Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


INTRODUCTION

 

Qu'est-ce que le Spiritisme ? Pour les savants, une superstition populaire ; pour les prêtres catholiques ou protestants, une pratique démoniaque ; pour les spirites, la démonstration expérimentale de l'existence de l'âme et de son immortalité. En France, le grand public est encore fort ignorant de cette nouvelle science. Malgré les efforts de ses adeptes depuis cinquante ans, malgré les livres excessivement nombreux où sont exposées ses expériences et ses théories, pour un grand nombre de personnes, il se résume dans la danse des tables et n'a aucune importance.
La vérité est tout autre. Les manifestations par lesquelles l'âme, après la mort, démontre sa survivance, sont nombreuses et très variées. Nous en avons fait l'historique dans d'autres ouvrages[1] , nous n’y reviendrons donc pas ici. Il nous suffira de rappeler que les phénomènes peuvent avoir un aspect purement physique, comme les mouvements de table ou d’objets divers, avec ou sans contact, les apports, les lumières produites dans l’obscurité, la lévitation, les matérialisations, etc. ou bien constituer des manifestations intellectuelles présentées par les médiums voyants, auditifs, écrivains, etc.
Pendant longtemps, la science officielle a dédaigné de s'occuper de ces nouveautés qui avaient l'irrévérence de se produire en dehors des laboratoires officiels. Puis, harcelés par l'infatigable ardeur de la presse spirite et sous la poussée irrésistible des faits, quelques savants ont tenté timidement d'explorer le terrain défendu, et lorsqu'ils ont cru trouver une explication exclusivement physique ou physiologique de la médiumnité. Ils se sont empressés de proclamer que le spiritisme n'est qu'une erreur, et ses partisans les dupes d'illusions sensorielles encore peu connues.
Cependant ces affirmations n'ont pas semblé concluantes à beaucoup de chercheurs, et depuis que la Société anglaise de Recherches psychiques a établi la certitude des phénomènes de la télépathie, de la clairvoyance, de la suggestion mentale, un grand désir de savoir s'est emparé des classes instruites, et de tous côtés s'organisent des instituts qui se proposent de scruter rigoureusement tous les faits réputés mystérieux, afin de décider quelle est la cause qui les produit.
Le moment nous semble venu de faire une enquête approfondie sur la médiumnité, c'est-à-dire la faculté que possèdent certains individus de servir d'intermédiaire entre les hommes et les esprits. Etant donné la diversité considérable des faits à examiner, nous scinderons le problème en plusieurs parties ; nous commencerons par le phénomène de l'écriture mécanique, d'abord parce qu'il a été l'objet de travaux importants et ensuite parce qu'il peut s'expliquer aujourd'hui, grâce aux découvertes faites récemment sur l'action à distance exercée par un esprit humain sur un autre esprit humain[2] dans des conditions bien déterminées.
Le Spiritisme tout entier, expérimental et philosophique, est basé sur la possibilité que nous avons de communiquer avec les esprits, c’est-à-dire avec les âmes des personnes qui ont vécu sur la terre. Sa puissance de démonstration repose entièrement sur la médiumnité : aucune étude n’est donc plus intéressante, ni d’un ordre plus vital pour ses adeptes, que celle qui a pour but la connaissance exacte des lois qui président à ces manifestations. Pendant trop longtemps on s’est contenté d’évoquer les esprits et d’enregistrer indistinctement toutes les productions des médiums, sans se demander si tout vient bien du monde spirituel et sans rechercher quelles sont les conditions physiologiques ou mentales qui favorisent ou entravent le phénomène, de sorte que l'on opérait d'une manière empirique et tout à fait défectueuse. Le Livre des Médiums d'Allan Kardec donne d'excellents conseils pour pratiquer les évocations ; il fournit les explications nécessaires sur le discernement qu'il faut exercer dans l'appréciation des messages qui nous viennent de l'au-delà ; il fait une énumération complète de tous les genres de manifestations ; mais ses théories scientifiques, généralement très exactes, sont sommaires et ne satisfont plus notre besoin actuel de pénétrer plus profondément dans le mécanisme de la médiumnité. Nous allons donc reprendre cette étude en nous appuyant sur les données positives que nous possédons aujourd’hui, et nous espérons démontrer que non seulement les faits sont réels mais que la médiumnité véritable est bien due à l'action des intelligences désincarnées.
On appelle écriture mécanique le fait qui consiste pour une personne à écrire involontairement des mots et des phrases dont elle n'a pas conscience et dont elle ne peut prendre connaissance que lorsque l'influence qui dirige sa main a fini d'agir. C'est en faisant des expériences avec les tables tournantes que l'on en arriva petit à petit à trouver ce procédé. Comme les dictées par coups frappés ou par soulèvement du meuble étaient très lentes, quelques expérimentateurs eurent l'idée de se servir d'une planchette supportée par trois pieds dont l'un était remplacé par un crayon. En mettant ce petit appareil sur du papier blanc et en posant légèrement les mains sur le plateau, on vit la planchette se déplacer et le crayon tracer des caractères parfaitement lisibles. Plus tard encore, on reconnut que ces messages n'étaient obtenus que par certains individus auxquels on donna le nom de médiums ; enfin il devint inutile d'avoir recours à la planchette, car ces médiums, en prenant directement le crayon dans la main, sentaient une force agir sur leur bras et recevaient ainsi des messages dont les idées, absolument différentes de celles qu'ils avaient ordinairement, leur paraissaient neuves et originales. Fréquemment, les communications étaient signées des noms de personnes décédées, elles contenaient des récits d'événements passés, inconnus de l'écrivain, et c'est ainsi que peu à peu les chercheurs furent convaincus qu'ils étaient bien en relation avec les âmes des morts.
Comme toutes les découvertes nouvelles, celle-ci fut accueillie par un scepticisme universel ; il paraissait incroyable que l'on pût écrire inconsciemment, et les récits des spirites passaient pour des mystifications. Cependant ces phénomènes se produisant dans le monde entier, avec les mêmes caractères, et un grand nombre de personnes appartenant aux classes instruites avant pu devenir médiums, il fallut bien admettre, en dépit de leur étrangeté, la réalité des faits.
«On doit abandonner, dit M. Binet[3] , l'explication grossière de la simulation, car il y a un nombre considérable de personnes dignes de foi qui affirment avoir été les auteurs du phénomène, avoir posé les mains sur des tables qui tournaient, avoir tenu des plumes qui écrivaient, sans la moindre volonté de faire mouvoir la table ou écrire la plume. Ce sont là des preuves suffisantes, quand une doctrine comme le spiritisme aboutit à bouleverser, le monde entier et fait des milliers de croyants. »
Un autre psychologue, M. Pierre Janet, eut incidemment l'occasion d'étudier cette question à propos de l'écriture automatique des hystériques, et après une revue historique incomplète et partiale du Spiritisme, il dit également[4] : « Les doctrines que nous venons de résumer méritent une étude attentive et une discussion. Le scepticisme dédaigneux qui consiste à nier tout ce que l'on ne comprend pas et à répéter partout et toujours les mots de supercherie et de mystification, n'est pas plus de mise ici qu'au sujet des phénomènes du magnétisme animal. Le mouvement qui a provoqué la fondation d'une cinquantaine de journaux en Europe, qui a inspiré les croyances d'un nombre considérable de personnes, est loin d'être insignifiant. Il est trop général et trop persistant pour être dû à une simple plaisanterie locale et passagère »
« Il n'est pas possible, dit à son tour, M. Richet[5] , que tant d'hommes distingués d'Angleterre, d'Amérique de France, d'Allemagne, d'Italie, se soient grossièrement et lourdement trompés. Toutes les objections qu'on leur a faites, ils les avaient pensées et discutées ; on ne leur a rien appris en leur opposant, soit le hasard possible, soit la fraude ; et ils y avaient songé bien avant qu'on le leur ait reproché, de sorte que j'ai peine à croire que leur travail ait été stérile et qu'ils aient médité, expérimenté sur de décevantes illusions. »
Il semblerait, d'après les citations précédentes, que ces auteurs vont enfin examiner sérieusement tous les phénomènes spirites et nous éclairer sur leur véritable cause. Ce serait trop demander et leur accès de courage ne va pas jusque là. Ils se limitent à une toute petite excursion sur le vaste champ de l'expérimentation spirite ; ils s'attaquent à l'écriture automatique parce qu'ils s'imaginent en avoir trouvé l'explication, mais tous les autres phénomènes sont prudemment passés sous silence. C'est avec une regrettable désinvolture qu'ils exécutent cette petite manœuvre.
« Nous commencerons, dit M. Binet, par quelques éliminations nécessaires. Il existe, au dire des auteurs, certains phénomènes spiritiques produisent en dehors de l'action d'une personne ou d’une autre cause connue : ce sont les phénomènes dits physiques, comme les coups dans les murs, les tables et autres meubles qui se soulèvent d'eux-mêmes, sans qu'on y touche l'écriture directe par des crayons qui marchent tout seuls ou glissés entre deux ardoises ; les apparitions d'esprits qu'on peut photographier et même mouler ; nous ne nions pas ces phénomènes, parce que de parti pris nous ne voulons rien nier, mais la démonstration scientifique est encore attendue, nous n'en parlerons pas ». Evidemment, c'est plus commode que de discuter. Quant à l'affirmation que la démonstration scientifique n'est pas faite, c'est une échappatoire qui ne trompera que ceux qui ne sont pas familiarisés avec la question. Nous pensons que lorsque des hommes de la valeur de Robert Hare, Mapes, juge Edmonds en Amérique ; Crookes, Wallace, Lodge, en Angleterre ; Aksakof et Boutlerow en Russie ; Fechner et Zöllner en Allemagne ; Gibier en France, affirment, en compagnie de plusieurs milliers d'expérimentateurs, avoir constaté les phénomènes précités et les avoir contrôlés soigneusement, nous pensons que ces phénomènes ont une existence réelle et qu'ils rentrent dès lors dans le domaine scientifique[6] .
Les mêmes remarques sont applicables à M. P. Janet, encore que ce psychologue soit moins rébarbatif que son confrère, car il avoue que les soulèvements de table sans contact, les déplacements d'objets non touchés « ne doivent pas être niés à la légère ; ce sont peut-être les éléments d'une science future dont on parlera plus tard », mais il ne veut pas non plus s'en occuper, et pour cause. Cette partialité et ce misonéisme ne surprennent qu'à moitié. Il est dans l'ordre des choses que la vérité chemine lentement ; la négation brutale de l'origine ne se transforme pas instantanément en adhésion formelle ; il existe entre ces deux termes des transitions, et c'est déjà beaucoup d'avoir amené les classes instruites à reconnaître qu'une partie au moins des phénomènes médianimiques est véritable. Demain ce sera le tour d'une seconde catégorie et lentement peut-être, mais certainement, tous les autres faits seront étudiés.
Renfermons-nous donc actuellement dans les limites que ces messieurs ont tracées ; acceptons, faute de mieux, leur sélection arbitraire et voyons si, même en se bornant à cette classe seule de phénomènes, ils en ont donné une explication qui porte un coup fatal à la doctrine spirite.

L'école des psycho-physiologistes avec Taine, Ch. Richet, A. Binet, P. Janet, etc., veut bien admettre maintenant que l'écriture automatique se produit chez certains sujets, mais loin de l'attribuer à l'intervention d'une intelligence étrangère, elle y voit tout simplement le symptôme d'une maladie mentale, d'une désagrégation de la personnalité. Chez les individus qui écrivent ainsi, il s'est produit une scission dans la conscience, de sorte qu'une partie du moi pense autrement que la personne normale et, involontairement, traduit cette pensée par l'écriture. Cette explication bizarre a été imaginée depuis une vingtaine d'années et l'on a donné à cette seconde partie inconnue de la conscience ordinaire les noms les plus divers : inconscient, subconscient, personnalité seconde, conscience subliminale, etc. Cette hypothèse sert également à rendre compte de certaines anomalies observées chez les hystériques, dans les maladies mentales, pendant que se réalisent les suggestions ainsi que le somnambulisme et les cas de variations de la personnalité. Suivant cette manière de voir, la conscience n'est pas une unité indestructible, comme le pensent les spiritualistes ; elle est constituée par un agrégat, une synthèse de sensations et de pensées. L'identité du moi ne serait donc qu'une illusion causée par la mémoire qui réunit entre eux ces états successifs, qui les relie les uns aux autres et leur donne l'apparence d'une continuité, alors qu'il n'y aurait de réel, comme le dit Taine, que « la file des événements». Chez les individus jouissant d'une santé normale, la synthèse est parfaite parce qu'elle embrasse toutes les sensations, toutes les pensées, tous les souvenirs mais chez certains malades tels que les hystériques, la névrose produit des désordres psychiques qui ont pour résultat la naissance d'une seconde synthèse douée de conscience autrement dit : il y aurait chez ces malades deux personnalités distinctes vivant côte à côte dans le cerveau, et dont l'une au moins - la conscience ordinaire - ignore l'existence de l'autre. Suivant M. P. Janet, il existe même jusqu'à trois ou quatre de ces personnalités surnuméraires. Les médiums seraient donc des hystériques chez lesquels s'est produit cette division de conscience, et l'écriture automatique résulterait de cette scission de la personnalité.
Nous verrons, en étudiant les faits, le degré de confiance qu'il faut accorder à ces suppositions. Sans anticiper, nous pouvons annoncer que tous les cas difficiles observés chez les hystériques se comprennent mieux par l'hypothèse d'une maladie de la mémoire, qu'en ayant recours à la théorie des personnalités sub-conscientes. Si nous ne suivons pas ces psychologues dans leurs spéculations théoriques, nous profiterons cependant des expériences ingénieuses qu'ils ont instituées, car elles nous seront utiles pour comprendre le mécanisme de l'écriture automatique et pour discerner les caractères qui séparent les hystériques des médiums. Nous verrons que l'automatisme se révèle chez des personnes dont la santé ne laisse rien à désirer, mais qui, sous l'empire de l'autosuggestion, s'imaginent être en rapport avec les esprits, tandis qu'elles n'écrivent que leurs propres pensées. Il est un principe de logique qui enseigne que l’on ne doit pas multiplier les causes sans nécessité. Nous appliquerons ce précepte en reconnaissant que le caractère automatique de l'écriture est insuffisant pour servir de critérium à la médiumnité. De ce qu'une personne écrit sans avoir conscience de ce que sa main trace sur le papier, il n'en résulte pas nécessairement qu'elle obéisse à l'influence des Esprits, elle peut certainement agir ainsi d'elle-même, comme nous le ferons voir par des exemples indiscutables.
C'est faute d'avoir tenu compte de cette possibilité, signalée dès l'origine par Allan Kardec, Jakson Davis, Hudson Tuttle et autres, que trop souvent les réunions spirites populaires sont discréditées par la lecture de prétentieuses élucubrations signées des noms les plus illustres. Mais si des spirites ignorants n'ont pas toujours montré le discernement nécessaire, les savants de leur côté, font tout à fait fausse route lorsqu'ils s'imaginent que l'écriture des hystériques peut être comparée aux véritables communications spirites. Celles-ci doivent se présenter à nous avec des caractères tels qu'il ne soit pas possible de les attribuer au médium. Comment trouver le critérium ? Quelle règle nous permettra faire cette distinction ?
De même que jadis l'action d'écrire inconsciemment semblait un caractère absolu de la médiumnité, de même on a cru longtemps que la révélation d'un fait inconnu du médium établissait avec certitude l'intervention d'une intelligence étrangère. Ici encore, il faut faire des réserves, car une seconde catégorie d'adversaires va se dresser devant nous et nous combattre avec des arguments tirés de l'observation des phénomènes de l'animisme. Il est vrai que nous faisons un pas en avant, car si l'on nous objecte les pouvoirs transcendants de l'esprit humain, c'est reconnaître qu'il existe comme individualité distincte du corps, ce que les psychologues précédemment cités refusent absolument d'admettre.

Depuis un siècle, les magnétiseurs ont annoncé que certains de leurs sujets jouissent pendant le somnambulisme, de facultés sur normales : qu'ils peuvent, par exemple, voir des événements qui se passent au loin, lire dans des livres fermés, décrire avec exactitude ce que contient une boîte close en même temps que d'autres obéissent à des ordres mentaux que rien dans l'aspect du magnétiseur ne pouvait leur faire connaître. Tous ces phénomènes ont été constatés rigoureusement, un très grand nombre de fois, par des expérimentateurs sérieux, mais la science officielle niait avec opiniâtreté ces faits, se trouvant dans l'impossibilité de les expliquer avec ses théories matérialistes.
Il arrive trop souvent que l'on sacrifie les résultats positifs de l'observation lorsqu'ils ne rentrent pas dans le cadre des idées préconçues. Heureusement cet ostracisme commence à disparaître. Il s’est formé depuis 1882, en Angleterre une Société de Recherche Psychique qui compte parmi ses membres des notabilités scientifiques de premier ordre, comme l’éminent physicien W. Crookes, le célèbre naturaliste Alfred Russel Wallace, Oliver Lodge, tous les trois membres de la Société Royale ; des professeurs, des psychologues, etc. Des enquêtes sévères ont été conduites pendant de longues années avec les précautions les plus minutieuses pour éviter les causes d'erreurs. On trouve dans les vingt-trois volumes publiés jusqu'à ce jour, des documents nombreux, circonstanciés, relatifs aux expériences et aux observations recueillies et vérifiées soigneusement par les investigateurs, de sorte que l'on peut affirmer aujourd'hui que la clairvoyance, la suggestion mentale, la télépathie sont des phénomènes naturels, au même titre que tous ceux qui ne se produisent pas constamment. Les aurores boréales, les orages magnétiques, les éruptions volcaniques, l'apparition des comètes, etc., ne sont pas des évènements journaliers, on ne les reproduit pas à volonté mais leur rareté relative n'est pas un argument contre leur authenticité, nous en fournirons les preuves pour notre sujet.
Ceci compris, des savants comme MM. Lombroso en Italie ; Gurney, Sidgwick et Podmore en Angleterre ; Hartmann en Allemagne, etc. nous disent : vous admettez que l'automatisme naturel est produit par une espèce d'hémisomnambulisme, donc le sujet peut posséder quelques-unes des facultés que vous reconnaissez au somnambule, de sorte qu'un fait inconnu signalé par l'écriture peut avoir été acquis au moyen de la clairvoyance du sujet ou lui avoir été transmis par suggestion mentale ; par conséquent, il n'est pas démontré qu'une intelligence supraterrestre soit nécessaire pour expliquer cette révélation, puisqu’elle peut provenir du médium lui-même. Cette argumentation renferme évidemment une part de vérité et nous constaterons qu'il faut en tenir compte pour expliquer certains cas ; mais ici encore il est sage de se tenir en garde contre la manie de généraliser trop vite, car dans la multitude des faits observés il en existe un grand nombre qui sont rebelles, à cette interprétation.
On ne peut nier que ce soit une étude difficile, celle qui a pour objet de différencier en toute certitude les productions de l'animisme et celle du spiritisme, mais elle n'est pas impossible, nous chercherons à donner les indications nécessaires pour arriver à ce résultat.
C'est en analysant scrupuleusement toutes les manifestations spirites de certains médiums, que des savants, incrédules pendant longtemps furent cependant convertis. Le doc. R. Hodge les professeurs Hyslop, Oliver Lodge, William James P. W. Myers, fort au courant de toutes les causes qui peuvent intervenir, ont fini par être convaincus de l'action des Esprits et ils l'ont courageusement avoué, ne craignant pas de rendre hommage à la vérité. Nous aurons donc à examiner attentivement quels rôles peuvent jouer dans les communications reçues par l'écriture automatique : 1° La mémoire latente, 2° la clairvoyance, 3° la lecture de pensée, 4° la suggestion orale et mentale, 5° la télépathie, 6° la prémonition et 7° enfin les souvenirs des vies antérieures.
Cette étude impartiale doit être faite par les spirites eux-mêmes pour montrer à leurs adversaires qu'ils ne redoutent aucune discussion. C'est bien à tort qu'on les a traités de sectaires qui ferment les yeux à l'évidence pour conserver leurs chimères. Ce sont des calomnies répandues pour discréditer l'immense portée du spiritisme, mais elles ne sauraient l'atteindre, car ses adeptes recherchent avant tout, la vérité. Nous ne devons pas craindre de nous engager dans la critique méthodique des communications, ce n'est qu'en suivant cette voie que nous constituerons la véritable science des rapports entre les vivants et les morts.
« Le spiritisme, dit Allan Kardec, ne pose en principe absolu que ce qui est démontré avec évidence ou ce qui ressort logiquement de l'observation. Touchant à toutes les branches de l'économie sociale, auxquelles il prête l’appui de ses propres découvertes, il s'assimilera toujours toutes les doctrines progressives de quelque ordre qu'elles soient, arrivées à l'état de vérités pratiques et sorties du domaine de l'utopie, sans cela il se suiciderait ; en cessant d'être ce qu'il est, il mentirait à son origine et à son but providentiel. Le spiritisme marchant avec le progrès ne sera jamais débordé, parce que si de nouvelles découvertes lui démontrent qu'il est dans l'erreur sur un point il se modifiera sur ce point ; si une nouvelle découverte se révèle, il l'acceptera. »
Nous avons le devoir de rejeter les phénomènes douteux, c'est-à-dire qui ne sont pas nettement attribuables aux esprits, pour ne retenir que ceux qui sont inattaquables. Nous serons obligés de citer souvent les auteurs qui ont écrit sur ces matières et pour laisser toute leur valeur aux arguments présentés, nous les reproduisons textuellement, de même que les récits de phénomènes qui gagnent à être connus en entier.
Une fois la part faite, aussi large que possible, à toutes les objections motivées et après une élimination soigneuse de tous les cas contestables, nous possédons encore une masse énorme de documents authentiques qui échappent par leur nature même aux discussions précédentes. Telles sont, par exemple, les dictées de longue haleine obtenues par des ignorants, traitant de sujets historiques, scientifiques ou littéraires, tout à fait en dehors et au-dessus de leurs connaissances. Les histoires de Jeanne d'Arc et de Louis XI écrites par une fillette de quatorze ans, l'achèvement d'un roman de Dickens dû à un jeune mécanicien sans instruction ou les réponses de Mme d'Espérance sur la théorie mathématique du son, montrent à l'oeuvre des intelligences autres que celles des médiums. Les communications données en des langues inconnues de l'écrivain et correctement écrites ne peuvent certainement pas provenir de son cerveau, pas plus que les autographes qui reproduisent fidèlement l'écriture de personnes mortes depuis longtemps. Que diront encore les négateurs ou les partisans de la sub-conscience, de ces écritures produites par des illettrés ou des nourrissons qui ont peine à tenir le crayon ? Sans doute ils auront pour ressource suprême de nier toujours, mais devant la bonne foi des témoins, l'accumulation des faits, la généralité des phénomènes, l'évidence finit par s'imposer même aux plus sceptiques, à moins de récuser tout témoignage humain.
On voit que, même en se restreignant aux exemples typiques, les documents ne font pas défaut mais les communications qui ne présentent pas des caractères aussi nets d'intervention spirituelle ne sont pas pour cela dépourvues d'intérêt.
Que l'on ne s'y trompe pas, en faisant intervenir la suggestion mentale on la télépathie dans l'explication des phénomènes, on restreint peut-être le champ du spiritisme, mais c'est pour l'ouvrir plus grand à l'animisme, c'est-à-dire à l'action de l'âme en dehors de son organisme physique. Si l'on démontre irréfutablement que la transmission de la pensée est possible si, d'autre part, la télépathie étudiée par des savants non spirites présente des cas ou l'hypothèse de l'hallucination doit faire place à celle d'un dédoublement de celui qui se fait voir, — soit parce que l'apparition déplace des objets matériels ou est vue par plusieurs témoins ou effraye des animaux ou peut être photographiée, — le spiritisme triomphe, puisqu'il a, depuis son origine, indiqué cette possibilité qui met en relief l'indépendance de l'esprit vis-à-vis du corps. Ce qui n'est dans ces exemples qu'une séparation momentanée de l'âme et du corps devient à la mort un état définitif, et si déjà, pendant la vie, l'âme sortie de son enveloppe corporelle agit sur la matière, se fait voir ou se communique à un médium, l'induction nous autorise pleinement à supposer qu'elle en fait autant quand elle est rentrée tout à fait dans l'espace.
La physique moderne, celle de la matière radiante, des rayons X, des ondes hertziennes ; le magnétisme, l'hypnotisme, la suggestion verbale ou mentale, la clairvoyance, la télépathie et le spiritisme, toutes ces connaissances nouvelles conduisent irrésistiblement l'homme vers l'invisible et l'au-delà. Le positivisme étroit de notre époque, en refusant de s'occuper de ce qui ne tombe pas sous les sens, croyait avoir relégué l'âme des spiritualistes dans le royaume des chimères, et voici que ses adeptes sont contraints d'en constater la réalité. « La question de la survivance de l'homme est une branche de la psychologie expérimentale » dit M. F. W. Myers, un des membres les plus savants de la Société de Recherches psychiques. Ce sera l'éternel honneur des spirites de l'avoir compris. Méprisés, calomniés, anathématisés, traités de charlatans ou d'hallucinés, ils ont persévéré avec une énergie sans égale dans leurs affirmations, ils en sont récompensés aujourd'hui par la joie d'avoir imposé au public lettré la discussion de leurs théories.
La lutte est ardente et sera probablement longue, car les préjugés religieux ou scientifiques ont la vie tenace, mais insensiblement l'évidence s'impose. Nous avons maintenant la conviction que la grandiose certitude de l'immortalité deviendra une vérité scientifique, dont les conséquences bienfaisantes se faisant sentir dans le monde entier, changeront les destinées de l'humanité.

Paris, le 25 février 1900
Gabriel DELANNE.

[1] Gabriel Delanne. - Le phénomène spirite et Le Spiritisme devant la science.

[2] Nous emploierons indistinctement les mots âme et esprit, les considérant comme synonymes.

[3]Al. Binet Les Altérations de la personnalité, p. 298.

[4] P. Janet L’automatisme psychologique, p.376 et suiv.

[5] Ch. Richet Annales des sciences psychiques, 1892, p.349

[6] Il faudrait ajouter, actuellement, à cette liste, un nombre considérable de noms illustres, ne serait-ce, pour la France, que ceux du prof. Richet et de ses collègues de l’Institut Métapsychique International, dont le directeur est le savant Dr Geley

 

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