Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


CHAPITRE IV
Autographes de personnes mortes obtenus par des médiums

 

Sommaire : L'écriture est un critérium de la personnalité. L'écriture directe. La fille du Docteur Nichols. Un mort qui n'oublie pas. Les expériences du baron de Guldenstubbé. L'écriture directe au Panthéon. Le cas de Chicago relaté par le professeur Moutonnier. Signatures de Souverains. - Les autographes obtenus par le révérend Stainton Mosès. - Les phénomènes d'écriture observés au village de D. par le Dr Dusart. - Les cas du syndic Chaumontet et du curé Burnier. -

L'écriture est un critérium de la personnalité

Nous sommes arrivés maintenant à un ordre de phénomènes qui suffirait à imposer une conviction complète à ceux que les faits précédents n'auraient pas persuadés. Lorsqu'un médium reproduit l'écriture et le style d'une personne qu'il n'a pas connue de son vivant, il n'y a pas seulement intervention d'une intelligence étrangère, nous sommes, de plus, en présence d'une sorte de photographie de la personnalité défunte, qui est inimitable. Nous possédons un document permanent qui permet de faire les comparaisons les plus précises et qui reste comme un témoignage irrécusable de l'action de l'être désincarné.
Lorsqu'un de nos parents ou un ami est parti à l'étranger, si nous recevons une lettre de lui, nous reconnaissons sans peine son écriture, sa manière de s'exprimer, et il ne nous vient pas à la pensée d'imaginer qu'un faussaire a pu pendre sa place pour se jouer de nous. Les communications qui nous parviennent du monde invisible, de cette contrée séparée de nous par la barrière des sens physiques sont des messages en tous points semblables aux lettres terrestres, et lorsque nous y découvrons les mêmes caractères, nous avons une égale conviction que ce sont bien les signataires de ces missives qui nous les adressent.
Qui donc aurait assez de temps, de patience, d'adresse pour simuler ainsi l'écriture et jouer une comédie fastidieuse ? Nous savons que le rôle des Esprits trompeurs est très borné et que ceux qui s'amusent à nous duper sont généralement très peu intelligents. Ils ne posséderaient pas assez de science pour imiter une écriture, en supposant qu'ils aient pu en découvrir le modèle. Mais ce n'est pas seulement la forme graphique qu’il faut simuler, c'est également le contenu intellectuel. Or, ceci est tout à fait impossible aux esprits assez arriérés pour se livrer à ce genre de distraction.
Dans les évocations faites pendant les séances, la présence d'une personne qui a connu le défunt n'est pas une circonstance défavorable à la valeur de l'expérience, car si nous admettons que la transmission de la pensée puisse avoir lieu entre l'opérateur et le médium, nous ne croyons pas possible de suggérer une forme d'écriture que nous serions incapables de reproduire, de mémoire, et bien souvent d'imiter immédiatement même en ayant l'original sous les yeux. L'écriture est un art technique dont on apprend à se servir comme on apprend à jouer d'un instrument. Il nécessite des associations idéo-motrices qui sont tout à fait individuelles et qui diffèrent suivant l'idiosyncrasie des sujets. Il est absolument impossible de reproduire une écriture que l'on n'a pas vue et si le fait se produit, c'est non seulement la preuve qu'une intelligence différente de celle du médium s'est manifestée, mais aussi une démonstration de la personnalité de l'esprit, puisqu'un autre ne pourrait arriver à cette identité.
Il est utile, dès maintenant, de nous mettre à l'abri de certaines objections que l'on ne manquerait pas de nous faire, en cherchant à confondre deux ordres de phénomènes qui ont une certaine analogie extérieure, mais qui diffèrent profondément au fond. Nous voulons parler des changements d'écritures que l'on peut déterminer par suggestion.
Il arrive assez fréquemment dans les séances spirites que le médium écrivain donne des communications dont l'écriture change avec chaque signature nouvelle. Cette variation graphique était considérée jusqu'alors comme une bonne preuve de l'action des esprits, puisque chacun d'eux accusait sa personnalité non seulement par son style, mais encore par une écriture spéciale. Des observations nombreuses ont montré que les modifications de l'écriture ne suffisent pas pour affirmer l'action d'une intelligence étrangère, car nous allons voir que la suggestion peut produire des changements dans la forme de l'écriture du sujet sur lequel on expérimente.
MM. Ferrari, Héricourt et Ch. Richet[1] ont montré que le sujet auquel on impose un changement de personnalité n'adapte pas seulement ses paroles, ses gestes et ses attitudes à la personnalité nouvelle ; son écriture même peut se modifier suivant le genre d'idées et d'émotions qui envahissent sa conscience. On prend un jeune étudiant en médecine, M. X..., âgé de 19 ans et absolument ignorant de la graphologie : on a son écriture normale. On suggère successivement à M. X..., qu'il est un paysan madré et retors, puis Harpagon, et enfin un homme extrêmement vieux, et on lui met une plume à la main. En même temps on voit les traits de la physionomie se modifier et se mettre en harmonie avec l'idée du personnage suggéré ; on observe que son écriture subit des modifications parallèles, non moins accentuées, et revêt également une physionomie particulière à chacun des nouveaux états de conscience. Autrement dit, le geste scripteur s'est transformé en même temps que les autres. M. de Rochas, qui a repris ces expériences avec son sujet Benoit, en a vérifié la réalité et il reproduit dans son ouvrage[2] des fac-similés de l'écriture de ce jeune homme sous l'empire des suggestions les plus variées. MM. Bourru et Burot[3] ont également observé le même phénomène, ce qui le met hors de doute.
Mais une observation s'impose et elle est capitale pour l'étude qui nous occupe : c'est que si l'écriture du sujet change, « le degré de cette modification ne va pas jusqu'à transformer l'écriture normale. » De même que les émotions donnent à un visage les expressions les plus variées, suivant qu'elles sont tristes, gaies, passionnelles, artistiques, etc., mais n'arrivent pas à en modifier les traits généraux, de même la forme typique de l'écriture se reconnaît toujours, en dépit des changements de grandeur et des fioritures dont elle s'agrémente sous l'empire des suggestions.
Lorsqu'on examine attentivement les éléments qui constituent ces objectivations de types, on s'aperçoit aisément que l'écrivain ne se sert pas de matériaux nouveaux : il utilise ceux qui se trouvent emmagasinés dans son cerveau, suivant son caractère et sa mémoire.
L'écriture varie bien conjointement à la personnalité imposée au scripteur, mais le fond se retrouve sous les arabesques avec des caractères identiques, ce qui montre qu'il n'y a aucune originalité réelle dans ces phénomènes.
Il en va tout autrement pour les communications spirites dont nous allons donner des exemples. L'écriture est presque tout à fait identique à celle que le désincarné avait de son vivant.
Nous disons presque, parce qu'il faut tenir compte de l'influnce exercée par le médium, mais quand le message est donné directement, c'est-à-dire quand c'est l'esprit lui-même qui écrit alors son écriture post-mortem est indiscernable de celle qu’il avait sur la terre.

L'écriture directe

Lorsqu'un esprit reproduit absolument son écriture par l'intermédiaire d'un médium, ce phénomène ne peut plus se comprendre par une simple transmission de pensées. Jusqu’alors tous les faits que nous avons cités s'expliquaient assez bien en comparant l'action d'un esprit sur le médium à celle exercée par un magnétiseur sur son sujet. La pensée était transmise par le cerveau de l'écrivain, qui formait en quelque sorte un récepteur téléphonique vibrant synchroniquement avec celui de l'esprit, et la communication était la conséquence de l'ébranlement des centres corticaux correspondant aux mouvements graphiques, comme cela se produit lorsque nous écrivons habituellement, mais avec cette différence que la pensée était ignorée de l'écrivain, parce que l'impulsion motrice ne provenait pas de son propre esprit.
Dans le cas de l'écriture directe, le phénomène est tout autre Le cerveau du médium ne joue aucun rôle ; sa force psychique est seule utilisée et l'esprit agit directement sur la matière et s'en sert momentanément comme nous nous servons d'un porteplume. L'illustre physicien et chimiste William Crookes a rendu compte d'une séance dans laquelle il put observer ce phénomène[4] .

"Le premier fait que je citerai eut lieu, cela est vrai, dans une séance noire, mais cependant le résultat n'en fut pas moins satisfaisant. J'étais assis auprès du médium, Mlle Fox, il n'y avait d’autres personnes présentes que ma femme et une de nos parentes et je tenais les deux mains du médium dans une des miennes, pendant que ses pieds étaient sur les miens. Du papier était devant nous sur la table et ma main libre tenait un crayon.
Une main lumineuse descendit du plafond de la chambre, et après avoir plané près de moi pendant quelques secondes, elle reprit le crayon dans ma main, écrivit rapidement sur une feuille de papier, rejeta le crayon, s'éleva au-dessus de nos têtes et ensuite se perdit peu à peu dans l'obscurité."


Le plus souvent, la main de l'esprit est invisible. L'action exercée sur la matière n'est plus directe comme dans la matérialisation précédente ; elle pourrait plus justement être comparée à l'action d'un aimant sur une plume de fer qui se déplace sans qu'on y touche et peut se lever lorsqu'on agit sur une de ses extrémités. Voici ce que dit encore le savant anglais.

"Mon second exemple peut être considéré comme un insuccès. « Un bon échec enseigne souvent plus que l'expérience la mieux réussie. » Cette manifestation eut lieu à la lumière, dans ma propre chambre, et seulement en présence de M. Home et de quelques amis intimes. Plusieurs circonstances dont il est inutile de faire le récit, m'avaient montré que le pouvoir de M. Home était très fort ce soir-là. J'exprimai donc le désir d'être témoin en ce moment de la production d'un message écrit, ainsi que, quelque temps auparavant, je l'avais entendu raconter par un de mes amis.
Immédiatement, il nous fut donné la communication alphabétique suivante : « Nous essayerons. » Quelques feuilles de papier et un crayon avaient été placés au milieu de la table ; alors le crayon se leva sur sa pointe, s'avança vers le papier avec des sauts mal assurés et tomba. Puis il se releva et retomba encore. Une troisième fois il essaya, mais sans obtenir un meilleur résultat. Après ces trois tentatives infructueuses, une petite latte, qui se trouvait à côté sur la table, glissa vers le crayon et s'éleva à quelques pouces au-dessus de la table, le crayon se leva de nouveau, et s'étayant contre la latte, ils firent ensemble un effort pour écrire sur le papier. Après avoir essayé trois fois, la latte abandonna le crayon et revint à sa place ; le crayon retomba sur le papier, et un message alphabétique nous dit : « Nous avons essayé de satisfaire à votre demande, mais c'est au-dessus de notre pouvoir. »


Dans une autre occasion, une petite latte lui donna, sans que personne y touchât, un message avec l'alphabet de Morse ; le professeur Eliott Coues a vu un fragment de crayon d'ardoise écrire tout seul en plein jour, sur une ardoise, bien que la main qui le dirigeait fût invisible[5] .
Nous allons citer encore quelques exemples d'écriture directe empruntés au livre d'Aksakof [6]ensuite nous énumérerons ceux dont l'authenticité ne peut pas faire de doute, à cause de l'honorabilité des témoins et de l'impossibilité presque constante dans laquelle se trouvait le médium d'employer la supercherie.

La fille du Docteur Nichols

"Dans le Spiritual Record de 1884, pages 454 et 455, se trouve le « fac-simile » d'une communication reçue par le docteur T. L. Nichols, de la part de feu sa fille Willie, par l'écriture directe entre les deux ardoises. Elle est parfaitement identique au spécimen de l'écriture de Willie, de son vivant, et n'a aucune ressemblance avec l'écriture du médium Eglinton, dont un spécimen est joint. Un autre « fac-simile » de l'écriture de Willie se trouve dans le même journal de I'année 1883, page 135."

Le Docteur Nichols était bien connu du Dr Frièze, de MM. Reimers et Oxley, sa parole n'a jamais été suspectée par personne, nous devons donc accepter son témoignage. Quant au médium, il ne connaissait pas la fille du Docteur qui était morte depuis plusieurs années. L'esprit Willie se matérialisa complètement plus tard et donna un moulage de sa main, qui fut conservé par le docteur Nichols[7] .

Un mort qui n'oublie pas

Robert Dale Owen, l'écrivain spiritualiste bien connu, ancien ambassadeur des États-Unis à Naples, a publié dans le « Religio-Philosophical journal » du 26 juillet 1884, le récit suivant, que M. Aksakof reproduit d'après le « Light » de 1885, page 33, en l'abrégeant un peu.

"Il y a de cela douze ans, dit M. Dale-Owen, je comptais au nombre de mes amis intimes un sénateur de Californie fort connu et qui était directeur d'une banque prospère de San José. Le Dr Knox — c'est son nom — était un penseur profond et un partisan résolu des théories matérialistes. Il était atteint d'une pneumonie progressive et, sentant approcher sa fin, il parlait souvent du sommeil éternel qui l'attendait et avec lui l'oubli éternel. Il ne craignait pas la mort. Je lui dis un jour : « Faisons un pacte, docteur : si là-haut, vous vous sentez vivre, vous tenterez le possible pour me communiquer ces quelques mots : « je vis encore. » Il me fit cette promesse solennellement...
Après sa mort, j'attendais impatiemment qu'il me donnât de ses nouvelles. Ce désir s'accentua davantage à l'arrivée dans notre ville d'un médium à matérialisations venant de l'est de l'Amérique. J'avais une confiance absolue dans le caractère sérieux de ce médium. Il déclara qu'il pouvait parfois obtenir des preuves d'identités par le moyen de I'écriture directe sur une ardoise et il me proposa de tenter l'expérience puisque l'occasion se présentait. Je nettoyai une ardoise, y posai un crayon d'ardoise et mis l'ardoise contre la surface intérieure de la table[8] . Le médium plaça une de ses mains sur la mienne, au-dessous de la table et l'autre sur la table... Nous entendîmes le bruit du crayon grattant sur l'ardoise, et, en enlevant celle-ci, nous y trouvâmes les lignes suivantes.
"Ami Owen, les phénomènes que nous offre la nature sont irrésistibles, et le soi-disant philosophe, qui lutte souvent contre un fait qui contrecarre ses théories favorites, finit par être lancé dans un océan de doute et d'incertitude. Ce n'est pas précisément le cas avec moi, bien que mes anciennes idées sur la vie future soient maintenant bouleversées de fond en comble : mais, je l'avoue ma désillusion a été agréable, et je suis heureux, mon ami, de pouvoir vous dire : « je vis encore »
Votre ami toujours.
William Knox."


Il faut faire remarquer que le médium dont il s'agit est venu en Californie trois ans après la mort de mon ami, qu'il ne l'avait jamais connu et que l'écriture du message était à ce point conforme à celle de mon ami défunt, qu'elle a été reconnue pour la sienne par le personnel de la banque qu'il avait présidée.

Les incrédules pourraient objecter que la connaissance de l'écriture de W. Knox a été prise dans la conscience subliminale de Robert Dale Owen, et que c'est par l'extériorisation de l'esprit du médium que les caractères ont été tracés sur l'ardoise, puisque nous savons par de nombreuses expériences, et en particulier par celles faites en compagnie d'Eusapia Paladino, que le médium peut projeter une main fluidique qui a assez d'objectivité pour agir sur la matière.
Ces hypothèses réunissent des faits qui ne se présentent généralement que séparés, et c'est déjà une supposition bien invraisemblable que cette lecture dans la conscience de l'expérimentateur d'un dessin d'écriture qui a été enseveli dans sa mémoire latente depuis quelques années. Mais cette vue seule suffit-elle à expliquer sa reproduction exacte ? Nous ne le croyons pas, car pour imiter à s'y méprendre un autographe, il faut un talent qui ne s'improvise pas, surtout lorsque l'écriture doit être produite subitement, en quelques minutes. S'il est recommandable d'épuiser toutes les théories animistes avant d'arriver aux faits spirites, il ne faut pas cependant tomber dans l'absurde et douer le médium de pouvoirs qui seraient plus merveilleux et plus surnaturels que la communication des esprits.

Les Expériences du baron de Guldenstubbé

C'est en 1856 que l'écriture directe fut observée avec rigueur par le baron de Guldenstubbé qui formait, avec le comte d'Ourches, le baron de Brévern et le comte de Szappari, une société de chercheurs éclairés, instruits et désireux de contrôler sévèrement ces phénomènes alors si nouveaux et d'apparence surnaturelle.
La soeur de M. de Guldenstubbé était le médium, de sorte qu'aucune suspicion motivée ne pouvait s'élever contre la sincérité de ces expériences. Fort au courant des communications par la table et par les médiums écrivains, M. de Guldenstubbé voulut une démonstration intelligente de l'action directe des Esprits et il en obtint des centaines, dans les conditions les plus variées. C'est alors qu'il publia, en 1857, son livre intitulé « La Réalité des Esprits et le phénomène merveilleux de leur écriture directe » où il relate les circonstances dans lesquelles ces écritures furent données. On trouve, à la fin de l'ouvrage, des « fac-similés » de ces manuscrits au nombre de 67. Nous croyons à la valeur de ces documents, car il nous semblerait déraisonnable de supposer que des hommes du monde, intelligents, lettrés, riches, et par conséquent à l'abri des vicissitudes matérielles de l'existence, se soient entendus pour tromper le public car ils ne pouvaient recueillir que les sarcasmes des incrédules et les anathèmes du clergé qui, d'ailleurs, ne leur firent pas défaut. Depuis que nous avons vu le même phénomène se reproduire dans tous les pays et devant des observateurs savants et attentifs, nous n'avons plus de raison pour suspecter la bonne foi du baron, dont la sincérité et le sentiment profondément religieux éclatent à toutes les lignes de son livre. Voici comment il eut l'idée de recourir à ce genre d'expérimentation.

"L'auteur, étant toujours à la recherche d'une preuve intelligente et palpable en même temps, de la réalité substantielle du monde surnaturel, afin de démontrer par des faits irréfragables, l'immortalité de l'âme, n'a jamais cessé d'adresser des prières ferventes à l’Eternel de vouloir bien indiquer aux hommes un moyen infaillible pour raffermir la foi en l'immortalité de l'âme, cette base éternelle de la religion. L'Eternel, dont la miséricorde est infinie, a amplement exaucé cette faible prière. Un beau jour, c'était le premier août 1856, l'idée vint à l'auteur d'essayer si les Esprits pouvaient écrire directement, sans l'intermédiaire d'un médium... Il mit donc un papier blanc, à lettres, et un crayon taillé dans une petite boite fermée à clef, en portant toujours cette clef sur lui-même et sans faire part de son expérience à personne. Il attendit durant douze jours en vain, sans remarquer la moindre trace d'un crayon sur le papier, mais quel fut son étonnement, lorsqu'il remarqua, le 13 août 1856, certains caractères mystérieux tracés sur le papier ; à peine les eut-il remarqués qu'il répéta dix fois, pendant cette journée à jamais mémorable, la même expérience, en mettant toujours, au bout d'une demi-heure, une nouvelle feuille de papier blanc dans la même boite. L'expérience fut couronnée chaque fois d'un succès complet."


On aurait pu imaginer que c'était M. de Guldenstubbé qui avait, en somnambulisme, écrit lui-même le premier message, si le fait ne s'était pas renouvelé devant lui, parfaitement éveillé. Quant à croire qu'il pourrait être l'auteur inconscient de ces écrits, par un dédoublement involontaire dont il ne se serait pas rendu compte, nous croyons cette hypothèse insoutenable, car aucune expérience n'a jamais fait constater que ce phénomène fût possible. Ce qui rend cette objection inacceptable, c'est que nous allons constater immédiatement que non seulement ce n'est pas son écriture qui était ainsi reproduite, mais que souvent c'était celle de personnes qu'il n'avait pas connues. Signalons aussi une différence entre ces expériences et les autres que nous avons citées précédemment, elle est de nature à nous montrer également que le pouvoir agissant n'était pas l'esprit du baron.

"Le lendemain, 14 août, l'auteur fit de nouveau une vingtaine d'expériences, en laissant la boîte ouverte et ne la perdant pas de vue, c'est alors que l'auteur voyait que les caractères dans la langue esthonienne, se formèrent ou furent gravés sur le papier, sans que le crayon bougeât. Depuis ce moment, l'auteur voyant l'inutilité du crayon, a cessé de le mettre sur le papier ; il place simplement un papier blanc sur une table chez lui ou sur le piédestal des statues antiques, sur les sarcophages, sur les urnes, etc., au Louvre, à Saint-Denis, à l’église Saint-Etienne du Mont, etc."

Cette curieuse manière de produire l'écriture sans employer de crayon ou de plume a été observée depuis par divers savants[9] et met en relief, de la part des esprits, des procédés d'utilisation de la matière qui ne sont pas encore parvenus jusqu'à nos savants officiels. Pour montrer que l'opération de l'écriture n'est pas due à l'intervention du démon, le religieux M. de Guldenstubbé se prêta à toutes les mesures de précautions imaginées par son ami le comte d'Ourches.

"Après avoir constaté la réalité du phénomène de l'écriture directe par plus de trente expériences répétées, la principale préoccupation de l'auteur fut de démontrer l'existence réelle de ce miracle à d'autres personnes. Il s'adressa d'abord à son noble ami, M. le comte d'Ourches, qui a également consacré sa vie entière à la magie et au spiritualisme. Ce n'est qu'au bout de six séances, le 16 août 1856, à 11 heures du soir, dans le logement de l'auteur, que M. le Comte d'Ourches a vu pour la première fois ce phénomène merveilleux. M. le comte d'Ourches fut d'abord déconcerté par la déconvenue de nos premières expériences. Il ne douta pas de la réalité de ce phénomène merveilleux, sachant bien que l'auteur n'a pas le don de médium, d'écrire machinalement ; il n'attribuait pas non plus la non-réussite précisément à l'influence des démons, mais il croyait que la malice de certains esprits peu bienveillants voulait le priver d'être le témoin oculaire d'un miracle aussi évident. Il mit donc à côté du papier blanc destiné à l'écriture d'un esprit quelconque, une copie du fameux critérium de l'apôtre saint Jean, au sujet du discernement des bons esprits (I. Jean, IV, 2.) Voici ce verset : « connaissez à cette marque l'esprit de Dieu : tout esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu en chair, est de Dieu[10] . » Au bout de dix minutes, un esprit sympathique dont l'auteur a tout de suite reconnu l'écriture et la signature, écrivit directement, en présence du comte d'Ourches, ce qui suit : « je confesse Jésus en chair. » L'Esprit accepta donc franchement la marque à laquelle, suivant saint Jean, on peut reconnaître un bon esprit. Ce phénomène doit confondre tous nos orthodoxes démonophobes qui ne croient qu’aux miracles démoniaques.
Depuis ce moment, M. le comte d'Ourches a vu plus de quarante fois le phénomène merveilleux de l'écriture directe, tantôt chez l'auteur et en divers endroits. Plus tard, au mois d'octobre, M. le comte d'Ourches a obtenu, même sans le concours de l'auteur, plusieurs écrits directs des Esprits ; l'une de ces lettres d'Outre-Tombe est de sa mère, morte il y a une vingtaine d'années."


Il semble parfaitement absurde à notre auteur de voir dans ces faits une action inconsciente de sa pensée. « Cela me répugne, dit-il, de tenir compte d'une objection aussi inepte qui n'est qu'une fiction des hommes écervelés de nos jours ! » Il fait remarquer que généralement ce ne sont pas les esprits auxquels il pense qui viennent, mais des inconnus, car il ne faisait jamais d'évocations particulières.
Citons quelques expériences dans lesquelles les écritures obtenues furent très différentes les unes des autres. Tantôt c'étaient des légendes en langue grecque ou latine, et elles étaient tracées en caractères lapidaires ou en cursives ; tantôt des messages en allemand, avec une écriture qui n'était celle d'aucune personne présente.
Voici quelques détails.

N° 7 - Première écriture, en latin lapidaire, obtenue en présence du comte d'Ourches, au Louvre, près de la statue de Germanicus, le 26 août.
N° 8 - Ecriture en latin lapidaire, obtenue le même jour en présence du comte d'Ourches près de la statue d'Auguste, à l'angle de la croisée des empereurs romains, au Louvre.
N° 9 - Ecriture en latin lapidaire, tracée le 28 août au Louvre près de la statue de Jules César, en présence du comte d'Ourches.
N° 10 - Ecriture en ancien grec lapidaire, tracée également le 28 août en présence du comte d'Ourches, près de la petite statue d'Euripide.


Le baron ne nous donne pas, malheureusement, le détail des circonstances dans lesquelles ces écritures directes furent obtenues, mais il est probable que puisque l'écriture se formait chez lui sans que personne fût auprès du papier, il devait en être de même dans les expériences tentées dans les musées et les églises. Nous verrons tout à l'heure un récit dû à Pierrart, directeur de la Revue Spiritualiste, qui raconte comment les choses se passaient habituellement. Il faut remarquer que ces écrits ne reproduisaient pas toujours la même écriture. On a pu constater la production de messages intelligents en latin et en grec lapidaires, en latin et en grec ordinaires, en langue estonienne, en français, en langue russe, en langue allemande et en vers allemands, en langue anglaise, et enfin en langue italienne.
Voici quelques expériences sur lesquelles l'auteur est plus explicite ; il semble dans ces cas que les précautions ont été prises sérieusement, sans que les résultats en fussent amoindris.

N° 46. — Ecriture latine signée par le célèbre orateur Cicéron, en présence du général baron de Brewern, le 24 décembre dans le logement de l'auteur. Cette écriture merveilleuse a été tracée dans une ramette de papier, toute neuve et cachetée par le marchand, en un mot dans un cahier tel qu'il sort de la boutique.
N° 47. — Ecriture grecque, signée par le célèbre Platon et tracée dans la même ramette cachetée pendant la même soirée du 24 décembre, en présence du dit témoin, dans le logement de l'auteur.
N° 48. — Figure tracée dans la même ramette cachetée, en présence du dit témoin oculaire, le 24 décembre dans le logement de l'auteur. Les expériences de cette journée mémorable ont été couronnées du succès le plus complet. M. le général baron de Brewern y assista en qualité de témoin oculaire. MM. le comte d'Ourches et le marquis de Planty, également invités à y assister, y manquèrent. On les attendit jusqu'à minuit, mais à peu près vers cette heure, les meubles commencent à craquer partout, le médium se met au piano et nous ordonne de mettre une ramette de papier à lettres toute neuve, enveloppée d'un papier jaune et cachetée par le marchand, en un mot une ramette, telle qu'elle sort de la boutique, sur un petit guéridon. Au bout d'un quart d'heure le médium cesse de jouer et prie le baron de Brewern d'ouvrir la ramette; on trouve d'abord l'écriture grecque signée Platon, puis une écriture latine signée Cicéron ; une troisième feuille contient cette figure dont nous venons de parler : enfin un quatrième papier renferme une écrite en anglais, signée par Spencer. Cette dernière écriture, que nous n'avons pas pu bien déchiffrer, a été malheureusement égarée.


Il est clair que nous n'avons aucune preuve de la véracité des signatures de Cicéron ou de Platon, mais l'intérêt du phénomène ne réside pas là : il s'attache à l'écriture elle-même et son mode de production anormal.
Remarquons que le médium, que nous savons être la soeur du baron de Guldenstubbé, ne connaissait ni le latin, ni le grec, on ne peut donc supposer que les écrits obtenus dans ces langues proviennent d'un dédoublement de sa personnalité, accompagné d'extériorisation. La précaution d'employer un papier lettre non décacheté enlève aussi le soupçon d'une supercherie consciente ou non de la part du sujet, si sa bonne foi n'était pas établie par son irréprochable honnêteté. Citons maintenant quelques cas où l'écriture a été reconnue.

N° 51. — Ecriture allemande, tracée par un Esprit que l'auteur, ainsi que plusieurs amis du défunt, ont reconnu à sa main, bien que la signature manque. Ce phénomène a eu lieu le 28 décembre dans le logement de l'auteur.
N° 53. — Ecriture allemande en vers, signée par un des parents de l'auteur. Cette épître a été tracée le 14 janvier 1857 dans le logement de l'auteur. La parfaite ressemblance de la main du défunt a été constatée par plusieurs de ses amis.


On peut s'assurer par la comparaison des « fac-similés » que ces deux écritures en allemand ne se ressemblent pas, et diffèrent également d'autres messages écrits dans la même langue, reproduits aux n° 57 et 63, qui ont été reconnus.
Les autographes français présentent des différences considérables et attestent, à leur manière, qu'ils ne sont pas produits par le même individu incarné ou désincarné. Tels sont, par exemple, les n° 56 et 58 dont les écritures respectives ont été identifiées avec celles de personnes mortes depuis un certain temps.
Cet ensemble imposant d'autographes établit avec la plus grande évidence la certitude que les esprits désincarnés peuvent affirmer authentiquement leur survivance, par les mêmes preuves qu'ils donneraient ici-bas de leur authenticité, c'est-à-dire par leur signature.

L'écriture directe au Panthéon

Vers la même époque, un autre témoin, Pierrart, directeur de la Revue Spiritualiste, fut à même d’observer des faits semblables, et il en rend compte en donnant toutes les références nécessaires, en ces termes.

"Il y a un genre de faits très convaincant et auquel on ne peut opposer la moindre objection. C'est celui de l'écriture directe, phénomène par lequel un esprit s'en vient tracer sur un papier, déposé par vous et à côté de vous, des signes et quelquefois des caractères, des phrases entières, et cela sans crayon, ni plume, ni encre. M. de Guldenstubbé, personnage honorable sous tous les rapports et d'une loyauté à toute épreuve, a le premier, avons-nous dit, obtenu la solution d'une aussi grandiose difficulté. Mille expériences consignées dans son remarquable livre en font preuve. J'avais espéré qu'un jour il me rendrait témoin d'un pareil prodige. Mais étant retourné dans sa patrie, force m'était d'attendre, quand tout-à-coup j'appris qu'un de ses amis, M. le baron de Brewern, lui aussi de concert avec le comte d'Ourches et son médium, Mademoiselle Blanche C..., était parvenu à obtenir de l'écriture directe. Plusieurs expériences avaient été faites par eux et avaient été couronnées d'un plein succès...
Prévenu de ces faits et invité à une autre expérience par le général de Brewern, je me rendis au Panthéon le 28 juin à 11 heures avec lui, le comte d'Ourches, mademoiselle Blanche et le pasteur Bellot. Nous nous dirigeâmes vers la chapelle Sainte-Geneviève, devant laquelle nous nous assîmes. Après un moment de recueillement et de prière, des papiers furent déposés de la même manière que la précédente fois. L'un de ces papiers m'ayant été donné par le pasteur Bellot (c'était une feuille portant son chiffre), je le fis examiner par chacun des assistants, puis y ayant fait un signe, afin de constater la substitution s'il y en avait, je l'allai déposer, accompagné du médium, sur le soubassement d'une colonne en face duquel je retournai m'asseoir, ne perdant pas le papier de vue.
Au bout d'environ deux minutes, de petits coups furent frappés sur l'escalier de l'autel Sainte-Geneviève que nous avions à notre gauche. Le médium me dit que ces coups étaient un signal donné par l'esprit pour faire connaître qu'on pouvait aller reprendre le papier : je m'empressai de le faire. Le papier ayant été repris par moi, je l'ouvris. Dans l'intérieur du pli je vis une croix qui semblait avoir été tracée par un crayon de plombagine, et chaque assistant constata après moi l'existence de cette croix. Comment avait-elle été tracée sur le papier, je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est que ce n'avait pu être fait par une main humaine.
Sur d'autres papiers déposés par M. le comte d'Ourches se trouva une copie de houlette mal dessinée, due sans doute à la pensée que quelqu'un de nous eut de la bergère de Nanterre, devant l'image de laquelle nous nous trouvions et qu'un esprit aura reproduite ; il se trouva aussi des signes, des traits divers, mais sans que nous ayons pu leur trouver une signification quelconque...
Voilà les faits que devant Dieu et sur l'honneur, je me suis cru obliger de faire connaître, afin qu'ils puissent servir d'enseignement et d'édification à qui de droit. M. le général de Brewem, rue de Chaillot 74, M. le comte d'Ourches, passage Saulnier 22, M. Bellot, rue des Ecuries d'Artois 8, Mlle Blanche C..., rue de La Rochefoucauld 62, qui furent témoins comme moi de ces faits, sont prêts à les attester quand on voudra."


Evidemment, ce phénomène est moins développé que les précédents et peut-être moins probant à cause de la proximité du médium au moment où le papier fut déposé, mais n'oublions pas que ce papier était timbré au chiffre du pasteur Bellot et que Pierrart y avait fait une marque particulière. Nous l'avons rapporté pour montrer qu'en dehors du baron de Guldenstubbé, ses amis étaient parvenus de leur côté, à vérifier l'existence de l'écriture directe[11] . On peut composer un volume important avec les récits authentiques que l'on possède sur le phénomène de l'écriture directe. Stainton Mosès l'a fait, et son ouvrage qui porte le titre de : « Psychographie », est absolument convaincant. Le Docteur Gibier, de son côté, a relaté minutieusement les résultats de ses expériences avec Slade dans « Spiritisme ou Fakirisme occidental ». Nous n'insisterons donc pas longuement ici, renvoyant le lecteur aux livres cités. Nous terminons cette revue sommaire par le cas de Chicago, constaté par le professeur Moutonnier qui en a rendu compte dans les « Annales Psychiques[12]».

Le cas de Chicago

Lettre à M. Raphaël Chandos

"Je cède à la fois à vos sollicitations amicales et au désir que j'éprouve d'être utile à la science, pour livrer à la publicité une des pages les plus intimes et les plus poignantes de ma vie, espérant que les faits que je vais révéler pourront apporter quelque nouvelle lumière à l'étude des phénomènes psychiques.
Je vous ai dit, dans une des conversations intéressantes que nous avons eues ensemble, à bord de la « Touraine », lors de notre récent voyage de New-York au Havre, par suite de quel terrible malheur je fus amené à m'occuper des questions d'outre-tombe : une fille que j'adorais me fut enlevée subitement, il y a bientôt six ans, à la fleur de l'âge et dans la plénitude de son intelligence.
Cet événement m'avait plongé dans le marasme et le dégoût de toutes choses, et, pour faire diversion à mes idées sombres et moroses, je me mis à voyager.
Plusieurs mois se passèrent ainsi pour moi dans un état de complète inertie, quand, certain jour, un des livres si nombreux écrits sur le spiritisme me tomba entre les mains. J'en lus, puis un autre, et peu à peu l'étude du monde spirituel et de ses rapports avec la nature visible et matérielle devint pour moi une véritable passion ; et comme tant d'autres infortunés qu'une loi inexplicable et fatale avait frappés, je me mis à l'étude du problème de la vie, et je cherchai. Dès ce moment, j'étendis mes relations dans le monde des personnes qui s'occupent de spiritisme, je me fis admettre dans des cercles privés et publics, et organisai même des séances dans ma famille.
J'ai vu et fait tourner des tables ; j'ai obtenu des communications écrites à l'aide de la planchette. Mais dirai-je que toutes ces expériences ont dissipé mes doutes et établi dans mon esprit la vérité que les personnes mortes avaient le pouvoir de se communiquer à nous ? Hélas ! Non. Tous ces phénomènes révèlent peut-être la réalité de certaines forces inconnues, mais ils ne démontrent pas suffisamment l'existence réelle et substantielle des intelligences invisibles, indépendantes de notre volonté et de notre imagination.
Il n'y avait, à mon avis, qu'un phénomène direct, intelligent et matériel, à la fois, indépendant de notre volonté et de notre imagination, tel que l'écriture directe, qui pût servir de preuve irréfragable de la réalité du monde des esprits.
Mais où trouver un médium d'écriture indépendante ? Problème impossible à résoudre à Paris, où les médiums sont impuissants, pour ne pas dire nuls.
Enfin, le hasard vint un jour au-devant de mes désirs et, pendant un séjour que j'ai fait cet été à Chicago, j'ai été témoin oculaire de phénomènes psychiques des plus remarquables que je viens soumettre aujourd'hui à l'examen et à la critique de la science. Vous n'ignorez pas que l'Amérique du Nord est de tous les pays du monde celui qui s'occupe le plus des problèmes relatifs à la vie future, et, tout en admettant que c'est aussi celui où on exploite le plus la crédulité publique, on y trouve néanmoins des médiums honnêtes et doués d'une force fluidique extraordinaire. Je m'enquis donc, dès mon arrivée à Chicago d'un médium à écriture indépendante, connu, et jouissant de quelque réputation.
Je me présentai donc au domicile de Misses Bangs, 3, rue Élisabeth[13] , le 26 juin dernier à 3 heures de relevée, c'est-à-dire en plein jour. Ce fut Miss May, la plus jeune des deux sœurs qui me reçut et me servit de médium. J'avais préparé au préalable six questions ou messages dont cinq en anglais et une en français sur six feuillets de papier, que j'avais pliés en quatre et que je gardai dans ma main gauche hermétiquement fermée. — La chambre destinée aux séances est située au premier étage ; l'ameublement en est simple mais confortable. Sur une table oblongue, placée contre l'un des panneaux, était une boite à musique dont le médium se sert, suivant les circonstances.
Au centre de la chambre une petite table carrée recouverte d'un tapis. Miss Bangs me demanda si je voulais avoir la communication sur ardoise ou sur papier et je choisis ce dernier mode, comme paraissant offrir un caractère plus sérieux et plus probant.
Je tenais toujours, dans la main gauche les questions que j'avais préparées dans le salon et dont je ne m'étais pas déssaisi un seul instant. Le médium me remit alors cinq feuillets de papier blanc devant servir aux réponses ainsi qu'une enveloppe ; j'examinai le tout avec le plus grand soin et le trouvai intact. Je mis les feuillets blancs avec les questions sur l'enveloppe que je fermai hermétiquement et plaçai moi-même la lettre entre deux ardoises appartenant au médium. J'attachai celles-ci solidement avec des cordes mises en croix, après avoir placé entre elles un petit bout de mine de plomb et les posai sur la petite table, sans les quitter des yeux. Puis je m'assis d'un côté de la table, et le médium prit place de l'autre côté, en face. — Bientôt la conversation s'engagea sur des sujets divers : dans l'attitude du médium n'apparut rien d'anormal ; blonde et assez forte de corps, Miss Bangs est d'humeur joyeuse et semble être absolument inconsciente de son état médianimique qui s'est manifesté en elle dès son enfance. Elle n'a rien non plus de ces médiums saltimbanques qui vont dans les places publiques et les foires exploiter la bonne foi des badauds ignorants et crédules ; au contraire, tout en elle est simple et naturel. Un quart d'heure à peine s'était écoulé quand soudain elle me dit : « J'aperçois derrière vous, au milieu d'un groupe d'esprits qui semblent vous connaitre, un esprit qui domine tous les autres et qui est d'une beauté idéale. C'est cet esprit qui désire entrer en communication avec vous ; il semble être attaché à vous par les liens les plus intimes et avoir pour vous un amour excessif. — Ce doit être votre fille », me dit-elle — et, à la description qu'elle en fit, je reconnus qu'elle ne se trompait pas. « Mais, ajouta-t-elle, cet esprit est dans des sphères trop élevées et sa nature est trop subtile pour pouvoir se communiquer directement, et il a appelé à son aide un autre esprit qui est plus près de la terre et que je vois là à ma droite. — Ils paraissent s'être connus intimement sur terre et s'aimer beaucoup, bien qu'ils soient dans des sphères différentes. »
Je lui demandai aussi de me dépeindre ce dernier esprit, et le portrait qu'elle en fit se rapportait en effet, à celui de mon gendre, mort trois ans avant ma fille. Pendant ce temps, la communication se faisait et j'avais toujours les deux mains posées sur la table, près des ardoises que je n'avais pas perdues de vue.
Voulant pousser mes investigations plus loin, je lui demandai de me dire quels étaient les noms des deux esprits ; elle prit alors un morceau de papier sur lequel elle écrivit le mot «Harry » — prénom de mon gendre. — Quant au nom de ma fille, que j'avais désignée dans mes questions du petit nom tendre « Doudouske » (tiré du russe et signifiant « petite âme »), elle ne parvint qu'avec la plus grande difficulté à le tracer, disant qu'elle ne comprenait pas la signification de ce nom et ne l'avait jamais entendu.
La séance avait duré, au total, un peu plus d'une demi-heure quand elle me dit : « monsieur, vous voyez ces tableaux pendus aux murs de la chambre, eh bien, ce sont des tableaux faits par les esprits. Ne seriez-vous pas aussi désireux d'avoir le portrait de votre fille, comme souvenir ? » Sur ce, elle prit un bout de mine de plomb qu'elle posa sur l'ardoise supérieure et recouvrit celle-ci d'une troisième ardoise. « Peut-être, dit-elle, que votre fille vous écrira à ce sujet. » Quelques minutes s'étaient écoulées, quand elle m'annonça que la communication était terminée. Je pris alors les trois ardoises, enlevai la supérieure, puis examinant la seconde je n'y trouvai plus le morceau de mine de plomb ; je déliai après les deux autres ardoises, et trouvai entre elles, comme je l'y avais mise, ma lettre fermée ; mais la mine de plomb avait disparu. En examinant la lettre, j'observai que le côté sur lequel on écrit l'adresse était couvert d'écritures au crayon. La lettre était hermétiquement close, et je l'ouvris à l'aide de mon canif ; j'en retirai le contenu, questions et pages destinées aux réponses que je reconnus être aussi remplies d'écriture au crayon.
Je joins à ce document le dossier complet des séances, avec la traduction en français des questions et des réponses, afin de faciliter votre travail d'examen et de recherches.
Deux choses me frappèrent dans ces communications.
D'abord, la précision des réponses et, en second lieu, la différence des écritures, dont l'une est anglaise et l'autre française, et la grande ressemblance des deux avec celles de mon gendre et de ma fille. Cette similitude frappa tous les membres de ma famille, et vous pourrez du reste vous convaincre vous-mêmes de la vérité de mon affirmation, en comparant l'écriture des communications avec celles des deux lettres que j'annexe ici, comme preuves à l'appui : l'une est de mon gendre et est datée de Louisville (Etats-Unis), 18 mai 1888 (fig. 3) ; l'autre est de ma fille et fut écrite à Paris, en 1890 (fig.4)[14] .
Je dirai, en outre que je n'avais en ma possession, le jour des séances, aucune des lettres que je viens de mentionner ni aucun écrit émanant d'eux. Toute ma correspondance et mes souvenirs intimes étaient enfermés dans mon bureau à Paris, et ce n'est qu'à mon retour que j'ai pu moi-même me rendre compte du fait.
Quant à la réponse faite à la question en français, je vous prie de remarquer que la question a été reproduite textuellement et que la réponse en français, bien qu'étant toujours dans le même ordre d'idées, n'est pas celle que j'avais demandée (fig. 1).
Ayant fait voir au médium cette anomalie, elle me dit qu'elle ne pouvait pas m'en donner l'explication, qu'elle ne savait pas un mot de français et que c'était la première fois qu'elle avait une communication dans cette langue. Après informations prises, je n'eus pas lieu de pouvoir mettre en doute l'assertion de Miss Bangs dont j'avais pu du reste apprécier l'ignorance.
Dans la deuxième séance, que j'eus le 3 septembre, à la même heure, c'est-à-dire à trois heures de l'après-midi, les choses se passèrent de la même manière, avec cette différence que j'avais apporté mes propres ardoises et que mes questions écrites d'avance étaient au nombre de cinq dont trois en anglais encore adressées à ma fille et deux en français à ma belle-soeur.
En outre, sur la table était un vase contenant des fleurs de pois de senteur, de couleurs blanche, rose et rouge. Pendant la séance, le médium me dit d'abord : « peut-être obtiendrons-nous une communication écrite à l'encre », et, sur ce, elle prit un carré de papier blanc sur lequel elle mit quelques gouttes d'encre et qu'elle posa ensuite sur l'ardoise supérieure, en couvrant le tout d'une troisième ardoise, lui appartenant. Un peu plus tard, elle m'apostropha de nouveau ainsi : « vous voyez ces fleurs qui sont sur cette table, à côté de vous[15] , eh bien, puisque vous semblez douter de la possibilité qu'ont les esprits de se communiquer à nous et que vous demandez, une preuve matérielle de la présence de votre fille dans cette chambre, priez-la de faire passer une de ces fleurs, que vous choisirez, dans votre lettre ! » Je choisis la couleur rose et adressai une prière mentale à ma fille.
Quand j'ouvris ma lettre, à la fin de la séance qui n'avait guère duré qu'une demi-heure, j'y trouvai non seulement les pages blanches, couvertes d'écriture au crayon (et non à l'encre), mais encore, dans l'intérieur des questions qu'enveloppaient les pages destinées aux réponses — le tout plié comme je l'y avais mis avant la séance — une des fleurs roses du bouquet, ayant toute sa fraicheur et son parfum, comme si elle venait d'être cueillie.
L'écriture anglaise des questions adressées à ma fille est, comme dans la première séance, identiquement la même ; quant aux questions faites en français à ma belle-soeur, il y est fait une réponse en anglais avec une signature en français. Au début de la séance, quelque chose de particulier se présenta ; tout à coup, le médium me se dit « : il y a un esprit qui semble exercer une influence contraire », et elle m'écrivit sur un morceau de papier que je joins au document et qui reparaît dans la réponse : « ma chère soeur, Phina ! » (Phina est le diminutif de Joséphine.) « Mais, ajouta-t-elle, cette influence ne peut pas affaiblir le fluide de l'autre esprit qui a sur vous une influence bienfaisante. » En effet, le résultat de la communication l'a prouvé par les réponses faites en anglais.
Tels sont, cher monsieur, dans toute leur vérité et dans leurs moindres détails, les faits de ces séances extraordinaires. Je vous les donne sans commentaires. Toutefois, afin d'éclairer tous ceux qui liront ces lignes sur le « modus operandi » et les mesures de précaution que j'ai prises pour rendre impossible toute fraude de la part du médium, je donne ci-dessous les points principaux nécessaires à la recherche de la vérité.
1° J'étais inconnu et étranger et c'était la première fois que je voyais le médium : elle ignorait donc tout ce qui me concernait.
2° Les deux séances ont eu lieu en pleine lumière du jour, entre 3 et 4 heures de l'après-midi.
3° Les ardoises, le papier destiné aux réponses ainsi que l'enveloppe ont été scrupuleusement examinés par moi, je les ai trouvés intacts, et toutes ces pièces ainsi que mes questions sont restées en ma possession et sous ma surveillance depuis le commencement de la séance jusqu'à la fin.
4° Aucune tierce personne n'est entrée dans la chambre pendant l'heure des séances.
5° Toutes les portes de la chambre sont restées closes pendant toute la durée des séances et il n'y avait dans la chambre ni paravent ni autres objets pouvant faciliter la fraude ; au contraire, la table sur laquelle étaient les ardoises était isolée et au centre de la chambre.
6° Le médium n'a mis les mains ni sur les ardoises, ni sur le papier ou l'enveloppe, le tout étant resté en ma possession.
7° Pendant les séances, le médium n'a manifesté dans sa manière d'être aucun signe extraordinaire, à l'exception d'un sentiment de fatigue à la fin.
8° Dans la communication (ainsi qu'il est permis de s'en convaincre) l'écriture anglaise est différente de l'écriture française, mais il y a entre les deux et l'écriture originale de mon gendre et de ma fille une ressemblance frappante.
9° Dans la teneur de la communication il y a un caractère marqué d'individualité de la part de l'intelligence et qui n'appartient pas au médium.
10° Le bout de la mine de plomb placé par moi entre les deux ardoises pour permettre d'écrire, avait disparu.
11° Dans l'examen de l'intérieur de l’enveloppe à la deuxième séance, il n'y avait aucune trace de fleur.
12° Une fleur rose de pois de senteur, toute fraîche et odoriférante, a été trouvée par moi, à la fin de la séance et à l’ouverture de l'enveloppe.
13° Je n'avais lors des séances en ma possession ni lettres autres écrits provenant soit de ma fille, soit de mon gendre, pour faire découvrir les noms de ces derniers dont les communications sont signées.
14° Pendant toute la durée des séances, j'ai eu toujours toute ma lucidité d'esprit.
15° Un tour d'escamotage du genre de celui qui consiste à faire disparaître et réapparaître des objets, sans que l'escamoteur y ait appliqué les mains ou ait eu un compère, pourrait à juste titre être considéré comme un miracle.
Donc, pour toutes les raisons qui précédent, et à moins qu'il ne me soit prouvé que j'ai été trompé, je déclare être intimement convaincu que les phénomènes dont j'ai été le témoin, ont dû être produits par une force émanant d'une intelligence invisible et supérieure à celle de l'homme.
En foi de quoi j'ai signé la présente déclaration.
Paris le 1er novembre 1897.
C. MOUTONNIER,
Ancien professeur d'anglais à l'école des Hautes-Etudes commerciales de Paris

Signature de Souverain

Le reproche que l'on adresse le plus souvent aux spirites est celui d'être trop crédules ; mais nous voudrions bien savoir si les détracteurs de cette doctrine ne seraient pas convaincus s’ils faisaient régulièrement des expériences dans lesquelles se révèleraient des faits inconnus, se donneraient des instructions scientifiques bien supérieures aux connaissances des médiums, ou obtiendraient des signatures authentiques de personnages que ces médiums n'ont jamais vus. C'est ce qui se produisait constamment aux réunions présidées par Allan Kardec, et cette accumulation de preuves irrécusables l'avait pénétré de cette certitude profonde qui rayonne dans tous ses écrits.
En voici un exemple, entre beaucoup d'autres[16] .

"A la suite de quelques belles pensées écrites par un Esprit qui ne signe pas, un autre esprit qui s'est déjà manifesté à Mlle L. Z… vient se mettre à la traverse en lui faisant casser les crayons, et faire des traits qui dénotent un sentiment de colère. En même temps il se communique à M. Jules Rob..., et répond laconiquement et avec hauteur aux questions qu'on lui adresse.
C'est l'esprit d'un souverain étranger connu par la violence de son caractère. Invité à signer son nom, il le fait de deux manières. Un des assistants, attaché au gouvernement de son pays, et que ses fonctions mettaient à même de voir souvent sa signature, reconnaît dans l'une celle des pièces officielles, et dans l'autre celle des lettres privées."


On sait que les procès-verbaux étaient lus en séance et approuvés par les assistants. Nous avons donc, dans ce cas, bien que les noms ne soient pas donnés, un document officiel qui nous assure, indépendamment de la sincérité d'Allan Kardec qui n'est pas douteuse, de la réalité de cette curieuse manifestation. Il ne taut pas trop s'étonner de voir de hauts personnages fréquenter ces réunions ; car à cette époque le spiritisme était fort répandu dans les classes élevées ; nous savons d'ailleurs que l'empereur Napoléon III fit des expériences en compagnie de Home et que la reine d'Angleterre a publié un livre de communications qu'elle reçut du prince Albert. Beaucoup de Russes occupant des situations officielles fréquentaient le salon d'Allan Kardec et c'est peut-être dans cette catégorie d'étrangers qu'il faut chercher celui qui reconnut l'écriture de son souverain.

Les autographes obtenus par le révérend Stainton Mosès

L'écriture mécanique est un excellent moyen pour l'être désincarné de montrer sa personnalité ; nous trouvons dans les travaux publiés par Stainton Mosès, de bonnes preuves de cette action directe de l'esprit se traduisant par l'intermédiaire de la main du médium.
L'étude de M. Myers consacrée à l'examen des faits spirites relatés par Stainton Mosès contient les passages suivants, qui sont d'importantes contributions pour notre enquête[17] .

"Ce fut au mois d'Août 1872, dit Stainton Mosès, que j'acquis la conviction de l'identité spirite. Nous avions, le docteur M. Speer et moi, des séances presque régulièrement tous les soirs.
Une amie de M. Speer, dont je n'avais jamais entendu parler vint, et par ma main écrivit son nom : A. P. Kirklaud. Le docteur Speer demanda : «êtes-vous notre vieille amie ? » J'écrivis alors : « oui, je suis venue vous dire que je suis heureuse, mais je ne peux pas impressionner notre ami ce soir. » L'écriture changea et une communication de M. Callister (un de mes amis), puis d'un mes cousins J. S. T. et encore d'un autre esprit que je ne crois pas utile de faire connaître.
Il est important de remarquer que l'écriture de miss Kirkland, que je n'avais jamais vue, est très semblable à la sienne..."


Dans une autre circonstance, un esprit s'est manifesté en donnant sur sa vie passée les détails les plus circonstanciés, alors que cet esprit était absolument inconnu du médium. Le phénomène acquiert encore une plus grande valeur par ce fait que l'écriture de la communication, comparée à un vieux manuscrit, a été trouvée presque tout à fait semblable. Nous reproduisons ce cas très démonstratif[18] .

"Vers la même époque, une de nos séances (presque deux heures) fut prise par la communication d'une série de faits, noms, dates, et détails minutieux donnés par un esprit capable de répondre aux questions les plus détaillées. Le jour de sa naissance, des détails sur l'histoire de sa famille et de sa jeunesse furent donnés à ma demande. J'eus ainsi une autobiographie concernant les faits principaux et même quelques particularités de la vie journalière qui vinrent à leur place de la façon la plus naturelle. Les réponses aux questions venaient sans aucune hésitation avec une précision, une clarté parfaites. Partout où la vérification fut possible, ces détails furent trouvés en tout exacts. Ce cas eût-il été unique, j'étais bien forcé d'admettre que les renseignements venaient de l'homme lui-même ayant gardé sa mémoire intacte, son individualité inattaquée par le changement que nous appelons la mort.
Dans le lieu où j'écrivais les communications automatiques se trouve une courte lettre, écrite automatiquement, d'une écriture archaïque particulière, d'une orthographe bizarre et ancienne, et signée du nom de l'homme en question, un homme distingué de son temps. J'ai depuis pu me procurer un spécimen de son écriture, un vieux document jauni, gardé comme autographe, l'écriture de mon livre est une bonne imitation de celle-là, l'ancienne orthographe se présente exactement de même. C'est ce cas que je retrouve ainsi qu'il suit, raconté dans mes notes.
Le 25 janvier 1874, est venu à notre cercle Thomas Wilson qui a passé toute la soirée à nous donner les plus minutieux détails sur lui et sa famille par le moyen de soulèvements ou plutôt de lévitations de la table. J'étais fatigué à en mourir, mais il continuait toujours. Il dit qu'il était né à Boston, dans le Cheshire, le 20 décembre 1663 et qu'il était mort le 7 mars 1755, âgé de 91 ans. Le nom de sa mère était Sherlock, elle était née à Oman dans le Cheshire. Son maître d'école était M. Harper de Chester. Il fut désigné par le Dr Morton, évêque de Kildare, pour le vicariat de son oncle, le docteur Sherlock en 1686. Le 29 janvier (jour de la Saint-Pierre) il fut nommé évêque de Sodor and Man ; il épousa Mary Pallen, de Warington, en 1698, et eut quatre enfants : Marie mourut à treize ans, Thomas à un an, Alice à deux ans. Un autre fils Thomas lui survécut. Il nous dit qu'Imperator l'avait envoyé à notre cercle. Son « rap » était clair et distinct. Tous ces détails complètement inconnus au cercle furent vérifiés ensuite et une lettre ancienne que m'envoya un ami nous permit de vérifier l'écriture. Le mot « friend » est orthographié avec l'e avant l'i comme dans l'écriture automatique... Je le demande ? S'il n'était pas l'homme qu'il prétendait être, qui était il ? N'est-il pas plus difficile de croire à une contrefaçon de l'intelligence qu'à l'intelligence elle-même ?"


Ces remarques finales nous semblent très justes, et la critique, même la plus pénétrante, ne peut entamer cette série d'évidences. H. Myers, qui n'avait pas encore à cette époque trouvé son chemin de Damas, en est réduit à des suppositions, à des hypothèses et n'essaye même pas d'expliquer les faits les plus caractéristiques. Ecoutons son argumentation.

"Note de M. F. W. H. Myers. — L'évêque Wilson. J'ai vérifié ces faits dans la vie de l'évêque Wilson par Stowell, livre que M. S. Moses peut avoir eu entre les mains à l'île de Man. Mais ces faits sont disséminés et la mémoire subconsciente peut difficilement les avoir conservés sans recourir au livre. Je n'ai pas trouvé dans le livre les noms des deux enfants Thomas et Alice, morts tout jeunes ; et je ne sais comment ils pourraient être vérifiés. Ceci, naturellement est une objection aux messages prétendant venir de personnages historiques. Il est difficile de trouver des faits qu'on aurait eu de la peine à connaître auparavant et qui seraient cependant vérifiables par la suite ; et les objections que l'on fera communément à tous les « contrôles historiques » s'appliquent forcément à ce cas aussi."

Eh bien ! N'en déplaise aux psychologues, nous trouvons ces objections très faibles. D'abord, il est certain que S. Mosès ne connaissait pas le livre de Stowel, sans quoi il l'eût mentionné. Il avait assez de mémoire et un esprit suffisamment pondéré pour se souvenir d'un ouvrage qu'il aurait lu depuis peu de temps, et même nous devons admettre que jamais il n'en avait pris connaissance, puisqu'il l'affirme. Faisons cependant la supposition peu vraisemblable que tout ce qui se rapporte à l'évêque Wilson se trouvait dans sa subconscience, cela nous donne-t-il la moindre indication sur la source où il aurait puisé pour faire un pastiche fidèle de l'écriture de Wilson ? Evidemment non, d'autant plus que l'orthographe est légalement caractéristique. Il faut donc reconnaître ici une accumulation de caractères positifs qui militent absolument en faveur de l'intervention d'un esprit qui tenait à témoigner de sa survivance.
Il semble bien que les guides du médium se sont attachés à lui fournir des preuves certaines, en grande abondance, car nous lisons encore dans le même travail les lignes suivantes.

"D'un autre côté, je dois signaler encore comme preuves d'évidence, les signatures répétées que j'ai obtenues et qui sont de véritables « fac-similés » de celles employées par les personnes pendant leur vie ; par exemple les signatures de Beethoven, de Mozart et Swedenborg se rattachant à celle du juge Edmonds, il est à remarquer que dans mon livre, sa signature, ou plutôt ses initiales, sont celles qu'il employait durant sa vie, et que la signature de Swendenborg, qui est particulière, a été un fac-similé de sa propre écriture ; quoique m'étant complètement inconnue."

Il ne faut pas songer à la mémoire inconsciente puisqu'il est assez rare de rechercher des autographes, et si cela se produit, il est certain que chez un homme réfléchi, sérieux, le souvenir en est conservé. Rien de la télépathie, puisque tous les agents sont morts depuis longtemps. Faut-il attribuer ces connaissances à la clairvoyance ? Rien ne nous y autorise, car toutes ces signatures ont été données à l'improviste sans aucune sollicitation ni aucun désir de les obtenir. On aura beau passer ces phénomènes au crible de la critique la plus intransigeante, ils y résistent et restent comme des signes manifestes de nos rapports avec l'au-delà.
Arrivons enfin à un dernier cas, tellement significatif que M. Myers ne trouve pas d'explication plausible dans l'arsenal de la psychologie, même subliminale. Le voici.

"Le premier cas que je vais rapporter me parait à certains points de vue le plus remarquable. L'esprit en question est celui d’une dame de ma connaissance, que M. Mosès avait, je crois, rencontrer une fois seulement. Elle défendit elle-même la publication de son vrai nom, pour une cause qui me sauta aux yeux dès que je lus son cas, mais qui n'était pas précisément connue de M. Mosès. Je la nommerai Blanche Abercromby et j'omettrai les dates.
Cette dame mourut à la campagne, à environ 200 milles de Londres, un dimanche, il y a environ vingt ans, et sa mort fut considérée comme un événement mondain intéressant ; elle parut dans le Times du lundi, ayant été aussitôt télégraphiée à Londres ; mais naturellement le dimanche soir, personne à Londres, sauf peut-être la presse et quelques amis intimes, ne connaissait l'événement.
On verra plus loin que, ce soir-là vers minuit, une communication prétendant venir d'elle-même fut faite à M. Mosès dans son appartement particulier au nord de Londres. L'identité fut corroborée quelques jours plus tard par quelques lignes paraissant venir d'elle et dans sa propre écriture, il n'y a aucune raison de supposer que M. Mosès ait jamais vu son écriture. Sa seule rencontre avec cette dame et son mari avait eu lieu à l'occasion d'une séance — qui n'était pas une de ses séances — où il avait été péniblement affecté par l'incrédulité complète exprimée par le mari sur la possibilité des phénomènes.
M. Mosès ne semble pas avoir parlé de cette communication à personne et, dans le manuscrit où elle était consignée, les pages étaient collées ensemble avec la mention : « Private Matter» Elles étaient encore collées quand on me remit le livre ; pourtant Mme Speer connaissait la communication. J'ouvris les pages selon la permission que j'en avais et je fus surpris de trouver une courte lettre qui, bien que ne contenant aucun fait bien défini, me parut être tout à fait caractéristique de Blanche Abercromby que j'avais connue ; mais bien qu'ayant reçu d'elle plusieurs lettres pendant sa vie, je n'avais pas souvenir de son écriture. Heureusement, je connaissais assez bien un de ses fils pour lui demander son aide en cette circonstance, aide qu'il aurait sûrement refusée à un étranger. Il me prêta une lettre pour comparer. Une grande ressemblance sautait aux yeux, mais l'A du nom de famille n'était pas le même que celui de l'écriture automatique. Enfin, après avoir consulté un très grand nombre de lettres jusqu'à la fin de sa vie, je m'aperçus que dans les dernières années, elle avait pris l'habitude d'écrire l'A (comme son mari l'avait toujours fait) ainsi qu'il apparaissait dans l'écriture automatique. La ressemblance nous parut évidente à son fils et à moi, mais voulant avoir l'opinion d'un connaisseur expérimenté il me fut permis de montrer le journal et deux lettres au Dr Hodgson qui, on s'en souvient, découvrit, par l'évidence basée sur une analyse minutieuse de l'écriture, que les auteurs des lettres de « Koot-Hoomi » étaient Mme Blawatsky et Damodar.
Voici le rapport du Dr Hodgson :
5, Bolyston place,
Boston, 1er septembre 1893.

J'ai comparé l'écriture numérotée 123 dans le journal de M. Stainton Mosès, avec les lettres du 4 janvier 18..., et du 19 septembre 18.., écrites par B. A. Il y a dans le journal de petites ressemblances avec l'écriture des lettres et il y a aussi de petites différences dans la formation des lettres, à en juger par les deux lettres qui m'ont été soumises ; mais les ressemblances sont encore plus caractéristiques que les différences. De plus, il y a plusieurs particularités frappantes communes aux écritures des lettres et du journal, et qui semblent plus exagérées dans ce journal. L'écriture du « note-book » tend à montrer que l'auteur cherchait à se rappeler les principales particularités de l'écriture de B. A. et non pas à copier des spécimens de cette écriture. La signature, surtout dans le journal, est d’une façon bien caractérisée la signature de B. A. Quoi qu'il en soit, je n'ai aucun doute en croyant que la personne qui écrivit le journal voulait reproduire l'écriture de B. A.
RICHARD HODGSON.

La vérification de ce cas était trop complète, poursuit M. Myers, pour que nous puissions ici l'expliquer complètement. La dame, qui était tout à fait étrangère à ces recherches, était morte depuis vingt ans lorsque sa lettre posthume fut découverte dans le journal particulier de M. Moses, par une des rares personnes survivantes qui l'a connue assez pour reconnaître la valeur caractéristique du message, et qui, en même temps, s'intéressait assez à l'identité spirite pour faire bien comparer l'écriture.

Ici nul doute n'est possible ; la preuve est tout à fait complète, puisqu'elle subit le contrôle des plus rigoureux critiques qui ne trouvent rien à redire.

Au village de D...

Nous avons signalé déjà la remarquable faculté de Maria, le médium observé par MM. Dusart et Broquet ; il nous faut revenir sur certaines particularités qui prennent leur place dans ce chapitre et qui nous présentent des exemples de la reconstitution de l'écriture du frère de Maria et d'une de ses petites amies morte depuis longtemps. Bien que le sujet ait connu ces deux esprits pendant leur vie terrestre, nous croyons que la mémoire subconsciente ne peut jouer ici aucun rôle, car Maria allait très peu à l'école et n'a peut-être jamais lu aucun cahier de son frère ou de son amie. Mais ce qui nous incite surtout à mentionner ces autographes c'est que ces esprits, outre l'écriture de Maria, ont donné des preuves d'identité par des manifestations écrites par le médium illettré Mme B. pour l'une : Agnès et par une enfant de trois ans et demi pour l'autre : Hubert. Reproduisons textuellement les termes du mémoire de MM. Broquet et Dusart[19] .

"Voici les particularités qui ont signalé quelques-unes des communications de Maria.
Le lendemain du jour où sa médiumnité se déclare, Maria, au milieu d'une séance à laquelle assistaient sept personnes, parmi lesquelles M. Ch. Broquet, déclare sentir sur sa main le contact d’une petite main d'enfant, mais elle ne voit rien ; son bras est agité de mouvements nerveux. Elle prend un crayon et écrit d'une écriture qui ne ressemble pas à la sienne. La communication est signée Hubert V... son frère mort de méningite à six ans et demi. On cherche s'il ne reste pas, dans la maison, des spécimens de l’écriture de Hubert et on trouve, au milieu de beaucoup de paperasses, un cahier d'école resté là par hasard et inconnu du reste de la famille. On compare les deux écritures et l'on constate leur parfaite ressemblance.
Depuis ce moment, les nombreuses communications de Hubert furent toujours reconnues par le seul caractère de l'écriture, avant qu'elles fussent signées.
Agnès B... cousine et amie d'enfance de Maria, s'est assez souvent communiquée par l'écriture. Elle est fort peu instruite et avait l'habitude de signer Agnesse. Cette faute d'orthographe se retrouve dans toutes les communications, aussi bien celles qui sont données par la main de Maria, que celles transmises par Mme B.., le médium illettré incapable de se rendre compte non seulement de l'orthographe des communications données par sa main, mais même de distinguer des griffonnages sans aucune lettre formée, et de l'écriture nettement lisible. L'écriture est si bien celle d'Agnès qu'à sa vue son père et sa mère ont éclaté en sanglots au milieu d'une séance.
Clément Bourlet, dont nous avons déjà beaucoup parlé, écrit fort fréquemment et toujours dans le patois le plus grossier avec les mêmes plaisanteries vulgaires, la même orthographe et les mêmes caractères de l'écriture, que la main qui tient le crayon soit celle de Maria, ou celle de Zélia, âgée de onze ans, ou encore celle de Mme B..., personne fort instruite, d'un caractère élevé et qui, habitant une autre localité, ne connaissait pas Maria et n'avait jamais vu l'écriture de Clément ; ou enfin celle de Mlle M. B..."


Faisons une dernière fois observer l'importance de ces contrôles successifs qui établissent positivement l'existence et l'individualité des Esprits. Lorsque le Spiritisme sera plus répandu et que l'on pourra constituer de sérieux centres d'études, il deviendra facile d'expérimenter avec rigueur et méthode et nous sommes assurés que ces cas probants se multiplieront avec une telle abondance, que le doute ne pourra subsister pour aucun incrédule de bonne foi.

Les cas du syndic Chaumontet et du curé Burnier

M. le professeur Flournoy, de qui nous avons cité déjà une étude sur l'automatisme[20] , a publié dernièrement une étude très intéressante intitulée : « Des Indes à la planète Mars », dans laquelle il rapporte les observations qu'il fit sur un remarquable médium qu'il nomme Mlle Hélène Smith. Nous n'avons pas à nous prononcer sur les théories de l'auteur qui est un adversaire du spiritisme, il nous suffira de lui emprunter le récit de quelques expériences dont il ne peut donner d'explication valable, puisqu'il en est réduit à imaginer des hypothèses invraisemblables pour essayer de faire jouer à la mémoire latente, un rôle que celle-ci ne peut remplir. Mais voyons d'abord les faits et nous discuterons ensuite.

"Voici un dernier cas récent, où l'hypothèse spirite et l'hypothèse cryptomnésique subsistent l'une en face de l'autre, immobiles comme deux chiens de faïence se faisant les gros yeux, à propos de signatures données par Mlle Smith en somnambulisme et qui ne manquent pas d'analogie avec les signatures authentiques des personnages défunts dont elles sont censées provenir.
Dans une séance chez moi (12 février 1899), Mlle Smith a la vision d'un village sur une hauteur couverte de vignes ; par un chemin pierreux elle voit descendre un petit vieux qui a l'air d'un demi-monsieur : souliers à boucles, grand chapeau mou, col de chemise pas empesé, aux pointes montant jusqu'aux joues, etc. Un paysan en blouse qu'il rencontre lui fait des courbettes, comme à un personnage important ; ils parlent patois, de sorte qu'Hélène ne les comprend pas. Elle a l'impression de connaître ce village, mais cherche vainement dans sa mémoire où elle l'a vu. Bientôt le paysan s'efface, et petit vieux, maintenant vêtu de blanc, et dans un espace lumieux (c'est-à-dire dans sa réalité actuelle de désincarné, voir la note I, page 384), lui paraît s'approcher. A ce moment, comme elle est accoudée du bras droit sur la table, Léopold dicte par l'index : « baissez-lui le bras ». J'exécute l'ordre ; le bras d'Hélène résiste d'abord fortement, puis cède tout à coup. Elle saisit un crayon, et au milieu de la lutte habituelle relative à la façon de tenir (v. p. 98) ; « vous me serrez trop la main », dit-elle au petit vieux imaginaire qui, suivant Léopold, veut se servir d'elle pour écrire : « vous me faites très mal, ne serrez pas si fort. Qu'est-ce que ça peut vous faire que ce soit un crayon ou une plume ? » A ces mots, elle lâche le crayon pour prendre une plume et, la tenant entre le pouce et l'index, trace lentement d'une écriture inconnue : Chaumontet syndic (v. fig. 44). Puis revient la vision du village ; sur notre désir d'en savoir le nom, elle finit par apercevoir un poteau indicateur où elle épelle Chessenaz, qui nous est inconnu. Enfin, ayant sur mon conseil demandé au petit vieux, qu'elle voit encore, à quelle époque il était syndic, elle l'entend répondre : 1839. Impossible d'en apprendre davantage ; la vision s'épanouit et fait place à une incarnation totale de Léopold, qui, de sa grosse voix italienne, nous parle longuement de choses diverses.
J'en profite pour l'interroger sur l'incident, du village et du syndic inconnus ; des réponses entrecoupées de longues digressions se résument ainsi : « je cherche... je me suis dirigé en pensée le long de cette grande montagne percée dessous dont je ne sais le nom[21] ; je vois le nom de Chessenaz, un village sur une hauteur, une route qui y monte. Cherche dans ce village, tu trouveras certainement ce nom (Chaumontet), cherche à contrôler sa signature ; cette preuve-là, tu la trouveras ; tu trouveras que l'écriture a été de cet homme[22] ». Je me demande s'il voit cela dans les souvenirs d'Hélène et s'il a été à Chessenaz, il répond négativement sur le premier point et évasivement sur le second : « demande-le lui, elle a bon souvenir de tout, je ne l'ai pas suivie dans toutes ses promenades. »
Réveillée, Hélène ne put nous fournir aucun renseignement. Mais le lendemain je trouvai sur la carte un petit village de Chessenaz dans le département de la Haute-Savoie, à 26 kilomètres de Genève à vol d'oiseau et non loin du Credo. Comme les Chaumontet ne sont pas rares en Savoie, il n'y avait rien d'invraisemblable à ce qu'un personnage de ce nom y eût été syndic en 1839[23] .
Quinze jours plus tard, il n'y avait pas de séance, mais je faisais visite à Mme et Mlle Smith, lorsque Hélène reprend soudain l'accent et la prononciation de Léopold, sans se douter de ce changement de voix, et croyant que je plaisante quand je cherche à le lui faire remarquer[24] . Bientôt l'hemi-somnambulisme s'accentue ; Hélène voit reparaître la vision de l'autre jour, le village, puis le petit vieux (le syndic), mais accompagné cette fois d'un curé avec qui il paraît au mieux et qu'il appelle (à ce qu'elle me répète, toujours avec l'accent de Léopold) « mon cher ami Burnier. » Comme je demande si ce curé ne pourrait pas écrire son nom par la main d'Hélène, Léopold me promet, par une dictée digitale, que j'aurai cette satisfaction à la première séance ; puis il se met à me parler d'autre chose par la bouche d'Hélène qui est maintenant entièrement entransée.
A la séance suivante, chez moi (19 mars), je rappelle à Léopold sa promesse. Il répond d'abord par le doigt : « désires-tu beaucoup cette signature ? » Et ce n'est que sur mes instances qu'il y veut bien consentir. Hélène ne tarde pas à revoir le village et le curé, qui, après divers incidents, vient s'emparer de sa main comme l'avait fait le syndic, et trace très lentement à la plume les mots : « Burnier Salut » puis elle passe à d'autres somnambulismes.



Le moment était venu d'éclaircir la chose. J'écrivis à tout hasard à la mairie de Chessenaz ; le maire, M. Saunier, eut l'extrême obligeance de me répondre sans retard. — « Pendant les années 1838 et 1839, me disait-il, le syndic de Chessenaz était un Chaumontet, Jean, dont je retrouve la signature en divers documents de cette époque. Nous avons eu aussi pour curé M. Burnier André, de novembre 1824 jusqu'en février 1841 ; pendant cette période tous les actes de naissances, mariages et décès, tenus alors par les ecclésiastiques portent sa signature... Mais je viens de découvrir dans nos archives un titre revêtu de deux signatures, celle du syndic Chaumontet et du curé Burnier. C'est un mandat de paiement ; je me fais un plaisir de vous le transmettre. » J'ai fait reproduire au milieu de la figure 44 le fragment de ce document original (daté du 29 juillet 1838) portant les noms des deux personnages ; le lecteur peut ainsi juger par lui-même de la similitude assez remarquable qu'il y a entre ces signatures authentiques et celles automatiquement tracées par la main de Mlle Smith[25] .
Ma première idée fut, on le devine, que Mlle Smith avait dû voir une fois ou l'autre des documents signés du syndic ou du curé de Chessenaz, et que c'étaient ces clichés visuels oubliés, reparaissant en somnambulisme, qui lui servaient de modèles intérieurs lorsque sa main entransée retraçait ces signatures. On devine également si une telle conjecture fit bondir Hélène, qui n'a aucun souvenir d'avoir jamais entendu le nom de Chessenaz ni de ses habitants présents ou passés. Je ne regrette qu'à moitié mon imprudente supposition, car elle nous a valu une nouvelle et plus explicite manifestation du curé, lequel, s'emparant de rechef du bras de Mlle Smith dans une séance ultérieure (21 mai, chez M. Lemaitre), vint nous certifier son identité par l'attestation en terme et de forme de la figure 43. Comme on le voit, il s'y prit à deux fois : s'étant trompé à la signature, il barra incontinent avec dépit ce qu'il venait d'écrire soigneusement, et recommença sur une autre feuille. Ce second libellé où il a omis le mot soussigné du premier, lui prit sept minutes à tracer, mais ne laisse rien à désirer comme évidence et précision. Cette calligraphie appliquée est bien celle d'un curé campagnard d'il y a 60 ans, et, à défaut d'autres pièces de comparaison, elle dénote une indéniable analogie de la main avec l'acquit authentique du mandat de paiement de la figure 44.
Ni Mlle Smith ni sa mère n'avaient la moindre notion du curé ou du syndic de Chessenaz. Elles m'apprirent cependant que leur famille avait eu quelques parents et connaissances dans cette partie de la Savoie, et qu'elles sont encore en relation avec un cousin qui habite Frangy, le bourg important le plus rapproché (une lieue) du petit village de Chessenaz. Hélène elle-même n'a fait qu'une courte excursion dans cette région, il y a une dizaine d'années : et si, en suivant la route de Seyssel à Frangy, elle a traversé des coins de paysage répondant bien à certains de sa vision du 12 février (qu'elle avait, comme on l'a vu, le sentiment de reconnaître), elle n'a, par contre aucune idée d'avoir été à Chessenaz même, ni d'en avoir entendu parler. D'ailleurs, dit-elle, « pour ceux qui pourraient supposer que j'ai pu passer à Chessenaz sans m'en souvenir, je m'empresserai de leur objecter et de leur affirmer que même y serais-je allée, je n'aurais point été y consulter les archives pour y apprendre qu'un syndic Chaumontet et un curé Burnier y avaient existé à une époque plus ou moins reculée. J'ai bonne mémoire et j'affirme hautement qu'aucune des personnes qui m'ont entourée pendant ces quelques jours passés loin de ma famille ne m'a jamais montré aucun acte, aucun papier, rien, en un mot, qui pourrait avoir emmagasiné dans mon cerveau un pareil souvenir. Ma mère a fait, à l'âge de quatorze ou quinze ans, une course en Savoie, mais rien dans ses souvenirs ne lui rappelle avoir jamais entendu ces deux noms. » — Les choses en sont là et je laisse au lecteur le soin de conclure comme il lui plaira."


Voici maintenant les réflexions dont M. Flournoy assaisonne ce cas remarquable.

"Ce cas m'a paru digne de couronner mon rapide examen des apparences supra-normales qui émaillent la médiumnité de Mlle Smith, parce qu'il résume et met excellemment en relief les positions respectives, antinomiques et inconciliables, des milieux spirites et des médiums d'une part, parfaitement sincères du reste, mais trop facile à contenter, — et des chercheurs quelque peu psychologues, d'autre part, toujours poursuivis par la sacro-sainte terreur de prendre des vessies pour des lanternes. Aux premiers, la moindre chose curieuse, une vision inattendue du passé, des dictées de la table ou du doigt, un accès de somnambulisme, une ressemblance d'écriture, suffisent à donner la sensation du contact de l'au-delà et à prouver la présence réelle du monde désincarné. Ils ne se demandent jamais quelle proportionnalité il peut y avoir entre les prémisses, si frappantes soient-elles, et cette formidable conclusion. Pourquoi et comment, par exemple, les défunts, revenant signer par la main d'une autre personne en chair et en os, auraient-ils la même écriture que de Ieur vivant ? Les mêmes gens qui trouvent cela tout naturel, bien qu'ils n'en aient encore point vu de cas certains, tombent des nues lorsqu'on invoque devant eux la possibilité de souvenirs latents, dont la vie courante leur fournit pourtant des exemples quotidiens — qu'ils n'ont, il est vrai, jamais pris la peine d'observer. Les psychologues, en revanche, ont le diable au corps pour aller regarder derrière les coulisses de la mémoire et de l'imagination, et quand l'obscurité les empêche d'y rien distinguer, ils ont la marotte de s'imaginer qu'ils finiraient bien par y trouver ce qu'ils cherchent — si seulement on pouvait y faire la lumière. Entre deux classes de tempéraments aussi disparates, il sera, je le crains, bien difficile d'arriver à une entente satisfaisante et durable."


Il est certain que si nous devons abandonner toute méthode scientifique de contrôle pour nous assurer de la réalité de la vie d'Outre-Tombe, jamais nous ne nous entendrons avec M. Flournoy. Dans toute enquête, même judiciaire, la signature d'un individu suffit à affirmer son individualité. Ce point admis, il reste à savoir si l'écriture est simulée, et dans le cas qui nous occupe, comment Mlle Smith aurait pu avoir sous les yeux les signatures du curé Burnier et du Syndic Chaumontet. Tout d'abord, M. Flournoy reconnaît que le médium est honnête, intelligent, incapable de mentir ; il accepte son témoignage, ce qui est essentiel en l'espèce, Mlle Smith n'a jamais mis les pieds à Chessenaz ; elle paraît avoir séjourné simplement pendant quelques jours chez un cousin habitant dans un bourg voisin. Voilà les faits. Comment M. Flournoy arrive-t-il à en induire qu'elle a eu sous les yeux les écrits du curé et du syndic ? C'est une simple supposition, une hypothèse qui ne peut s'appuyer sur aucune circonstance réelle et qui est combattue même par le plus simple raisonnement.
Quelle probabilité peut-il exister pour que le cousin ou son entourage ait parlé à Mlle Smith du curé d'un petit village voisin, mort depuis soixante ans ? L'ont-ils connu ? Non. Savaient-ils seulement qu'il avait existé ? Qui donc se soucie de rechercher, sauf des cas spéciaux, le nom des prêtres qui ont séjourné dans un village. En supposant même qu'il se soit trouvé une personne âgée qui ait connu ce curé, elle n'aurait pu assurément faire connaître à Mlle Smith l'écriture de cet ecclésiastique, sans que la mémoire de cet événement fût conservée par le médium. Or, lui et sa mère déclarent que le nom du prêtre et celui du syndic leur étaient absolument inconnus, il faut donc abandonner l'hypothèse de souvenirs latents, puisque rien ne peut justifier cette supposition. Mais où les individualités posthumes accusent leur identité, c'est lorsqu'ils signent d'une manière presque absolument identique à celle qu'ils usitaient de leur vivant. Dans ce cas, le doute doit disparaître, car l'écriture est manifestement un signe indéniable de la personnalité. M. Flournoy s'imagine que Mlle Smith a dû voir ces signatures, mais nous rappellerons qu'elles étaient enfouies, depuis 60 ans dans les archives de la commune de Chessenaz et qu'il n'est pas raisonnable de supposer que l'administration communale s'amuse à faire circuler ses papiers dans les bourgs circonvoisins, pour l'amusement des badauds ou la satisfaction personnelle de jeunes filles de passage dans le pays. Cet exode de papiers municipaux qui dorment sous la vénérable poussière d'un demi-siècle, est certainement une de ces imaginations invraisemblables auxquelles on n'a recours qu'en désespoir de cause.
Nous préférons croire à la présence réelle du curé Burnier et du syndic Chaumontet, qui s'affirment authentiquement par leurs signatures, plutôt qu'à l'insinuation du cliché visuel qui est contraire à la matérialité des faits. M. Flournoy semble croire que c'est la première fois qu'on obtient de l'écriture post-mortem semblable à celle d'un vivant. Nous le renvoyons au cas d'Estelle Livermore cité par Aksakof, que nous verrons dans le chapitre suivant ; aux « fac-similés » publiés par le baron de Guldenstubée à la fin de son livre sur : « La réalité des Esprits », et enfin à l'exemple rapporté plus haut par le professeur Moutonnier.
Quant à l'étrangeté qu'il y aurait pour un désincarné de reproduire son ex-signature, elle ne nous serait pas plus inexplicable que les écritures que l'on fait exécuter par certains sujets, en les replaçant par suggestion, à un stade quelconque de leur vie antérieure, car l'on constate alors que leur écriture, pendant que la suggestion opère, est semblable à celle qu'ils avaient réellement à l'âge qu'on leur a indiqué. Les spirites évitent avec soin de prendre des vessies pour des lanternes, c'est pourquoi ils ne se déclarent pas satisfaits lorsque les psycholoques essaient d'expliquer des phénomènes médianimiques véritables par des hypothèses, si cryptomnésiques qu'elles peuvent plus supporter le simple éclat du grand jour. Malgré ces oppositions systématiques, le spiritisme poursuit triomphalement sa route et il apporte à tous les hommes sincères la clef du grand problème de l'Au-delà, que les savants, pas plus que les prêtres, n'ont su découvrir.

[1] Société de psychologie physiologique. Séance du 22 février 1886. Revue scientifique. La personnalité et l’écriture. Essai de graphologie expérimentale. Avril 1886.

[2] De Rochas. Les Etats superficiels de l’hypnose.

[3] Bourru et Burot. Les variations de la personnalité.

[4] Crookes. Recherches sur le Spiritualisme. Page 157.

[5] Gabriel Delanne. Le phénomène spirite. Page 143 et suiv.

[6] Aksakof. Animisme et spiritisme. Page 547 et suiv.

[7] Gabriel Delanne. Le phénomène spirite. Page 231.

[8] Ce sont là de très bonnes conditions, car, généralement, c’est le médium qui tient ainsi l’ardoise.

[9] Voir : Psychographie, par Oxon (Stainton Mosès) ; et consulter l’ouvrage de M. de Rochas : L’extériorisation de la motricité, au sujet des traces laissées par Eusapia Paladino sur un mur, et jusque sur le plastron d’un de mes expérimentateurs. Voir pages 140 et 162.

[10] Notons bien que ces pratiques purement mystiques sont tout à fait inutiles et qu’un esprit sceptique, juif, mahométan, etc, alors même qu’il ne confessera pas « que Jésus est venu en chair », ne sera pas pour cette raison un réprouvé.

[11]Ne pouvant nous étendre sur ces récits, nous renvoyons le lecteur à la Revue Spiritualiste. Année 1858, pages 240 et 417. Année 1859, pages 126 – 141 – 145 – 166 – 204 – 206 – 232. 1862. Nouvelles expériences du baron de Guldenstubbé, page 90. Voir également le livre de Stainton Mosès intitulé : Psychography, qui relate toutes les expériences de l’auteur et un grand nombre d’autres du plus haut intérêt.

[12] Annales Psychiques. 1899. Page 65.

[13] Nous tenons aussi de bonne source, et notamment de M. Richard Hodgson, que les sœurs Bangs ne se sont pas toujours privées de truquer ; mais nous savons que la grande majorité des médiums tombe plus ou moins dans ce regrettable défaut, et, sachant, par expérience, que des médiums que nous avons quelquefois pu légitimement soupçonner ont souvent produit des phénomènes authentiques, nous n’allons pas jusqu’à conclure que les sœurs Bangs n’aient jamais produit que de la supercherie. (Note de M. Dariex, directeur des Annales psychiques).

[14]Voir pages 70 – 71 – 72 – 73, des Annales Psychiques, les reproductions de l’écrite directe et celles des autographes de Harry et de Melle Moutonnier pendant leur vie terrestre.

[15] Nous eussions préféré ne pas voir se produire cette interpellation relative aux tableaux dans la première séance, aux fleurs dans la seconde et précédant la fin de ces séances, car il est permis de supposer que le médium a voulu détourner ainsi l’attention de l’expérimentateur ; mais il ne serait pas juste de s’autoriser de cette apparence pour conclure à la fraude et repousser les affirmations de M. Moutonnier, qui, en sa qualité de témoin, peut mieux que personne savoir à quoi s’en tenir. (Notes de M. Dariex, directeur des Annales). Ajoutons, de plus, que même si l’on supposait la fraude possible, ce que le récit détaillé de M. Moutonnier ne permet pas de faire, il faudrait encore expliquer comment les sœurs Bangs ont pu avoir connaissance de l’écriture de deux personnes mortes en Europe, qu’elles n’avaient jamais connues.

[16]Revue Spirite, 1860 — Bulletin de la Société des Etudes Spirites — Page 266.

[17] Annales Psychiques — 1895 — Page 350 et suiv.

[18]Spirit. Identity. Pages 65 et 66.

[19] Broquet et Dusart. Phénomènes psychiques observés au village de D. in. Revue scientifique et morale du Spiritisme. Mai 1899. Page 676.

[20]Voir page 172.

[21] En disant cela, Léopold-Hélène se tournait vers une fenêtre de ma bibliothèque donnant du côté du fort de l’écluse, où se trouve en effet le tunnel du Credo, sur la voie ferrée de Genève à Bellegarde. (Note de M. Flournoy).

[22] Notez cette préoccupation constante chez Léopold, de me fournir du supranormal pour m’amener au Spiritisme.

[23] La Savoie faisait alors partie des Etats Sardes. Sa cession a la France en 1860 a entraîné la substitution des maires aux syndics.

[24] Cet accès inattendu et exceptionnel d’hemi-somnambulisme spontané pendant une de nos visites, est probablement dû au fait que c’était justement le jour et l’heure ordinaire des séances.

[25] L’écriture de l’Esprit Burnier est en haut de la reproduction et celle du syndic en bas. Les deux textes du milieu sont ceux fournis par la mairie de Chessenaz.

 

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