Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


CHAPITRE VI
CONCLUSION

 

Sommaire : L'écriture automatique. Les recherches en Angleterre. Cas complexes. L'écriture intuitive, auditive, et les dessins automatiques. La certitude de la Médiumnité est absolue.

L'écriture automatique

Bien que nous ayons été obligés, par l'exiguïté de notre cadre, de négliger quelques variétés de phénoménes de l'écriture inconsciente, il n'en reste pas moins acquis que ces curieuses manifestations, si peu connues du grand public, se présentent à nous avec des caractères bien diversifiés au point de vue de leur contenu intellectuel.
Les quelques savants qui ont étudié les faits n'ont pas été au fond de la question. Ils se sont bornés à des analogies superficielles en n'envisageant que le côté psycho-physiologique de l'écriture, et ils ont basé leurs conclusions sur des observations incomplètes, puisqu'elles n'ont porté que sur des sujets hystériques qu'ils suggestionnaient. S'ils s'étaient donné la peine d'examiner les cas spontanés, ceux qui se produisent dans les familles ou dans les réunions où l'on s'occupe de spiritisme, il n'est pas douteux que nous serions aujourd'hui plus avancés dans ces études, qu'ils auraient conduites avec toute la précision que la science contemporaine apporte maintenant dans ses travaux.
Si incomplètes que soient encore les recherches publiées jusqu'à ce jour, elles nous auront du moins permis de comprendre, en partie, comment se produit l'écriture automatique, et les travaux de Charcot, du Dr Ballet, de MM. Einet et P. Janet nous font connaître par quel mécanisme mental l'automatisme peut se produire. Nous savons aujourd'hui que c'est pendant un état analogue au somnambulisme que cette écriture a lieu ; nous avons constaté que le sommeil proprement dit n'est pas nécessaire pour amener la modification psychologique que l'on nomme état de charme, de crédulité, d'hemi-somnambulisme, etc. Nous n'ignorons plus que lorsque cet état se présente, il est caractérisé, comme le somnambulisme, par la perte de la mémoire des actes accomplis, pendant cette période. Mais cet oubli ne porte que sur une catégorie de faits, sur ceux qui utilisent le mécanisme psychomoteur de l'écriture. L'écrivain n'est pas scindé en deux personnalités qui coexisteraient pendant le même moment ; nous avons discuté cette hypothèse et fait comprendre qu'elle est inutile pour rendre compte de toutes les observations, qui s'expliquent mieux en ne voyant dans les modifications psychologiques observées que des changements allotropiques, pour ainsi dire, de la personnalité. Une hystérique qui, sous l'empire d'une suggestion à réalisation post-hypnotique, écrit une communication, ne fait qu'exécuter un ordre reçu ; elle n'a aucune spontanéité. Si, plus tard, elle écrit dans l'état second amené accidentellement par la maladie, c'est une crise sporadique de somnambulisme, mais cela n'a rien commun, en dehors de l'acte mécanique de l'écriture, avec l'automatisme que l'on observe chez les individus qui se croient médiums.
MM. Binet et P. Janet qui se flattent d'avoir donné l’explication de la médiumnité, sont donc dans l'erreur la plus absolue, s'ils se figurent que leurs contrefaçons ressemblent en quoi que ce soit au véritable phénomène spirite. Les nombreuses recherches faites depuis vingt-cinq ans au moyen de l'hypnotisme ainsi que les travaux de l'école de Nancy, nous ont éclairés sur l'importance de l'autosuggestion. Nous avons compris alors ce qui paraissait inexplicable, c'est-à-dire la production chez des êtres nerveux, sous l'empire de l'émotion ou de préoccupations mystiques, de cet hémi-somnambulisme pendant lequel l'automatisme graphique peut se développer. C’est justement ce caractère d'inconscience qui a le plus frappé les expérimentateurs spirites et leur a implanté la conviction qu'ils se trouvaient bien sous l'influence d'une volonté et d'une intelligence étrangères, puisqu'ils ignorent absolument ce que leur main traçait sur le papier.
Nous avons signalé cette différence entre les hystériques et les automatistes que les premiers ignorent même qu'ils ont écrit, tandis que les seconds le savent fort bien, tout en ne connaissant pas le contenu des messages.

Les Recherches en Angleterre

La question en était là, lorsque les psychologues anglais l'ont examinée. Moins entichés de matérialisme que les expérimentateurs français, ils étaient disposés à faire la part la plus large au facteur, animique, tout en n'admettant pas encore l'action des esprits. « La Société de Recherches psychiques » était familiarisée déjà avec toute une série de phénomènes que les plus hardis parmi nos hommes de science ne regardent encore qu'avec méfiance. F. W. H. Myers, le regretté secrétaire de l'association anglaise, a fait faire un pas en avant à la vérité. Très documenté par les rapports incessants qui lui parvenaient de toutes parts, il a montré l'importance considérable qu'il faut attribuer aux souvenirs qui dorment en chacun de nous, à cette mémoire latente qui se révèle pendant le sommeil ou qui se manifeste par l'automatisme de l'écriture, si bien approprié à la réapparition de ces états subconscients que le somnambulisme ressuscite, et qui sont les bases de la mémoire active, de celle que nous utilisons sans cesse.
Il a fait ressortir également toutes les ressources que la clairvoyance peut offrir pendant le sommeil comme origine de renseignements ignorés que l'écriture révèle, et qui paraissent des preuves qu'une intelligence étrangère s'est manifestée. C'est avec la même sagacité qu'il nous met en garde contre les erreurs qui seraient commises si l'on ne tenait pas compte de la suggestion mentale et de la télépathie. Nous avons essayé de discerner les caractères auxquels chacune de ces causes se reconnaît et, d'une manière générale, si nous n'avons pas trouvé de critérium absolu pour différencier l'action de l'esprit humain de celle des désincarnés, nous avons planté quelques jalons qui permettront peut-être d'aller plus loin.
C'est justement en provoquant expérimentalement des communications entre vivants que nous trouverons les lois qui régissent nos relations avec les morts. Déjà nous avons indiqué les conditions qui favorisent la suggestion mentale ; il nous reste maintenant à les préciser davantage. Il est nécessaire que nous sachions mieux quel est l'état physiologique du percipient au moment où il écrit sous l'action de l'influx mental qui lui arrive de l'agent.
Très probablement, toutes ces modifications bizarres de l'écriture en cercle, en zig-zag, en miroir, etc., que nous avons énumérées, tiennent à des dispositions organiques qu'il serait intéressant de pénétrer, car rien n'importe davantage que la connaissance des anomalies. C'est en cherchant à résoudre ces difficultés qu'on avive le plus souvent à des trouvailles imprévues. Si nous pouvions découvrir la nature de cette force qui sert de véhicule à la pensée, nous aurions encore simplifié davantage le problème, puisque nous serions capables de multiplier les expériences en utilisant à volonté cet agent de transmission. Nous arriverions ainsi à travailler méthodiquement et à substituer la science à l'empirisme, qui est jusqu'alors notre seule ressource.
Il semble bien que le moment est venu où l'on va s'occuper sérieusement de ces problèmes, puisque de toutes parts se fondent des Instituts qui ont pris pour objet l'étude des phénomènes psychiques, en comprenant sous cette étiquette, à dessein assez vague, les phénomènes de la médiumnité. Il serait hautement désirable que ceux qui vont collaborer à cette entreprise eussent l'esprit largement ouvert, car s'ils continuent les errements de leurs prédécesseurs, il y a de grandes chances pour qu'ils n'aboutissent à rien.
Sans doute, la science doit exiger toutes les garanties d'un contrôle absolument rigoureux, mais il ne faut pas non plus que par ignorance des conditions requises, ses représentants apportent des entraves insurmontables à la production des phénomènes. Que dirait-on d'un investigateur peu familiarisé avec la photographie qui s'aviserait de faire brusquement la lumière dans la chambre noire, au moment du développement d'une plaque ? Le manque de connaissances spéciales peut retarder beaucoup l'obtention de résultats positifs. Il ne suffit pas d'opérer avec des sujets d'hôpitaux pour se faire une opinion, il faut également examiner les sujets sains et tenir compte de toutes les expériences quand elles sont bien faites. Il est certain, par exemple, que si M. Ochorowicz, qui est certainement un esprit avisé, avait suffisamment étudié, il n'aurait pas écrit les lignes suivantes.

"Le médianimisme inférieur n'est qu'une façon particulière de tromper les autres et soi-même. Dans l'écriture automatique, par exemple, c'est indubitablement avec soi-même que l'on se dispute ; une couche de notre conscience pose des questions et une autre lui répond ; une couche de notre entendement demande un mouvement et une autre l'exécute ; l'une est gaie, l'autre mélancolique ; l'une croit à tout et l'autre se moque de tout : l'une triche et simule, l'autre, reste sincère.
Ce mélange apparaît même dans les manifestations les plus élevées de l'hypnotisme et du médianismisme; mais cela n'empêche pas qu'à côté de la suggestion triennale apparente, il y a la suggestion mentale vraie, et à côté de l'écriture automatique, son plus haut développement, l'écriture directe. Savoir décomposer les éléments, tel est le problème de l'observateur[1] ."


Oui, sans doute, mais il ne faut pas ignorer ou rejeter les expériences qui ne cadrent plus avec les théories qu'on a adoptées. S'en tenir exclusivement aux couches de la conscience qui se répondent, c'est reprendre l'hypothèse de Taine que les travaux contemporains n'ont pas fortifiée. Qu'il y ait de l'automatisme pur et simple, c'est ce que nous accordons volontiers mais encore ne faut-il pas généraliser, surtout quand on se trouve en présence de faits notoirement en contradiction avec cette théorie, tels que l'annonce par le médium de faits inconnus, parfaitement exacts, que la clairvoyance, la suggestion mentale ou la télépathie ne peuvent expliquer, pas plus que les autographes reproduisant l'écriture et le style d'un disparu que l'écrivain n'a jamais connu, etc. Il semble résulter de la citation précédente que M. Ochorowicz croit à la réalité de l'écriture directe, mais aussi qu'il l'attribue à l'extériorisation du sujet. Cette manière de voir n'a rien d'illogique et doit parfois se produire, mais, ici encore, « sachons décomposer les éléments » et lorsque nous nous trouverons en présence d'écritures lapidaires grecques ou latines obtenues par une jeune fille, nous sommes bien obligés de conclure que ce n'est pas sa personnalité seconde, sa conscience subliminale, son double, tout ce qu'on voudra imaginer, qui tire de son fonds ce qui ne s'y trouve pas, à savoir : le latin et le grec.
L'automatisme a été la source d'un grand nombre de divagations que beaucoup de spirites ont attribuées aux esprits. Il en est résulté un certain discrédit jeté sur les communications et un trouble parmi les chercheurs sincères qui n'arrivaient pas à s'expliquer ces absurdités[2] . Il a fallu que les preuves positives fussent excessivement nombreuses pour contrebalancer ces résultats fâcheux que l'on attribuait, faute de mieux, aux esprits trompeurs. Il est certain que ce facteur intervient aussi, mais bien moins fréquemment qu'on ne l'a cru. L'automatisme étant produit par une diminution de l'attention résultant de l'hemi-somnambulisme, l'écrivain se trouve dans une position analogue à celle du rêve. N'ayant plus le contrôle et la direction de ses pensées, il s'abandonne à des rêveries qui seront religieuses chez les mystiques, politiques, littéraires ou philosophiques chez ceux dont ces matières forment l'aliment intellectuel prédominant. Parfois, toujours comme dans le rêve, un véritable roman peut se former avec les éléments contenus dans la subconscience de l'écrivain, ainsi que l’a si bien montré M. flournoy. Cette genèse n'est pas toujours aussi achevée et elle se traduit alors par des non-sens, comme ceux de l'évocation de Clélia.
Il nous paraît que le critérium que nous avons donné : la révélation d'un fait inconnu de l'écrivain et des assistants, est déjà un moyen de prouver que si ce n'est pas un Esprit qui se manifeste, il existe du moins chez l'écrivain une faculté transcendantale de connaissance. Alors on examinera successivement toutes les causes qui peuvent intervenir, et si aucune ne peut rendre compte du fait considéré, il faudra en conclure qu'il est bien dû aux Esprits.
L'étude des manifestations spirites, ainsi comprise, devient assez difficile, car souvent l'automatisme se mélange à médiumnité, même avec les meilleurs sujets ; il faut toujours se tenir sur ses gardes, et les travaux de R. Hodgson nous montrent quelle vigilance il faut déployer pour ne pas se tromper ou être trompé. Nous avons fréquemment nous-mêmes observé cette confusion que la lettre suivante, d'un de nos amis, met bien en lumière[3] .

Cas complexes

Pontivy, le 21 juin 1900
Cher Monsieur Delanne,
Permettez-moi d'ajouter aux nombreux faits de médiumnité, cité dans votre excellent journal, un fait qui nous est personnel, et que nous pouvons attester, mon mari et moi.
En 1868, car nous sommes de vieux spirites, nous habitions l'Algérie, et, à cette époque, j'écrivais quelquefois d'une façon tout à fait mécanique. Un jour, mon mari évoqua l'un de ses amis nommé Teegetmayer, qui s'était noyé douze ans auparavant. L'esprit répondit à son appel et, après une assez longue conversation, donna des nouvelles d'amis communs encore incarnés et perdus de vue depuis huit ou dix ans.
Entre autres choses, il me fit écrire mécaniquement l'adresse de l'un deux, Monsieur B., qui, d'après mon mari, devait alors habiter Berlin.
A son grand étonnement, l'esprit ne donna pas l'adresse à Berlin, mais à « Charlottenbourg, Bismarck strasse n° 16 ». Continuant la conversation, l'esprit parla également d'un autre de leurs amis, M. D., et annonça qu'il était mort, recommanda de l'évoquer et surtout de l'appeler quand on ferait de la musique, car il était fort bon musicien. En effet, à partir de ce jour, chaque fois que mon mari se mettait au piano, il appelait son ami D., et il lui semblait qu'il jouait avec plus de facilité.
Quelques jours après la réception de cette communication, mon mari écrivait à l'adresse indiquée, et à notre grand étonnement, car nous n'étions pas très convaincus, il faut le dire, de l'exactitude de l'adresse donnée par l'esprit, il reçut une longue lettre de son ami B., et la lettre se terminait par cette interrogation : — « Comment as-tu reçu mon adresse ? »
En 1872, mon mari, au cours d'un voyage d'affaires qu'il faisait en Allemagne, alla voir à Charlottenbourg son ami B., et celui-ci lui renouvela la question : « comment as-tu reçu mon adresse ? »
M. Krell lui expliqua alors que c'était par l'intermédiaire de l'esprit de Teegetmayer, et il ajouta qu'il avait su également par lui la mort de leur ami D — « Comment D., s'écria M. B., mais il n'est pas mort, il habite Berlin et voici son adresse ! » — Mon mari qui croyait avoir éveillé en son ami le désir de connaître le spiritisme, fut tout déconcerté, et cependant il fallait bien convenir que l'adresse donnée à M. B. était exacte. Donc la première partie de la communication était vraie, et la seconde fausse. Pourquoi ? ...
Nous cherchâmes longtemps l'explication de cette mystification que rien ne justifiait, et un jour, en séance, on nous dit que l'esprit de Teegetmayer avait bien donné la première partie de la communication, mais que dans la seconde, un autre camarade, mort également, et nommé H., s'était substitué à lui, et avait, par la suite, pris le nom de D., craignant que mon mari, qui avait pour lui, de son vivant, presque de la répulsion, ne le reçut pas très bien. Or, il faut dire que ce M. H. avait au contraire une grande sympathie pour mon mari, et ensuite qu'iI était aussi très bon musicien, violoncelliste, excellent et artiste dans l’âme. Il s'était donc en quelque sorte couvert du nom de D., pour que mon mari le reçut avec affectation et l'appelât souvent près de lui par la pensée.
Ce fait, par lui-même, n'a sans doute aucune importance, mais il prouve néanmoins que la communication fût donnée par des esprits et qu'elle n'est ni de l'auto-suggestion, ni l'extériorisation de la pensée du médium ou de ceux qui étaient présents.
Au moment où nous recevions cette communication, ni mon mari, ni moi surtout qui tenais le crayon, ne pensions à ces Messieurs.
Nous appelions seulement Teegetmayer, lequel, soit dit en passant, dicta mécaniquement son nom, assez bizarre pour moi qui ne connais pas la langue allemande.
Voilà, cher Monsieur Delanne, le petit fait dont mon mari vous a parlé lors de son passage à Paris. Faites de cette lettre l'usage qui vous conviendra pour le bien de notre doctrine, et donnez-lui la publicité de votre journal, si vous le jugez nécessaire.
Veuillez agréer, etc.
M. KRELL, Pontivy, (Morbihan)


Remarquons que la première adresse n'a pu être attribuée à la clairvoyance du médium, car l'expérience était tentée pour la première fois, ce qui exclut la possibilité d'avoir, par dégagement pendant la nuit, acquis cette connaissance. L'hypothèse de l'intervention du nommé H. est possible, comme aussi celle de la subconscience du médium, bien que cette dernière supposition soit ici la moins vraisemblable.

L'écriture intuitive et les dessins automatiques

Nous n'avons pas abordé dans ce livre l'étude de la médiumnité intuitive parce qu'elle offre des caractères moins nets que l'écriture mécanique ; nous possédons cependant des cas où elle a présenté les mêmes preuves d'une intervention étrangère que l'écriture mécanique. En réalité, la pensée de l'Esprit arrive avec moins de netteté par l'intuition, parce que c'est le cerveau du médium qui nous la transmet et qu'elle est exposée à subir des modifications en rapport avec le degré de développement intellectuel du sujet. C'est une sorte de traduction de l'influx fluidique et nous savons combien la difficulté est grande pour faire, même à tête reposée, une reconstitution fidèle d'une conversation que l'on a entendue. Il est presque sûr que les esprits ne nous transmettent que la pensée même, dégagée son vêtement littéraire ; celui-ci lui est fourni par le médium et dépend de son instruction, de sa manière de ressentir, de son habileté plus ou moins grande à représenter par des mots ses états d'âme.
C'est en tenant compte de tous ces facteurs que l'on peut comprendre que l'inspiration produise des chefs-d'oeuvre quand elle arrive dans le cerveau d'un poète ou d'un artiste, alors qu'elle reste presque inerte chez ceux qui sont moins bien doués. Toutes proportions gardées, il en est de même dans nos séances spirites et il ne faut pas trop s'étonner si parfois le style ne correspond pas au nom qui est donné. C'est alors qu'il faut soigneusement scruter les idées, peser leur valeur, examiner leur enchaînement, et ne les accepter que si elles dénotent une intelligence vraiment distincte de celle du médium. Entre l'intuition et l'écriture mécanique il existe une infinité de nuances, qui correspondent à la diversité d'organisme des médiums. Les uns devinent les mots qui sont en train de s'écrire, pendant que leur main est entraînée mécaniquement ; d'autres les entendent intérieurement ; mais le plus souvent l'ignorance de ce qui s'écrit est absolue ; de même que l'acte machinal d'écrire va depuis une impulsion irrésistible jusqu'à un simple désir de prendre la plume.
L'automatisme revêt encore une forme bien curieuse, c'est celle du dessin. Il arrive très fréquemment que pendant une séance, une personne qui se livre à des essais d'écriture voit avec surprise sa main faire des traits qui représentent des fleurs, des fruits imaginaires, des plans de maisons ou des paysages qui ne ressemblent en rien à ce que nous avons l'habitude de voir. Victorien Sardou a publié, il y a longtemps, dans la Revue spirite, des spécimens de ces bizarres compositions qu'il obtenait mécaniquement[4] . On peut n'y voir que des fantaisies en ce qui concerne leur définition (maison de Mozart dans Jupiter, etc.) mais ce qui est sûr, c'est que l'inspiration n'en est pas subconsciente, puisqu'une planche sur cuivre a été finement gravée par l'illustre académicien, bien qu'il ne connût pas même les premiers rudiments de cet art. Il obéissait donc certainement à l'influence d'un artiste invisible.
D'autres médiums dessinent automatiquement en se laissant guider par l'imagination subliminale qui a parfois des conceptions fantastiques.
Mais ici encore, à côté de ces jeux de l'automatisme, nous trouvons des manifestations intelligentes qui se révèlent par des portraits fidèles de personnes que l'artiste inconscient n'a jamais connues. M. Hugo d'Alési, le délicieux auteur de ces affiches qui sont la joie de nos rues, et M. Desmoulin l'éminent graveur, en ont obtenu. Les preuves de cet ordre sont si nombreuses que l'on pourrait en composer un volume de la grosseur de celui-ci.
Nous croyons avoir, malgré notre cadre restreint, accumulé assez de récits probants pour faire comprendre au public combien les quelques études que les savants ont consacrées à cet ordre de faits sont insuffisantes. Dans leur parti pris, ils ont passé à côté de la véritable médiumnité sans savoir en discerner les caractères. Aveuglés par quelques ressemblances physiques, ils ont généralisé hâtivement sans tenir compte des observations faites dans le monde entier depuis cinquante ans.
Il nous semble que les documents que l'on trouve dans les archives du Spiritisme sont de la plus haute valeur et qu'il n'est pas permis de les dédaigner, sans s'exposer à faire montre d'une partialité bien éloignée du véritable esprit scientifique.
Le nombre des témoignages est considérable, car il n'est pas d'ouvrage ou de revue consacrés au Spiritisme qui n'en relate un certain nombre ; n'oublions pas non plus que la plus grande partie des faits probants demeure inédite, par suite du caractère privé, confidentiel des messages ; que ceux qui les reçoivent n'aiment guère à soumettre aux railleries d'une critique parfois peu délicate. Ceux qui sont connus suffisent à montrer la généralité du phénomène, qui se produit indistinctement dans toutes les parties du monde, avec un remarquable caractère de similitude, malgré les différences secondaires qui résultent des facultés médianimiques.
Nous avons constaté que les témoins sont honorables ; qu'ils appartiennent généralement aux classes élevées de la population ; que des magistrats, des médecins, des avocats, des généraux, etc., se portent garants de l'authenticité des faits qu’ils relatent et nous n'avons aucune raison de suspecter leur témoignage qui serait accepté sans hésitation dans tout autre genre d'enquête. Peut-on accuser tous ces témoins d'un aveuglement général ? Nous ne le pensons pas, car enfin il s'agit simplement ici de savoir si les faits révélés par l'écriture sont ou non véridiques. Pour cela, il n'est pas besoin de grandes lumières, il suffit d'être de bonne foi. Mais, même au point de vue de la capacité scientifique, nous avons en notre faveur les récits de William Crookes, d'Alfred Russel Wallace, de F. W. H. Myers, de R. Hodgson, du professeur Hyslop, etc., qui sont des maîtres dans l'art d'observer avec exactitude. Si nous mettons en parallèle les mérites respectifs de ces savants et ceux de beaucoup de nos critiques, nous savons bien de quel côté penchera la balance. Les résultats signalés par nous ont d'autant plus de valeur, que la plupart de ceux qui nous prêtent maintenant l'appui de leur nom étaient, au début, des adversaires du Spiritisme. Ce n’est que contraints par l'évidence qu'ils ont proclamé la réalité des faits, alors qu'ils savaient bien que cette affirmation déhaînerait contre eux les colères des orthodoxies religieuse et scientifique, aussi intolérantes l'une que l'autre. Nous en avons eu un triste exemple en France, dans la persécution subie par le Docteur Gibier pour avoir osé raconter les phénomènes dont il avait été témoin en compagnie du médium Slade. Parlant de tout ce qu'il a vu, Crookes ne craint pas d'écrire : « je ne dis pas que cela est possible, je dis que cela est. » Wallace, de son côté, écrit d'une manière originale : « lorsque je commençais ces études, il n'y avait pas de place dans ma fabrique de pensées pour une conception spiritualiste, cependant les faits sont des choses opiniâtres et les faits me vainquirent. Nous avons reproduit les affirmations analogues de MM. Hodgson et Hyslop, tous gens de science qui n'ont qu'un seul mobile, un seul guide, un seul intérêt : la découverte de la vérité.
Est-il admissible, croyable, qu'autant d'hommes distingués, physiciens, naturalistes, chimistes, etc., se soient grossièrement laissé duper par des saltimbanques ? Qu'ils aient poussé la naïveté jusqu'à prendre des grimaces d'hystériques pour des faits scientifiques, alors qu'il était si simple de démasquer les simulateurs ? Cette hypothèse est absurde et cependant c'est celle que l'on trouve le plus communément énoncée par les lumineux critiques du spiritisme. Une telle accusation est d'autant plus ridicule que certains des phénomènes sont inimitables, non seulement dans leur production physique, — exemple la main lumineuse descendant du plafond devant Crookes et écrivant un message, — mais aussi par le contenu qui est parfois l'autographe d'une personne morte, inconnue de tous les assistants, ou des phrases écrites dans des langues qui ne se parlent pas en Europe et qu'il est absolument certain que le médium ne connaissait pas.
Sans prendre même ces cas extrêmes, l'écriture des nourrissons ou celles de personnes illettrées ne suffit-elle pas à asseoir une conviction ? Que peut-on objecter lorsqu'un enfant écrit en quelques jours une histoire détaillée de Jeanne d'Arc et de Louis XI ?
Qu'il y ait eu et qu'il existe encore chez les spirites des enthousiastes, des chercheurs qui manquent de sens critique, des gens réfractaires aux méthodes positives et froidement méticuleuses de la science, c'est un fait certain ; mais c'est ce qui se rencontre dans toutes les croyances, dans toutes les professions, dans toutes les agglomérations humaines, quel que soit l'objet des recherches entreprises. Est-ce une raison suffisante pour rejeter systématiquement tout témoignage spirite ? Parce que quelques médecins tuent leurs clients, il ne s'en suit pas que tous les docteurs soient des ignares et qu'il faille repousser la médecine.
Ces constatations sont presque des truismes, mais elles sont indispensables puisque tant de gens oublient, dans le feu de la polémique, ces vérités élémentaires.
En dépit de toutes les oppositions des retardataires, le fait spirite a une telle évidence, il possède une si grande force de conviction, qu'il marche à la conquête du monde. Vingt fois nos adversaires ont annoncé à grand fracas qu'il était mort et malgré ces enterrements, il poursuit sa marche triomphale, révélant à tous les hommes sincères un monde nouveau. Les hypothèses matérialistes ont fait leur temps. En vain leurs partisans ont voulu faire croire qu'elles étaient le dernier mot de la spéculation scientifique, les découvertes modernes leur donnent un éclatant démenti. L'âme humaine se manifeste avec éclat dans ces phénomènes de clairvoyance, de transmission de pensée et de télépathie qui montrent que l'homme contient une intelligence qui sait se soustraire en partie aux lois de l'espace et du temps qui régissent la matière inerte. La physiologie, la psychologie, la physique sont intéressées par les problèmes que soulèvent les nouvelles facultés de l'être humain et par les communications psychiques entre vivants. Devant cette suggestion mentale à grande distance, il devient nécessaire d'élargir les cadres de nos sciences afin que ces manifestations de l'être humain y trouvent leur place.
Sous l'irrésistible poussée de ces idées nouvelles que la presse spirite sème depuis cinquante ans dans le monde entier, on voit se lézarder le bloc tenace des préjugés et des erreurs ; de toutes parts des organisations nouvelles prennent naissance ; des esprits évadés de la routine universitaire ou de l'éteignoir théologique se réunissent pour étudier ce monde de l’au-delà, qui nous ouvre des perspectives infinies. Nous saluons avec joie cette aurore, car elle se lève sur une terre presque vierge qui recèle des trésors sans nombre. Déjà trop de hautes intelligences ont communié avec l'invisible pour qu'on puisse maintenant étouffer leur voix et bientôt la certitude de l’mmortalité rayonnera comme un phare grandiose pour éclairer la marche évolutive de l'humanité. FIN

[1] Annales Psychiques. 1896. Page 117.

[2] Cavalli. Les points obscurs du Spiritisme.

[3] Revue scientifique et morale du Spiritisme. Septembre 1900. Page 162.

[4] Voir Revue Spirite. 1858. Pages 223 et 264.

 

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