est pas son étonnement de retrouver la localité vue par lui en songe, et de rencontrer le même M. T..., qu'il reconnut avant qu'il se nommât pour la personne qui lui était apparue en rêve ! Les traits seulement étaient un peu vieillis."


Nous reviendrons plus longuement sur la mémoire latente et sur la perception inconsciente qui fait entrer en nous des images que nous n’avons même pas perçues consciemment. Ce qui est dit jusqu’alors suffit à nous faire comprendre que le caractère bizarre, spontané, des pensées retracées par l’écriture automatique, se comprend parfaitement lorsqu’on a quelque peu étudié le jeu si prodigieux de l’association des idées ; celle-ci rassemble les éléments les plus hétéroclites par des liens que, très souvent, nous ne pouvons plus discerner. Nous admettons aussi cette personnification mensongère de nos propres pensées, s’individualisant parfois dans des créatures de fantaisie, qui sont de purs produits de l’imagination livrée à elle-même.
L’automatisme peut exprimer aussi des pensées que nous refoulons d’habitude par la volonté, mais qui se libèrent de cette entrave lorsque cette volonté est défaillante de sorte qu’il arrive quelquefois que ce sont des plaisanteries vulgaires, des licences, des grossièretés même que l’écrivain voit avec stupéfaction sortir de sa plume, et dont il refuse énergiquement d’endosser la paternité, préférant mettre le tout sur le compte d’un esprit mal élevé.
Que l’on ne s’y trompe pas ! Toutes ces remarques s’adressent aux automatistes, proprement dits, et non aux médiums. Comme les uns et les autres existent, c’est à nous de savoir les distinguer, et nous ne le pourrons qu’en connaissant bien toutes les causes qui peuvent simuler la médiumnité véritable.
En général, la bizarrerie, le décousu des messages, leurs contradictions sont des signes évidents qu’il n’y a pas d’autres facteurs en jeu que l’imagination débridée de celui qui expérimente. Voici un exemple, emprunté à M. Myers, qui est comme un modèle de cette absurdité capricieuse que les croyants aveugles n’hésitent pas à attribuer aux esprits farceurs, tandis que les spiritualistes sérieux y voient tout autre chose. L’auteur de ce rapport est connu de M. Myers qui affirme son absolue bonne foi[14].
J’ai voulu essayer, dit M. A., si je pouvais écrire automatiquement, si j’étais médium écrivain ; je fis cette expérience à Pâques, en 1883. Après un intervalle d’une semaine, je continuai encore trois jours ; le premier jour je fus sincèrement intéressé ; le second jour je fus intrigué ; le troisième, il me sembla que j’entrais dans des expériences tout à fait nouvelles, à la fois redoutables et romanesques ; le quatrième jour, le sublime finissait tristement dans le ridicule.

Histoire de Clélia

Premier jour
D. — Sous quelles conditions puis-je entrer en rapport avec l'invisible ?
R. (La main remua aussitôt pour tracer cette ligne. Le résultat n'était guère satisfaisant ; mais comme l'auteur avait dans la pensée que la condition requise pour communiquer avec l'invisible était une rectitude parfaite, il considéra que la réponse s'appliquait à ce qu'il attendait).
D. — Qui est-ce qui fait mouvoir ma plume en ce moment ?
R. — La religion.
D. — Qui a fait écrire ce mot en réponse à ma demande ?
R. — La conscience.
D. — Qu'est-ce que la Religion ?
R. — Adoration.
Ici s'éleva une difficulté. Bien que l'auteur n'attendit aucune de ces trois réponses, aussitôt que les premières furent écrites, il prévit le reste du mot. Cela pouvait vicier le résultat. Cons, par exemple, pouvait se terminer en conciousness, au lieu de conscience. Alors, comme pour aller au devant de cette difficulté, et comme si une intelligence avait lu dans sa pensée et désiré donner une réponse indépendante, à la question suivante il reçut cette réponse singulière :
D. — Adoration de quoi ?
R. — Wh Wb Wb.
D. — Que signifie Wb ?
R. — Win (gagner). Buy (acheter).
D. — Quoi ?
R. — Know (ledge) conn (aissance).
L'auteur eut ici la perception des lettres qui allaient terminer le mot et la plume fit un écart subit, comme pour dire qu'il était inutile de continuer.
D. — Comment ?
R.
C'était la première réponse qui revenait. Quoique fortement étonné par les premières réponses qui, à première vue, semblaient dénoter une intelligence et une volonté indépendantes, l'auteur remarque, qu'en somme il n'avait rien appris de nouveau et pensa que le tout était dû à la cérébration inconsciente, d'autant mieux qu'ayant fait quelques interrogations sur des faits inconnus de lui, mais faciles à contrôler, il n'obtint que des réponses inintelligibles ou erronées, il ne poussa pas plus loin ses recherches.

Deuxième jour.
D. — Qu'est-ce que l'homme ?
R. — Flise.
La plume en traçant cette réponse fut violemment agitée, ce qui n'avait pas eu lieu le premier jour. L'auteur trouvant une analogie avec Wb. continue :
D. — Que signifie F ?
R. — Fési.
D. — L ?
R. — Le.
D. — I ?
R. — Ivy.
D.— S ?
R. — Sir. (en français, Monsieur)
D. — E ?
R. — Eye (en français, oeil)
Fesi le ivy sir eye.
D. — Est-ce une anagramme ?
R. — Oui.
D. — Combien de mots dans cette réponse ?
R. — Quatre.
L'auteur essaye pendant quelques minutes de trouver la solution. N'y parvenant pas et ne voulant pas perdre trop de temps pour une chose qui ne signifiait peut-être rien, il abandonne l'expérience.

Troisième jour.
D. — Qu'est-ce que l'homme ?
R. — Tefi hast esble lies.
D. — Est-ce une anagramme ?
R. — Oui.
D. — Combien de mots dans la réponse ?
R. — V. (cinq).
D. — Quel est le premier mot ?
R. — See (en français, voyez).
D. — Quel est le second ?
R. — Eeeeee.
D. — See ? (Voyez) Dois-je interpréter moi-même ?
R. — Essayez.
M. A. trouva d'abord comme solution ; « Life is less able », c'est-à-dire, la vie est le moins capable. Il reprit alors l'anagramme du jour précédent et trouva : « Every life is yes. » c'est-à-dire : Toute vie, oui, est. Etonné par la production de ces anagrammes qui lui semblaient prouver l'existence d'une intelligence étrangère à la sienne, car la plume en pointant les lettres acceptait les unes et rejetait les autres, M. R. voulut en savoir davantage et interrogea cette intelligence.
D. — Qui es-tu ?
R. — Clélia ! ! !
D. — Tu es une femme ?
R. — Oui.
D. — As-tu jamais vécu sur la terre ?
R. — Non.
D. — Le feras-tu ?
R. — Oui.
D. — Quand ?
R. — Dans six ans.
D. — Pourquoi viens-tu me parler ?
R. — E if Clélia e l.
L'auteur interprète ainsi : « Clelia feel » ce qui veut dire : moi, Clelia, je sens.
M. A demande si c'est bien la solution :
R. — E if Clelia e l. 20.
D. — Est-ce 20 ans votre âge ?
R. — 8 (elle est éternelle).
L'expérience s'arrête là. A ce moment, l'auteur croit qu'il est en relation avec un esprit au nom romanesque, qui viendra habiter la terre dans six ans. Il est agité et dort mal.

Quatrième jour.
L'interrogatoire est repris avec exaltation, mais les résultats sont bien différents.
D. — Pourquoi me parles-tu ?
R. — Une ligne ondulée.
M. A. sans se laisser déconcerter, considère cette ligne comme une grave et sérieuse réponse. II s'examine afin de bien purifier sa pensée de tout alliage terrestre et pose la question :
D. — Pourquoi me réponds-tu ?
R. — Ligne ondulée.
D. — Dois-je répondre moi-même ?
R. — Oui.
D. — Clélia est-elle ici ?
R. — Non.
D. — Qui est là présent, maintenant ?
R. — Personne.
D. — Clélia existe-t-elle ?
R. — Non.
D. — Avec qui ai-je parlé hier ?
R. — Avec personne.
D. — Pourquoi avez-vous menti ?
R. — Ligne ondulée. Pourquoi avez-vous menti ?
D. — Les âmes existent-elles dans un autre monde ?
R. — M b.
D. — Qu'est-ce que cela signifie ?
R. — Peut-être. (May-be).
A partir de ce moment, l'écriture tantôt affirme l'existence de Clélia, tantôt la nie.


Examinons froidement ce cas, afin de chercher où se trouve la probabilité la plus forte. M.A. avoue qu’il ne connaissait pas le nom de Clélia et qu’il ne s’amuse pas à faire des anagrammes, bien qu’il s’en soit occupé pendant sa jeunesse. Cette remarque nous montre qu’il existe dans l’esprit de l’écrivain une tendance à combiner les lettres des mots dans des ordres différents. Nous savons qu’il ne faut pas affirmer l’existence d’une cause étrangère que lorsque sa nécessité est parfaitement démontrée. Or, ici, le soi-disant esprit ne dit que des choses insignifiantes qui, de l’aveu de l’expérimentateur, se rapportent à peu près à ses lectures pour la phrase : Toute vie, oui, est. Quant aux renseignements sur Clélia, ils sont absolument puérils et ce nom de fantaisie ne s’applique à aucune réalité. Seul le caractère de l’automatisme, encore peu accentué, peut sembler une intervention occulte, mais nous le savons déjà, ce n’est pas un critérium puisqu’on l’observe chez des sujets comme miss Stein, qui ne sont médiums ni de près ni de loin. Un spirite quelque peu au courant des travaux contemporains, n’aurait pas hésité à voir dans ces réponses autre chose qu’un jeu de son imagination. Les contradictions, les réticences, le peu de suite des réponses indiquaient manifestement une pauvreté intellectuelle que les anagrammes, d’ailleurs peu compliquées, ne pouvaient pas contredire.
Enfin il manque la vraie preuve d’une intervention de l’au delà : la révélation d’évènements réellement inconnus, signalés par l’écriture. Dans ces conditions, nous n’hésitons pas à ranger M. A. parmi les automatistes qui peuvent intéresser les psychologues, mais qui laissent les spirites indifférents.

Affirmations mensongères inconscientes

Voici encore un autre exemple dû au professeur Sidgwickt reproduit par M. Myers dans son étude sur l'écriture automatique :

"Le professeur avait pour ami intime un Monsieur doué de la faculté d'écrire automatiquement, et tous deux essayèrent souvent d'avoir des informations correctes sur des faits inconnus d'eux, sans jamais y parvenir. « Parfois, dit-il, le résultat était curieux comme montrant une apparente tentative de l'inconscient de mon ami, pour tromper le moi conscient. Je me rappelle qu'un soir nous obtînmes ce que l'on nous dit être la première phrase du principal article du Times qui devait paraître le lendemain matin. La phrase était bien dans le style habituel du Printring hose square ; mais le lendemain matin, en ouvrant le journal, nous ne l'y trouvâmes pas. Mon ami prit immédiatement le crayon, posa la main sur une feuille de papier et obtint alors de la façon habituelle un véritable amphigouri, tendant à expliquer comment la phrase donnée la veille devait réellement paraître dans l'article, mais avait été, au moment d'être imprimée, biffée par l'éditeur, en conséquence d'exigences politiques imprévues et qu'un autre article avait été substitué, à la hâte. Et dans d'autres cas, lorsque des communications écrites, involontairement étaient prouvées fausses, on nous en donnait des explications exhibant cette sorte d'ingénuité que possède un mystificateur avéré lorsqu'on le pousse dans ses derniers retranchement.
Si je n'avais pas connu mon ami et sa bonne foi absolue, j'aurai supposé qu'il me mystifiait ; sa curiosité du résultat était plus excité que la mienne, et il n'avait nul désir conscient de me faire croire que le phénomène était dû à autre chose que le résultat de inconsciente cérébration."


Cette assurance imperturbable que rien ne peut troubler, ce besoin maladif d'affirmer des choses qui seront démenties le lendemain, prouve une absence de sens moral d'un caractère infantile et ne peut provenir que d'un stade inférieur de la conscience qui est, dans ce cas, privée de ses éléments supérieurs et par conséquent purement impulsive, sans discernement. Nous en verrons encore d'autres exemples qui suffisent à caractériser nettement ce genre d'automatisme.
Jusqu'alors, nous avons constaté que la distraction suffit, chez les natures prédisposées, à déterminer l'écriture subconsciente ; il faut signaler maintenant que celle-ci peut être amenée aussi par une autre cause : une sorte de somnambulisme léger, qui interrompt à peine la vie normale, qui passe inaperçu du sujet et des assistants, mais qui produit également la perte de la mémoire des phénomènes psycho-physiologiques de l'écriture automatique. Ici encore, nous n'aurons pas besoin d'avoir recours à l'existence d'un personnage inconscient, subconscient, etc, les phénomènes résultant simplement de cette faculté que possède l'esprit de suivre simultanément deux séries d'idées, dont l'une est oubliée aussitôt que produite, tandis que l'autre reste consciente.
Pour que cette seconde hypothèse soit vraisemblable, il faut établir :
1° qu'un état hypnoïde léger peut parfaitement exister pendant la veille et demeurer inconnu du sujet ;
2° que cet état est produit par auto suggestion ;
3° qu'il est favorable au développement de l'automatisme graphique ;
4o que la mémoire d'une catégorie de phénomènes psychiques — celle de l'écriture — est pratiquement nulle au moment même où ils se produisent.

Le demi-somnambulisme de l'état de veille

Rappelons tout d'abord que le somnambulisme n'est nullement un symptôme de la névrose hystérique. Il existe un très grand nombre de personnes nerveuses qui peuvent parfaitement être hypnotisées, suggestionnées, magnétisées tout en possédant une excellente santé. Nous avons observé[15] que c'est l'opinion motivée des docteurs Bernheim, Beaunis, Ochorowicz, et du professeur Liégeois. Les docteurs Brémaud et Bottey sont du même avis[16] et M. Myers ne craint pas d'écrire[17] :

"Je proteste contre l'assertion que l'hypnotisme lui-même et ses phénomènes sont nécessairement morbides. L'hypnotisme a de graves dangers, incidents que l'on peut observer à un haut degré chez les sujets malades, mais appeler l'hypnotisme une névrose me semble aussi raisonnable que de traiter de névrose le rêve ordinaire ou l'habitude du travail assidu..."


Plus loin, il dit encore :

"Je propose de ranger l'hystérie (et beaucoup de troubles d'un genre voisin) dans le chapitre de l'hypnotisme, plutôt que l'hypnotisme dans celui de l'hystérie. Ces troubles auto-suggestifs montrent le dérangement de l'activité d'une couche du moi qui est par elle-même normale et aussi essentielle qu'une autre pour compléter notre être, et qui a une grande supériorité sur la couche superficielle au point de vue du pouvoir qu'elle peut exercer sur l'organisme."

M. Bernheim dit également[18] .

"Constater que la très grande majorité des sujets est suggestible, c'est éliminer l'idée de névrose ! A moins d'admettre que la névrose est universelle, que le mot d'hystérie est synonyme d'impressionnabilité nerveuse quelconque ! Et comme nous avons tous des nerfs et que c'est une propriété des nerfs d'être impressionnés, nous serions tous des hystériques."


Entraînés par leurs systèmes préconçus, MM. Binet, Janet et quelques autres ont été conduits à ranger les automatistes et les médiums dans la catégorie des malades ; il est donc utile de signaler encore cette appréciation de M. Myers, qui était bon juge en ces matières ayant longuement expérimenté :

"Je n'ai jamais vu que l'écriture automatique fût liée à une maladie de l'esprit ou du corps, ou à une tendance mauvaise quelconque, excepté dans les cas de trop grande crédulité de l'écrivain, crédulité que des discussions comme celle-ci rendront plus rares, je l'espère."

Maintenant que nous sommes rassurés sur l'état de santé de tous les genres d'automatistes, nous pouvons les étudier indistinctement, et s'ils présentent des symptômes de somnambulisme à l'état normal, nous ne les classerons pas pour cela parmi les névropathes.
Généralement on se figure que l'état hypnotique s'accompagne toujours du sommeil. Si un sujet n'a pas les yeux fermés, s'il cause avec les assistants, des expérimentateurs novices peuvent croire qu'il est toujours à l'état normal, alors qu'en réalité il a subi un changement assez profond pour qu'on puisse non seulement lui donner toutes les suggestions classiques, mais aussi s'assurer qu'il présente les phénomènes physiologiques de contractures, de paralysie, d'insensibilité, etc. Nous avons été témoin de ces effets chez M. Bouvier, magnétiseur lyonnais, et très fréquemment aussi en assistant aux expériences faites par M. le Dr Moutin sur des sujets pris au hasard dans le public ; les résultats qu'ils obtiennent confirment ceux observés antérieurement, que nous allons résumer d'après le travail du professeur Beaunis[19] .

"Sans remonter jusqu'aux procédés de l'abbé Faria[20] , un nommé Grimes, vers 1848, produisait chez des personnes éveillées toute la série des effets nerveux que Braid obtenait par l'hypnotisme[21] .
Le procédé de Grimes ou électro-biologie fut propagé en Angleterre par un M. Stone, qui convertit le Dr Carpenter, et sur le continent par le Dr Durand (de Gros), dont nous donnerons tout à l'heure l'opinion. Les biologisés (biologised subjects) doivent être considérés comme éveillés ; mais cependant on trouve toutes les gradations entre cette condition et l'état du vrai somnambulisme.
Voici ce que le Dr Bernheim écrit sur cet état[22] : « Beaucoup de sujets qui ont été hypnotisés antérieurement peuvent, sans être hypnotisés de nouveau, pour peu qu'ils aient été dressés par un petit nombre d'hypnotisations antérieures (une, deux, ou trois suffisent chez quelques-uns) présenter à l'état de veille l'aptitude à manifester les mêmes phénomènes suggestifs », et il mentionne les contractures, les mouvements automatiques, des modifications de la sensibilité, etc. que l'on observe chez eux. Il n'est même pas besoin, dit-il plus loin, que le sujet arrive à un sommeil profond, et il est des individus chez lesquels les suggestions faites à l'état de veille réussissent, tandis que celles qui sont faites pendant le sommeil sont inefficaces."


M. Liégeois[23] définit très bien l'état des personnes auxquelles on peut donner des suggestions sans qu'elles dorment le moins du monde :

« Ce qui est surtout singulier, dit-il, dans les expériences dont je viens parler, c'est l'état du sujet mis en expérience. Il ne présente pas la moindre apparence de sommeil ; il a les yeux ouverts, les mouvements aisés ; il parle, il marche, agit comme tout le monde ; il prend part à la conversation, répond aux objections, les discute, a souvent des réparties heureuses ; il semble être dans un état absolument normal, excepté sur un seul point où porte la prohibition de l’expérimentateur. »

Le Dr Liébault, sous le nom de Charme, décrit un état du sujet qui est plus profond que celui dont nous parlons ici, mais qui n'est pas encore le somnambulisme ordinaire ; il dit[24] :

« Parmi les sujets que l'on peut endormir, on en trouve qui arrivent seulement dans un engourdissement très curieux et désigné sous le nom de charme, ceux-ci pensent encore activement et ont une conscience assez nette du monde extérieur ; mais si on leur affirme, par exemple, l'impossibilité de parler, de faire certains mouvements, voire même de sentir ou si on leur suggère l'idée d'actes absurdes, leur attention, déjà sans ressort, s'immobilise complètement sur les idées imposées, leur esprit les adopte et l'organisme obéit ; ce sont de vrais automates placés sur la limite de la veille et du sommeil. »

Le Dr Ch. Richet a observé quelque chose d'analogue sur deux femmes qu'il étudiait. Voici ce qu'il en dit[25] .

« Chez ces deux femmes il n'y a pas, entre l'état de sommeil magnétique et l'état normal, cette différence nette et formelle qu'on voit dans les livres classiques. Chez elles, on peut provoquer presque tous les phénomènes d'hallucinations sans qu'il y ait de clôture des paupières, et alors qu'est conservée exacte et complète la notion de la personnalité. »


En résumé, il résulte des faits qui viennent d'être exposés qu'on peut déterminer chez certains sujets un état particulier qui n'est ni le sommeil hypnotique ni la veille. Cet état se distingue du sommeil hypnotique par plusieurs points : le sujet est conscient, il a les yeux ouverts ; il est en rapport avec le monde extérieur ; il se rappelle parfaitement tout ce qui se dit ou se fait autour de lui, tout ce qu'il a dit ou exécuté lui-même. Mais, c'est ici un caractère des plus importants sur lequel nous appelons spécialement l'attention du lecteur, le souvenir n'est pas conservé pour les suggestions qui lui sont données ; c'est par cet oubli et par la docilité que cet état se rapproche du somnambulisme. Ces deux caractères sont les seuls qui le distinguent de l'état de veille.
Il est certain que les personnes qui sont assez sensibles pour qu'une influence très faible, de courte durée, produise cependant un état hypnoïde caractérisé par une telle suggestibilité, doivent être prédisposées à subir presque passivement toutes les influences morales qui s'imposeront à elles avec force. C'est ce qu'a bien vu le Dr Durand de Gros lorsqu'il écrit :

« Les électro-biologistes s'attachent dans leurs expériences, et réussissent à démontrer ce fait énorme, un fait gros des plus grosses conséquences, que l'état hypotaxique ou de suggestionnabilité peut se cacher entièrement sous les apparences d'un état de veille parfait, au point de ne se trahir par aucun signe appréciable à l’œil nu. » « De ce fait, j'ai depuis longtemps induit cette vue, que je soumets de rechef à l'attention de qui de droit, que la Société renferme une multitude de gens allant et venant et nous coudoyant dans la rue comme le commun des citoyens, et qui n'en sont pas moins atteints d'un état hypotaxique inné ou accidentellement contracté, dont ils ne se doutent aucunement, et leurs voisins, parents, amis et connaissances, pas davantage, et qui à leur insu et à l’insu de tout le monde, peuvent à tout bout de champ subir toutes sortes d'impressions suggestives de rencontre, la plupart insoupçonnées et étrangères à toute intention, mais non moins pernicieuses souvent et dont l'existence de ces êtres est l'infortuné jouet. C'est à « l'électrobiologie » yankee, à l'hypnotisme vigilant de Grimes, que sont dues les premières indications révélatrices nettement accusées de ce fait humain de la plus grave importance médicale morale et sociale. »


Un des caractères les plus remarquables de cet état, de ce demi-somnambulisme que nous avons souvent observé, c'est que celui qui en est l'objet n'a pas conscience du changement qui s'est produit en lui. Vous lui donnez la suggestion qu'il ne peut plus dire son nom, il en rit, il hausse les épaules, il dit que c'est absurde, et cependant excité, poussé à bout, lorsqu'il veut prononcer ce mot il doit reconnaître que cela lui est impossible. Sa volonté, qu'il a toujours l'illusion de croire libre, est en réalité dominée par la suggestion irrésistible qui le paralyse. De tout ce qui précède, nous pouvons conclure qu'il existe un assez grand nombre d'individus qui, sous des influences extérieures très faibles, sont aptes à entrer dans un état hypnoïde léger dont ils ne s'aperçoivent pas eux-mêmes, qui n'est pas apparent pour ceux qui n'en sont pas prévenus, et qui cependant les prédispose à subir passivement les suggestions qui leur seront faites, ou qu'ils pourront se donner eux-mêmes. C'est dans cette catégorie que l'on trouvera des automatistes, et l'on comprendra d'autant mieux ce qui se passe en eux que l'on connaîtra toute la puissance de l'auto suggestion.

Suggestion et auto suggestion pendant le sommeil provoqué

Pour embrasser dans son ensemble le tableau si divers et si compliqué des phénomènes que peut produire l'auto-suggestion, il est indispensable de rappeler d'abord ce que la suggestion ordinaire est capable de faire.
L'hypnotisme a rendu à la psychologie des services inestimables en lui permettant de pénétrer dans le mécanisme intime de l'esprit. Ce que l'observation ne nous montrait que dans des cas exceptionnels, nous pouvons maintenant le reproduire à volonté en plaçant un sujet dans les conditions spéciales que nous avons besoin de connaître. C'est un automate vivant et docile dont nous faisons mouvoir les rouages intellectuels dans toutes les directions, afin d'en découvrir les lois. Tous les sujets hypnotisables ne sont pas également dociles à la suggestion, il en est même qui s'y refusent absolument ; d'autres n'acceptent qu'un genre particulier de suggestion ; les faits que nous décrivons sont donc tirés de la généralité des observations et non de tel cas particulier.
Les anciens magnétiseurs connaissaient déjà ces phénomènes, comme on peut s'en assurer par la lecture des ouvrages de Puységur, Deleuze, l'abbé Faria, Du Potet, Charpignon, Teste etc. ; nos modernes hypnotiseurs n'ont rien découvert de nouveau, mais pour être juste, il faut reconnaître que c'est depuis les travaux de Braid, de Charcot, de Ch. Richet, de Binet et Ferré, et surtout de l'école de Nancy, que la suggestion n'est plus niée, malgré l'étrangeté parfois déconcertante des résultats qu'elle permet d'obtenir.
On peut grouper sommairement tous les faits en trois catégories :
1° ceux qui ont trait à la suppression de la douleur dans des conditions d'états nerveux et musculaires qui entraînent inévitablement la souffrance dans les circonstances normales ;
2° ceux qui montrent que le pouvoir de l'âme s'étend sur des fonctions organiques que l'homme ordinaire est incapable d'influencer ;
3° ceux qui se rapportent aux opérations intellectuelles.
Notre objet n'est pas de faire une étude de la suggestion, mais de montrer principalement le pouvoir de dissociation de l'hypnotisme dans toutes ses manifestations. La suppression de la douleur est un des plus merveilleux résultats auxquels on soit parvenu. Depuis longtemps on connaissait l'insensibilité des sujets magnétisés, mais on n'y çroyait guère ; aujourd'hui, il suffit d'aller à la Salpetrière ou à l'hôpital de Nancy, pour voir quantité de malades qui traversent les phases de leurs différentes maladies organiques sans éprouver guère plus qu'un malaise, et se débarrassent de leurs souffrances nerveuses dans la chambre de consultation, aussi facilement que de leur paletot ou de leur chapeau.
Tel est le cas, par exemple, de cette femme citée par le professeur Delbœuf et le Dr Fraipont qui riait et plaisantait pendant des couches laborieuses[26] . Dernièrement, M. P. Janet signala aussi l'insensibilité complète d'une femme pendant une opération qui nécessitait la dilatation du col et le curetage de l'utérus[27] .
La suppression de la douleur obtenue par l'hypnotisme n'est pas comparable à celle produite par les narcotiques, qui amènent une disparition absolue de la conscience. Il y a une sorte de choix parmi les sensations, de manière à supprimer celles qui seront désagréables, et celles-là seulement.

"Ce n'est pas la pure insensibilisation de quelques portions particulières d'extrémités nerveuses (comme en produit par exemple la cocaïne) mais aussi une suppression de beaucoup de sentiments concomitants, comme la nausée, l'épuisement, l'anxiété, qui ne dépendent pas toujours de la souffrance principale, mais qui ont besoin, pour ainsi dire, d'être reconnus objectivement désagréables, avant d'être choisis pour l'inhibition[28] ."


D'ordinaire, presque toutes les fonctions de la vie organique de notre corps nous sont aussi étrangères que si elles avaient lieu dans un autre organisme. Cependant, pendant l'hypnose, on peut atteindre ce territoire inaccessible habituellement et y produire des changements variés. Le professeur Beaunis et le Dr Krafft-Ebing ont ralenti les pulsations du coeur par suggestion[29] . D'autres, comme le professeur Bernheim et M. Focachon, ont obtenu de la rougeur et des ampoules par le même procédé. Les Docteurs Ramadier, Mabille, Bourru et Burot ont produit de la congestion localisée, des saignements de nez et de l'ecchymose[30] . Le Dr Forel et d'autres ont pu ramener des sécrétions arrêtées en fixant l'heure à l'avance[31] . Voici un curieux exemple de cette vésication par suggestion[32] :

« L'expérience suivante a été faite par le docteur J. Rybalkin, en présence de ses collègues, à l'hôpital Marie à Saint-Pétersbourg. Le Dr Rybalkin avait déjà expérimenté dans ce sens avec le même sujet. C'était un peintre en bâtiment, nommé Macarck, âgé de seize ans, hystérique et presque entièrement anesthésique. Il fut hypnotisé à 8 h.30 du matin et on lui dit : quand vous vous réveillerez, vous aurez froid, vous irez vous chauffer au poêle et vous vous brûlerez le bras sur une ligne que j'ai tracée. Cela vous fera du mal, une rougeur apparaîtra sur votre bras ; il enflera, il y aura des ampoules. »

Réveillé, le sujet obéit. Il poussa même un cri de douleur au moment où il toucha la porte du poêle, qui n'était pas allumé !
Quelques minutes après, une rougeur sans gonflement pouvait être vue à la place indiquée, et le sujet se plaignit d'une vive douleur lorsqu'on le touchait. On lui mit un bandage au bras, et il alla se coucher sous nos yeux. A la fin de notre visite, à 11 h.30, nous constatâmes une enflure considérable accompagnée de rougeur et d'érythème à papules à l'endroit de la brûlure. Un simple contact dans un cercle de 4 centimètres causait une sérieuse douleur ; le médecin, le Dr Pratine, entoura l'avant-bras d'un bandage qui montait jusqu'au tiers supérieur du bras.
Le lendemain matin à 10 heures, quand le pansement fut enlevé, nous vîmes, à l'endroit de la brûlure, deux ampoules, l'une de la grandeur d'une noix, l'autre de celle d'un pois et une quantité de petites ampoules. Autour, la peau était rouge et sensible. Avant l'expérience, cette région avait été anesthésique. A trois heures, les ampoules s'étaient réunies en une seule grande ampoule. Le soir, l'ampoule qui était pleine d'un liquide jaune à moitié transparent, se creva et il y eut une plaque ulcérée. Une semaine plus tard, la sensibilité ordinaire revint sur la cicatrice et au bout de quinze jours il ne restait plus qu'une marque rouge à l’endroit de la brûlure."


Le troisième genre de suggestion s'adresse aux facultés intellectuelles. Il n'existe pas un seul acte de notre vie mentale qui ne puisse être reproduit et exagéré par ce moyen. Signalons ici encore ce pouvoir de dissociation que nous avons vu s'exercer au sujet des hallucinations systématisées, autrement dit celles qui suppriment toutes les sensations et tous les souvenirs relatifs à une personne présente, en laissant les autres intacts[33] . On produit avec la même facilité l'opération inverse, c'est-à-dire la création d'un personnage imaginaire qui aura toutes les apparences de la réalité. Les hallucinations suggérées portent sur toutes les sensations. On peut faire entendre au sujet le bruit du vent, le son des cloches ou un air d'opéra. Son goût et son odorat sont pervertis ou illusionnés ; ses sensations musculaires troublées à ce point qu'il ne pourra soulever l'objet le plus léger ; la mémoire sera tour à tour abolie ou exaltée et le mécanisme de l'intelligence, les associations d'idées seront mises à nu par ce procédé ; la suggestion hypnotique peut porter non seulement sur les sensations et sur les actes, elle a une influence plus haute : elle agit sur les passions, les sentiments, le caractère. On rend à volonté un sujet triste, gai, colère, etc. ; on peut modifier à son gré et instantanément son caractère moral. Un fait encore plus important, c'est qu'on peut obtenir aussi par suggestion non seulement des modifications temporaires, mais des modifications permanentes du caractère et créer ainsi la médecine mentale qui donne déjà de si beaux résultats[34] .
Comment se produisent ces transformations qui tiennent du prodige et dont les apparences merveilleuses ont si longtemps effarouché le monde médical ? Pour le savoir, il faut se rendre compte de l'état particulier du sujet pendant que se font les suggestions et bien connaître la véritable nature de nos idées.
La première constatation, c'est que l'hypnose crée un état nerveux qui a pour résultat d'amener une totale inertie psychique. Quand on demande à un sujet endormi à quoi il pense, il répond toujours qu'il ne pense à rien[35] . Ceci est littéralement vrai ; son intelligence est vide. Mais qu'on vienne à prononcer un mot qui éveille une idée, celle-ci étant seule, ne rencontrant ni état antagoniste, ni pouvoir d'arrêt, va se développer démesurément et envahir l'imagination entière.
Elle prendra une intensité prodigieuse et se réalisera complètement. C'est pourquoi les ordres suggérés sont si soigneusement accomplis et les hallucinations si complètes et si absolues.
Les images mentales — qu'elles soient visuelles, auditives, tactiles, olfactives, gustatives, musculaires, etc., — nous le savons aujourd'hui d'une manière certaine[36] , ont un siège dans le cerveau. Le souvenir n'est qu'une sensation qui renaît, une image, une représentation qui se revivifie. En général, elle est plus faible que l'impression primitive, mais lorsque l'attention se fixe sur une pensée particulière, celle-ci est capable de produire la même sensation que la réalité. Pendant le sommeil il est facile d'observer le même phénomène. L'esprit n'étant plus distrait par les mille stimulations du milieu extérieur, se concentre sur les tableaux que son imagination lui présente, et ils ont pour lui la même réalité que ceux de l'état de veille.
C'est ce qui se produit également pendant l'hypnose. Les hallucinations suggérées sont tout à fait indiscernables des sensations ordinaires. Donner à un sujet l'illusion qu'il déguste du cassis, alors qu'il ne boit réellement que de l'eau, c'est exalter en lui le souvenir du goût de cette liqueur et le réveiller avec assez d'acuité pour que la sensation revive momentanément. Lui affirmer que son frère est là, c'est le lui faire voir aussi distinctement que s'il était présent.
Comme le remarque M. Binet[37] , cette théorie de l'image n'a rien de matérialiste ; elle rapproche l'image de la sensation, elle en fait une sensation conservée et reproduite. Or, qu'est-ce que c'est que la sensation ? Ce n'est pas un fait matériel, c'est un état de conscience comme une émotion ou un désir. Si l'on est tenté de voir dans la sensation un fait matériel, c'est parce qu'elle a un corrélatif physiologique très apparent, l'excitation produite par l'objet extérieur sur les organes des sens et transmise au cerveau. Mais on sait que tous les faits de l'esprit son accompagnés d'un phénomène physiologique. C'est la loi. A ce point de vue, la sensation et l'image ne diffèrent pas des autres états de conscience.
On voit donc que la suggestion de l'opérateur n'a d'action que si elle passe par l'intelligence du sujet. C'est celle-ci qui est la cause agissante, et sans elle rien ne se produirait. Nous ne serons donc pas surpris de constater que parfois c'est le sujet lui-même qui se donne des suggestions. Citons deux auteurs qui ont bien étudié ces phénomènes[38] :

"Il est des cas où la suggestion prend son point de départ dans l'esprit du sujet : il se suggère lui-même. Au lieu d'être le résultat d'une impression du dehors, comme dans le cas de suggestion verbale, la suggestion est le résultat d'une impression du dedans, telle qu’une idée fixe, une conception délirante. En voici quelques exemples :
Une malade, dans une vision imaginaire, avait lutté corps à corps contre l'hallucination de l'un de nous, et lui avait appliqué un violent coup de poing en pleine figure. Le lendemain matin, comme son prétendu adversaire entrait dans la salle, elle s'aperçut qu'il portait une ecchymose à la joue. Cette hallucination, qui dérive d'une première hallucination, comme une conclusion dérive de ses prémisses, est un exemple type d'autosuggestion. En effet, la malade a du exécuter, sous une forme inconsciente, un raisonnement analogue à celui-ci : je lui ai donné un coup de poing, donc il en porte la marque.
Une autre malade, au sortir d'une phase de léthargie profonde qui n'avait duré que cinq à dix minutes, s'imaginait qu'elle avait dormi pendant plusieurs heures. Nous favorisons cette illusion en lui affirmant qu'il est deux heures de l'après-midi : il était réellement 9 heures du matin. A cette nouvelle, la malade ressent la faim la plus vive et nous supplie de la laisser partir pour aller manger. C'est là une sorte d'hallucination organique, l'hallucination de la faim que la malade s'est suggérée elle-même. Elle a inconsciemment exécuté un raisonnement analogue à celui-ci : il est deux heures de l'après-midi, je n'ai pas mangé depuis mon lever, donc je me meurs de faim. Ajoutons que cette faim imaginaire fut apaisée par un repas également imaginaire. On fit apparaître par suggestion sur un coin de la table une assiette de gâteaux que la malade dévora ; au bout de cinq minutes, elle n'avait plus faim, ni appétit. Les exemples précédents d'autosuggestion sont tous empruntés aux hallucinations. En voici un qui appartient à un ordre d'idées différent.
On s'approche d'une malade endormie et on lui fait un récit amené comme il suit : « Il vient de vous arriver un grave accident tout à l'heure, vous le rappelez-vous ? Vous traversiez la cour ; votre pied a glissé et vous êtes tombée sur la hanche » ; elle se met à geindre ; de plus, se suggérant les suites logiques de sa chute, elle se donne en quelque sorte une légère paralysie du membre : à son réveil, elle boite !"


On trouvera d'autres exemples semblables dans les auteurs qui ont étudié l'hypnotisme, il nous suffit d'avoir rappelé ces faits qui nous aident à comprendre comment peut naître et se développer l'autosuggestion naturelle.

L’autosuggestion à l’état de veille

Si nous disions que les phénomènes précédents peuvent se reproduire sur le premier venu, à l'état de veille, nous hasarderions une affirmation absurde et démentie par l'observation journalière. Mais si nous prétendons que l'hypnose ne fait que grossir, exagérer, mettre en relief une disposition à la suggestibilité qui existe en chacun de nous, nous serons strictement dans la vérité. Tous nous subissons chaque jour, plus ou moins, l'influence d'une volonté étrangère et il est facile de constater que les sociétés se composent d'une masse qui obéit, qui est suggestionnée, et d'un élite qui la dirige, qui la suggestionne.
On pourrait citer de nombreux exemples de cette influence qui s'impose à une assemblée en donnant naissance à une hallucination.

"On raconte que le soir de l'exécution du maréchal Ney[39] , quelques personnes se trouvaient réunies dans un salon bonapartiste ; tout à coup, la porte s'ouvrit, et le domestique se trompant sur le nom de l'arrivant, qui s'appelait M. Maréchal Ainé, annonça, à haute voix : Monsieur le maréchal Ney ! A ces mots, un mouvement d'effroi parcourut la réunion, et les personnes présentes ont raconté depuis que, pendant un instant, elles virent distinctement, dans Monsieur Maréchal, la personne de Ney qui s'avançait en chair et en os au milieu du salon."


La Revue Scientifique reproduit, d'après Psychological Review, le récit de l'expérience suivante faite par M. Plasson à l'Université de Wyomming[40] :

"J'avais préparé une bouteille remplie d'eau distillée, soigneusement enveloppée de coton et enfermée dans une boîte. Au cours d'une conférence populaire, après quelques autres expériences, je déclarai que je désirais me rendre compte avec quelle rapidité une odeur se diffuserait dans l'air, et je demandai aux assistants de lever la main aussitôt qu'ils sentiraient l'odeur.
Je déballai la bouteille et versa l'eau sur le coton en éloignant la tête durant l'opération ; puis je pris une montre à secondes en attendant le résultat. J'expliquai que j'étais absolument sûr que personne dans l'auditoire n'avait jamais senti l'odeur du composé chimique que je venais de verser et j'exprimai l'espoir que, si l'odeur devait sembler forte et spéciale, elle ne serait toutefois désagréable à personne.
Au bout de 15 secondes, la plupart de ceux qui étaient en avant avaient levé la main, et en moins de 40 secondes « l'odeur » se répandit jusqu'au fond, par ondes parallèles assez régulières. Les trois quarts de l'assistance, environ, déclarèrent sentir l'odeur ; la minorité obstinée comprenait plus d'hommes que la moyenne de l'ensemble. Un plus grand nombre d'auditeurs aurait sans doute succombé à la suggestion si, au bout d'une minute, je n'avais été obligé d'arrêter l'expérience, quelques-uns des assistants des premiers rangs se trouvant déplaisamment affectés et voulait quitter la salle."


Cette expérience très bien faite montre qu'un quart environ de l'assemblée était absolument réfractaire. Les trois autres quarts subissaient la suggestion, mais d'une manière atténuée, tandis que chez certains assistants, elle avait pris assez d'empire pour les incommoder. Ce sont justement ces personnes sensibles, chez lesquelles l'imagination est très développée, qui sont naturellement portées à subir l'empire d'une idée qui s'impose à leur esprit, et cela avec une telle force qu'elles ne peuvent plus s'en débarrasser. Beaucoup de maladies, avec des symptômes très compliqués, n'ont pas d'autre cause, ce sont les maladies psychiques, et toute une thérapeutique nouvelle s'est fondée sur la connaissance que nous avons aujourd'hui du pouvoir de la suggestion. On avait remarqué depuis longtemps « l'action de l'esprit sur le corps » mais c'est seulement depuis vingt ans que les expériences de l'école de la Salpétrière et de celle de Nancy commencent à fournir les moyens d'opérer méthodiquement et d'arriver à des résultats prévus d'avance.
La méthode générale est de détruire l'autosuggestion par une suggestion contraire, assez forte pour neutraliser l'idée délirante.

"Le Dr Morton Prince[41] cite un cas où une dame se figurait (et la chose se produisait réellement) que la simple présence d'une rose dans la chambre produisait en elle un violent catarrhe et une forte émission de larmes. A la fin, son médecin imagina un remède qui réussit. Il lui présenta à l'improviste une rose artificielle qu'elle prit pour une vraie. Les symptômes pénibles survinrent ; mais quand il lui montra que la rose ne sentait rien et n'avait pas de pollen, le choc mental fit redevenir normale, si j'ose ainsi dire, la subconscience de son odorat. L'autosuggestion fut détruite et elle put désormais sentir les roses comme tout le monde."


C'est si bien l'idée qui est la cause efficiente de certains états morbides, qu'il suffit parfois d'une influence extérieure, très faible, pour donner la suggestion contraire une intensité assez grande pour détruire l'idée fixe et rétablir la santé. Voici un exemple cité par M. Bernheim[42] .

"Il s'agit d'une Brésilienne qui, à Rio de Janeiro, après avoir vu un cheval prendre le mors aux dents, avait présenté des crises d'hystérie et consécutivement un tic à la face.
Au Brésil même, on l'avait, grâce à l'hypnotisme, guérie de son tic. Elle vint me trouver un beau jour, parce qu'elle avait quotidiennement cinq à six crises, à table, entre le premier et le second plat. Je lui fis alors du vrai hypnotisme et elle n'eut plus aucune crise pendant dix-huit mois. Mais de retour au Brésil, elle a une émotion morale et les crises reparaissent.
« Pouvez-vous me traiter par correspondance ? » m'écrit-elle. « Certainement, » lui répondis-je. « Tous les jours, à dix heures du matin, vous vous mettrez dans un fauteuil, vous lirez attentivement ma lettre, vous m'entendrez dire : « Dormez ! » et vous vous endormirez pendant dix minutes, après quoi vous vous réveillerez toute seule ; ainsi vous serez guérie de vos crises. Vous ferez ce traitement pendant dix jours, et au bout de ce temps vous m'écrirez. »
Je reçois, en effet, une lettre dithyrambique : pendant ces séances de dix minutes, non seulement elle m'entendait, mais elle causait et tenait des conversations avec moi. Deux années se passèrent sans encombre. Au bout de ce temps, je reçois une nouvelle lettre ; cette personne n'a plus de crises ; mais, depuis plusieurs semaines, elle a des obsessions ; par exemple, elle se sent attirée par la fenêtre et n'ose s'en approcher de peur de se précipiter dehors. Je renvoie un lettre analogue à celle qui avait si bien réussi une première fois et je reçois de nouveaux remerciements dithyrambiques : cette femme avait guéri parce qu'elle avait foi en moi.
"

Pour tout esprit non prévenu, les faits précédents, qui ne sont que de rares exemples pris parmi des milliers d'autres, montrent que sur des personnes speciales, sur les nerveux, l'autosuggestion amènera des effets semblables à ceux dont nous avons constaté l'existence pendant le sommeil. Toutes les formes de suggestions peuvent se produire spontanément pendant l'état de veille : nous ne serons donc pas étonnés de constater que beaucoup d'automatistes devront leur pouvoir d'écrire inconsemment à la croyance qu'ils auront d'être en rapport avec les habitants du monde spirituel.
Voici une personne en bonne santé, mais d'une nature émotive très accentuée qui, le plus souvent à la suite de peines morales, cherche dans le spiritisme les consolations que la vie lui a refusées. Après avoir assisté à un certain nombre de séances, ayant été témoin de la joie de ceux qui obtiennent des communications, elle ressent un violent désir d'entrer en rapport avec un être cher dont la perte lui laisse de cuisants regrets. Elle a lu les ouvrages spirites ; elle sait que sa main doit marcher automatiquement. Elle attend anxieusement les premiers frémissements qui, elle ne l'ignore pas, décèlent l'action spirituelle. Son attention concentrée suspend l'activité de son esprit et crée en elle cet état analogue au charme, à la fascination, décrit par les docteurs Liebault, Brémaud, Beaunis, etc. Alors elle entre involontairement dans la phase de somnambulisme partiel de l'état de veille, pendant lequel se produit l'automatisme. Ce sont d'abord des mouvements brusques, des lignes tracées brutalement, comme sous l'impulsion de décharges nerveuses déréglées. Puis avec la répétition, l'exercice qui amène l'habitude, l'action nerveuse se régularise, la main trace des lettres, puis des mots et enfin des phrases dont le souvenir ne sera pas conservé dans le moi normal, et l'automatisme graphique sera constitué.
Cet envahissement du somnambulisme partiel pendant l'état de veille n'est pas aussi rare qu'on pourrait le supposer au premier abord, de nombreux exemples en ont été observés souvent chez les intellectuels, artistes et écrivains. Citons quelques cas empruntés au livre si documenté du Dr Chabaneix, sur la subconscience.

Le Somnambulisme à l'état de veille chez les artistes et les écrivains

"Diderot oubliait souvent les heures, les jours et les mois, et jusqu'aux personnes avec lesquelles il avait commencé à causer ; il leur récitait de véritables monologues à la façon d'un somnambule[43] .
En parlant d'un grand peintre anglais, Fuseli, M. Burger écrit : « Quelles ne furent pas les extases de Fuseli dans la ville éternelle ! C'est lui qui inventa de se coucher sur le dos au milieu des églises et des palais pour en contempler les voûtes. Il passait des journées entières, étendu sur les dalles de la chapelle sixtine, plongé dans une sorte d'ivresse ou de somnambulisme, s'imaginant que le génie de Michel-Ange descendait en lui et s'infusait dans sa personne[44] . »
Voici ce que dit de Shelley, Medwin son historien : « Il rêvait tout éveillé dans une sorte d'abstraction léthargique qui lui était habituelle, et après chaque accès, ses yeux étincelaient, ses lèvres frémissaient, sa voix devenait tremblante d'émotion : il entrait dans une espèce de somnambulisme pendant lequel son langage était plutôt d'un esprit ou d'un ange que d'un homme[45] . »
Edgar Poë décrivait ainsi son état mental : « Les réalités du monde m'affectaient comme des visions, et seulement ainsi, pendant que les idées folles du pays des songes devenaient en revanche non seulement la pâture de mon existence quotidienne, mais positivement cette unique et entière existence elle-même ».
« Ses lectures continuelles, dit Théophile Gautier en parlant de Balzac[46] , ne furent pas interrompues par le collège et avec elles se développa la méditation extatique de la pensée, aussi en résulta-t-il pour Balzac une maladie bizarre, une fièvre nerveuse, une sorte de coma ; pâle, amaigri, sous le coup d'une congestion d'idées, il paraissait imbécile. Son attitude était celle d'un extatique, d'un somnambule, qui dort les yeux ouverts ; perdu dans une rêverie profonde, il n'entendait pas ce qu'on lui disait, ou son esprit revenu de loin arrivait trop tard à la réponse .»
Et Balzac dit de lui-même : « En entendant les gens de la rue, je pouvais épouser leur vie, je me sentais leurs guenilles sur le dos, je marchais les pieds dans leurs souliers percés ; leurs désirs, leurs besoins, tout passait dans mon âme, et mon âme passait dans la leur : c'était le rêve d'un homme éveillé[47] .
Le peintre Raffaelli écrit au Dr Chabaneix : « Par contre, si je ne dors pas bien la nuit, je suis rarement complètement éveillé pendant le jour. L’état de rêverie soit l'état de rêve, est constant, ce qui fait que souvent je ne réponds à la question que dix minutes, un quart d'heure après, à proprement parler, lorsque je me réveille[48] .

On rencontrerait difficilement un cas plus démonstratif plus typique que celui d'un écrivain qui fait ses ouvrages sans s'occuper le moins du monde de ce que sa main écrit hâtivement sur le papier. S'il ne pensait pas consciemment à ses œuvres, s'il n'en élaborait pas le plan et les détails avec son intelligence ordinaire, on croirait volontiers à une communication spirite. Voici le fait :

"M. Camille Mauclair, un romancier de talent, raconte que sa vie est une sorte de somnolence, un rêve permanent ; il dit :
« Je ne distingue pas à ce point de vue, le sommeil de l'état de veille. Je puis dire que, non seulement les idées et les plans de mes livres, mais même les moindres métaphores m'en sont dictés dans un rêve continuel. Jamais, que ce soit prose ou vers, je n'ai fait de rature dans un manuscrit, et il ne me servirait de rien d'essayer d'en revoir la rédaction, comme je l'ai fait au début de ma carrière littéraire où des scrupules m'engagaient à raturer et à refaire, comme tous mes confrères. J'ai vite compris que ce n'était pas manque de soin (je suis très passionné de mon art), mais volonté subjective rendant inutile toute intervention de mon sens critique et me dictant à son gré. J'ai accepté cet état et je n'en ai d'explication qu'en ceci je dois travailler en dormant, car, le matin en me mettant à ma table, je ne pense pas à ce que je vais écrire, mais au prochain livre qui dans des mois, suivra celui que je rédige : j'écris vite sans jamais m'arrêter, Presque comme un télégraphiste qui enregistre une dépêche. C'est évidemment d'une façon analogue que naissent les images du rêve et les paroles que prononcent les dormeurs, jusqu'à s'éveiller par leur propre voix. »

Dans les cas que nous venons de citer, la modification de la personnalité normale est spontanée ; mais chez d'autres artistes, le changement d'état psychologique nécessaire à la création ne se produisant pas naturellement, est obtenu artificiellement par des moyens qui ne sont guère que des procédés d'autohypnotisation.

"Il est des hommes de génie, dit Lombroso[49] qui, pour se livrer à la méditation, se mettent artificiellement dans un état de demi-congestion cérébrale. Ainsi Schiller plongeait ses pieds dans la glace. Pitt et Fox préparaient leurs discours après des excès de porter. Parsiello composait enseveli sous une montagne de couvertures. Miltoa et Descartes s'enfonçaient la tête dans un canapé ! Bonnet se retirait dans une pièce froide, la tête enveloppée de linges chauds. Cujas travaillait ventre à terre sur le tapis.
On a dit de Leibnitz « qu'il méditait horizontalement », tellement cette attitude lui était nécessaire pour se livrer au travail de la pensée.
Thomas et Rossini composaient dans leur lit. Rameau méditait, la tête au soleil en plein midi.
Pour Gluck, ce fut en plein soleil, au milieu d'une prairie où il avait fait transporter son piano, qu'il composa ses deux « Iphigénies ». Haydn éprouvait, comme Newton, le besoin de la solitude. Assis dans son fauteuil, il n'avait que son piano pour confident de ses inspirations, et lorsqu'il les trouvait paresseuses, il fixait les yeux sur la bague que le grand Fréderick lui avait donnée et qu'il ne quittait jamais (Hypnotisation partielle). Alors son imagination se transportait au milieu des chœurs célestes, dont il avait révélé à la terre les divines harmonies, et le chef d’œuvre sortait de cette singulière contemplation.
« Il faut que vous me disiez comment vous faites votre musique », demandait un jour Tronchin à Grétry. « Mais comme on fait des vers, un tableau, répondit celui-ci. Je lis, relis vingt fois les paroles que je veux peindre avec des sons ; il me faut plusieurs jours pour échauffer ma tête ; enfin, je perds l'appétit, mes yeux s'enflamment, l'imagination se monte. Alors je fais un opéra en trois semaines. ».


Tous ces exemples, dont il serait facile d'augmenter le nombre, nous font clairement comprendre que les personnes douées d'une vive émotivité, les sensitifs, comme les appelle le baron de Reichenbach, peuvent parfaitement se mettre d'eux-mêmes dans cet état nerveux où un semi-somnambulisme permet à toutes leurs richesses intellectuelles de se manifester avec éclat.

Les causes de l'automatisme graphique

Si nous nous sommes étendus, peut-être un peu longuement, sur les rêves, la suggestion, l'autosuggestion, l'hémi-somnambulisme de l'état de veille chez les artistes et les écrivains, c'est pour montrer que ces phénomènes psychologiques, bien que peu communs et en dehors de l'observation journalière, ne sont pas rares au point qu'on n'en puisse trouver cependant d'assez nombreuses relations. Il est entendu que les cas d'automatisme graphique sont des exceptions, mais, eux aussi, ont un degré de fréquence qui ne permet pas de les classer dans les anomalies, proprement dites. Tous les états de conscience énumérés plus haut ont entre eux la plus étroite parenté. Ils se succèdent sans brusquerie et forment une chaîne qui s'étend de l'état normal proprement dit, jusqu'au somnambulisme, par une série de transitions, de nuances, que l'on désigne sous les noms de distraction, de rêverie, d'inspiration, qui dépendent évidemment de l'idiosyncrasie des sujets observés.
Le terme d'écriture inconsciente, qui est employé parfois, n'est strictement exact que dans un seul cas : celui de l'écriture produite pendant la distraction à l'état de veille ; encore faut-il spécifier que l'inconscience ne porte que sur le mécanisme de l'écriture, car les idées ont toujours été connues par le moi, puisque le sujet les retrouve sans avoir lu son écrit si on le met dans le sommeil somnambulique, mais elles sont oubliées aussitôt que perçues par la conscience ordinaire, à cause de leur faible intensité. Nous savons, en effet, que la distraction coïncide avec une diminution de l'attention qui a pour résultat de supprimer le contrôle, le pouvoir de direction que nous possédons sur le mécanisme qui préside à l'association des idées. Alors l'imagination est livrée à tous les hasards de la rêverie. Les idées se succèdent avec rapidité, mais elles sont vite oubliées parce que leur intensité est très faible[50] . Elles ont donc été conscientes pendant un temps très court, puis sont redescendues au-dessous du seuil de la conscience. Mais nous avons vu, avec les expériences du Dr Gley, que les images mentales, même très faibles, possèdent un pouvoir moteur qui agit sur le mécanisme psychosensoriel de l'écriture. La main qui sent le crayon entre ses doigts subit une suggestion tactile comme cela arrive à chacun de nous, dans les mêmes conditions, et l'écriture se produit d'une façon automatique en extériorisant graphiquement, sans conscience, les rêveries de l'écrivain.
Nous avons montré par l'exemple de Clélia toutes les fantaisies de cette imagination livrée à elle-même ; son caractère extravagant, ses mensonges. C'est un trait distinctif qui permettra de faire un choix parmi les messages obtenus automatiquement. Les personnes qui produisent ce genre d'écrits n'ont pas à s'en formaliser, on ne peut rien en inférer sur leur nature morale, car personne ne saurait être rendu responsable de ses rêves et par conséquent des élucubrations de l'automatisme.
Nous avons signalé le pouvoir énorme de l'autosuggestion et principalement son action sur les hystériques. Tous les auteurs qui ont étudié cette névrose signalent l'influence de l'imitation sur ces malades. Il est très possible que parmi les personnes qui fréquentent les réunions spirites, il s'en trouve qui soient atteintes d'hystérie, alors elles pourront offrir à un haut degré le spectacle de l'automatisme, favorisé chez elles par la distraction, qui est un trait caractéristique de leur état, et par l'autosuggestion résultant de l'imitation.
Nous savons aussi que l'hémi somnambulisme peut-être amené, chez les personnes qui y sont prédisposées, par l'émotion intense que suscite chez elle l'idée d'entrer en rapport avec l'au-delà. Cette impressionnabilité excessive suffit à produire une invasion de somnambulisme partiel, qui n'enlève pas au sujet la conscience du monde extérieur, mais qui favorise absolument tous les phénomènes de l'automatisme psychique, de la personnalisation des idées, de la résurrection temporaire des images latentes, et donne à l'écrit tous les caractères d'une production étrangère lorsque le sujet, revenu à l'état normal, prend connaissance de toutes ces idées qu'il ne se souvient plus d'avoir écrites quelques minutes auparavant.
Ainsi, dans les séances spirites, à côté des véritables médiums, il existe également des automatistes qui écrivent mécaniquement, et en apparence sans conscience du contenu intellectuel du message donné. Pendant longtemps, les spirites ont manqué d'un critérium qui leur permît d'opérer le triage entre les communications véritables et les productions subconscientes des écrivains. On avait bien remarqué le décousu, l'incohérence ou la fatuité niaise de certaines de ces dictées, accompagnées aussi d'erreurs grossières ou de mensonges impudents. Mais on se tirait de cette difficulté en mettant ces productions sur le compte des esprits farceurs qui s'amusent à mystifier les pauvres humains. On ne pouvait pas connaître ce qui n'a été découvert que dans ces dernières années, de sorte que l'enseignement des premiers auteurs spirites sur l'intervention de l'écrivain dans ces phénomènes avait été presque totalement oublié. De là les innombrables fantaisies subliminales qui ont été acceptées comme des révélations sur le monde spirituel. Car, et c'est un point bien digne d'attention, toutes les productions de l'automatisme ne sont pas nécessairement déraisonnables, sans quoi l'exercice de l'écriture automatique aurait vite été abandonné.
Une fois que l'habitude de l'automatisme a été bien établie par un exercice fréquent, toutes les idées latentes peuvent s'extérioriser par cette voie, et elles ne sont pas toutes de simples associations d'idées. Souvent ce sont des observations, des raisonnements suivis, des théories ingénieuses ou originales que l'écrivain a élaborées pendant son sommeil, et dont il n'a pas gardé la souvenance au réveil. Toute cette vie psychologique ignorée vient au jour par l'écriture, et comme l'écrivain ne la connaît pas plus que le somnambule ne se rappelle ce qu'il a dit, fait ou pensé pendant son état de sommeil, elle lui paraît neuve, sans rapport avec lui, et il ne peut guère supposer qu'il en est l'auteur. Ce qui le fortifie encore dans la conviction qu'il a subi une influence étrangère, c’est le nom dont est signé le message, puis aussi que, parfois, la soi-disant communication renferme des renseignements minutieux sur un acte de sa vie passée, que sa conscience ordinaire a tout à fait oublié.
Il nous paraît donc indispensable de rappeler combien nous sommes plus riches que nous ne le croyons généralement. En dessous de la conscience existe une mine merveilleuse de documents inexplorés qui peuvent nous renseigner sur le fond même de l'individualité, duquel dépend notre caractère. Nous pensons qu'une psychologie attentive doit faire une très large part au travail de l'esprit pendant le sommeil ordinaire, aux souvenirs oubliés, qui, bien que n'étant plus actuellement dans la conscience claire, n'en ont pas moins eu une influence décisive sur le développement général de notre individualité psychique, et aussi, a un degré moindre, à ces perceptions inconscientes qui, dans les cas d'automatisme, apparaissent à l'esprit illusionné de l'écrivain comme des renseignements venus d'un autre monde. Rappelons quelques faits qui illustreront notre thèse.

Activité de l'âme pendant le sommeil

Nous savons tous que la veille et le sommeil sont séparés généralement par des mémoires différentes. Mais ce que le spiritisme nous apprend, c'est que l'âme n'est jamais inactive. Pendant la nuit elle pense, elle travaille, et souvent avec plus de fruit que pendant la journée, parce qu'elle n'est pas distraite de ses recherches par les mille incidents de la vie de relation.
Il peut arriver qu'elle ne se souvienne pas au réveil de cette activité nocturne, mais à un moment donné, le résultat de ces recherches surgit dans la conscience et l'illumine tout à coup comme une révélation inattendue. Nous possédons de nombreux exemples de cette cérébration que l'on a nominée bien à tort inconsciente. Nous allons en résumer quelques cas d'après l'étude très bien faite du Dr Chabaneix[51] .

"Michelet, dit De Fleury, avait l'habitude de ne se coucher qu'après s'être occupé, au moins un instant, des documents ou des sujets qui devaient faire l'objet de ses études du lendemain, II comptait sur le travail de la nuit, rêve ou automatisme, pour mûrir les concepts ainsi déposés dans sa conscience. Et s'il le faisait chaque soir, il y a lieu de croire que cela lui réussissait[52] ."
Maudsley parle d'un géomètre qui, après avoir cherché vainement la solution d'un problème, fut effrayé de le voir apparaître subitement sous la forme d'une figure géométrique, alors que depuis plus de deux ans il n'y songeait plus[53] .
Alfred de Vigny dit dans son journal : « J'ai dans la tête une ligne droite. Une fois que j'ai lancé sur ce chemin de fer une idée quelconque, elle le suit jusqu'au bout malgré moi, et pendant que j'agis et parle ».
« Au lieu de m'obstiner, dit Arago, à comprendre du premier coup les propositions qui se présentaient à moi, j’admettais provisoirement leur vérité, je passais outre, et j'étais tout surpris, le lendemain de comprendre parfaitement ce qui la veille me paraissait entouré de nuages épais[54] . »
Condillac a aussi raconté «que dans les temps où il rédigeait son cours d'études, s'il se voyait obligé de quitter, pour se livrer au sommeil, un travail préparé, mais incomplet, il lui est arrivé souvent de trouver à son réveil ce travail achevé dans son esprit[55]


Tous ces exemples mettent bien en relief le travail de l'âme pendant le repos du corps ; mais comme les philosophes positivistes et les physiologistes croient que l'activité intellectuelle n'est que la résultante des fonctions du cerveau, et que le sommeil est essentiellement le repos des centres nerveux, ils sont obligés logiquement de conclure à une pensée inconsciente, ce qui est réellement un non-sens, puisque la pensée n'est elle-même que lorsqu'elle est connue par le moi, par l'être pensant. En dehors de l'individualité psychique, il ne peut y avoir que des phénomènes physiologiques, physico-chimiques, dénués par conséquent de toute conscience. De même qu'une horloge ne secrète pas l'idée de l'heure que ses aiguilles indiquent, de même le cerveau n'est que le support physique de l'esprit.
Faute d'avoir compris cette vérité, on voit de bons esprits comme M. Sully-Prudhomme écrire[56] .

"J'ai éprouvé très nettement l'effet subconscient suivant : il m'est arrivé de comprendre, sans faire intervenir la réflexion et à aucun titre la volonté, une démonstration géométrique qui m'avait été faite l'année précédente. Il me semblait que la seule maturation spontanée des concepts déposés dans mon cerveau par le professeur avait déterminé en moi l'intelligence de la démonstration."

M. Retti, également un poète, comprend mieux ce qui parait se passer réellement ; il écrit au Dr Chabaneix :

"Lorsque je fais des vers, j'ai coutume de m'arrêter, même au milieu d'une strophe, lorsque, je sens la fatigue cérébrale. Alors, je sors, je m'occupe d'autre chose ou, si c'est le soir, je me couche, sans avoir la conscience de continuer de penser à mes vers. Très souvent, sans avoir gardé le souvenir d'aucun rêve, au réveil, le lendemain matin, je pense à mes vers et brusquement je trouve la strophe faite, et bien faite, je n'ai plus qu'à l'écrire. Il me parait évident que le travail cérébral s'est continué en moi sans que je m'en aperçoive."

En disant « sans que je m'en souvienne », la déduction serait tout à fait juste.
M. F. W. H. Myers a réuni aussi un certain nombre d'exemples qui ne sont pas sans intérêt[57] :

"Agassiz a raconté la découverte qu'il fit pendant son sommeil, de l'arrangement des os d'un squelette, problème que pendant le jour son esprit avait été impuissant à résoudre.
M. Hayes, un artiste qui ne s'occupe pas de mathématiques, trouve cependant pendant la nuit la solution d'une difficulté géométrique qui nécessitait l'emploi de la mémoire et du raisonnement.
Une autre personne, M. P. J. Jones raconte qu'étant étudiant ingénieur, il trouva une fois en rêve, la réponse « un nombre avec plusieurs décimales » à un problème qui l'avait dérouté toute la soirée, et qu'il lui semblait pourtant ne pas se rappeler le procédé employé pour trouver cette solution.
Mme Versall a aussi résolu en rêve un problème de calcul différentiel qu'elle n'avait pu trouver dans la journée."


Dans ces récits, le narrateur se souvient de son rêve et le raconte, mais il est des cas où, bien que la mémoire ordinaire ne fournisse aucun renseignement, l'activité de l'âme pendant le sommeil n'en est pas moins manifeste, parce qu'elle se traduit au dehors par des effets intelligents.

Preuves matérielles de l'activité de l'âme pendant le sommeil

Suivant le spiritisme, l'âme étant un être essentiellement pensant ne peut demeurer inactive pendant le sommeil. Le travail intellectuel qu'elle accomplit lorsque le corps se repose, que l'on se remémore sous forme de rêve, peut être oublié, ce qui se produit habituellement, mais cette perte du souvenir ne doit pas servir de preuve contre la vie psychique persistant malgré la diminution de l'activité nerveuse. Ce qui l'établit, c'est que cette activité se manifeste objectivement, même lorsque le dormeur en se réveillant ne se rappelle pas avoir rêvé. Citons les faits qui appuient cette manière de voir.

"Dans l'encyclopédie de Diderot, il est rappelé à l'article somnambulisme l'histoire d'un jeune abbé qui se levait chaque nuit, allait à son bureau, composait des sermons et se recouchait. « Quelques-uns de ses amis, désireux de savoir si véritablement il dormait, l'épièrent, et une nuit qu'il écrivait comme de coutume, ils interposèrent un large carton entre ses yeux et le papier. Il ne s'interrompit point, continua sa rédaction, et une fois qu'il l'eût terminée, se coucha comme il avait l'habitude de le faire, sans se douter de l'épreuve à laquelle il venait d'être soumis. L'auteur de l'article ajoute : lorsqu'il avait fini une page, il la lisait tout haut d'un bout à l'autre (si on peut appeler lire, cette action faite sans le concours des yeux). Si quelque chose alors lui déplaisait, il le retouchait et écrivait au-dessus les corrections avec beaucoup de justesse. J'ai vu le commencement d'un de ces sermons qu'il avait écrits en dormant ; il m'a paru assez bien fait et correctement écrit. Mais il y avait une correction surprenante. Ayant mis dans un endroit ce divin enfant, il crut, en relisant, devoir substituer le mot adorable à divin ; pour cela il vit que le ce, bien placé devant divin, ne pouvait aller avec adorable ; il ajouta donc fort adroitement un « t » à côté des lettres précédentes, de sorte qu'on lisait cet adorable enfant[58] . »

Empruntons notre second cas au Dr Carpenter, qui le tient d'un étudiant à l'Université d'Amsterdam[59] . Il met en évidence deux faits : 1° que le travail n'est pas machinal ; 2° qu'il peut se traduire comme précédemment par l'écriture.

"Un professeur ayant à faire de laborieux et difficiles calculs mathématiques, constata qu'il ne pouvait trouver une solution juste, ce qui était dû à des erreurs qui s'étaient produites dans les nombreux chiffres employés ; la solution du problème fut donnée à dix de ses élèves. Le narrateur y travailla sans succès pendant trois soirées ; après avoir veillé et recommencé la troisième vérification jusqu'à une heure du matin, il se mit au lit très désappointé de n'avoir pu faire correctement le travail demandé pour le jour suivant. En se levant, le matin, à son grand étonnement, il trouva le problème correctement résolu. L'écriture était de sa propre main et pas un des calculs n'était faux.
Le fait le plus important, c'est que le travail avait été fait à l'aide d'une méthode plus rapide et meilleure que celle que l'étudiant avait employé durant les trois soirées précédentes. Le professeur lui-même en fut étonné et déclara qu'il n'avait jamais pensé à une solution si simple et si concise."


Alfred Russel Wallace qui rapporte ce récit[60] l’accompagne des réflexions suivantes dont on goûterais la justesse : voilà évidemment un cas auquel les règles ordinaires de la conception cérébrale inconsciente ne peuvent s’appliquer. En effet, il y a là quelque chose de composé d'une manière à laquelle l'opérateur éveillé n'avait jamais pensé. L'étudiant avait en vain essayé de trouver l'erreur numérique de ses calculs et non tenté de faire le calcul lui-même par d'autres méthodes étant endormi, il n'a pas découvert les chiffres faux, et si cela avait eu lieu on eût pu l'attribuer à la répétition de l'action cérébrale précédente. Ce qui est caractéristique, c'est qu'il recommence le calcul avec une méthode originale, très élégante, à laquelle son maître lui-même n'avait pas songé. C'est là un cas absolument analogue à ceux des médiums qui produisent à l'état neutre ou en sommeil ce qu'ils ne peuvent faire éveillés ; par exemple, comme nous le verrons plus tard, parler des langues qu'ils n'ont jamais apprises. « Attribuer de telles actions à une conception cérébrale inconsciente n'est pas les expliquer, mais simplement leur donner un nom, et comme un enfant ou un sauvage, prendre un mot pour une explication. »
C'est jonglé étrangement avec le sens des mots que d'appeler inconscientes des actions qui nécessitent la mise en jeu de toutes les facultés intellectuelles ; la vérité est que c'est simplement le souvenir de ces actes qui est perdu au réveil.
En voici encore une preuve dans laquelle la mémoire joue un rôle prédominant. Le Dr Davey a communiqué à la Société de Recherches psychiques le cas suivant, publié dans le « Zoïst » Vol. VIII, page 138.

"Mon cher ami, suivant votre désir, je vous envoie les détails de ce singulier rêve, si rêve il y a, qui se trouva me rendre un grand service.
Comme je vous l'ai dit, j'avais été très ennuyé depuis le mois de septembre par une erreur dans mes comptes pour ce mois, et malgré des recherches de plusieurs heures, tous mes efforts restaient inutiles et je considérais presque le cas comme désespéré. Bien souvent la nuit, quand je ne dormais pas, et le jour, pendant une grande partie de mes heures de loisir, je cherchais encore : il en fut ainsi jusqu'au 11 décembre. Cette nuit-là, je n'avais pas, que je sache, pensé une seule fois à ce sujet, mais il n'y avait pas longtemps que j'étais couché et endormi lorsque mon cerveau se mit à travailler avec mes livres, autant que si j'eusses été à mon bureau. Le livre de caisse, le carnet de banque, etc., etc., m'apparurent, et, sans aucune difficulté apparente, je découvris presque immédiatement la cause de mon erreur, qui venait d'une contre-partie compliquée. Je me rappelle parfaitement avoir pris un bout de papier dans mon rêve et fait une note me permettant de corriger l'erreur dans un moment de loisir, et qu'ensuite toutes les circonstances s’étaient effacées de mon esprit. Quand je m'éveillai le matin, je n'avais pas le plus léger souvenir de mon rêve et il ne me revint pas de toute la journée, bien que j'eusse devant moi les mêmes livres dont je m'étais soi-disant servi pendant mon rêve.
Quand je rentrai à la maison l’après-midi, comme il était de bonne heure parce que j'avais à m'habiller, je pris un morceau de papier sur ma table pour essuyer mon rasoir, et vous pouvez imaginer ma surprise, en trouvant dessus la note que je me figurais avoir faite la nuit précédente. L'effet produit sur moi fut tel que je retournai au bureau, et, regardant le livre de caisse, je constatai que j'avais réellement, pendant mon sommeil, découvert l'erreur que je ne pouvais trouver éveillé, et que j'en avais pris note au moment même.
Il m'est impossible de me souvenir où j'ai pris ce qu'il fallait pour écrire, papier et crayon, avec lesquels je fis la note. Elle doit avoir été certainement écrite dans l'obscurité et dans ma chambre à coucher, puisque je trouvai là papier et crayon, le lendemain dans l'après-midi, et je n'y ai rien pu comprendre pendant longtemps.
C.J.E.

P. S. Je dois dire qu'une autre fois avant cela, un fait presque semblable m'était arrivé, avec cette différence cependant, que je m'étais réveillé à la fin du drame, et m'étais parfaitement rendu compte étant bien éveillé, d'avoir fait la note à ce moment. Ce n'est donc pas la même chose.

Les faits précédents nous font connaître l'origine de ces pensées qui surgissent quelquefois soudainement dans la conscience, comme des inspirations étrangères, alors que ce sont seulement des souvenirs qui proviennent de notre activité mentale pendant le sommeil. L'automatisme, nous le savons maintenant, est éminemment propre à extérioriser ces phénomènes psychologiques subconscients, qui n'attendent qu'une occasion pour venir à la lumière. L'écriture automatique pourra donc nous faire connaître des dictées parfaitement coordonnées, des solutions de problèmes restés insolubles pour le sujet ou des renseignements qui sembleront inédits, sans que nous attribuions nécessairement ces productions à des esprits désincarnés. Il faut alors se livrer à des enquêtes méthodiques sur l'antériorité du sujet, ses fréquentations, ses lectures, ses préoccupations, et parfois on arrive, comme nous allons le constater tout à l'heure, à reconstituer la genèse des processus intellectuels qui ont donné naissance à cette vie subliminale, comme l'appelle M. Myers.
Examinons maintenant un autre territoire de la subconscience : celui des souvenirs oubliés. C'est dans ce trésor caché que très souvent l'automatiste puise les renseignements qui donnent aux messages leur apparence merveilleuse par l'imprévu, la minutie des détails concernant un événement tout à fait sorti de la mémoire ordinaire.

La mémoire latente

Nous avons étudié ailleurs[61] le mécanisme de la mémoire et nous n'y reviendrons pas ici. Il suffit pour notre objet actuel de montrer, par des faits, que beaucoup d'événements oubliés absolument, qui semblent détruits pour toujours, ont cependant laissé en nous une trace ineffaçable dans cette partie profonde de notre être, dans cette subconscience qui est la base de notre individualité indestructible.
Nous avons vu plus haut[62]combien le souvenir latent est tenace, puisque dans le rêve il ressuscite des souvenirs de jeunesse, comme ceux racontés par Maury , qui lui représentent un homme qu'il avait vu étant enfant et auquel il n'avait plus jamais pensé pendant quarante années. Voici encore deux exemples de ce réveil de sensations anciennes, empruntés au même auteur[63]:

"Un teinturier devenu aveugle, décrivit un jour avec assez de précision les traits d'un de ses cousins qui lui était apparu en rêve et que jamais il n'avait rencontré alors qu'il n'était point privé de la vue. Cette apparente intuition était due, ainsi qu'il finit par se le rappeler, à ce qu'il avait jadis regardé le portrait de son cousin chez un autre de ses parents.
Le même auteur parle encore d'un capitaine, devenu aveugle en Afrique, auquel le souvenir de certaines localités, auparavant tout à fait oubliées par lui, s'était représenté à son esprit avec une parfaite netteté."


Appelons particulièrement l'attention sur des faits qui, s'ils se montraient pendant l'écriture automatique, auraient tout à fait l'apparence d'une révélation extérieure[64] :

" Un monsieur Brodekelbank perd un couteau de poche. Six mois après, sans être préoccupé le moins du monde de cette perte, il rêve que ce couteau est dans la poche d'un pantalon qu'il avait mis à la défroque. En se réveillant, l'idée lui vint de savoir si soin rêve était exact ; il alla chercher son pantalon et retrouva le couteau dans une poche."


C'est évidemment un souvenir oublié qui renaît pendant le sommeil. On peut en dire autant du récit qui suit :

"Dans son ouvrage : Le Sommeil et les Rêves, le professeur Delboeuf raconte que dans un rêve, le nom de l' « Asplénium Ruta Muralis » lui parut un nom familier. En s'éveillant, il se creusa en vain la tête pour découvrir où il pouvait avoir appris cette appellation botanique. Longtemps après, il découvrit le nom « Asplénium Ruta Muralis » écrit par lui-même dans une collection de fleurs et de fougères à côté desquelles il avait inscrit les noms sous la dictée d'un ami."


Dans l'exemple suivant, il y a plus qu'un simple rappel de mémoire. Il semble qu'un certain nombre d'impressions visuelles ont été enregistrées inconsciemment, comme nous verrons tout à l'heure que cela est possible, puis sous l'influence de l'attention, elles ont été retrouvées par l'esprit pendant le sommeil. Voici le cas :

"En arrivant à l'hôtel Morley à 5 heures, dit madame Bickford Smith, mardi, 29 janvier 1889, je m'aperçus que j'avais perdu ma broche en or et je supposai que je l'avais laissée dans une salle d'essayage chez Swan et Edgar. J'envoyai voir et fut très désappointée d'apprendre que toutes les démarches avaient été inutiles. J'étais très contrariée, et la nuit je rêvai que je la trouvais dans un numéro de la Queen qui avait été sur la table, et dans mon rêve je voyais même la page où elle était. J'avais remarqué une des gravures de cette page. Aussitôt après le déjeuner, j'allai chez Swan et Edgar et demandai les journaux, racontant en même temps aux jeunes femmes mon rêve et où j'avais vu la broche. Les journaux avaient été enlevés de cette chambre, mais on les retrouva, et au grand étonnement des jeunes femmes je dis : « Voici celui qui contient ma broche », et à la page où je m'y attendais, je trouvai la broche."

Il est bien évident que si ce souvenir latent s'était extériorisé par l'écriture automatique, au lieu de se produire en rêve, l'écrivain aurait été fort tenté d'attribuer la description exacte de la page du livre dans lequel se trouvait la broche, à l'intervention bienveillante d'un être de l'au-delà, désireux d'éviter à Mme Smith l'ennui d'avoir perdu son bijou. Nous allons voir dans un instant, que l'inscription dans la subconscience de sensations que nous n'avons pas perçues, comme c'est le cas ici n'est pas impossible et se constate expérimentalement.
Ne pouvant nous étendre plus longuement d'exemples, nous passons de suite à un second révélateur de cette mémoire latente, qui est l'hypnose.
C'est un fait tout à fait général que le sommeil somnambulique ravive les souvenirs les plus fugitifs de la vie normale :

"Les somnambules se représentent, dit Ch. Richet[65], avec un luxe inouï de détails précis, les endroits qu'ils ont vus jadis, les faits auxquels ils ont assisté. Ils ont pendant leur sommeil décrit très exactement telle ville, telle maison, qu'ils ont jadis visitée ou entrevue ; mais, au réveil, c'est à peine s'ils pourraient dire qu'ils y ont été autrefois, X..., qui chantait l'air de l'Africaine pendant son sommeil, ne pouvait pas en trouver une seule note lorsqu'elle était éveillée.
Léonie, dit M. Janet[66] , est capable de relire par hallucination des pages entières d'un livre qu'elle a lu autrefois, et elle distingue l'image avec tant de netteté qu'elle remarque encore des signes particuliers, comme les numéros des pages et les numéros des feuilles au bas de certaines pages : l'hallucination rétrospective est dans ce cas identique à la sensation."


Nous devons nous persuader que rien de ce qui est entré dans l'esprit, consciemment ou non, ne peut en sortir. Malgré que l'oubli soit une condition d'une bonne mémoire[67] , le mot oubli n'est pas synonyme de disparition de l'image mentale. Bien au contraire, celle-ci semble inaltérable ; chaque impression laisse une empreinte qui dure et qui reparaîtra, alors même qu’on l'aurait crue anéantie, lorsque les circonstances le permettront. Il y a les souvenirs dont nous avons conscience et ceux que nous ne connaissons plus. Ces derniers sont innombrables et leur importance dans la vie mentale est de premier ordre.
La mémoire pendant le sommeil artificiel est sur certains points beaucoup plus étendue qu'à l'état normal, car elle embrasse le souvenir des rêves ordinaires et des états somnambuliques naturels. Voici un exemple du premier cas[68].

« Un de nos amis dit Erasme Darwin, a remarqué que sa femme qui parle beaucoup et distinctement dans le sommeil, ne peut jamais se ressouvenir de ses rêves lorsque cela lui arrive ; mais qu'au contraire elle se les rappelle fort bien lorsqu'elle n'a pas parlé en dormant ». J'ai observé le même fait, poursuit M. Janet, sur Léonie, qui raconte à l'état de veille les rêves qu'elle a eus sans parole, et ne raconter qu'en somnambulisme les rêves pendant lesquels elle s’est remuée et a parlé".


Les souvenirs du somnambulisme naturel sont presque toujours ignorés au réveil, mais on peut les retrouver dans un somnambulisme artificiel, ce qui établit la parenté de ces deux états. La relation qu'on va lire en fait foi[69] :

"M. le Dr Dufay, sénateur de Loir-et-Cher, a publié l'observation d'une jeune fille qui, dans un accès de somnambulisme, avait serré dans un tiroir des bijoux appartenant à sa maîtresse. Celle-ci, ne retrouvant plus ses bijoux à la place où elle les avait laissés, accusa sa domestique de les avoir volés. La pauvre fille protestait de son innocence, mais ne pouvait donner aucun renseignement sur les causes de la disparition des objets. Elle fut mise en prison à Blois. M. le Dr Dufay était alors médecin de cette prison. Il connaissait la prévenue pour avoir fait jadis sur elle quelques expériences d'hypnotisme. Il l'endormit et l'interrogea sur le délit dont elle était accusée. Elle lui raconta alors, avec tous les détails désirables, qu'elle n'avait jamais eu l'intention de voler sa maîtresse, mais qu'une nuit il lui était venu à l'esprit que certains bijoux appartenant à cette dame n'étaient pas en sûreté dans le meuble où ils étaient placés et que, dès lors, elle les avait serrés dans un autre meuble. Le juge d'instruction fut informé de cette révélation. Il se rendit chez la dame volée et trouva les bijoux dans le tiroir indiqué par la somnambule. L'innocence de la prévenue fut ainsi clairement démontrée, et la malade fut aussitôt rendue à la liberté."

Une des formes les plus saisissantes de cette rénovation du souvenir est la reconstitution complète de toute une époque de la vie passée d'un sujet. Le professeur Pitres, de Bordeaux, qui a découvert ce phénomène, le nomme le délire ecmnésique. Voici en quoi il consiste[70]:
Supposons un instant qu'un sujet âgé de trente ans, perde subitement le souvenir de tout ce qu'il a connu et appris pendant les quinze dernières années de sa vie. Par le fait même de cette amnésie partielle, il se produira dans l'état mental du sujet une transformation radicale. Il parlera, agira, raisonnera comme il l'eût fait à l'âge de quinze ans. Il aura les connaissances, les goûts, les sentiments, les moeurs qu'il avait à quinze ans puisque tous les souvenirs des quinze dernières années auront disparu. Au point de vue mental, ce ne sera plus un adulte, mais un adolescent. Une malade, Albertine M..., âgée de vingt-huit ans, pendant le délire ecmnésique se trouve reportée à l'âge de sept ans, lorsqu'elle était occupée à garder la vache de sa nourrice :

"Après avoir éprouvé toute la série des auras qui précèdent habituellement l'explosion de ses attaques de délire, la malade se remit à marcher lentement, en se baissant de temps en temps, comme si elle eût ramassé des fleurs sur le bord d'une route. Puis elle s'assit par terre en fredonnant une chansonnette. Quelques instants après, elle fit le geste de fouiller vivement dans sa poche et commença à jouer aux osselets, non sans interrompre souvent sa partie pour parler à sa vache. Nous l'interpellâmes à ce moment, et elle, croyant avoir affaire aux gamins du village nous offrit aussitôt de partager ses jeux. Il fut impossible de lui faire comprendre son erreur. A toutes les questions que nous lui posions relativement à sa vache, à sa grand'mère, aux habitants du village, elle répondait avec la naïveté d'une enfant, mais avec une imperturbable précision. Si au contraire, nous lui parlions des événements dont elle a été témoin ou acteur dans le courant de son existence, après l'âge de sept ans, elle paraissait fort étonnée et ne comprenait rien à nos propos.
Je dois vous signaler deux particularités qui ne manquent pas d'importance. Jusqu'à l'âge de douze ans. Albertine est restée dans un petit hameau de la Charente, au milieu de pauvres paysans qui parlaient à peine le français. Elle-même ne parlait à ce moment que le patois de la Saintonge ; ce n'est que beaucoup plus tard qu'elle a appris le français. Aussi, pendant toute la durée de l'attaque, elle s'exprimait en patois, et si nous la priions de parler français, elle répondait invariablement, et toujours en patois, qu'elle ne connaissait pas la langue des messieurs de la ville.
La seconde particularité n'est pas moins curieuse. A l'âge de sept ans, Albertine n'avait pas encore eu d'accidents hystériques et, selon toute vraisemblance, elle n'avait pas encore d'hemianesthésie ni de zones hystérogènes. Or, pendant l'accès de délire ecmnésique dont nous occupons, la sensibilité cutanée était normale, aussi bien du côté gauche que du côté droit, sauf la zone ovarienne gauche dont la pression énergique eut pour effet immédiat d'arrêter le délire. Revenue à l'état normal, la malade n'avait aucun souvenir de ce qu'elle avait dit et fait pendant cet état[71] ."


Depuis cette observation, les docteurs Camuset, Mabille, Bourru et Burot, Voisin, etc., ont publié des relations de cas semblables, de sorte qu'il faut admettre le fait comme rigoureusement démontré. Des expériences de contrôle, faites au moyen de l'écriture, établissent que la résurrection des souvenirs du sujet est absolue et porte jusque sur les détails les plus insignifiants de son existence de chaque jour. C'est littéralement, une tranche de vie qui est exhumée des profondeurs de la conscience car, chose encore plus remarquable, l'état psychologique ancien ramène l'état physique du corps à l'époque que l'on fait revivre. Nous aurons à retenir cette remarque, car elle nous aidera à comprendre pourquoi et comment un esprit peut reprendre dans l'espace l'écriture qu'il avait de son vivant, si on le reporte à cette période de sa vie antérieure.
L'excitation extraordinaire de la mémoire, nommée hypermnésie, est due aussi, assez souvent, à des causes morbides ou à de forte secousses morales. Les ouvrages de médecine en citent de nombreux exemples. Le cas d'un jeune boucher observé à Bicêtre par le Dr Michea est célèbre. Sous l'influence d'un accès de manie, ce jeune homme récitait des tirades entières de la Phèdre de Racine ; or il n'avait entendu qu'une seule fois cette tragédie. Durant les périodes calmes, il lui était impossible, malgré ses efforts, d'en réciter un seul vers.
On a remarqué aussi que le sommeil anesthésique dû à l'éther ou au chloroforme amène un état semblable au somnambulisme et peut, comme l'opium ou l'alcool, produire la même exaltation de la mémoire. M. Ribot en a réuni quelques exemples que nous mettons sous les yeux du lecteur[72] .

"Un vieux forestier avait vécu pendant sa jeunesse sur les frontières polonaises et n'avait guère parlé que le polonais. Dans la suite, il n'avait habité que des districts allemands. Ses enfants assurèrent que pendant trente ou quarante ans, il n'avait entendu ou prononcé un seul mot de polonais. Pendant une anesthésie qui dura près de deux heures, cet homme parla, pria, chanta, rien qu'en polonais.
Il me semble, dit Th. de Quincey dans ses Confessions d'un mangeur d'opium, avoir vécu soixante-dix ans ou un siècle en une minute. Les plus petits événements de ma jeunesse, des scènes oubliées de mes premières années étaient souvent ravivées. On ne peut dire que je me les rappelais car, si on me les avait racontées à l'état de veille, je n'aurais pas été capable de les reconnaître comme faisant partie de mon existence passée. Mais, placées devant moi comme elles l'étaient en rêve, comme des intuitions revêtues de leurs circonstances les plus vagues et des sentiments qui les accompagnaient, je les reconnaissais instantanément."


Ce sont ces sortes de souvenirs, si complètement sortis de la mémoire qu'ils semblent inconnus, qui donnent à l'automatiste la fausse croyance à une intervention de l'au-delà, lorsqu'il les trouve relatés sous la signature d'un ami ou d'un parent mort, surtout si ce n'est qu'après des efforts considérables qu'il s'en souvient, ou s'il lui faut le témoignage des siens pour lui affirmer qu'ils sont bien tels que le message les relate. Cependant il ne faut voir là qu'un phénomène de mémoire subconsciente tant que d'autres particularités n'auront pas démontré l'intervention des esprits, puisque nous constatons de quelle merveilleuse puissance de rénovation mémoriale est douée l'âme humaine. Notons encore que :

"Le souvenir qui est annihilé par l'ivresse profonde peut être retrouvé dans une ivresse suivante, comme dans le cas très connu de ce commissionnaire irlandais qui ayant perdu un paquet pendant qu'il était ivre, s'enivra de nouveau et se rappela où il l'avait laissé. M. Myers cite un cas semblable sur le témoignage de M. Keulmans[73] . Il s'agit d'un nègre qui, étant pris de boisson, avait dérobé et caché un scalpel et une paire de pinces. Revenu à l'état normal il avait oublié ce larcin, mais s'était de nouveau enivré, il alla chercher ces instruments à l’endroit où il les avait placés."


Les exemples si nombreux et si variés dont nous n'avons donné qu'un échantillon de chaque genre, à titre de renseignement mais qui ont été observés un très grand nombre de fois, nous mettent en présence d'un fait remarquable : c'est que notre vie mentale est indestructible. Sans doute nous oublions peu peu la plus grande partie des évènements passés ; il ne reste présent dans l'esprit que les souvenirs des évènements principaux qui servent de points de repère pour la mémoire, et l'on pourrait croire devant l'impossibilité de se rappeler ce que l'on a fait tel jour, à telle heure, il y a dix ans, que le souvenir en est perdu. C'est une erreur. Tout subsiste dans notre mémoire latente, dans cet abîme qui existe au-dessous de la conscience, et à un moment donné, sous l'influence de l'une des causes que nous avons signalées, et aussi sous le coup de fouet des émotions violentes, quelques fragments de la vie passée remontent à la surface de cet océan et peuvent être extériorisés par l'écriture automatique.
Mais il y a mieux encore. Des faits que nous n'avons pas perçus consciemment, qui n'ont pas été connus de nous au moment où ils se produisaient, peuvent laisser des traces indélébiles et surgir un jour, lorsqu'ils seront rénovés par une sensation semblable. Ce sont des empreintes latentes, des images, des clichés que l'âme ignore, qui dorment en elle et que l'on a bien improprement appelées des perceptions inconscientes, Voyons rapidement en quoi elles consistent.

Les Impressions sensorielles inconscientes

Empruntons à M. Ribot[74]deux exemples de ces phénomènes de mémoire antérieurs à toute conscience.

"Une dame à la dernière période d'urne maladie chronique, fut conduite de Londres à la campagne. Sa petite fille, qui ne parlait pas encore (infant), fut amenée, et, après une courte entrevue, elle fut reconduite à la ville. La dame mourut quelques jours après. La fille grandit sans se rappeler sa mère jusqu'à l'âge mûr. Ce fut alors qu'elle eut l'occasion de voir la chambre où sa mère était morte. Quoiqu'elle l'ignorât, en entrant dans cette chambre elle tressaillit ; comme on lui demandait la cause de son émotion : « J'ai, dit-elle, l'impression distincte d'être venue autrefois dans cette chambre. Il y avait dans ce coin une dame couchée, paraissant très malade, qui se pencha sur moi et pleura. » Voici le second cas.
Un homme doué d'un sentiment artistique très marqué (ce point est à noter, car il indique un développement très grand de la sensibilité) alla avec des amis faire une partie près d'un château du comté de Sussex, qu'il n'avait aucun souvenir d'avoir visité. En approchant de la grand porte, il eut une impression extrêmement vive de l'avoir déjà vue, et il revoyait non seulement cette porte, mais des gens installés sur le haut, et en bas des ânes sous le porche. Cette conviction singulière s'imposant à lui, il s'adressa à sa mère pour avoir quelques éclaircissements sur ce point. Il apprit d'elle qu'étant âgé de seize mois, il avait été conduit en partie dans cet endroit, qu'il avait été porté dans un panier sur le dos d'un âne ; qu'il avait été laissé en bas avec les ânes et les domestiques, tandis que les plus âgés de la bande s'étaient installés au-dessus de la porte pour manger."


Ces deux histoires montrent qu'alors même que les sensations produites par le monde extérieur ne sont pas connues par le moi, elles existent dans le périsprit qui en a conservé l'empreinte, bien que le cerveau ait été renouvelé un très grand nombre de fois. Lorsque les mêmes sensations se renouvellent, elles ressuscitent les anciennes, et le souvenir a lieu. Cette renaissance du passé peut être provoquée aussi par une cause morbide.

"A l'âge de quatre ans, dit le Dr Abercrombie, un enfant, par suite d'une fracture du crâne, subit l'opération du trépan. Revenu à la santé, il n'avait gardé aucun souvenir ni de l'accident, ni de l'opération. Mais à l'âge de quinze ans pris d'un délire fébrile, il décrivit à sa mère l'opération, les gens qui y assistaient, leur toilette et autres petits détails, avec la plus grande exactitude. Jusque-là, il n'en avait jamais parlé et il n'avait jamais entendu personne donner tous ces détails."

Il est possible d'instituer des expériences qui permettent de séparer, dans l'acte complexe de la perception, ce qui est connu normalement, de ce qui reste ignoré. Voici deux exemples de réminiscences d'impressions sensorielles enregistrées inconsciemment, que l'on fait renaître par un artifice. Prenons d'abord un cas de vision[75].

"Le Dr Scripture, de l'Université de Clark, a montré que dans l'acte de vision le plus ordinaire, nous devons distinguer entre ce que la conscience superficielle se rappelle et ce qui reste cacher dans quelque profondeur obscure, mais susceptible d'en être extrait. Cette expérimentation montre au sujet une carte avec une image au milieu et une petite lettre de l'alphabet imprimée en dessous. La présentation est si courte que le sujet observe seulement l'image et n'a aucune connaissance consciente de la petite lettre. Cependant, quand ensuite on lui montre la lettre, celle-ci souvent lui rappelle — graduellement, mais à la fin distinctement — la représentation d'étoile ou d'éléphant ou d'autre chose qui occupait le centre de la carte au coin de laquelle la lettre était imprimée. Il arrive souvent que le sujet ne peut pas dire de quelle manière cette obscure association entre la lettre et l'image s'est effectuée. Il sent seulement qu'il y a une connexion, par exemple, entre la lettre M. et l'éléphant. On assiste ici à l'impression inconsciente dans le cerveau d'une lettre, mais la vue de celle-ci réveille ensuite par association d'idées, le souvenir de la gravure."

Voici un second exemple relatif aux sensations auditives.

"Une expérience de Desseoir, déjà signalée dans les Proceedings, montre que les sons qui passent inaperçus à l'oreille peuvent être tout le temps conservés précieusement, et d'une façon intelligente, dans la subconscience. M. X... absorbé par la lecture au milieu d'amis qui causent, eut subitement son attention éveillée en entendant prononcer son nom. Il demanda à ses amis ce que l'on avait dit de lui. On ne lui répondit pas ; on l'hypnotisa. Dans son sommeil, il put répéter toute la conversation qui avait échappé à son moi éveillé. Encore plus remarquable est le fait signalé par Edmond Gurney, et d'autres observateurs, que le sujet hypnotique peut saisir le chuchotement de son magnétiseur, même lorsque celui-ci est au milieu de personnes qui causent à haute voix."


Ces expériences nous font comprendre l'origine de certaines visions du songe qui paraissent n'appartenir en rien à notre vie mentale, tandis qu'à notre insu elles en font partie intégrante. Le cas suivant de Maury met ce fait bien en évidence[76] .

"Il m'arriva plusieurs jours de suite de voir dans mes rêves un certain monsieur à cravate blanche, à chapeau à larges bords, d'une physionomie particulière, et ayant dans sa tournure quelque chose d'un américain. Ce personnage m'était absolument inconnu. Je crus longtemps qu'il n'était qu'une pure création de mon imagination.
Cependant, au bout de plusieurs mois, quel ne fut pas mon étonnement de me trouver face à face dans la rue avec mon monsieur ! Même forme de chapeau, même cravate blanche, même redingote, même tournure grave et empesée. Je traversais en ce moment les boulevards, et naturellement curieux de découvrir quel pouvait être cet acteur de mes rêves rendu tout à coup à la réalité, je le suivis jusqu'à la rue de Clichy ; mais le voyant continuer sa route jusqu'aux Batignolles, et craignant de trop m'écarter de ma direction, je cessai de le suivre et revins au boulevard. Un mois après, je passais encore rue de Clichy ; je l'aperçois de nouveau. Or, il est à noter que quelques années auparavant, des occupations régulières me conduisaient, trois fois par semaine, dans cette rue : je ne doutai plus dès ce moment que je l'eusse alors rencontré ; son souvenir m'était resté gravé dans l'esprit à mon insu, et ravivé par une cause qui m'échappait de prime abord, ce souvenir avait fait intervenir dans mes rêves le personnage en question.
Pour achever de m'expliquer son apparition dans les créations de mes nuits, je cherchais à démêler le motif auquel était dû le rappel de vieux souvenirs, et je le découvris sans beaucoup de difficultés. J'avais, plusieurs jours avant de rêver du monsieur, rencontré une dame qui avait longuement causé avec moi du temps où mes occupations de professeur m'amenaient trois fois par semaine rue de Clichy. C'était évidemment cette conversation qui avait provoqué l'intervention dans mes songes de l'inconnu en cravate blanche, et la preuve c'est qu'aux rêves où il figurait, s'étaient mêlées des circonstances se rapportant aux leçons que je donnais dans la rue en question. Cette rue avait à son tour évoqué bien des souvenirs effacés, au nombre desquels était la vue de mon personnage."

Quelques réflexions sur l'automatisme graphique

Maintenant que nous connaissons l'extraordinaire richesse de la mémoire latente, peuplée par les souvenirs de tout ce que nous avons étudié, vu, entendu, pensé durant notre vie ; que nous savons que l'activité de l'esprit pendant la nuit est conservée ; que des impressions sensorielles dont nous n'avons pas eu conscience peuvent se révéler à un moment donné, nous devons être très circonspects avant d'affirmer que le contenu d'un message ne sort pas de la subconscience.
Cependant, nous pourrions nous demander si nous sommes suffisamment autorisés pour admettre sans restrictions que toutes ces mémoires : oniriques, somnambuliques, latentes, qui diffèrent entre elles, puissent servir de sources d'information à l'automatisme, autrement dit, s'il est légitime de penser que tous ces souvenirs s'extériorisent par cette voie. Nous pensons qu'on peut répondre affirmativement, car les personnes familiarisées avec les phénomènes de l'hypnose savent quelles affinités existent entre la mémoire somnambulique et celle du sommeil. N'oublions pas que l’automatisme est produit très souvent pendant un état d'hémi somnambulisme et que l'état psychique de l'écrivain est analogue, pour la mémoire, à celui des sujets endormis.
Or, nous l'avons vu, M. P. Janet nous a montré que des rêves oubliés pendant l'état de veille peuvent être rappelés pendant le sommeil hypnotique. Le Dr Tissié nous cite un cas semblable. Son sujet, Albert, rêvait qu'il allait partir pour une de ses fugues somnambuliques, un de ses voyages sans but, et hypnotisé, il racontait au médecin ce rêve, qu'à l'état normal il avait oublié. Réciproquement, des souvenirs de l'état hypnotique peuvent se réveiller dans le sommeil ordinaire. Ainsi le Dr Voisin avait suggéré à un sujet hypnotisé de poignarder dans un lit voisin un malade (qui en réalité n'était qu'un mannequin). Le sujet obéit, et naturellement ne se rappela rien en se réveillant. Mais trois jours après il retourna à l'hôpital, se plaignant que dans ses rêves il voyait toujours une femme qui l'accusait de l'avoir poignardée et tuée. Une suggestion nouvelle persuada au sujet que le fantôme était une poupée.
Le professeur Bernheim a montré également comment des souvenirs latents de l'état hypnotique peuvent se réveiller pendant la vie ordinaire. Voici comment[77]:

"Un jour on prend la photographie d'une de mes somnambules à l'état de veille, puis elle est hypnotisée, et on reprend sa photographie dans diverses attitudes suggérées pendant cet état : colère, frayeur (vue fictive d'un serpent), gaîté (ivresse), dédain (vue d'étudiants en ricanant) extase. « A votre réveil, vous ouvrirez le livre qui est à votre chevet, et vous y trouverez votre photographie. » A son réveil elle prend le livre, l'ouvre, y trouve sa photographie (fictive ! Il n'y en avait pas), demande si elle peut la garder et l'envoyer à son fils.
« La trouvez-vous ressemblante ? » lui dis-je — « Très ressemblante, j'ai l'air un peu triste. » — « Eh bien ! Dis-je, tournez la page. » — Elle tourne et reconnaît sa photographie (fictive !) dans l'attitude de la colère. — « Tournez encore. » Et, en continuant à tourner successivement les pages, elle reconnait ses photographies diverses, avec autant de netteté que si elles existaient réellement, dans ses diverses attitudes de frayeur, de gaîté, de colère, d'extase ; elle me décrit avec une précision parfaite chacune de ses attitudes, telle qu'elle la voit, telle qu'elle l'avait prise pendant son sommeil, sans se rappeler aucunement les avoir eues, ni la suggestion correspondant à chacune ; elle paraît fort étonnée quand je lui dis qu'on lui avait communiqué ces attitudes pendant le sommeil. Ainsi la mémoire latente des faits accomplis pendant le somnambulisme, a été éveillée par une sorte d'association d'idées souvenirs."


Nous pouvons d'autant mieux admettre cette source des souvenirs, que parfois l'automatiste présente des preuves manifestes de son état d'hemi-somnambulisme, telle que l'anesthésie cutanée, par exemple. Nous avons vu[78] le Dr Cyriax rester insensible quand sa main frappait violemment la table. Voici un autre cas :

"M. William James surveillait un jour un jeune homme qui présentait à un haut degré le phénomène de l'écriture automatique. Son bras et sa main droite, avant l'expérience, étaient sensibles. Pendant que la main droite traçait des caractères, M. William James vint à piquer fortement cette main, à plusieurs reprises, de manière à provoquer une vive sensation de douleur. Le jeune homme ne sentit rien, ni douleur, ni contact. Il était donc devenu temporairement anesthésique du bras droit, absolument comme les hystériques en état de distraction."

Cette anesthésie était sentie par la conscience sonmambutique du sujet, car celui-ci écrivit : « Ne me faites pas de mal ! »
Il ne faut pas non plus attacher une très grande importance aux bizarreries de l'écriture, car on trouve quelques observations qui établissant que l'écriture dite « en miroir », n'est pas plus un signe caractéristique de l'automatisme que de la médiumnité, puisque l’on peut l'observer dans certains désordres d'origine nerveuse ou les esprits n'ont rien à voir. Rapportons un seul témoignage emprunté au Dr Marinesco[79].

L'écriture en miroir

"L'observation suivante, faite par M. Marinesco, chez un neurasthénique, vient d'être communiquée à l'Académie de médecine.
Le malade était très impressionnable et offrait du tremblement « quand, en l’examinant, dit M. Marinesco, j'ai vu que ses mains tremblaient, j'ai voulu me rendre compte si ce tremblement se manifestait dans son écriture. Je l'ai donc prié d'écrire et mon étonnement fut grand en le voyant écrire spontanément de droite à gauche et en miroir ; écriture qui s'est produite non seulement pour le roumain, mais encore pour le français et l'allemand. La même écriture apparaissait, soit que le malade copiat ou qu'il écrivit sous dictée. L'écriture des chiffres était également en miroir. Si on lui disait de tracer des mots sur la terre en se servant du pied gauche, les mots écrits l’étaient inversement, c'est-à-dire en miroir. Nous avons fait une expérience plus curieuse encore. Notre malade étant juif et connaissant l'hébreu, nous l'avons prié d'écrire quelques mots de la main gauche et de droite à gauche, c'est-à-dire dans le sens de l'écriture de cette langue. Or, nous avons constaté que cette écriture n'était pas intervertie ; mais si, au contraire, le malade écrit de la même main, mais de gauche à droite, alors l'écriture est en miroir. Il n'y a que pour la copie d'un dessin que l'image n'est pas intervertie. A notre question pourquoi il écrivait de la main gauche et en miroir, il nous a répondu que c'est une tendance irrésistible et que c'est comme cela qu'il voit l'image des lettres. J'ai retrouvé, comme tant d'autres auteurs, du reste, l'écriture en miroir chez d'autres malades atteints d'hémiplégie droite avec ou sans aphasie, dans deux cas de crampe des écrivains, et plus rarement encore chez des personnes saines que j'ai priées d'écrire de la main gauche. Jusqu'à présent je n'ai rencontré personne écrivant d'une manière irrésistible en miroir comme mon malade. Aussi je pense que chez lui, cette écriture en miroir est la conséquence d'une perturbation de la vision mentale, associée à une déviation constante dans la direction des mouvements nécessaires de l'écriture.
"

Revenons encore sur ce caractère spécial et si important qui donne à l'automatisme son cachet probant, le fait que le message est presque toujours signé d'un nom auquel convient assez bien le caractère général de l'écrit.
Nous avons constaté que la personnalisation des idées est un phénomène assez commun durant le rêve, mais pendant l'hémi-somnambulisme elle peut se réaliser avec plus de puissance et une vérité saisissante. Alors on assiste à la création de ces personnalités fictives que l'on peut multiplier à volonté. Étudions donc à nouveau cet aspect curieux de l'esprit.

Personnalités fictives créées par auto suggestion

Voici de quoi il s'agit, M. le professeur Ch. Richet[80] possède deux sujets A et B qui acceptent à tel point les suggestions qu'elles s'imaginent être les personnages qu'on leur dit qu'elles sont.

"Endormies et soumises à certaines influences, A.., et B.., oublient qui elles sont ; leur âge, leur vêtement, leur sexe, leur situation sociale, leur nationalité, le lieu et l'heure où elles vivent, tout cela a disparu. Il ne reste plus dans l'intelligence qu'une seule image, une seule conscience : c'est la conscience et l'image de l'être nouveau qui apparaît dans leur imagination. Elles ont perdu la notion de leur ancienne existence. Elles vivent, parlent, pensent absolument comme le type qu'on leur a présenté. Avec quelle prodigieuse intensité de vie se trouvent réalisés ces types, ceux-là seuls qui ont assisté à ces expériences peuvent le savoir. Une description ne saurait en donner qu'une image bien affaiblie et imparfaite."

Le plus intéressant, c'est que pendant cet état, le sujet figure avec la plus entière vérité un personnage qui a des goûts, des tournures de phrases, des sentiments, des passions qui ne lui sont pas habituels, qu'il serait honteux de montrer dans sa vie ordinaire et que, souvent, il ignore posséder aussi bien. L'éducation nous habitue à réfréner au fond de nous-mêmes les tendances qui ne sont pas en rapport avec notre milieu social ; de même nous ne nous servons pas des expressions que nous jugeons triviales ou grossières, mais elles n'en existent pas moins dans notre pensée, accolées au souvenir de certains individus. Les expériences dont nous parlons montrent l'absolue justesse de ces remarques. Voici une femme très respectable, mère de famille, et très religieuse de sentiments, qu'on met dans l'état somnambulique et à laquelle on suggère qu'elle est actrice. Voici ce qu'elle tire d'elle-même.

"Sa figure prend un aspect souriant, au lieu de l'air dur et ennuyé qu'elle avait tout à l'heure (lorsqu'on l'avait transformée en paysanne). « Vous voyez bien ma jupe, eh bien ! C'est mon directeur qui l'a fait rallonger. Ils sont assommants, ces directeurs ! Moi je trouve que plus la jupe est courte, mieux ça vaut. Il y en a toujours de trop. Simple feuille de vigne. Mon Dieu, c'est assez ! Tu trouves aussi, n'est-ce-pas, mon petit, qu'il n'y a pas besoin d'autre chose qu'une feuille de vigne ? Regarde donc cette grande bringue de Lucie, a-t-elle des jambes, hein ? » « Dis donc, mon petit ! (Elle se met à rire). Tu es bien timide avec les femmes ; tu as tort. Viens donc me voir quelquefois. Tu sais, à trois heures, je suis chez moi tous les jours. Viens donc me faire une petite visite et apporte-moi quelque chose. "

Lorsqu'on lui dit qu'elle est général, la scène change instantanément.

« Passez-moi ma longue vue. C'est bien ! C'est bien. Où est le commandant du 6ème zouaves ? Il y a là des Kroumirs ! Je les vois qui montent le ravin.... Commandant, prenez une compagnie et chargez-moi ces gens-là. Qu'on prenne aussi une batterie de campagne... Ils sont bons, ces zouaves ! Comme ils grimpent bien... Qu'est-ce que vous me voulez, vous... Comment pas d'ordre ? (A part)[81] .
C'est un mauvais officier, celui-là ; il ne sait rien faire. — Vous tenez… à gauche. Allez vite. — (A part). Celui-là vaut mieux…. Ce n’est pas encore tout à fait bien (Haut). Voyons, mon cheval, mon épée. (Elle fait le geste de boucler son épée à la ceinture). Avançons. Ah ! Je suis blessé ! »


On voit que le personnage que la somnambule s'imagine être est composé avec ses remarques personnelles, et il sera d'autant plus ressemblant que le talent d'observation du sujet est plus développé. En donnant la même suggestion à des personnes différentes, on peut juger, par l'exactitude et la fidélité du portrait, du degré intellectuel du sujet. Voici une autre femme B. à laquelle on dit qu'elle est général, on va voir que sa conception diffère complètement de celle de A.. La première femme du monde, voit le soldat dans son rôle actif, sur le champ de bataille ; l'autre, d'une situation sociale moins relevée, se l’imagine plutôt sous une forme brutale, populaire :

« Elle fait... « Hum, Hum ! » à plusieurs reprises, prend un air dur et parle d'un ton saccadé... Allons boire — Garçon, une absinthe!» « Qu'est-ce que ce Godelureau ? Allons, laissez-moi passer. Qu'est-ce-que tu me veux ? » (On lui remet un papier qu'elle fait semblant de lire). « Qu'est-ce qui est là ? » (Réponse : c’est un homme de la 1ère du 3). — Ah ! Bon ! Voilà ! (Elle griffonne quelque chose d'illisible). Vous remettrez cela au capitaine adjudant-major. Et filez vite. — Eh bien ! Et cette absinthe ? » (On lui demande s'il est décoré). « Parbleu ! » — (réponse : c'est qu'il a couru des histoires sur votre compte). — « Ah ! Quelles histoires ? Ah ! Mais ! Ah ! Mais ! Sacrebleu ! Quelles histoires ? Prenez garde de m'échauffer les oreilles. Qu'est-ce qui m'a f….. un clampin comme ça ? » (Elle se met dans une violente colère qui se termine par une crise de nerfs).


La même en matelot :

"Elle marche en titubant, comme le matelot qui descend à terre après une longue traversée. « Ah ! Te voilà, ma vieille branche ! Allons vadrouiller ! Je connais un caboulot ou nous serons très bien. Il y là des filles chouettes. » Nous renonçons, dit M. Richet, à décrire le reste de l'histoire !"

L'identification du somnambule avec la personnalité fictive est si complète, qu'elle oblige le sujet à l'impartialité même lorsqu'il représente un de ses ennemis. En voici un exemple.

"En M. X., pâtissier. Cette dernière objectivation était particulièrement intéressante, car, il y a plusieurs années, étant au service de M. X., elle fut brutalisée et frappée par lui, si bien que la justice s'en mêla, je crois. B... s'imagine être ce M. X... sa figure change et prend un air sérieux. Quand les pratiques arrivent, elle les reçoit très bien. « Parfaitement, Monsieur, pour ce soir à 8 heures, vous aurez votre glace. Monsieur veut-il me donner son nom ? Excusez-moi s'il n'y a personne, mais j'ai des employés si négligents. B... ! B... ! Vous verrez que cette, sotte-là est partie. Et vous, Monsieur, que me voulez-vous ? » Réponse : « Je suis un commissaire de police et je viens savoir pourquoi vous avez frappé votre domestique ? » — « Monsieur, je ne l'ai pas frappée. » (Réponse : Cependant elle se plaint). — Elle prend un air très embarrassé. « Monsieur elle se plaint à tort. Je l'ai peut-être poussée, mais je ne lui ai pas fait de mal. Je vous assure, Monsieur le commissaire de police, qu'elle exagère. Elle a fait un esclandre devant le magasin... » (Elle prend un air de plus en plus embarrassé). « Que cette fille s'en aille. Je vous assure qu'elle exagère. Et puis je ne demande qu'à entrer en arrangement avec elle. Je lui donnerai des dédommagements convenables. » (Réponse : vous avez battu vos enfants). « Monsieur, je n'ai pas des enfants, j'ai un enfant et je ne l'ai pas battu.»
On voit que dans cette objectivation de B..., quoique le personnage qu'elle représentait lui soit très antipathique, elle n'a pas cherché à le représenter ridicule ou odieux. Elle cherchait au contraire à l'excuser, tellement elle était entrée dans son rôle. Son air ennuyé et contraint, ses réponses évasives, mais polies, étaient absolument conformes à ce que peut dire, penser et faire, un individu interrogé par un magistrat et qui est coupable."

Ces expériences ont été répétées un très grand nombre de fois par des observateurs différents, comme MM. Bernheim[82] , Bourru et Burot[83] , de Rochas[84], et tous confirment l'exactitude absolue de ces descriptions.
Nous savons combien l'état de crédulité est facile à produire sur des personnes nerveuses et combien l'auto-suggestion a sur elles de puissance. Nous comprenons bien maintenant comment la communication sera la reproduction fidèle, au point de vue du caractère, de l'individu dont l'automatiste se figure ressentir l'influence. Tous les souvenirs, toutes les impressions, tous les sentiments qui se rapportent à ce personnage sont les seuls qui subsistent dans la conscience de l'écrivain, et suivant le degré de développement de sa faculté d'observation, la valeur du message ainsi obtenu pourra être quelquefois très grande ou à peu près nulle si le sujet ne possède aucune donnée pour réaliser la suggestion. Il est évident qu'on ne peut rien tirer d'un automatiste qui n'a jamais possédé les éléments nécessaires pour composer le rôle qu'on veut lui imposer. En voici un exemple extrait de l'ouvrage de MM. Bourru et Burot[85] .
Le commandant Delarue s'occupait de recherches sur les objectivations de types et voici l'expérience qu'il tenta sur un soldat de son régiment, campagnard dont l'éducation était rudimentaire et qui venait chez lui pour raison de service :
"Fixant mon sujet pendant sept ou huit secondes, je lui dis : vous n'êtes plus professeur d'écriture, mais docteur en médecine. Aussitôt engageant une conversation avec mon sujet, je m'assurai par ses réponses qu'il était convaincu d'être médecin à Rochefort. Je lui dis de m'écrire une ordonnance pour le pharmacien, destinée à un malade fiévreux et dysentérique. Le nouveau docteur, le menton appuyé sur la main, cherchait dans sa mémoire ce que l'on donnait pour ce genre de maladie, et je dus venir à son secours pour le mettre sur la voie du laudanum et du sulfate de quinine. Mon docteur, aussitôt tiré d'embarras, reprit son aplomb et me répondit : « Ah c'est juste, j'en donne journellement à mes malades. » Restait à déterminer la dose, ce qu'il fit d'un ton convaincu, soit : 50 gouttes de laudanum dans un verre d'eau et dix grammes de sulfate de quinine. L'ordonnance fut écrite séance tenante. En la prenant de ses mains, je lus des caractères mal formés et à peine lisibles ; et comme je lui en faisais la remarque il répondit sans hésiter : « oh ! Nous autres médecins, nous sommes tous comme cela, nous écrivons mal. »

On voit par cette remarque qu'il sera assez facile, en somme, de distinguer un produit de l'écriture automatique d'une communication véritable, au moins dans un certain nombre de cas. Si l'écrit porte des signes évidents d'ignorance sur des questions que l'esprit devrait bien connaître, il n'y a pas de difficulté à reconnaître que le message sort du cerveau de l'écrivain ; mais si l'écriture donne de suite des renseignements d'ordre scientifique au dessus des connaissances du médium, il faut voir dans ce cas l'action d'une intelligence étrangère dont nous devrons rechercher l'origine. Dans la troisième partie, nous aurons l'occasion de citer un certain nombre de cas de cette nature.

Exemples d'automatismes graphiques

Maintenant que nous avons quelques notions sur les causes qui peuvent donner à l'écriture mécanique une apparence supranaturelle, nous pouvons mieux juger ces productions, et en nous conformant au précepte qu'il ne faut jamais faire intervenir une cause nouvelle lorsque les causes connues suffisent à l'explication, nous pouvons, sans hésiter, mettre sur le compte de l'automatisme tous les messages qui ne nous révèlent rien autre chose que ce que l'écrivain pourrait produire, en se servant de ce qu'il a pu apprendre actuellement ou dans le passé. Evidemment, nous croyons que personne n'hésitera à trouver ce critérium parfait ; mais c'est dans l'application que la difficulté commence.
Nous avons vu déjà que l'automatisme peut se manifester sous la forme d'anagrammes que l'écrivain a du mal à déchiffrer, et il est si étonné de voir ce jeu de son intelligence, qu'il l'attribue à une autre individualité. Cependant il nous arrive dans la vie ordinaire de discuter avec un personnage imaginaire — représentant une personne absente — auquel nous attribuons les réponses ou les objections qu'elle pourrait nous faire. Pendant le rêve, ces sortes de création arrivent à s'objectiver jusqu'à prendre une apparence réelle. Or, c'est précisément lorsqu'il se produit un phénomène analogue par l'écriture automatique, que l'illusion est intense et d'autant plus difficile à dissiper, que ceux qui en sont les victimes ne se rendent pas compte du changement que l'auto-suggestion a produit en eux, et ignorent les faits si nombreux aujourd'hui qui expliquent leur cas.
Nous avons vu la puissance souveraine de l'auto-suggestion, qui est presque toujours inconsciente, et nous pouvons reconstituer l'état d'âme de ces mystiques qui, à toutes les époques, ont cru être en rapport avec la divinité, ou écrire sous l'influence des Anges et des Saints. La tension de l'esprit, l'épuisement physique causé par les privations, l'ardent désir de se rapprocher de Dieu finissait par créer un état psychique tout à fait favorable au développement de la distraction et de l'hémi-somnambulisme. M. Bonnemère[86] l'historien, en rendant compte d'un ouvrage de M. Stourm sur Antoinette Bourignon, écrit :

"Antoinette Bourignon était une extatique, une somnambule éveillée, ce que l'on appelle aujourd'hui un médium, et je n'en veux pour preuve que la façon dont elle a écrit les vingt deux volumes qui constituent ses oeuvres complètes. Il n'est personne qui, ayant consciencieusement observé ces choses, n'y reconnaisse le caractère de la médiumnité. (Nous disons aujourd'hui de l'automatisme). Voici ce que dans la préface d'un des ouvrages d'Antoinette, dit un homme qui l'avait connue, Jean Conrad Hase :
« C'est une chose admirable de voir la manière dont elle écrit et compose ses livres, sans aucune étude ou spéculation. C'est comme un fleuve qui découle de sa main ou de sa plume, si habilement qu'à peine aucun écrivain ne pourrait la suivre. Je l'ai vue souvent écrire et composer en ma présence des choses que je lui demandais, et à l'instant même que je les lui proposais. Elle m'a souvent dit s'étonner comment je pouvais spéculer pour composer quelques lettres, puisque les spéculations lui servaient s’empêchement si elle voulait s'en servir ».

Mme Guyon, l'amie de Fénelon, était arrivée, elle aussi, à se croire douée de pouvoirs supérieurs lui donnant une autorité morale absolue sur les autres hommes. C'est Dieu qui l'a élue ; c'est sous son influence qu'elle interprète les écritures, dont elle dévoile le véritable sens. Comme toute sa vie a été employée à étudier les enseignements sacrés, que sa pensée n'a pas d'autre aliment, elle finit par se faire une doctrine qui doit être connue du monde, et comme son genre de vie est éminemment propre à surexciter sa sensibilité émotive, à produire cet état particulier où l'automatisme se développe pendant la méditation et l'extase, lorsque la période d'incubation est terminée, ses idées se traduisent mécaniquement par des écrits, qu'elle suppose venir de Dieu lui-même, ou de Jésus-Christ. Voici ce qu'elle dit sur la manière dont elle composait ses livres[87] :

« Dieu me faisait écrire des lettres auxquelles je n'avais guère de part que le mouvement de la main. Et ce fût en ce temps qu'il me fût donné d'écrire par l'Esprit intérieur et non par mon esprit. » Elle composa de cette manière : le traité complet de la vie intérieure ; puis le Commentaire sur l'Écriture sainte « qui lui furent dictés mot à mot et si rapidement, qu'elle n'aurait pu copier en cinq jours qu'elle écrivit en une nuit. »
Son commentaire sur le Cantique des Cantiques fut rédigé en un jour et demi, encore reçut elle des visites ; la vitesse fut si prodigieuse que son bras enfla et devint raide. Ayant égaré son Commentaire sur les juges, on le lui dicta une seconde fois : après, ayant retrouvé son premier manuscrit, elle reconnut que l'ancienne et la nouvelle dictée étaient en tout parfaitement conformes entre elles."


Mme Guyon a sans doute considéré cette seconde dictée, en tout semblable à la première, comme une preuve de l'indépendance de l'intelligence qui la faisait écrite, mais là encore elle se trompait, car il arrive naturellement que l'on traite deux fois un sujet d'une manière identique, sans s'en douter le moins du monde.

"Je me souviens, dit M. Maury[88] que j'avais un jour écrit sur un point d'économie politique quelques réflexions destinées à l'impression. Je perdis les pages où j'avais couché mes pensées, et je renonçai forcément à mon projet de les adresser à une revue littéraire. J'avais totalement oublié ce que j'avais écrit, lorsqu'on me sollicita de nouveau de donner l'article promis. Je me remis au travail de composition, et je pensais avoir imaginé une nouvelle manière d'entrer en matière dans mon article.
Deux mois plus tard, je retrouvai par hasard les pages égarées. Grande fut ma surprise, de reconnaître presque mot à mot, et avec les mêmes phrases, ce que j'avais cru depuis avoir récemment inventé. Evidemment, ma mémoire gardait à mon insu souvenance de ma première composition."


Pourquoi rangeons-nous ces productions parmi celles de l'automatisme ? Simplement parce qu'elles ne contiennent aucune preuve intrinsèque de leur provenance extérieure. Le style de ces compositions est parfois très beau. Beaucoup de pensées fines ou brillantes y sont exprimées, mais aucune ne démontre évidemment l'intervention d'une intelligence supraterrestre, et si Madame Guyon à l'état normal n'eût pu écrire ces livres, cela prouve que pendant les périodes d'éréthisme nerveux où la mettait sa croyance d'être en rapport avec Dieu, ses facultés avaient acquis une puissance supérieure à celle de la vie ordinaire. Nous avons cité des exemples de ce phénomène chez les écrivains et les personnes préoccupées par la solution d'une question embarrassante, nous ne serons donc pas surpris de le voir se développer avec intensité chez les mystiques, dont la pensée toute entière est concentrée sur la méditation des Livres Saints.
Il n'est pas douteux que l'exaltation mystique n'amène un état qui est caractérisé par quelques-uns des symptômes du sommeil magnétique.
M. de Rochas fait ainsi[89] , d’après le Père de Bonniot[90] , la description des accès de trois célèbres extatiques :

"Christine de Stambel fut un jour ravie en extase pendant qu'on chantait devant elle le cantique de Saint Bernard. Son corps était raide et ne donnait plus signe de vie : la respiration même était suspendue. « Elle resta ainsi, dit un témoin oculaire, environ 3 ou 4 heures appuyée contre un banc, le visage et les mains enveloppés dans son voile. Puis elle se mit à soupirer en bâillant, de telle sorte que tout son corps était agité. » Ce n'est qu'au bout d'une heure que Christine retrouva la respiration normale, puis la parole, dont elle ne se servit que pour exprimer l'amour de Dieu qui remplissait son coeur. L'extase de Christine se renouvela, et toujours avec la circonstance de la raideur du corps. Elle ne tombait pas à terre, elle restait à genoux.
Sainte Catherine de Sienne, lorsqu'elle était en extase, avait les membres contractés, ses doigts s'entrelaçaient aux objets qu'elle avait d'abord pris entre les mains ; ses bras et son cou avaient la rigidité du cadavre ; ses yeux étaient fermés. Après l'extase, elle était longtemps comme assoupie.
Saint Joseph de Cupertino, quand il était saisi par une effusion de l'amour divin, poussait un cri et tombait à genoux, les bras étendus en croix, les yeux élevés au ciel, de sorte cependant que ses yeux étaient cachés par la paupière supérieure, ses membres étaient raides et aucun souffle ne sortait de sa bouche."


L'abbé Fournier, qui vivait au commencement du XVIIIe siècle, nous offre encore un bon exemple de cet entraînement intellectuel qui aboutit à l'automatisme. D'abord matérialiste, il fut converti par Martinez de Pasqualis, mais la lutte qu'il eut à supporter contre lui-même fut terrible, et le plongea dans un trouble extraordinaire. En parlant de ses doutes sur la vie future il écrivit dans la première partie de son traité sur Dieu et les Anges[91] :

« Cette incertitude me brûlait si fort en dedans que, nuit et jour, je criais vers Dieu, pour que, s'il existait réellement, il vint me secourir. Mais plus je me réclamais à Dieu, plus je me trouvais enfermé dans l'abîme et je n'entendais pour toute réponse intérieure que ces idées désolantes : il n'y a pas de Dieu ; il n'y a pas d'autre vie ; il n'y a que le néant. Ne me trouvant entouré que de ces idées qui me brûlaient de plus en plus fort, je criais encore plus ardemment vers Dieu et sans discontinuer, ne dormant presque plus, et lisant les Ecritures avec une grande attention, sans jamais esayer de les comprendre par moi-même. »
On voit à quel trouble mental cette âme inquiète était en proie. Cet état dura cinq ans, entremêlé de visions, et même d'hallucinations. Enfin il vit Jésus-Christ, la Vierge Marie « et d'autres personnes». Après quoi, dit-il, Dieu m'accorda la grâce d'écrire avec une vitesse extraordinaire le traité dont on vient de lire la première partie. Conséquemment, je l'écrivis plusieurs années avant qu'on sût en France qu'il y avait un Swedemborg dans le monde, et que l'on y connût I'existence du magnétisme. »


De nos jours, le spiritisme devait offrir un excellent prétexte à ceux qui ont des dispositions au mysticisme, et, en démontrant la possibilité d'entrer en rapport avec les intelligences désincarnées, il a pu illusionner beaucoup d'âmes sincères, mais peu au courant des découvertes de la science contemporaine. C'est parce que nous sommes certains des rapports entre le monde spirituel et le nôtre, qu'il faut soigneusement distinguer dans les productions des écrivains, celles qui émanent de l'au-delà de celles qui sont produites par l'animisme. Si notre connaissance des conditions de la vie future repose tout entière sur la médiumnité, il est indispensable que celle-ci soit étudiée rigoureusement, scientifiquement, et que l'on n'hésite pas à repousser absolument toute communication qui ne porte pas la démonstration de sa provenance supra-terrestre. C'est faute d'avoir suivi cette sage méthode que nous avons été envahis par un débordement de soi-disant révélations sur le lendemain de la mort, qui ne sont trop souvent que le produit des idées personnelles des écrivains. Chacun, évidemment, a le droit d'exposer au public ce qu'il croit être la vérité, mais il est urgent que celui-ci sache que le Spiritisme n'est pas responsable de ces fantaisies, tant que l'authenticité et l'identité du communicateur n'est pas établie avec un luxe de preuves qui défie toute contradiction.
Il nous faut donc faire usage d'une sévère critique envers toutes les productions qu'on nous donnera comme venant des Esprits, et rejeter impitoyablement celles qui ne porteront pas ce cachet de certitude qui doit être notre criterium. C'est à déterminer les caractères de cette certitude que nous nous attachons dans cet ouvrage, et nous voyons déjà qu'il ne faut pas admettre comme arrivant de l'autre monde, les dictées qui ne font preuve d'aucune connaissance autre que celles possédées par l'écrivain.
Sans doute, on pourra dire qu'un esprit qui se manifeste n'a pas toujours l'occasion de révéler des choses nouvelles ; et qu'il a pu donner antérieurement, des preuves de son existence et qu'il ne doit pas être soumis chaque fois à cette enquête. Nous répondrons qu'il existe des moyens de s'assurer si c'est l’âme dont on a vérifié l'identité qui se communique, soit par son écriture, soit par son style, comme nous le verrons plus loin ; mais, en thèse générale et comme règle de conduite, une signature d'esprit n'est valable qu'autant qu'elle est appuyée par des preuves directes, établissant son authenticité. Nous ne voulons pas donner la liste des ouvrages médianimiques qui nous paraissent entachés d'erreurs quant à leur provenance ; mais nous croyons que si l'on pouvait connaître les milieux dans lesquels ils ont été obtenus, et l'état physiologique des écrivains pendant la manifestation, on découvrirait facilement les causes physiques et morales propres à faire naître l'automatisme, c'est-à-dire une grande impressionnabilité nerveuse de l'écrivain, une imagination vive, fouettée par des émotions fortes favorisant l'auto-suggestion. Un seul exemple suffira à préciser notre pensée.
En 1885, on a édité une Vie de Jésus dictée par lui-même, qui nous parait un pur produit de l'imagination du pseudo-médium. En effet, rien dans ce travail ne dénote l'intervention du grand esprit dont il porte le nom. La préface contient quelques notes fournies par l'écrivain lui-même ; elles sont caractéristiques de son état et montrent sa bonne foi, qui d'ailleurs n'est pas en question[92]. Nous soulignons les passages dans lesquels on reconnaît l'état nerveux du sujet, et les sources où il a puisé les matériaux qui lui ont servi à composer subconsciemment son ouvrage.

"Dans une grande et immense douleur, je m'oubliai jusqu'au blasphème. Je venais de perdre une adorable enfant de six ans. Durant les sept années qui précédèrent ce malheur, la mort m'avait déjà separé de cinq êtres bien aimés, j'étais à bout de force et me condamnais à la solitude la plus complète. Un peu plus tard, une personne que je consentis à recevoir, me parla de la possibilité de s'entretenir avec les êtres invisibles au moyen d'objets légers qui répondaient par des oui ou par des non à toutes les questions posées. Je m'empressai d'essayer l'expérience ; le succès faillit me faire délirer, et des larmes inondèrent mon visage. J'eus presque immédiatement le nom de mon initiateur : TIPHIS ; en même temps me vint par intuition la pensée que ce nom était fantaisiste, car si l'Etre spirituel qui me parlait, avait vécu plusieurs fois matériellement, son nom, c'est-à-dire ses divers noms, étaient inutiles peut-être même plus qu'inutiles.
L'écriture mécanique succéda bientôt aux alphabets de convention, puis enfin se réalisa bientôt la conversation intime par pur entendement. Les phrases commençaient mécaniquement et s'achevaient immédiatement dans mon esprit et j'écrivais comme sous l'influence d'une transmission électrique. Ma médiumnité exige un silence extérieur absolu, un grand recueillement d'âme et, pour ansi dire, l'annihilation complète de mon esprit. Si j'éprouve un dérangement matériel quelconque ou bien si j'ai, pour si peu que ce soit, mon esprit préoccupé, la manifestation devient impossible. En un mot, pour que la transmission d'En-Haut puisse avoir lieu, il faut que mon esprit adore et ne pense pas, il faut que le respect seul règne en moi, sans distraction d'aucun genre.
Pour ce qui est de cette Vie de Jésus, voici comment elle me fut dictée :
J'avais parcouru plusieurs auteurs de la Vie de Jésus ; ces lectures faites, je demeurai dans la conviction que le meilleur de ces essais représentait un roman plus fructueux matériellement pour l'inventeur que pour l'intelligence et l'instruction des lecteurs. Le désir d'en savoir davantage me tourmentait sans cesse, si bien que je hasardai un question à mon guide toujours si fidèle et si dévoué. Tiphis me répondit : « si tu veux connaitre la vérité, demande-la à Jésus lui-même, il te la dira ».

On se rend compte, par les circonstances du récit, comment l'auto-suggestion a pu naître et se développer chez cette dame. Elle a vu successivement disparaître toutes ses affections, et sa douleur est telle, qu'elle se condamne à la solitude la plus complète. Sa sensibilité presque maladive est encore exaltée par cette réclusion, par la concentration de sa pensée sur ses chagrins ; aussi lorsqu'elle entrevoit la possibilité d'entrer en rapport avec ceux qu'elle regrette si amèrement, sa joie est sans borne, et, suivant son expression propre, son émotion est si vive qu'elle la fait presque délirer.
On conçoit qu'une nature aussi impressionnable soit éminemment propre à se suggestionner et que l'écriture automatique reflétera fidèlement ses préoccupations. La vie de Jésus est d'un intérêt captivant au point de vue historique ; la douce figure du prophète Hébreu attire invinciblement les coeurs meurtris ; cette dame lit donc plusieurs auteurs qui l'ont étudiée, de sorte que sa mémoire est abondamment fournie de matériaux se rapportant au grand réformateur. Mais aucun d'eux ne la satisfait. Toutes les objections que ses lectures lui ont suggérées prennent insensiblement une forme définie, et comme elle est automatiste, elle finit par écrite mécaniquement une Vie de Jésus où se reflètent ses pensées, ses croyances, ses suppositions, ses méditations pendant la veille ou le sommeil, de sorte que comme tout ce travail mental lui est demeuré inconnu, elle s'imagine de bonne foi avoir été inspirée par Jésus lui-même.
La condition essentielle pour que l'écriture se produise, c'est qu'elle laisse toute liberté à l'activité subconsciente de son esprit, au courant de pensée qui existe dans sa conscience somnambulique, car si elle est préoccupée, ou si un événement extérieur vient détruire l'état nerveux indispensable à la production de l'automatisme, le phénomène s'arrête. Cette condition du silence et du recueillement est assez générale chez les automatistes, car tous les écrivains n'arrivent pas au degré parfait où la pensée latente dirige la main sans être entravée par les sensations plus vives provenant du monde extérieur. Indépendenunent de tous les caractères physiques de l'automatisme que nous trouvons réunis dans ce cas, ce qui nous confirme dans la croyance que cette vie de Jésus n'a pu être dictée par lui, c'est que les idées exprimées et le style sont d'une faiblesse insigne, peu en rapport avec la haute élévation intellectuelle et morale du génial réformateur.
On peut se demander ici comment la conscience finit par s'illusionner jusqu'à accepter comme réel un personnage créé par son imagination. Mais lorsqu'on voit combien un sujet en état de charme accepte facilement les suggestions les plus ridicules, telles que d'être un oiseau, un chien, d'avoir une tête bois etc[93], on comprend que l'auto-suggestion puisse facilement arriver à persuader l'automatiste qu'il est en rapport avec un personnage célèbre, avec celui qui occupe toutes ses pensées. Il n'est même pas indispensable que l'être imaginaire soit un génie, il peut être remplacé dans l'imagination de l'automatiste par toute personne a laquelle il s'intéresse fortement.
Voici deux exemples de ce phénomène curieux que nous empruntons à M. Flournoy. Bien que nous soyons fort loin de partager toutes ses idées, nous devons cependant reconnaître qu'il a montré avec beaucoup de force comment peut se créer chez un automatiste, la suggestion d'une personnalité extérieure à l'écrivain. Malgré sa longueur, nous reproduisons l'article qu'il a publié dans la Revue Philosophique et que les Annales psychiques de juillet-août 1899, ont réédité. Cette étude synthétise d'une manière concrète, par des exemples, toutes les notions que nous avons acquises sur l'automatisme, la mémoire latente, la personnalisation des écrits, etc.

Genèse de quelques prétendus messages Spiritiques par Th. FOURNOY

"Le grand obstacle auquel on se heurte quand on cherche à retracer la genèse purement psychologique d'une communication médiumnique, se trouve dans l'ignorance où l'on est généralement de ce que renfermaient la conscience et la subconscience du sujet au moment du message, et dans la difficulté d'éliminer la participation de causes occultes toujours possible par hypothèse. Il s'agirait, en effet, pour être complet, de montrer d'abord que le contenu du message a pu venir du médium, et ensuite qu'il n'a pas pu venir d'ailleurs. Le premier point suppose une connaissance de l'individualité du médium et des menus détails de sa vie psychique qu'on est loin de posséder dans la plupart des cas ; il faut un concours de circonstances exceptionnelles, quelque heureux hasard, pour que dans les renseignements très fragmentaires qu'on peut avoir sur son passé, son caractère, son stock d'idées et de préoccupations, sur tout son être enfin, se rencontrent précisément les éléments nécessaires à une explication satisfaisante du message qu'il a fourni.
Quand au second point, il est impossible d'y satisfaire directement et en toute rigueur : on ne peut entreprendre une enquête dans l'autre monde pour établir, par voie d'exclusion, qu'aucun de ses habitants n'a prêté la main à la confection du message.
Cependant, en bonne logique, si l'on arrive à faire voir que le message implique un auteur ne différant en rien du médium lui-même, il n'y a plus aucune raison de remonter au-delà. Attribuer par exemple à un « esprit trompeur », comme le font volontiers les spirites, les communications mensongères qui s'expliquent du reste par les dispositions psychiques du sujet, c'est pécher contre le principe méthodique, qu'il ne faut pas multiplier les causes sans nécessité. Pour peu donc que l'on trouve dans le médium la raison suffisante d'un message, on n'est pas autorisé à invoquer par-dessus le marché, ne fût-ce qu'a titre d'hypothèse, un autre agent, différant du médium et faisant double emploi avec lui. On ne saurait, cela va sans dire, empêcher les spirites emballés de chercher dans l'au-delà le prétendu auteur d'une communication dont la personne du médium rend déjà compte d'une façon adéquate ; mais en commettant de parti pris cette faute de méthode, ils abandonnent eux-mêmes le terrain de la discussion scientifique, sur lequel ils affichent si hautement la prétention de se maintenir rigoureusement.
On comprend que les conditions que je viens d'indiquer ne se trouvent, par la force des choses, qu'assez rarement réalisées. Aussi les exemples vraiment typiques et démonstratifs de l'origine purement intramédiumnique d'un message spirite ne sont-ils pas nombreux dans la littérature[94] . C'est ce qui peut donner quelque intérêt aux deux cas suivants, où les renseignements obtenus sur le médium rendent la genèse des communications suffisamment claire et transparente pour qu'on ne puisse songer à faire intervenir d'autres agents dans leur formation.

Observation I :
Mme Z..., à Genève, 63 ans. Très instruite et cultivée, goûts littéraires, préoccupations philosophiques et religieuses. Bien portante, aucun phénomène anormal en dehors de la crise spirite dont il va être question. Il y a dans sa famille quelques indices d'une tendance héréditaire à la médiumnité : un de ses frères et son père ont eu des rêves prophétiques, et son fils a cultivé avec succès l'écriture automatique.
En 1881, soit à l'âge de 45 ans (3 ans avant sa ménopause), elle eut l'occasion de s'occuper du spiritisme. Elle lut Allan Kardec, Gibier, etc., et prit part pendant un mois à des séances de table sans grands résultats. Elle essaye alors de l'écriture automatique, et au bout de huit jours, (21 avril) obtient les noms de parents et amis défunts, avec des messages philosophico-religieux qui continuent les jours suivants. Le 24 avril, comme elle avait déjà écrit diverses communications, son crayon trace soudain le nom tout fait inattendu d'un M. R..., jeune Français de sa connaissance récemment entré dans un ordre religieux d'Italie. Comme elle ignorait qu'il fût mort, elle eut une profonde surprise, mais sa main continuant à écrire lui confirma la triste nouvelle par les détails circonstanciés suivants :
« Je suis R..., je suis mort hier à 11 heures du soir, c'était le 23 avril. Il faut croire ce que je vous dis. Je suis heureux, j'ai fini mes épreuves. J'ai été malade quelques jours et je ne pouvais écrire. J'ai eu une fluxion de poitrine causée par le froid qui est survenu tout à coup. Je suis mort sans souffrances et j'ai bien pensé à vous. J'ai fait mes recommandations pour vos lettres. C'est à X..., que je suis mort, loin de dom B***. C'est votre père qui m'a amené vers, vous, j'ignorais qu'on pût communiquer ainsi, j'en suis bien heureux. Je me suis senti près de ma fin, et j'ai appelé auprès de moi le directeur de l'Oratoire ; je lui ai remis vos lettres en le priant de vous les renvoyer, il le fera. Après, j'ai communié et demandé à voir mes collègues, je leur ai fait mes adieux. J'étais paisible, je ne souffrais pas, mais la vie se retirait de moi. Le passage de la mort a ressemblé au sommeil. Je me suis réveillé près de Dieu, auprès de parents et d'amis. C'était beau, éclatant ; j'étais heureux et délivré. J'ai pensé tout de suite à ceux qui m'aiment et j'aurais voulu leur parler, mais je ne peux communiquer qu'avec vous. Je reste avec vous et je vous vois mais je ne regarde que votre esprit. Je suis dans l'espace, je vois vos parents et je les aime aussi. Adieu, je vais prier pour vous... je ne suis plus catholique, je suis chrétien. »
Après le premier étonnement, Mme Z... ne put s'empêcher d'ajouter foi à ce message et d'y voir une preuve décisive du spiritisme, surtout lorsque les jours suivants, elle continua à recevoir des communications de M. R.. , faisant de nombreuses allusions à leurs relations passées, etc. Ces entretiens médiumniques quotidiens durèrent près d'une semaine ; mais le 30 avril, l'arrivée par la poste d'une lettre de M. R.. , qui loin d’être mort, se trouvait en parfaite santé, vint jeter le trouble qu'on peut penser dans les convictions spirites toutes fraîches de Mme Z... et la découragea de poursuivre des expériences aussi décevantes. Depuis dix-sept ans, tout en continuant à s'intéresser de loin au spiritisme et souhaitant de voir un jour cette doctrine établie sans conteste, elle s'est tenue à l'écart de toute pratique médiumnique et n'a jamais repris ses essais d'écriture.
La phase spirite de Mme Z... ne constitue en somme qu'une bouffée passagère, de quelques jours, au milieu d'une existence d'ailleurs parfaitement normale. Comme exemple de médiumnité épisodique, qui se serait vraisemblablement continuée en médiumnité permanente, si cette désillusion inattendue n'y eût coupé court ou si le contenu des messages fût resté dans la sphère invérifiable des idées morales et spéculatives, ce cas est vraiment typique et peut servir de représentant pour beaucoup d'autres. Mais son intérêt principal réside dans le fait que les prétendues communications de M. R... s'expliquent pour ainsi dire jusque dans leurs moindres détails, grâce aux renseignements que Mme Z.. , en femme intelligente et observatrice qu'elle est, à bien voulu me fournir.
C'est pendant un séjour au Midi, le printemps précédent, qu'elle avait fait la connaissance de M.R…, non encore prêtre, lequel revenant d'Italie où il avait passé l’hiver pour sa santé délicate, s'était arrêté quelques jours dans le même hôtel qu'elle. Leurs relations de table d'hôte n'avaient pas tardé à se changer en une véritable intimité, fondée sur de grandes analogies de tempérament. Bien que Mme Z.. , Genevoise, fût protestante et républicaine convaincue, tandis que lui, du nord de la France, était légitimiste et catholique ardent, ils avaient les mêmes aspirations idéales, le même souci des choses sérieuses.
Leurs divergences héréditaires ne firent que fournir des aliments et donner plus d'attrait et de piquant à leurs conversations. Mme Z... se sentit peu à peu prise de sollicitude religieuse et d'une tendresse toute maternelle à l'endroit de ce jeune homme d'une vingtaine d'années, que son éducation semblait destiner au monde, mais qu'une rare élévation d'âme et des tendances mystiques poussaient vers les Ordres, à la suite de l'influence récemment exercée sur lui par un éminent prédicateur italien, le Pére dom B***, et elle entreprit d'éclairer par la discussion une conception de la vie et des devoirs religieux, si éloignée de la sienne. Lui, de son côté, touché de cette amitié d'une femme qui aurait pu être sa mère, y répondit par une entière confiance, non sans tenter à son tour de l'amener à ses propres convictions. Lorsque au bout de quelques jours il fallut se quitter, leurs entretiens continuèrent par correspondance, mais les essais de prosélytisme réciproque qui en faisaient le fond avec les épanchements d'affection restèrent inefficaces des deux parts. Quelques mois plus tard, l'influence de dom B*** l'emporta définitivement sur celle de Mme M... , et M. R.... s'engagea dans une maison religieuse des environs de Turin, sous la direction de ce Père. Mme Z... s'en consola en songeant à l'église invisible qui réunit toutes les âmes sincèrement chrétiennes par-dessus les barrières confessionnelles et les différences dogmatiques. La démarche de M. R... ne porta pas de préjudice immédiat à l'intimité de leur commerce épistolaire, et c'était lui qui devait une lettre à son amie lors de l'accès spirite de celle-ci.
Ces détails étaient nécessaires pour faire entrevoir la place qu'avait prise M. R. dans les préoccupations sentimentales et intellectuelles de Mme Z... Il y aurait beaucoup à ajouter, d'après les fines remarques de Mme Z... elle-même, sur la vraie nature de cette amitié spirituelle ; on sait combien sont souvent complexes et variés les éléments dont est fait le lien mystique qui unit les âmes les plus pures. Mais il n'importe ici : l'essentiel est de comprendre que, bien que la sollicitude de Mme Z... pour son jeune ami n'eût plus, au moment de sa crise spirite toute l'acuité de l'année précédente, et qu'elle ne pensât nullement à lui (consciemment) lors de ses essais d'écriture automatique, elle n'en conservait pas moins de M. R.. , dans les profondeurs de sa personnalité, un souvenir latent affecté d'un puissant coefficient émotionnel et tout prêt à se réveiller à la moindre occasion.
Qu'on se représente maintenant la situation de Mme Z. à l'époque dont il s'agit. Voici plusieurs semaines qu'elle est tout entière plongée dans la méditation du spiritisme, et que les puissances de son être sont tendues vers l'obtention de preuves convaincantes venant de l'au-delà. Depuis trois jours déjà elle reçoit des messages de ses parents désincarnés ; quoi de plus naturel que cette réussite ait éveillé en elle le désir et l'attente de voir s'augmenter le nombre et la variété de ses correspondants invisibles ? D'autre part, les circonstances extérieures, un brusque refroidissement de la température, d'autant plus sensible qu'il succède à la première éclosion du printemps[95] , ont dû lui donner des appréhensions pour les personnes de sa connaissance dont la santé peut avoir à redouter ces dangereux retours d'hiver. Or, n'est-ce pas tout particulièrement le cas pour ce religieux qu'elle a connu délicat de la poitrine, et dont elle attend depuis quelque temps une lettre qui ne vient pas ? Lui serait-il peut-être arrivé malheur ?
Il est clair que l'idée de la mort possible de M. R.. , avec ses circonstances concomitantes et ses conséquences, a dû tout le moins effleurer la pensée de Mme Z.., surtout étant donné ses sentiments pour lui ; car à quelle mère inquiète de son enfant absent, à quel directeur soucieux de l'avenir éternel d'une âme qui lui est chère, la folle du logis n'a-t-elle pas présenté maintes fois le tableau tragique ou solennel du dernier moment de l'être aimé ? Et si l'on cherche l'essaim de souvenirs, de raisonnements, de craintes et de suppositions auquel une telle pensée devait donner le vol dans l'imagination de Mme Z.. , ne retombe-t-on pas inévitablement sur les soi-disant messages de M. R... ?
Il n'y a guère que la date et l'heure prétendues de son décès qui subsistent inexpliquées et en apparence arbitraire, comme le sont tant de choses dans nos rêves ou les caprices de notre pensée, faute de pouvoir démêler jusque dans ses moindres fils la trame enchevêtrée de nos associations d'idées. Mais, sauf ces insignifiants détails, tout le contenu des communications de M. R... découle avec une sorte de nécessité logique de l'idée que son amie se faisait de lui ou constitue comme une réponse naturelle aux préoccupations qui la hantaient. Ce refroidissement, dont la prompte gravité explique qu'il n'ait pas eu le temps d'écrire à Mme Z... ; ses adieux à la vie terrestre, dignes du croyant sincère qu'elle avait connu ; le soin qu'il a pris que la correspondance de son hérétique amie (un peu bien ridicule et compromettante pour elle, au double point de vue de la note sentimentale et de ses inutiles controverses contre l'influence de dom B***) lui fût retournée sans retard et sans passer sous les yeux de dom B*** ; son passage, son réveil et son état dans l'autre monde, décrits d'une façon absolument conforme au syncrétisme d'idées spiritochrétiennes qui régnait alors dans les conceptions religieuses de Mme Z... ; le souvenir de ses relations terrestres avec elle et sa façon de les juger maintenant, en plein accord avec les sentiments qu'elle lui avaient prêtés à tort ou à raison ; tout en un mot, dans cette série de messages, reflète les propres dispositions conscientes ou non de Mme Z..., et correspond exactement à ce qui ne pouvait manquer de se passer en elle. Elle seule, en d'autres termes, — et non point M. R..., même fût-il en effet mort à ce moment-là, peut être considérée comme la véritable source de ces communications.
On objecte, il est vrai, l'hypothèse des esprits mensongers, cet ingénieux expédient qui permet au spiritisme d'exploiter à son profit jusqu'aux communications formellement démenties par les faits. Dans le cas particulier, Mme Z... a longtemps pensé (et y incline encore in petto, je crois), que c'était vraiment quelque farceur de l'au-delà qui lui avait joué la plaisanterie macabre de se faire passer pour M. R... défunt. Dans un sens, et en prenant le terme d'au-delà comme marquant ce qui dépasse la claire conscience, elle a raison et fut évidemment victime d'un vilain tour dont elle ne se sent pas responsable. Rien ne s'oppose d'ailleurs à ce qu'on donne le nom d'« esprit » au principe inconnu, ou à la loi de synthèse, qui, à un moment de la durée, réunit dans l'unité logique, esthétique, psychologique d'une phrase, d'un tableau, d'un tout représentatif quelconque, une pluralité de données psychiques, idées, souvenirs, sentiments, etc. Le message de M. R..., retraçant en une petite composition, qui ne manque pas d'un certain cachet, les derniers moments de sa vie d'ici-bas, son passage à l'autre monde et ses premières impressions dans sa nouvelle existence, suppose incontestablement un « esprit » comme auteur. A plus forte raison encore la série de communications de la même origine prétendue, qui se sont succédé pendant plusieurs jours sous le crayon de Mme Z... et portent toutes l'empreinte de la même personnalité. La question est seulement de savoir si le principe de cette systématisation prolongée et croissante doit être cherché dans un esprit réellement indépendant et différent de Mme Z... elle-même, comme le prétend le spiritisme et comme elle penche à l'admettre, — ou si au contraire il ne fait qu'un avec elle, en sorte que la personnalité qui se manifeste dans ces messages se réduirait à une fonction temporaire, un acte, une projection ou création momentanée de son être individuel, au même titre que les personnages que nous voyons et qui nous parlent en rêve sont un produit de nous-mêmes[96] —.
La réponse n'est pas douteuse. Si l'on admet que l'auteur des pseudo-messages de M. R... soit un autre que Mme Z..., il faut convenir que cet esprit indépendant était merveilleusement au courant de tout ce que Mme Z... renfermait à ce moment-là dans son for intérieur, conscient ou subliminal, en fait de souvenirs, de préoccupations, de sentiments et tendances, concernant M. R... Il a su choisir, pour en composer ses messages apocryphes, précisément ce qui pouvait le mieux cadrer avec les idées qu'elle se faisait de son jeune ami, l'impression qu'elle avait conservée de lui, le contenu de la correspondance échangée entre eux, etc. Cet habile faussaire, en d'autres termes, a dégagé de Mme Z.... pour s’en affubler, la notion complexe et systématique qu'elle possédait à cette époque de M. R..., et il n'y a rien ajouté qu'elle n'y eut tout naturellement ajouté elle-même par le jeu spontané de ses facultés d'imagination et de raisonnement. Il n'a fait que reproduire, comme un miroir fidèle, l'image de M. R... telle qu'elle flottait dans sa pensée, que traduire sur le papier, en secrétaire obéissant, ce que les rêves de sa fantaisie, les désirs ou les craintes de son cœur, les scrupules de sa conscience, lui murmuraient tout bas au sujet de son ami absent. Mais en quoi donc alors, cet esprit complaisant diffère-t-il de Mme Z... elle-même ? Que signifie cette individualité indépendante qui ne serait qu'un écho, un reflet, un fragment d'une autre, et à quoi bon ce duplicatum de la réalité ? N'est-ce pas puéril et absurde d'inventer, pour expliquer une synthèse et une coordination psychologique, un autre principe réel de synthèse et de coordination, un autre individu ou esprit, en un mot, que celui-là même qui contient déjà tous les éléments à grouper, et conformément à la nature duquel le groupement s'effectue ? Sans doute, au point de vue métaphysique, le dernier fond de l'individu organique et psychique reste un mystère ; nous ne pouvons comprendre absolument ni pourquoi ni comment il opère telle synthèse ou telle analyse, se désagrège en apparence et se reconstitue, s'offre le spectacle de ses rêves pendant la nuit ou se donne la comédie des « esprits trompeurs » quand il veut jouer au médium. Mais bien que les ultimes raisons des choses nous échappent, cela n'empêche pas qu'au point de vue terre à terre de l'observation et de l'expérience, nous devons nous en tenir à ce que nous pouvons atteindre, et que tout ce qui s'explique (dans le sens empirique et phénoménal du mot) par un individu donné, M. un tel ou Mme Z..., par son passé, ses circonstances présentes, ses facultés connues, doit lui être attribué et ne saurait être mis gratuitement au compte d'un autre être, inconnu.

Observation II :
M. Michel Til, 48 ans, professeur de comptabilité dans divers établissements d'instruction. Tempérament sanguin, excellente santé. Caractère expansif et plein de bonhomie. Il y a quelques mois, sous l'influence d'amis spirites, il s'essaye à l'écriture automatique, un vendredi, et obtient des spirales, des majuscules, enfin des phrases de lettres bâtardes, très différentes de son écriture ordinaire et agrémentées d'ornements tout à fait étrangers à ses habitudes. Il continue avec succès le samedi et le dimanche matin. Ayant encore recommencé le dimanche soir, sur la sollicitation de sa famille, l'esprit écrivant par sa main donne beaucoup de réponses imprévues et fort drôles aux questions posées, mais le résultat en fut une nuit troublée par un développement inattendu de l'automatisme verbal, sous forme auditive et graphomotrice, comme en témoigne son récit :
« Les impressions si fortes pour moi de cette soirée prirent bientôt le caractère d'une obsession inquiétante. Lorsque je me couchai, je fis les plus grands efforts pour m'endormir, mais en vain ; j'entendais une voix intérieure qui me parlait, me faisant les plus belles protestations d'amitié, me flattant et me faisant entrevoir des destinées magnifiques, etc. Dans l'état de surexcitation où j'étais, je me laissai bercer de ces douces illusions... L’idée me vint qu'il suffirait de placer mon doigt sur le mur pour qu'il remplit l'office d'un crayon ; effectivement, mon doigt placé contre le mur commença à tracer dans l'ombre des phrases, des réponses, des exhortations que je lisais en suivant les contours que mon doigt exécutait contre le mur. Michel, me faisait écrire l'esprit, tes destinées sont bénies, je serai ton guide et ton soutien, etc. Toujours cette écriture bâtarde avec enroulements qui affectaient les formes les plus bizarres. Vingt .fois je voulus m'endormir, inutile... ce n'est que vers le matin que je réussis à prendre quelques instants de repos. »
Cette obsession le poursuit pendant la matinée du lundi en allant à ses diverses leçons : « Sur tout le parcours du tramway, l'esprit continuant à m'obséder me faisant écrire sur ma serviette, sur la banquette du tram, dans la poche même de mon pardessus, des phrases, des conseils, des maximes, etc. Je faisais de vrais efforts pour que les personnes qui m'entouraient ne pussent s'apercevoir du trouble dans lequel j'étais, car je ne vivais plus pour ainsi dire pour le monde réel, et j'étais complètement absorbé dans l'intimité de la Force qui s'était emparée de moi. »
Une personne spirite de sa connaissance, qu'il rencontra et mit au courant de son état, l'engagea à lutter contre l'esprit léger et mauvais dont il était le jouet. Mais il n'eut pas la sagesse de suivre ce conseil ; aussitôt terminé son repas de midi, il reprit le crayon, qui, après diverses insinuations vagues contre son fils Edouard, employé dans un bureau d'affaires, finit par catégoriser l'accusation suivante : Edouard a pris des cigarettes dans la boîte de son patron M. X..., celui-ci s'en est aperçu, et dans son ressentiment lui a adressé une lettre de remerciement, en l'avertissant qu'il serait remplacé très prochainement ; mais déjà Edouard et son ami B... l'ont arrangé de la belle façon dans une vermineuse (sic) épître orale.
On conçoit dans quelle angoisse M. Til a donné ses leçons de l'après-midi, pendant lesquelles il fut de nouveau en butte à divers automatismes graphomoteurs qui, entre autres, lui ordonnaient d'aller voir au plus vite le patron de son fils. Il y courut dès qu'il fut libre. Le chef de bureau, auquel il s’adressa tout d'abord en l'absence du patron, ne lui donna que de bons renseignements sur le jeune homme, mais l'obsession accusatrice ne se tint pas pour battue, car tandis qu'il écoutait avec attention ces témoignages favorables, « mon doigt, dit-il, appuyé sur la table se mit à tracer avec tous les enroulements habituels et qui me paraissaient en ce moment ne devoir jamais finir : je suis navré de la duplicité de cet homme. Enfin cette terrible phrase est achevée ; j'avoue que je ne savais plus que croire ; me trompait-on ? Ce chef de bureau avait un air bien franc, et quel intérêt aurait-il eu à me cacher la vérité ? Il y avait là un mystère qu'il me fallait absolument éclaircir... »
Le patron, M. X..., rentra heureusement sur ces entrefaites, et il ne fallut pas moins que sa parole décisive pour rassurer le pauvre père et amener le malin esprit à récipiscence : « M. X... me reçut très cordialement et me confirma en tous points les renseignements donnés par !e chef de bureau, il y ajouta même quelques paroles des plus aimables à l'égard de mon fils… Pendant qu'il parlait, ma main sollicitée écrivait sur le bureau, toujours avec cette même lenteur exigée par les enroulements qui accompagnaient les lettres : je t'ai trompé, Michel, pardonne-moi. Enfin ! quel soulagement ! Mais aussi, le dirai-je quelle déception ! Comment, cet esprit qui m'avait paru si bienveillant, que dans ma candeur j'avais pris pour mon guide, pour ma conscience même, me trompait pareillement ! C'était indigne ! »
M. Til résolut alors de bannir ce méchant esprit en ne s'inquiétant plus de lui. Il eut toutefois à subir plus d'un retour offensif de cet automatisme (mais ne portant plus sur des faits vérifiables) avant d'en être délivré. Il s'est mis depuis lors à écrire des communications d'un ordre plus élevé des réflexions religieuses et morales. Ce changement de contenu s'est accompagné, comme c'est souvent le cas, d'un changement dans la forme psychologique des messages : ils lui viennent actuellement en images auditives et d'articulation, et sa main ne fait qu'écrire ce qui lui est dicté par cette parole intérieure. Mais cette médiumnité lui parait moins probante, et il se méfie que tout cela ne jaillisse de son propre fond. Au contraire, le caractère absolument mécanique de ses automatismes graphomoteurs du début, dont il ne comprenait la signification qu'en suivant les mouvements de ses doigts (par la vue ou la sensibilité kinesthésique) au fur et à mesure de leur exécution involontaire, lui semblait en parfaite garantie de leur origine étrangère. Aussi reste-t-il persuadé qu’il a été la victime momentanée d'un mauvais génie indépendant de lui ; il trouve d’ailleurs à cet épisode pénible de sa vie l’excellent côté qu’il a raffermi ses convictions religieuses, en lui faisant comme toucher du doigt la réalité du monde des esprits et l’indépendance de l’âme.
Il y aurait bien des remarques à présenter sur ce cas, où l’on rencontre entre autre un bel exemple du caractère obsessif, pour ne pas parler de véritable possession que l’automatisme peut rapidement revêtir chez un sujet, sain de corps et d’esprit jusque là, qui s'adonne pendant quelques jours aux pratiques spirites. Mais je ne relèverai ici que les communications mensongères concernant le jeune Til et son prétendu vol. M. Til s'étonne fort que le démon qui prenait plaisir à le tromper le poussât en même temps, comme on a vu, à aller sans retard prendre des renseignements chez le patron de son fils. « C'est là, dit-il un phénomène qui me paraît encore bien curieux : l'esprit, après m'avoir mystifié, ne me laissa en quelque sorte pas un instant de tranquillité que je n'aie vérifié son assertion et que je n'aie constaté que j'étais victime de sa tromperie. » Cette hâte de l'esprit farceur à courir ainsi au-devant de sa propre confusion, est en effet singulière dans la théorie spirite. Toute l'aventure s'explique en revanche de la façon la plus simple, au point de vue psychologique, si on la rapproche des deux incidents suivants qui renferment à mes yeux la clef de l'affaire.
1° - A ce que M. Til m'a raconté lui-même, sans paraître d'ailleurs en comprendre l’importance, il avait remarqué, deux ou trois semaines avant son accès de spiritisme, que son fils fumait beaucoup de cigarettes, et il lui en avait fait l'observation. Le jeune garçon s'excusa en disant que ses camarades de bureau en faisaient autant, à l'exemple du patron lui-même, qui était un enragé fumeur et laissait traîner ses cigarettes partout, en sorte que rien ne serait phis facile que de s'en servir si l'on voulait. Cette explication ne laissa pas que d'inquiéter un peu M. Til, qui est la probité en personne, et qui se rappelle avoir pensé tout bas : pourvu que mon fils n'aille pas commettre cette indélicatesse !
2° - Un second point, que m'a par hasard révélé Mme Til au cours d'une conversation, et que son mari m'a confirmé ensuite, c'est que le lundi en question, en allant de bonne heure à ses leçons, M. Til rencontra un de ses amis qui lui dit : « à propos, est-ce que ton fils quitte le bureau de M. X... ? Je viens en effet d'apprendre qu'il cherche un employé. » (Il cherchait en réalité un surnuméraire). M. Til, qui n'en savait rien, en demeura perplexe et se demanda si M. X... serait mécontent de son fils et songerait à le remplacer. En rentrant à midi chez lui, il raconta la chose à sa femme, mais sans en parler à son fils. C'est une heure plus tard qu'arriva le message calomniateur.
On aperçoit maintenant je pense, la nature et la genèse du malin esprit qui accusait faussement de vol le jeune garçon, tout en poussant son père à courir aux informations, et le lecteur aura déjà reconstitué ce qui a dû se passer chez M. Til. La question de soin ami, le lundi matin, lui a rappelé subconsciemment l’incident des cigarettes, grâce au genre d’inquiétude que cet incident avait laissé en lui, et se rapprochement a mis en branle l’imagination paternelle natuellement soucieuse de la réputation de son fils « Edouard, qui est incapable d’une malhonnêteté grave, se serait laissé tenter par les cigarettes du patron, comme je l’avais craint ; on l’aura surpris et menacé d’un prochain renvoi ; qui sait si le malheureux, qui est vil, n’aura pas achevé de se perdre en répliquant des sottises ? Il faut absolument que j’aille voir son patron au plus vite, etc. » Telle est, ou à peu près la série de suppositions et d’inférences plus ou moins inconscientes qui ont évidemment servi de base aux obsessions graphomotrices de M. Til.
Il n'est aucun père, en somme, qui, dans ces circonstances, n'eût passé par des appréhensions semblables et raisonné de même. Seulement, ce qui dans un état d'esprit normal, se fût présenté sous la forme de souvenirs, pensées, émotions, etc., évoluant en pleine lumière ou vaguement sentis dans la pénombre de la conscience, mais sans jamais cesser de faire partie intégrante du Moi, a pris un caractère automatique et l'apparence d'une possession étrangère chez M. Till, sous l'influence de ses préoccupations spirites et dans la perturbation mentale due à la fatigue de sa nuit agitée et de ses essais d'écriture médiumnique des jours précédents. On constate que ce qui s'est séparé de sa personnalité principale, dans ce déséquilibrement de tout son être psychique, pour former un système antagoniste indépendant se manifestant par le mécanisme graphomoteur, c'est tout ce qui se rattache à l'émotion d'inquiétude sous-jacente, dormant en lui près de trois semaines et subitement réveillée par la question troublante de son ami. C'est le propre de l'inquiétude de se représenter une possibilité fâcheuse comme réelle en même temps que comme encore incertaine et demandant confirmation, et ce caractère contradictoire est justement celui de l'esprit qui obsédait M. Til.
Au total, la série de ces messages ne fait qu'exprimer — avec la mise en scène et l'exagération dramatique que prennent les choses dans les cas où l'imagination peut se donner libre carrière (rêves, idées fixes, délires, états hypnoides de tout gêne) — la succession parfaitement naturelle et normale des sentiments et tendances qui devaient agiter M. Til en cette occasion. Les vagues insinuations, puis l'accusation catégorique de vol, et l'ordre d'aller voir le patron, correspondent aux soupçons d'abord indécis, puis prenant corps sur un souvenir concret, et aboutissant à la nécessité de tirer la chose au clair. L'entêtement avec lequel l'automatisme graphique répondait, par une accusation de duplicité, aux bons témoignages du chef de bureau, trahit clairement cette arrière-pensée de défiance et d'incrédulité qui nous empêche de nous abandonner sans réserve aux nouvelles les plus rassurantes, tant qu'elles ne sont point encore absolument confirmées. Enfin, quand le patron en personne a calmé M. Til, le regret subconscient d'avoir cédé à ses inquiétudes sans fondement sérieux, trouve son expression dans les excuses de l'esprit farceur ; le : je t'ai trompé, pardonne-moi, de ce dernier est bien l'équivalent, dans le dédoublement médiumnique, de ce que nous penserions tous en pareille circonstance : « je me suis trompé et je ne me pardonne pas d’avoir été aussi soupçonneux. »
Il ne saurait donc être question, comme on voit, d’admettre ici un autre esprit trompeur que M. Til lui-même, auteur et jouet tout ensemble d'un désordre fonctionnel de ses propres facultés, dû à la disposition psychique anormale où l’avaient jeté ses tentatives médiumniques. Si l’on veut donner un nom à cette disposition psychique anormale, le plus approprié est assurément celui d’autosuggestibilité, pris bien entendu non comme une explication, mais, seulement comme une désignation commode pour un état spécial où certaines idées de l’individu, au lieu de garder leur juste mesure et leurs rapports normaux avec le reste de sa conscience, s'émancipent de son autorité, prolifèrent dans l’ombre et se systématisent pour leur compte, puis finissent par lui apparaître comme des parasites étrangers dans une explosion de phénomènes automatiques. En somme, ce que l'automatisme traduit au dehors, dans le cas de M. Til et dans celui de Mme Z..., c'est une sorte de petit roman, élaboré subliminalement, au moyen des données de la mémoire et de la perception, sous l'impulsion d'un état émotif plus ou moins intense, et avec l'aide de cette curieuse faculté de dramatisation et de personnification que, sans sortir de la vie quotidienne ordinaire, chacun peut voir à l'oeuvre dans le phénomène du rêve…
"

Nous retrouvons dans ces écrits automatiques le caractère mensonger signalé déjà dans les précédents. Mais au lieu d'attribuer ces inexactitudes à des esprits trompeurs, nous en découvrons la source dans l'écrivain lui-même, lorsque nous reconstituons son état mental au moment où il s'est livré à l'automatisme.
C'est donc un devoir pour l'investigateur sérieux de ne pas s'attacher exclusivement au caractère automatique pour se croire en rapport avec l'au-delà. Il devra chercher un critérium plus sûr de sa médiumnité, et il le trouvera en poursuivant ses recherches, si le phénomène le met en présence de certains faits tels que ceux que nous verrons plus loin, qui ne laissent pas de doute sur une intervention spirituelle.

Résumé

Les phénomènes que nous venons de passer en revue nous conduisent à l'affirmation de l'automatisme graphique naturel, résultat de la distraction, de l'auto suggestion et du somnambulisme partiel de l'état de la veille. Les matériaux intellectuels utilisés par cette écriture sont trés inégaux en valeur. Parfois rudimentaires, incohérents, mensongers, ils sont des fragments d'une vie psychologique élémentaire, à peine consciente d'elle-même. Dans d'autres conditions, les éléments psychiques sont systématisés dans une personnalité qui se donne un nom. Sous cette forme sont extériorisés des pensées, des raisonnements, des inventions de l'imagination. Des résultats précis de l'activité de l'âme pendant le sommeil : travaux de longue haleine ou solution de problèmes, sont aussi mis à jour par ce procédé d'écriture automatique. Enfin la mémoire latente fournit les éléments de ces faits qui apparaissent comme des révélations de l'au-delà, mais qu'une étude approfondie nous montre comme nous appartenant, dissimulés, enfouis dans les profondeurs de la conscience. Résumons : l'automatisme de l'écriture, l'oubli immédiat des idées énoncées qui donne à l'écrivain l'illusion d'être sous l'influence d'une volonté étrangère, la personnification des idées, les notions qui gisent dans la mémoire latente, les impressions sensorielles inconscientes, tous ces faits se comprennent et s'expliquent par des raisons tirées de l'étude plus complète de l'intelligence humaine et ne supposent aucunement la nécessité de l'intervention des esprits.
La conclusion pratique à tirer de ces observations, c'est que nous devons récuser comme communications de l'au-delà les écrits qui ne renferment que des renseignements qui pourraient se trouver dans la conscience de l'écrivain, alors même qu'il ignore actuellement ce que sa main écrit, et qu'il ne se souvient pas d'avoir connu les détails qui sont donnés. Ce critérium pourra sembler trop absolu à beaucoup de spirites, mais ceux-ci ne doivent pas oublier que la méthode scientifique a des règles immuables et que chacun doit s'y soumettre. Il existe des principes méthodologiques qu'on ne peut impunément transgresser sans tomber dans l'erreur. Or, la logique enseigne qu'il ne faut pas multiplier les causes sans nécessité, c'est-à-dire chercher une seconde hypothèse lorsque celle que l'on a vérifiée suffit à l'explication de tous les cas. C'est ce qui arrive pour les messages qui ne contiennent que des faits contenus dans la conscience de l'automatiste. Les enseignements d'Allan Kardec, de Davis, de Hudson Tuttle et autres, nous invitent à suivre cette ligne de conduite ; elle sera adoptée, sans aucun doute, par tous les chercheurs qui veulent avant tout ne pas se leurrer et prendre l'apparence pour la réalité. Nous y gagnons de pouvoir jeter par dessus bord tout le fatras des communications ridicules signées des plus grands noms, et les emphatiques et creuses révélations qui ont été élaborées dans la conscience somnambulique des écrivains. Cette épuration indispensable nous affranchit aussi, en partie, de l’explication des esprits farceurs, dont on avait positivement abusé.
La plupart des écrivains qui ont traité incidemment de écriture automatique ont borné leur étude aux phénomènes que nous venons de passer en revue. Ils n’ont pas osé aller plus loin, parce que devant certains résultats, il aurait fallu faire intervenir, pour l'explication, des facultés nouvelles de l’esprit telle que : la clairvoyance, la transmission de pensée, la télépathie, etc., qui n'ont pas reçu encore l’estampille officielle ; alors ils ont trouvé plus simple, et surtout plus aisé, de passer sous silence les cas embarrassants, de sorte qu’ils n’ont fait qu’effleurer la question sans entrer dans l’examen des véritables difficultés qui accompagnent l’étude du spiritisme.
Nous qui n'avons pas les mêmes préventions et qui ne sommes ligottés par aucun des préjuges d'école nous allons entreprendre ce travail, sachant parfaitement qu'il peut nous attirer les critiques des spirites intransigeants et bornés, et celles des savants ignorants et prétentieux, qui s'imaginent naïvement que l'on n'osera pas aller au-delà des bornes, qu'ils ont fixées, comme si c'étaient les limites exactes du savoir humain. La tâche est ardue, car le terrain est tout à fait neuf ; mais nous avons bon courage ; si nous nous trompons, ce ne sera peut-être pas complètement et il faut espérer qu'il restera quelque chose de notre effort, ne fût-ce que l'exemple d'avoir entrepris une oeuvre tout à fait indépendante.

[1] Allan Kardec. Le Livre des Médiums. Page 267.

[2] Revue Spirite 1865. Page 154.

[3] The present and Inner Life (Le siècle présent et la vie future).

[4] Aksakof. Animisme et Spiritisme. Page 273 et suiv.

[5] Metzger. Essai de Spiritisme scientifique. Page 203 et suiv.

[6] Binet. Annales des Sciences psychiques. Année 1900. Page 183.

[7] Voir chapitre II. Page 38.

[8] Psychological Review. Normal motor Automatism. Septembre 1890. Pages 492 – 512.

[9] F.W. Myers. Proceeding-Automatic Writing. 28 novembre 1884.

[10] Maury. Le sommeil et les rêves. Page 115. Voir aussi : P. Janet. Névroses et idées fixes. Page 394.

[11]Ch. Richet. L’Homme et l’Intelligence. Analogies de l’état normal et de l’état pathologique. Page 542.

[12] Maury. Le sommeil et les rêves. Page 118 et suiv.

[13]Maury. Ouvrage cité. Pages 70 et 121.

[14]F.W.H. Myers. Proceedings S.P.E. Automatic Writing. Décembre 1884.

[15] Voir page 90 et suiv.

[16]Société de biologie 1883, pages 537 – 635. 1864, page 60.

[17] Proceedings. S.P.R. Automatic writing 1887. Voir également Annales psychiques 1897. Page 276 et suiv.

[18]Bernheim. La suggestion et ses applications à la thérapeutique. Introduction. Page XIV.

[19] Beaunis. Le Somnambulisme provoqué. Page 158 et suiv.

[20]De la cause du sommeil lucide ou étude de la nature humaine. Voir aussi l’ouvrage du général Noizet : Mémoire sur le Somnambulisme et le Magnétisme animal. 1856.

[21]Durand (de Gros). Le merveilleux scientifique. 1894. Page 118 et suiv.

[22] Bernheim. De la suggestion dans l’état hypnotique. Page 52.

[23] Liégeois. De la suggestion hypnotique. Paris. 1884.

[24] Liebault. Le sommeil et états analogues. Page 33.

[25] Ch. Richet. Sur la personnalité et la mémoire, dans le somnambulisme. Revue philosophique. 303. 1884

[26] Revue de l’Hypnotisme. Avril 1892.

[27] P. Janet. Névroses et idées fixes. Page 481.

[28] Myers. La conscience subliminale in Annales Psych. Mars-Avril 1898. Page 104.

[29] Beaunis. Le somnambulisme provoqué. Page 24. Voir aussi Pitres. Leçons sur l’Hystérie, etc. V. 11. Page 479

[30] Revue de l’Hypnotisme. Décembre 1887. Page 183.

[31] Revue de l’Hypnotisme. Avril 1889. Page 298.

[32] Revue de l’Hypnotisme. Juin 1890. Page 361.

[33] Voir Page 75.

[34] Voir les ouvrages de Bernheim. La suggestion mentale. P. Janet. Névroses et idées fixes. Ch. Féré. La médecine d’imagination.

[35] Ch. Richet. L’Homme et l’Intelligence. Page 184. Beaunis. Le somnambulisme provoqué. Page 224 et suiv.

[36] Voir Taine. De l’Intelligence. Livre II. Galton. Inquiries into human faculties. Page 83.

[37] A. Binet. La Psychologie du Raisonnement. Page 17.

[38] Binet et Féré. Le Magnétisme animal. Page 135.

[39] Brière de Boismont. Les hallucinations.

[40] Revue scientifique. 23 octobre 1899.

[41] Annales des Sciences psychiques. Mars-Avril 1898. Page 108.

[42] Bernheim. Revue de l’Hypnotisme. 1900. Page 367.

[43] Schérer. Diderot. 1880. Cité par Lombroso dans : l’Homme de Génie. Page 26.

[44] V. Burger. Les peintres anglais.

[45] Félix Rabe. Vie de Shelley.

[46] Th. Gautier. Honoré de Balzac Artiste Moniteur universel du 23 mars 1858.

[47] Pétrus et Régis. Mémoires sur les obsessions pour le Congrès de Moscou. 1897.

[48] Dr Chabaneix. Le subconscient. Page 91.

[49] Lombroso. L’Homme de génie.

[50] Nous rappelons que pour qu’une idée soit perçue, deux conditions sont indispensables : 1° un minimum d’intensité ; 2° un minimum de durée. Or pendant la rêverie, ces images mentales n’ont pas l’intensité des sensations externes, puisque ce ne sont que des phénomènes de mémoire, elles sortent donc très rapidement du champ de la conscience.

[51] Dr Chabaneix. Le subconscient chez les savants, les artistes et les écrivains. Page 23 et suiv.

[52] De Fleury. Médecine de l’esprit.

[53] Edmond Chalmet. Etudes sur la vie inconsciente de l’esprit.

[54] Arago. Notices biographiques. Page 5.

[55] Cité par Max Simon. Le monde des rêves.

[56] Dr Chabaneix. Ouvrage cité. Page 25.

[57] Myers. Annales des Sciences psychiques. Septembre-Octobre 1899. La conscience sublimale. Page 290 et suiv.

[58] Voir notre ouvrage : Le Spiritisme devant la Science. Page 87 et suiv. où sont relatés plusieurs cas de travaux accomplis pendant le somnambulisme.

[59] Carpenter. Mental physiology. Voir tout le chapitre XIII.

[60] Russel Wallace. Les miracles et le moderne spiritualisme. Page 314.

[61] Gabriel Delanne. L’Evolution animique. Page 173 et suiv.

[62] Page 112 et suiv.

[63] Maury. Le sommeil et les rêves. Page 124.

[64] Voir dans Les Annales Psychiques, année 1899, les exemples cités par M. Myers dans son travail sur La conscience subliminale, auquel nous en empruntons quelques-uns.

[65] Ch. Richet. L’homme et l’intelligence. Page 194.

[66] P. Janet. L’automatisme psychologique. Page 267.

[67] Ribot. Les maladies de la mémoire. Page 15 et suiv.

[68] P. Janet. L’automatisme psychologique. Page 119.

[69] Pitres. Leçons sur l’Hystérie et l’Hypnotisme. Page 200 et suiv.

[70] Pitres. Ouvrage cité. Page 290.

[71]Voir également dans notre Evolution Animique, le cas de Jeanne R. étudié par MM. Bourru et Burot. Page 256.

[72] Th. Ribot. Les maladies de la mémoire. Page 143.

[73] F.W.H. Myers. Proceedings S.P.R. Automatic writing. 1887.

[74] Ribot. Les maladies de la mémoire. Page 143.

[75]Dr Scripture. Uber der association Vorland der Vorstellungen. Page 90 et suiv.

[76] Maury. Le sommeil et les rêves. Pages 123 et 124.

[77]Bernheim. De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique. Page 209.

[78] Page 8.

[79]Comptes-Rendus. Août 1900.

[80]Ch. Richet. L’Homme et l’Intelligence. Page 233. Voir aussi : Revue Philosophique. 1882. Paulham. Variations de la personnalité à l’état normal. Page 639.

[81] « Les apartés de ces dialogues sont aussi très intéressants. Ils sont dits à voix très basse, mais distincte, en remuant à peine les lèvres. »

[82] Bernheim. De la suggestion mentale. Page 94.

[83] Bourru et Burot. De la suggestion mentale et des variations de la personnalité. Page 189.

[84] De Rochas. Les Etats superficiels de l’hypnose. Page 95 et suiv.

[85] Bourru et Burot. Ouvrage cité. Page 212.

[86] Bonnemère. Revue Spirite. 1878. Etude sur Antoinette Bourignon.

[87] Matter. Le mysticisme au temps de Fénelon.

[88] Maury. Ouvrage cité. Page 431. Note D.

[89] De Rochas. Les états superficiels de l’hypnose. Page 70.

[90] De Bonniot. Opposition entre l’hystérie et la sainteté. Page 26.

[91] Master. Les mystiques. Pages 47 et 48.

[92] La Vie de Jésus, dictée par lui-même. Préface page IX et suiv.

[93] Voir Liebault. Du sommeil et des états analogues. Page 140.

[94] Il ne m’en revient même point à la mémoire, bien qu’il doive sans doute s’en trouver dans les trésors de documents que renferment les Proceedings de la Society for Psychical Research de Londres. Les deux cas cités par M. Myers Proc. S.P.R., t. IX, (pages 66 – 67) et un troisième plus récent, à propos duquel Miss Johnson rappelle ces deux premiers (id. t. XII, page 125), rentrent en partie dans la catégorie que j’entends, en ce qu’ils montrent bien la tendance fréquente des messages médiumniques à se donner comme venant de personnes décédées, alors même qu’elles ne le sont pas ; mais, dans ces trois cas, le médium n’était pas seul en jeu, il y a eu coopération d’un second médium ou même d’influences télépathiques et supra-normales quelconques.

[95] J’ai vérifié, grâce à l’obligeance de M. Gautier, directeur de l’Observatoire de Genève, qu’en 1881, la température vraiment printanière du milieu d’avril (jusqu’à 20° le 18), s’abaissa rapidement à la suite d’une forte bise le 20 au soir. Les deux jours suivants, il neigea sur toutes les montagnes des environs de Genève et jusque dans la plaine. Le 23 et le 24, jour de la communication citée plus haut, le thermomètre tomba jusqu’à 0,9 seulement au-dessous de zéro. A Turin, au contraire, les variations de la température furent insignifiantes toute cette semaine-là. Cette preuve météorologique, à défaut d’autres, eût suffit à fixer le rôle de l’imagination de Mme Z…, dans la prétendue fluxion de poitrine de M. R…

[96]Nous ferons observer ici que l’automatisme ne doit pas être confondu avec la médiumnité proprement dite, et que c’est justement pour mettre le public en garde contre cette cause d’erreur que notre livre est écrit. Mais ceci dit, il faut ajouter que M. Flournoy, comme tous les adversaires du Spiritisme, ne voit, volontairement ou non, qu’un côté de la question et néglige sciemment les documents excessivement nombreux que l’on trouvera dans la troisième partie, et qui, eux, établissent la réalité absolue des communications des Esprits.

 

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