Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


Chapitre IX - Possession, ravissement, extase

En attendant que les nouvelles données que nous verrons apparaître au cours de ce chapitre nous permettent de donner de la possession une définition plus large, nous la définirons ici en disant qu'elle n'est qu'une forme plus développée de l'automatisme moteur. La différence entre ces deux états consiste en ceci que dans la possession, la personnalité de l'automate disparaît complètement pour quelque temps et qu'il se produit une substitution plus ou moins complète de la personnalité ; la parole et l'écriture sont des manifestations d'un esprit étranger à l'organisme dont il a pris possession. Les changements qui se sont produits dans l'opinion relative à cette question depuis 1888, année où nous avons, pour la première fois, conçu l'idée de ce livre, sont des plus significatifs. Il existait bien, à cette époque-là, un certain nombre de preuves en faveur des idées que nous défendons mais, pour des raisons diverses, ces preuves pouvaient être interprétées de plus d'une façon. Même en ce qui concerne les phénomènes que présentait M.W- S. Moses, on pouvait dire que la « direction » sous laquelle il parlait et écrivait en état de possession se réduisait à une simple autosuggestion ou à des impulsions venant de sa personnalité plus profonde. Je n'ai pas eu alors l'occasion, que l'amabilité de ses exécuteurs testamentaires m'a offerte depuis, d'étudier toute la série de ces phénomènes d'après les notes originales de M. Moses et de me former la conviction que j'ai à présent, qu'un facteur spirituel jouait un rôle important dans cette longue série de communications. Bref, je ne me doutais pas alors que la théorie de la possession pourrait être présentée comme quelque chose de plus qu'une spéculation plausible, comme une nouvelle preuve en faveur de la survivance de l'homme après la mort corporelle.
L'état de choses a, comme tout lecteur des comptes rendus de la Société de Recherches Psychiques le sait, subi un changement complet dans ces dix dernières années. Les phénomènes d'extase de Mme Piper, si longtemps et si soigneusement observés par le Dr Hodgson et autres formaient, je crois, l'ensemble de preuves psychiques le plus remarquable de toutes celles qui ont jamais été produites dans aucun domaine. Et plus récemment, d'autres séries de phénomènes d'extase obtenues avec d'autres « médiums », tout en étant encore incomplètes, ont ajouté des preuves matérielles à celles qui découlent des expériences de Mme Piper. Et il résulte que les phénomènes de possession sont actuellement les mieux attestés et intrinsèquement les plus avancés de tous ceux dont nous nous occupons.
Mais le simple accroissement de preuves directes, quelle qu'en soit l'importance, est loin d'être la seule cause des changements dont nous parlons. Non seulement l'évidence directe s'est accrue mais l'évidence indirecte grandissait à son tour. La notion de la personnalité, celle de la direction exercée sur l'organisme par des esprits, se sont peu à peu modifiées à un point tel que la possession qui, jusqu'à une époque récente, passait pour une simple survivance de la pensée primitive peut maintenant être considérée comme l'achèvement, le développement ultérieur de la plupart des expériences, observations et réflexions que les chapitres précédents nous ont fait connaître.
Voyons ce que la notion de la possession signifie en réalité. Il est préférable de considérer, dès le début, cette signification dans toute son extension, attendu que les preuves obtenues à des époques différentes ne font que confirmer, en dernière analyse, la signification ancienne de ce terme. Les cas modernes les plus saillants, dont ceux de Stainton Moses et de Mme Piper, peuvent être considérés comme les plus caractéristiques ; ils présentent de l'un à l'autre des analogies assez intimes et des ressemblances qu'une analyse attentive ne tarde pas à découvrir.
On prétend donc, en premier lieu, que l'automate tombe dans l'extase pendant laquelle « son esprit quitte son corps», en partie tout au moins ; qu'il entre, en tous cas, dans un état dans lequel le monde spirituel s'ouvre plus ou moins à sa perception et dans lequel aussi, et c'est là l'élément nouveau, l'esprit quittant l'organisme favorise l'invasion de celui-ci par un autre esprit qui s'en sert à peu près de la même façon que l'esprit propre du sujet.
Le cerveau se trouvant ainsi temporairement et partiellement dépourvu de direction, un esprit désincarné réussit quelquefois, pas toujours, à s'en emparer et à assumer à un degré qui varie d'un cas à l'autre, sa direction. Dans certains cas, (Mme Piper) deux ou plusieurs  esprits peuvent diriger simultanément différentes portions d'un seul et même organisme.
Les esprits dirigeants prouvent leur identité en reproduisant par la parole ou par l'écriture, des faits qui appartiennent à leurs souvenirs à eux, non à ceux de l'automate. Ils peuvent aussi donner des preuves d'autres perceptions supra-normales.
Les manifestations de ces esprits peuvent différer considérablement de celles de la personnalité normale de l'automate. Mais jusqu'à certain point, il s'agit là d'un processus de sélection plutôt que d'addition ; l'esprit choisissant les parties du mécanisme cérébral dont il est désireux de se servir mais ne pouvant demander à ce mécanisme plus que ce qu'il est capable de fournir en vertu de son organisation fonctionnelle. L'esprit peut, il est vrai, produire des faits et des noms inconnus de l'automate  mais, ces faits et noms doivent être tels que l'automate soit capable de les répéter facilement, s'ils lui étaient connus : il ne doit pas s’agir par exemple de formules mathématiques ou de phrases chinoises, si l'automate est ignorant en mathématiques ou ne connaît pas le chinois.
Au bout d'un certain temps, l'esprit de l'automate reprend sa place et son activité. A son réveil, l'automate peut ou non se rappeler ce qui lui a été révélé du monde spirituel pendant
l'extase. Dans certains cas, (Swedenborg) il existe le souvenir du monde spirituel, sans qu'il y ait eu possession de l'organisme par un esprit extérieur. Dans d'autres, (sujet de Cahagnet) l'automate exprime, pendant l'extase, ce qu'il éprouve mais, ne s'en souvient plus une fois réveillé. Dans d'autres encore, ( Mme Piper ) ce n'est pas le plus souvent, c’est l'esprit de l'automate lui-même qui se manifeste et lorsque cela arrive, ces manifestations ont une très courte durée mais, c'est généralement un esprit dirigeant qui parle et qui écrit sans que l'automate garde le moindre souvenir de ce qui s'est passé pendant l'extase.
Une pareille doctrine semble nous ramener tout directement aux croyances de l'âge de pierre. Elle nous ramène aux pratiques primitives des shamans et des sorciers, à une doctrine de rapports spirituels qui a été autrefois oecuménique mais s'est réfugiée de nos jours dans les déserts de l'Afrique et dans les marécages de la Sibérie, dans les plaines neigeuses des Peaux-Rouges et des Esquimaux. Si, comme cela arrive parfois, nous voulions juger de la valeur des idées d'après leurs origines, il n'y a pas de conception dont les origines aient été plus humbles et qui paraisse plus indigne de l'homme civilisé.
Heureusement, nos discussions antérieures nous ont fourni un critère plus pénétrant. Au lieu de nous demander à quelle époque a pris naissance telle ou telle doctrine, avec cette opinion préconçue que la doctrine est d'autant meilleure que son origine est plus récente, nous pouvons nous demander, à présent, jusqu'à quel point elle est en accord ou en désaccord avec cette masse énorme de preuves récentes qui se rapportent plus ou moins à presque toutes les croyances que les hommes occidentaux ont professées relativement au monde invisible. Soumise à cette épreuve, la théorie de la possession donne un résultat remarquable. Elle n'est en désaccord avec aucun des faits prouvés. Nous ne connaissons absolument rien qui prouve son impossibilité.
Mais ce n'est pas tout. La théorie de la possession nous fournit, en réalité, une méthode puissante de coordination et d'explication de quelques groupes de phénomènes antérieurs, si toutefois nous consentons à les expliquer d'une façon qui nous avait paru, au début, user d'affirmations exagérées, avoir trop largement recours au merveilleux. Mais en ce qui concerne cette dernière difficulté, nous savons aussi, depuis quelque temps, qu'il n'existe pas de phénomène psychique dont l'explication soit réellement simple et que le meilleur moyen d'arriver à une explication de ce genre consiste à extraire de l'ensemble, un groupe qui n'admet qu'une interprétation univoque, pour s'en servir comme d'un point de repère dans l'appréciation de problèmes plus complexes.
Or, je crois que le groupe des phénomènes Moses-Piper ne peut être expliqué d'une façon plus ou moins plausible par aucune autre théorie que celle de la possession. Et il me paraît important de considérer par quels chemins les phénomènes antérieurs nous ont conduits à la possession et de quelle façon les faits de la possession sont, à leur tour, susceptibles de modifier nos vues concernant les phénomènes antérieurs.
En analysant nos observations de possession, nous y découvrons deux éléments principaux: l'opération centrale, c'est-à-dire la direction exercée par un esprit sur l'organisme d'un sujet sensible et, la condition indispensable qui consiste dans l'abandon temporaire et partiel de l'organisme par l'esprit du sujet lui-même.
Examinons d'abord jusqu'à quel point les données déjà acquises rendent concevable cette séparation entre l'esprit et l'organisme chez homme.
Et tout d'abord, la désagrégation de la personnalité et les substitutions de certaines de ses phases à d'autres, que notre deuxième chapitre nous a déjà fait connaître, possèdent une grande importance, également, au point de vue de la possession.
Nous y avons vu des personnalités secondaires, débutant par des manifestations sensorielles et motrices légères et isolées, acquérir peu à peu une prédominance complète et assurer la direction sans partage de toutes les manifestations supra-liminales.
La simple collection et la description de ces phénomènes ont été considérés, jusqu'ici, comme ayant une certaine saveur de hardiesse. L'idée de tracer le mécanisme possible présidant à ces transitions était à peine née.
Mais il est évident qu'il doit y avoir un ensemble complexe de lois qui conditionnent ces usages alternants des centres cérébraux et qui ne constituent probablement que le développement de ces lois physiques inconnues qui président à la mémoire ordinaire. Un cas d'ecmnésie ordinaire peut présenter des problèmes aussi insolubles que ceux que soulève la possession spirituelle. Il peut y avoir dans l'ecmnésie, des périodes de vie absolument et complètement disparues de la mémoire et, d'autres qui n'en disparaissent que temporairement.
Déjà, dans le génie, nous avons pu observer, pour certains centres cérébraux importants, une substitution temporaire d'une direction à une autre. Nous devons considérer ici le moi subliminal comme un centre partiellement distinct du moi supra-liminal et, le fait de son accaparement de ces centres cérébraux destinés à un travail supra-liminal qui est déjà un genre de possession. Le génie le plus complet serait ainsi l'expression de l’auto possession la plus complète, de l'occupation et de la direction de l'organisme tout entier par les éléments les plus profonds du moi qui agissent en vertu d'une connaissance plus parfaite et par des voies plus sûres.
Le sommeil, qui est celui de tous les états normaux qui se rapproche le plus de la possession, a depuis longtemps fait surgir la question dont la solution implique la reconnaissance de la possibilité de l'extase : que devient l'âme pendant le sommeil ? Les faits que nous avons cités ont montré que, souvent pendant le sommeil ordinaire apparent, l'âme abandonne le corps et rapporte un souvenir plus ou moins confus de ce qu'elle a vu pendant son excursion clairvoyante.
Ceci peut arriver également mais avec la rapidité d'un éclair, pendant les moments de veille. Mais le sommeil ordinaire semble favoriser ce phénomène d'une façon toute particulière, surtout pendant les états de sommeil spontané ou provoqué très profond. Dans le coma qui précède la mort ou dans cette « suspension de l'animation » qui est parfois prise pour la mort, la faculté en question paraît susceptible d'atteindre son degré le plus élevé. J'ai parlé des états de sommeil « spontané ou provoqué » très profond et à ce propos, le lecteur se rappellera naturellement beaucoup de ce qui a été dit du somnambulisme ordinaire et du sommeil hypnotique. Ce dernier crée en effet des situations qui, extérieurement, sont difficiles à être distinguées de ce que j'appellerai désormais la possession vraie. Une quasi-personnalité arbitrairement créée peut occuper l'organisme, répondant d'une certaine façon caractéristique à la parole ou à des signes, au point de faire croire parfois qu'on se trouve en présence d'une personnalité nouvelle. D'un autre côté, l'esprit du sujet prétend avoir été présent ailleurs, de même qu'il s'imagine avoir été absent dans le sommeil ordinaire mais avec plus de persistance et de lucidité.
Les sujets affirment souvent avoir revu, dans le sommeil, des scènes terrestres et y avoir constaté des changements qui s'y sont effectivement produits depuis que le sujet a, pour la dernière fois, visité la même scène à l'état de veille. Mais, quelquefois il s'y joint un élément symbolique en apparence, la scène terrestre renfermant un élément d'action humaine présentée en abrégé, comme si quelque esprit s'était proposé de tirer de l'histoire complexe un sens spécial. Souvent cet élément devient tout à fait dominant ; le sujet voit des figures fantomales ou il peut y avoir une représentation symbolique prolongée d'une entrée dans un monde spirituel.
Ces excursions psychiques fournissent, en dernier lieu, les plus fortes présomptions en faveur de l'existence d'une faculté humaine nouvelle : celle de l’extase ; d'une vision à distance qui n'est pas confinée à cette terre ou à ce monde matériel mais qui introduit le voyant dans un monde spirituel et dans des milieux supérieurs à ceux que connaît cette planète. Mais la discussion relative au transport sera mieux à sa place lorsque nous aurons cité les faits et les données en faveur de la possession.
En reprenant l'analyse de l'idée de la possession, nous retrouvons son caractère spécifique qui est l'occupation, par un élément spirituel, de l'organisme endormi et partiellement abandonné. C'est ici que nos études antérieures nous seront d'un grand secours. Au lieu d'aborder tout de suite la question de savoir ce que sont les esprits, ce qu'ils peuvent et ce qu'ils ne peuvent pas, la question de la possibilité antécédente de leur rentrée dans la matière, etc., nous ferons mieux de commencer par développer l'idée de la télépathie jusqu'à ses dernières conséquences ; par nous figurer la télépathie comme devenant aussi intense et aussi centrale que possible et, nous trouverons que des deux variétés de télépathie qui se présenteront ainsi à nous, une aboutira progressivement à la possession, l'autre à l'extase.
Quelle est, à l'heure actuelle, notre conception exacte de la télépathie ? La notion centrale, celle de communications indépendantes des organes des sens trouve dans ce mot une expression assez adéquate. Mais rien ne dit que notre compréhension réelle des processus télépathiques soit autre chose qu'une simple définition verbale. Notre conception de la télépathie, pour ne rien dire de la télesthésie, avait besoin d'être élargie à chaque nouvelle étape de notre recherche. Cette dernière nous a révélé, tout d'abord, certaines transmissions de pensées et d'images qui pouvaient s'expliquer par la transmission d'un cerveau à un autre, de vibrations éthérées. Or, s'il est impossible de dire, à un point quelconque de notre argumentation, que tels phénomènes sont déterminés par des vibrations de l'éther et, si nous ne savons pas jusqu'à quelle distance du monde matériel s'étend l'action possible de ces vibrations, il n'en est pas moins vrai que nos phénomènes
télépathiques n'ont pas tardé à revêtir une forme que l'explication, par analogie, à l'aide de vibrations de l'éther laissait en grande partie inexpliquée.
C'est que la simple transmission d'idées et d'images isolées aboutit, par une progression continue, à des impressions et impulsions beaucoup plus persistantes et complexes. Nous nous trouvons finalement en présence d'une influence qui n'est plus le simple effet des vibrations éthérées mais, suggère l'idée d'une présence intelligente et d'une analogie tirée des communications humaines entre des personnes rapprochées par leurs corps. Les visions et auditions de ce genre, intérieures ou extériorisées, inspirent souvent l'idée d'un contact spirituel plus intime que celui que permettent les communications terrestres. On ne peut en attribuer la cause aux ondulations de l'éther, à moins d'expliquer par le même mécanisme, les émotions que nous éprouvons les uns vis-à-vis les autres ou même, le pouvoir de contrôle que nous possédons sur notre propre organisme.
Ce n'est pas tout. Il existe, ainsi que j'ai essayé de le montrer, une progression plus avancée qui va de ces intercommunications télépathiques entre personnes vivantes à celles entre personnes vivantes d'un côté et des esprits désincarnés de l'autre. Et cette nouvelle thèse, sous tous les rapports d'une importance vitale, tout en résolvant pratiquement un des problèmes dont je m'occupe, ouvre également une possibilité de détermination d'un autre problème qui jusqu'ici, nous a été inaccessible. En premier lieu, nous pouvons avoir, à présent, la certitude que les communications télépathiques ne sont pas nécessairement propagées par des vibrations procédant d'un cerveau matériel ordinaire car, les esprits désincarnés ne possèdent pas de cerveau capable d'engendrer des vibrations de ce genre. Voilà pour le mode d'activité de l’agent. En ce qui concerne celui du sujet nous allons, pour plus de clarté, mettre de côté tous les cas où l'impression télépathique a pris une forme extériorisée et ne tenir compte que des impressions intellectuelles et des automatismes moteurs.
Ces impressions et ces automatismes peuvent passer par tous les degrés de centralité apparente. Lorsqu'un homme éveillé et en pleine possession de lui-même sent sa main poussée à tracer des mots sur un papier, sans avoir conscience d'un effort moteur personnel, l'impulsion ne lui paraît pas être d'origine centrale, quoiqu'une portion de son cerveau puisse participer à cet effort. D'un autre côté, une invasion moins prononcée est souvent susceptible de revêtir un caractère de centralité plus marqué comme, par exemple, dans le pressentiment d'un mal s'exprimant par un accablement intérieur indéfinissable. L'automatisme moteur peut finalement atteindre un point où il devient de la possession, c'est-à-dire où la conscience personnelle de l'homme a totalement disparu, chaque partie de son corps étant utilisée par l'esprit ou les esprits envahisseurs. Nous verrons, tout à l'heure, les conditions que cet état crée à l'esprit du sujet. Mais en ce qui concerne l'organisme, l'invasion semble complète et indique une puissance qui est certes télépathique au sens vrai du mot mais, non au sens que nous lui avons attaché jusqu'ici. Nous avons commencé par nous représenter la télépathie comme une communication entre deux esprits tandis que dans le cas présent, il s'agit plutôt d'une communication entre un esprit et un corps ; l'esprit étant extérieur et étranger au corps.
Il n'y a pas de communication apparente entre l'esprit désincarné et l'esprit de l'automate mais, bien plutôt, une sorte de contact entre le premier et le cerveau de l'automate ; l'esprit désincarné poursuivant ses propres fins et se servant, dans une certaine mesure, des capacités accumulées par le cerveau de l'automate tout en étant, d'un autre côté, gêné par ses incapacités.
Mais je le répète, l'élément le plus caractéristique de la télépathie semble disparu, en ce sens qu'il n'existe pas de communion perceptible entre l'esprit du sujet et un autre esprit. Le sujet est possédé mais inconscient et, ne recouvre jamais la mémoire de ce que ses lèvres ont prononcé pendant la crise.
Mais, avons-nous ainsi expliqué tous les phénomènes qui se rapportent à la télépathie et, ne renferment-ils pas un élément plus véritablement, plus centralement télépathique ? En remontant aux premières phases des expériences télépathiques, nous voyons que le processus expérimental implique deux facteurs différents. L'esprit du sujet doit, d'une façon ou d'une autre, recevoir l'impression télépathique et à cette perception, nous ne pouvons assigner aucun corollaire physique défini ; et les centres moteurs et sensoriels du sujet doivent recevoir une excitation, laquelle peut être provoquée, ainsi que nous le savons, soit par l'esprit propre du sujet par les procédés ordinaires, soit par l'esprit de l'agent et cela, d'une façon plus ou moins directe que j'appellerai télergique, donnant ainsi un sens plus précis au mot que j'avais depuis longtemps proposé comme corrélatif du mot télépathique.
Ceci revient à dire qu'il peut y avoir dans ces cas, simples en apparence, d'abord une transmission de l'agent au sujet dans le monde spirituel et ensuite, une action sur le cerveau physique du sujet, du même genre que la possession spirituelle. Cette action sur le cerveau physique peut être due soit à l'esprit du sujet lui-même ou à son moi subliminal, soit directement à celle de l'esprit de l'agent. Car je dois répéter que les phénomènes de possession semblent indiquer que l'esprit étranger agit sur l'organisme du sujet, exactement de la même façon que l'esprit propre du sujet. On peut donc considérer le corps comme un instrument sur lequel joue l'esprit, ancienne métaphore qui constitue actuellement la plus grande approximation de la vérité.
Le même caractère double, les mêmes traces des deux éléments mélangés dans des proportions variées se manifestent dans les apparitions télépathiques ou véridiques. Au point de vue spirituel, il peut y avoir ce que nous appelons des visions clairvoyantes, des images manifestement symboliques et non localisées par l'observateur dans l'espace ordinaire à trois dimensions. Elles semblent analogues à ces visions du monde spirituel dont le sujet jouit pendant l'extase. Vient ensuite la catégorie plus nombreuse des apparitions véridiques où l'image semble avoir été projetée en dehors de l'esprit du sujet par quelque stimulus appliqué au centre cérébral approprié. Ces cas d' « automatisme sensoriel » ressemblent aux cas expérimentaux où le sujet devine ou plutôt voit à distance, les figures de cartes à jouer, etc. Après ces cas viennent, dans l'ordre physique ou plutôt ultra-physique, ces apparitions collectives qui, à mon avis, impliquent une modification de nature inconnue d'une certaine portion de l'espace que n'occupe aucun organisme, en opposition avec les modifications ayant lieu dans des centres d'un cerveau donné. Ici s'accomplit la transition graduelle du subjectif à l'objectif, la portion de l'espace en question étant modifiée de façon à affecter un nombre de plus en plus grand de sujets. En passant de ces apparitions de vivants aux apparitions de morts, nous retrouvons à peu de chose près, les mêmes catégories. Nous trouvons des visions symboliques de personnes décédées et des circonstances au milieu desquelles elles paraissent se trouver. Nous trouvons des apparitions extériorisées et des fantômes de personnes décédées, ce qui indique qu'un point donné du cerveau du sujet a été stimulé par son propre esprit ou par un esprit autre que le sien.
Et finalement nous trouvons, ainsi qu'il a déjà été dit, que dans certains cas de possession, ces deux genres d'influence sont simultanément poussés à l'extrême. L'automate encore capable de perception, tel que nous l'avons vu pendant les premières phases, devient un automate pur et simple ne percevant plus rien, tout au moins en ce qui concerne son corps car tout son cerveau et, non plus un seul point, semble désormais stimulé et dirigé par un esprit étranger et il ne se rend aucun compte de ce que son corps écrit ou prononce. Et pendant ce temps, son esprit partiellement délivré du corps peut être accessible aux perceptions et jouir de cette autre forme spirituelle de communication plus complètement que dans aucun des genres de vision décrits jusqu'ici.
Il existe un autre état qui présente certaines analogies avec celui de la possession. Nous avons parlé notamment de personnalités secondaires, de dissociations et alternances affectant l'esprit propre du sujet et présentant des rapports très variés avec l'organisme. Or, qu'est-ce qui nous permet de conclure, dans chaque cas particulier, que l'organisme du sujet est dirigé par sa propre personnalité modifiée et non par une personnalité étrangère extérieure ? La confusion est ici facile et on peut dire, d'une façon générale, que toutes les fois que l'état d'extase n'est pas accompagné d'acquisition de connaissances nouvelles, nous pouvons exclure la possibilité d'une possession par un esprit étranger. Cette règle a une conséquence très importante et qui modifie profondément l'ancienne idée de la possession : il n'existe, à notre connaissance tout au moins, aucune preuve en faveur de la possession angélique, diabolique ou hostile.
Le diable n'est pas une créature dont l'existence indépendante soit reconnue par la science  et, tous les récits concernant la conduite de diables envahisseurs paraissent être dictés par l'autosuggestion. Nous devons insister sur cette règle que, seule la connaissance supra-normale permet d'affirmer l'intervention d'une influence extérieure. On peut nous objecter que, dans tel cas, le caractère manifesté par le diable était hostile à la personne possédée et nous demander s'il est possible que le tourmenteur fût réellement une fraction du tourmenté. A quoi nous répondrons que cette dernière supposition, loin d'être absurde est, au contraire, confirmée par les phénomènes bien connus de la folie et de l'hystérie. Au moyen âge, spécialement, dans les auto-suggestions puissantes et terribles dont le diable faisait tous les frais, ces quasi-possessions atteignaient une intensité et une violence que l'atmosphère calme et sceptique des hôpitaux modernes dissipe et affaiblit. Les diables aux noms terrifiants qui possédaient soeur Angélique de Loudun auraient, de nos jours, figurés à la Salpetrière, comme de simples manifestations de « clownisme » et comme des « attitudes passionnelles ».
Aujourd'hui encore, comme dans le cas de Léonie de M. Pierre Janet, ces désintégrations de la personnalité semblent détruire, quelquefois, jusqu'au moindre lien de sympathie entre l'individu normal et une de ses fractions d'où il semble résulter que, notre nature morale est sujette aux désintégrations, au même degré que notre nature intellectuelle et, lorsqu'un courant secondaire de notre personnalité s'engage dans une direction nouvelle, il peut arriver que les liens aussi bien moraux qu'intellectuels qui le rattachent à la personnalité principale se trouvent rompus.
A propos de possessions diaboliques observées chez les Chinois, M. Nevius nous raconte, sans citer des arguments convaincants que, les diables possesseurs manifestent parfois une connaissance supra-normale. Ceci prouverait davantage leur existence indépendante que l'argument tiré de leur caractère hostile mais, ne nous paraît pas encore suffisant pour affirmer cette existence. La connaissance en question ne semble pas appropriée spécialement à l'esprit qui est censé la fournir. Elle paraît souvent tenue à une exagération de la mémoire, accompagnée d'une certaine aptitude aux perceptions télépathiques ou télesthésiques. L'exagération de la mémoire est particulièrement caractéristique de certains états hystériques et, même des traces possibles de télépathie ont été observées dans ces états où rien ne permet d'admettre l'intervention d'un esprit envahisseur.
Direction temporaire de l'organisme par un fragment plus ou moins important détaché du reste de la personnalité dégénérant, en vertu d'une auto suggestion, en une hostilité envers la personnalité principale et peut-être plus capable que cette dernière, d'atteindre et de manipuler certaines impressions de réserve ou même certaines influences supra-normales, telle serait la formule à laquelle se réduiraient probablement la plupart des cas de soi-disant possessions par le diable.
La plupart mais pas tous, peut-être. Il serait, en effet, étonnant que des phénomènes dans le genre de ceux présentés par Mme Piper aient apparu dans le monde sans jamais avoir eu de précédents. Il paraît plus probable d'admettre que des phénomènes du même genre s'étaient toujours produits sporadiquement depuis les temps les plus reculés sans que les hommes aient été à même de les analyser.
Quoi qu'il en soit, on peut affirmer que les seuls envahisseurs de l'organisme humain qui, jusqu'ici aient fait valoir leurs titres, ont été d'essence humaine et d'un caractère amical. « Les diables de Loudun » et autres n'ont pas réussi, je le répète, à justifier leur existence indépendante. Les influences supérieures qui ont inspiré les « Martyrs des Cévennes » se confondent pour nous, à distance, avec des inspirations de génie.
Toutes ces considérations seront, je l'espère, de nature à faire disparaître ces associations farouches qui se sont accumulées autour du mot possession. Dans ce que nous allons décrire à présent, il peut y avoir souvent des motifs de perplexité mais pas de terreur. Et l'on verra, dans la suite, à quel point le sentiment final est loin de celui de la frayeur.
Admettant donc, comme je me crois maintenant autorisé à le faire, que nous nous trouvons seulement en présence d'esprits qui ont été autrefois des hommes semblables à nous et qui sont toujours animés des mêmes motifs que ceux qui nous inspirent, nous pouvons examiner brièvement, la question de savoir quels sont les esprits les plus susceptibles de nous atteindre et quelles difficultés s'opposent à leur action. Certes, l'expérience seule peut nous fournir des réponses à ces questions ; mais nos anticipations peuvent être modifiées utilement si, en réfléchissant aux changements de la personnalité que nous connaissons déjà, nous en tirons des indications quant aux limites possibles de ces substitutions plus profondes.
Or, que savons-nous concernant l'addition d'une nouvelle faculté dans les états alternants ? Dans quelle mesure les modifications de ce genre semblent-elles engendrer des facultés qui ne nous soient pas familières ?
En nous reportant aux cas déjà mentionnés, nous verrons d'abord qu'une faculté déjà existante est susceptible d'être exagérée et exaltée. Il peut y avoir exagération, aussi bien du pouvoir de perception réelle que de celui de remémoration et de reproduction de ce qui a été perçu une fois. Dans les états secondaires, il existe souvent un pouvoir de contrôle plus grand en ce qui concerne les mouvements musculaires se manifestant, par exemple, dans une sûreté de main plus grande chez le joueur de billard. Mais les phénomènes de télépathie mis à part, il n'existe aucune preuve en faveur de l'acquisition réelle d'un ensemble de connaissances nouvelles, telles qu'une langue inconnue ou un degré inconnu de connaissances mathématiques. Nous n'avons donc aucune raison de nous attendre à ce qu'un esprit extérieur ayant assumé la direction de l'organisme soit capable de modifier facilement celui-ci, au point de  faire parler au sujet, une langue qu'il n'avait jamais apprise. Le fonctionnement du cerveau tient à la fois de celui de la machine à écrire et de celui de la machine à calculer. Des mots allemands, par exemple, ne sont pas de simples assemblages de lettres mais des formules spécifiques ; ce n'est que rarement et très difficilement qu'on peut les faire produire à une machine qui n'a pas été construite en vue de leur production.
Considérons les analogies relatives à la mémoire. Dans les cas d'alternances de la personnalité, la mémoire défaille et change d'une façon qui paraît capricieuse. Les lacunes qui en résultent ressemblent, ainsi que je l'ai dit, aux amnésies ou à ces espaces noires irrémémorables qui suivent quelquefois les traumatismes de la tête ou les accès de fièvre, lorsque tous les souvenirs se rapportant à une personne donnée ou à une période donnée de la vie ont disparu, tous les autres restant intacts. Considérons maintenant le souvenir de la vie éveillée tel que nous le possédons dans le rêve. Il est d'abord absolument capricieux ; je puis ne pas me rappeler mon propre nom mais me rappeler parfaitement la forme et l'aspect des chaises de ma salle à manger ; ou bien tout en me rappelant les chaises, je puis les localiser dans une maison autre que la mienne. Il est impossible de prévoir le degré de confusion qui peut se produire de cette façon.
La conversation des somnambules nous fournit une autre analogie. En parlant à un somnambule, qu'il s'agisse de somnambulisme spontané ou provoqué, nous ne tardons pas à nous apercevoir qu'il est difficile de soutenir avec lui une conversation continue sur des sujets qui nous intéressent. Et, tout d'abord, il est incapable de tenir une conversation continue quelconque, car il ne tarde pas à tomber dans un état où il devient tout à fait incapable de s'exprimer. Quand il parle, ce n'est que sur des sujets qui l'intéressent ; il suit le cours de ses propres idées, interrompu plutôt qu'influencé, par ce que nous lui disons. Il  existe entre les deux états, celui de veille et celui de sommeil, une différence irréductible.
Nous avons ainsi trois genres d'analogies qui nous permettent de tracer les limites de nos anticipations. De l'analogie qui existe entre les possessions et les personnalités secondaires nous pouvons conclure, qu'un esprit possédant ne doit pas être capable de suggérer au cerveau du sujet des idées et des mots d'un genre qui ne lui soit pas familier. De l'analogie entre la possession et le rêve nous pouvons conclure, que la mémoire de l'esprit possédant peut être soumise à des omissions et à des confusions bizarres. De l'analogie, enfin, entre la possession et le somnambulisme il résulte, que le colloque entre l'observateur humain et l'esprit possédant n'est ni complet ni libre mais, plutôt entravé par la différence qui existe entre l'état de l'un et celui de l'autre et, abrégé par la difficulté de maintenir un contact psychique prolongé.
Les remarques qui précèdent auront, je l'espère, préparé le lecteur à considérer les problèmes qui concernent la possession avec la même largeur d'esprit que celle qu'avait nécessitée l'étude des autres problèmes abordés dans cet ouvrage. J'ai montré, en effet, que ce nouveau problème peut être considéré comme une conséquence, un effet naturel de l'ancien. J'ai montré, dans les mouvements et les expressions de l'organisme possédé, des manifestations motrices automatiques poussées à l'extrême degré et dans l'invasion de l'esprit possédant, la victoire complète de l'invasion télépathique et j'ai, dès le début, mis en garde contre certains malentendus qui avaient, dans le passé, détourné les hommes de l'étude sérieuse des messages parvenus par cette voie. Avant d'aller plus loin, nous devons attirer l'attention sur un autre aspect de la possession concernant un groupe de phénomènes qui, de différentes manières, ont fait naître une confusion et retardé notre étude mais qui, examinés à leur place et convenablement compris, semblent devoir former un élément inévitable de toute théorie ayant pour but de découvrir l'influence que des facteurs invisibles exercent sur le monde que nous connaissons.
Je n'ai considéré jusqu'ici les influences télépathiques et supra-normales que du point de vue psychologique, comme si le champ de l'action supra-normale était situé dans le monde méta-éthéré. Mais malgré la vérité profonde de ce point de vue, il ne représente pas toute la vérité « pour des êtres tels que nous sommes, dans un monde tel que le nôtre ». Pour nous, tout fait psychologique a son côté physique et les événements méta-éthérés, pour nous être perceptibles doivent, d'une façon ou d'une autre, affecter le monde de la matière. Dans les automatismes sensoriels et moteurs, nous voyons réellement des effets qui commencent à se manifester d'une façon supra-normale, atteindre le monde de la matière. En premier lieu et tout naturellement dans la vie ordinaire, nos propres esprits (leur existence une fois admise) affectent nos propres corps et nous fournissent l'exemple permanent de l'esprit agissant sur la matière. Ensuite, lorsqu'un homme reçoit une influence télépathique ayant sa source dans un autre esprit incarné et déterminant la vision de figures fantomales, nous pouvons supposer que le cerveau de cet homme a été affecté par son propre esprit plutôt que par celui de son ami éloigné. Mais il n'est pas toujours vrai, même dans les cas d'automatisme sensoriel, que l'esprit du sujet soit le simple exécuteur des suggestions venant d'un esprit éloigné. Et, dans les automatismes moteurs aboutissant à la possession, il existe des indications de nature à faire admettre que l'influence de l'esprit de l'agent est télergique plutôt que télépathique et que, certains esprits extérieurs sont susceptibles d'influencer le cerveau et l'organisme humains, c'est-à-dire de produire des mouvements de la matière, lors même qu'il s'agit de matière organisée et de mouvements moléculaires.
Ce fait une fois établi et, il n'a pas toujours été saisi par ceux qui s'attachaient à établir une différence fondamentale entre l'influence spirituelle affectant nos esprits et celle qui affecte le monde matériel, nous sommes aussitôt amenés à nous demander si la matière inorganique révèle, aussi bien que la matière organique, l'action, l'influence d'esprits extérieurs. La réponse semble, à première vue, devoir être négative. Nous avons constamment affaire à la matière inorganique et nous n'avons pas besoin de l'hypothèse de l'influence spirituelle pour expliquer nos expériences. Mais c'est là une proposition sommaire, insuffisante pour couvrir des faits aussi rares et fugitifs que quelques-uns de ceux exposés dans ce livre. Commençons, pour ainsi dire, par l'autre bout, non par l'expérience vaste de la vie mais, par les cas délicats et exceptionnels de possession dont nous aurons encore à parler.
Supposons qu'un esprit désincarné, en possession temporaire d'un organisme vivant, provoque de sa part des manifestations motrices automatiques. Pouvons-nous dire, a priori, où s'arrêteront les mouvements automatiques de l'organisme, de même que nous pouvons prévoir les limites de ses mouvements volontaires ? L'esprit extérieur ne pourrait-il faire manifester à l'organisme plus de puissance motrice que ce que peut tirer de lui-même un homme éveillé ? Nous ne serions pas surpris alors, de voir les mouvements présenter une concentration exagérée pendant l'extase et de voir le dynamomètre serré avec plus de force par l'esprit agissant à travers l'homme que par l'homme lui-même. Pouvons-nous imaginer un autre moyen permettant à un esprit qui me possède d'employer ma force vitale plus habilement que je ne le fais moi-même ?
Je ne sais pas comment ma volonté met mon bras en mouvement  mais, je sais par expérience, que ma volonté met en mouvement mon bras seulement et, les objets qu'il peut toucher ; tous les objets actuellement en contact avec le « squelette protoplasmique » qui représente la vie de mon organisme. Mais, je puis quelquefois provoquer des mouvements dans des objets avec lesquels je ne suis pas en contact actuel, comme lorsque je les fais fondre au moyen de la chaleur ou que je les allume (dans l'air sec du Colorado) à l'aide de l'électricité qui se dégage de mes doigts. Je ne connais pas toutes les formes d'énergie que mes doigts sont susceptibles de dégager à la suite d'un exercice approprié.
Et maintenant, supposons qu'un esprit possédant puisse se servir de mon organisme plus habilement que je ne le puis moi-même. Ne pourrait-il pas faire déployer à l'organisme une énergie capable de mettre en mouvement des objets pondérables qui ne sont pas en contact actuel avec ma chair ? Ce serait là un phénomène de possession qui ne différerait pas beaucoup des autres : ce serait de la télékinésie. Par ce mot ( proposé par M. Aksakoff), il convient de désigner et de décrire ce qui a été appelé « les phénomènes physiques du spiritualisme » et dont l'existence, en tant que réalité et non comme un système d'apparences mensongères, a donné lieu, pendant un demi-siècle, à des controverses ardentes qui se continuent toujours.
La simulation persistante de la télékinésie avait naturellement toujours inspiré des doutes quant à la réalité du phénomène et cela, même dans les cas où toutes les précautions avaient été prises contre la simulation et où le caractère des sujets rendait le soupçon de simulation tout à fait improbable. Malgré toute son importance, ce sujet n'est pas assez intimement lié au sujet principal de cet ouvrage pour que je me croie obligé d'en donner une revue historique détaillée. Je ne m'en occuperai que dans la mesure où il figurera comme un des éléments de la possession spirituelle, dans le cas de M. Stainton Moses par exemple. ( Le reste de ce chapitre a été composé par les éditeurs, avec les fragments trouvés dans les manuscrits de M. Myers que la mort a empêché de les réunir ensemble et de leur donner une forme définitive.)
Les analogies que nous avons pu établir entre les phénomènes de la possession et ceux qui ont été décrits dans les chapitres précédents vont nous faciliter l'intelligence des premiers et, sans nous arrêter aux cas d'importance secondaire, nous allons exposer ceux qui concernent M. Stainton Moses et Mme Piper que nous avons pu observer personnellement et dans lesquels, les phénomènes de possession revêtent la forme la plus caractéristique.
M. Stainton Moses était un clergyman dogmatique, consciencieux, laborieux, animé du désir de faire du bien et prêchant aux autres les meilleurs moyens d'atteindre ce but. Lui-même voyait l'élément essentiel de ce qu'il appelait ses « messages », dans les mots automatiquement prononcés ou écrits, non dans les phénomènes qui les accompagnaient et qui seuls donnaient à ces processus automatiques leur importance et leur intérêt, pour ainsi dire, uniques. Dans un livre intitulé Spirit Teaching, il a réuni ce qu'il considérait comme les résultats réels de ces années de séjour mystérieux dans le vestibule d'un monde inconnu.
Sa vie a été une des plus extraordinaires de notre siècle et son histoire véridique se trouve consignée dans cette série de manifestations physiques qui se sont continuées pendant 8 années, à partir de 1872 et, dans les séries de manifestations automatiques écrites ou parlées qui, ayant commencé en 1873, se sont prolongées pendant 10 années, pour ne cesser complètement que très peu de temps avant sa mort.
Les esprits dont M. Moses se prétendait possédé peuvent être divisés en trois catégories :
A.. La première catégorie et la plus importante se composait de personnes récemment décédées et qui souvent se manifestaient au cours des séances, avant que la nouvelle de leur mort fût arrivée et par une des voies ordinaires, à une des personnes prenant part à la séance. Ces esprits ont souvent fourni des preuves de leur identité en mentionnant des faits en rapport avec leur vie terrestre et qui, plus tard, ont été trouvés exacts.
B. Vient ensuite un groupe de personnages appartenant à des générations plus reculées et généralement plus ou moins célèbres de leur vivant. Grocyn, l'ami d'Erasme, peut être considéré comme le représentant typique de ce groupe. Plusieurs d'entre eux ont également fourni, pour prouver leur identité, des faits qui étaient plus exacts que l'idée ou la connaissance consciente que pouvaient en avoir les personnes présentes à la séance. Mais dans ces cas, la difficulté de prouver l'identité est augmentée de ce fait que la plupart des données exactes se trouvent consignées dans des volumes imprimés et, que M. Moses a pu les lire et les oublier ensuite ou bien, apprendre leur contenu par clairvoyance.
C. Le troisième groupe se compose d'esprits portant des noms tels que Recteur, Docteur, Théophile et surtout Empereur. De temps à autre, ils révèlent les noms qu'ils prétendent avoir porté pendant leur vie terrestre. Ces noms cachés sont, le plus souvent,  plus illustres et plus anciens que ceux du groupe B.
En ce qui concerne les rapports entre les esprits et les phénomènes télékinésiques, on ne doit pas oublier que ces phénomènes, tout étranges et grotesques qu'ils paraissent quelquefois, ne peuvent pas être considérés comme absurdes et inutiles. Les opérateurs présumés se donnent la peine de décrire ce qu'ils regardent comme une fin et ce qu'ils considèrent comme un moyen, en vue de cette fin. Leur objectif constant et avoué est de promulguer, par l'intermédiaire de M. Moses, certaines opinions religieuses et philosophiques  et, les manifestations physiques sont décrites comme étant simplement une preuve de puissance et une base pour l'autorité invoquée en faveur des enseignements sérieux.
Des considérations d'ordre moral et, le fait que les phénomènes physiques se reproduisaient toujours lorsque M. Moses était seul, nous empêchent de les considérer comme des manoeuvres frauduleuses produites par quelque personne présente à la séance. Et il me paraît, d'autre part, moralement et physiquement incroyable de les considérer comme des impostures ayant pour auteur M. Moses lui-même. Il est physiquement impossible et incompatible avec ses propres récits et avec ceux de ses amis, qu'il ait pu les préparer et les produire pendant l'extase. On doit donc les considérer comme étant survenus d'une manière réellement supra-normale.
J'examinerai brièvement la nature des preuves tendant à montrer que les esprits invoqués étaient réellement ce qu'ils paraissaient être, à en juger, tout au moins, d'après les carnets où se trouvent consignées les écritures automatiques de M. Moses. Le contenu de ces carnets est formé, en partie, de messages ayant pour but de prouver l'identité des esprits, en partie, de discussions et d'explications de phénomènes physiques, en partie enfin, de dissertations religieuses et morales.
Ces messages automatiques ont été presque entièrement écrits de la main de M. Moses, à l'état normal de veille. Les exceptions portent sur deux points : a) il existe un long passage que M. Moses prétendait avoir écrit pendant qu'il était en extase  et b), il existe de-ci de-là, quelques mots d'une écriture soi-disant « directe », c'est-à-dire écrits par des mains invisibles, en présence de M. Moses et, décrits à plusieurs reprises dans les comptes rendus des séances auxquelles avaient assisté d'autres personnes encore.
En laissant de côté ces deux exceptions, nous trouvons que les écrits présentent, le plus souvent, la forme d'un dialogue ; M. Moses posant les questions de son écriture épaisse et large et, les réponses étant écrites par M. Moses encore et de la même plume mais, d'une écriture qui varie d'un cas à l'autre et diffère plus ou moins de sa propre écriture.
Que ces messages aient été écrits par M. Moses, avec la conviction sincère qu'ils émanaient des personnes dont ils portaient la signature, personne n'osera en douter. Mais ce qui est plus douteux, c'est la question de savoir s'ils émanaient réellement des personnes invoquées. Vu les conditions dans lesquelles se sont faites ces communications, elles ne révèlent pas une intelligence directrice et n'apprennent aucune vérité réellement nouvelle, attendu que ces manifestations sont, par hypothèse, limitées non par les connaissances préalables mais, par les capacités préalables du sujet. Et si elles fournissent des données dont le sujet-médium n'a pas de connaissance consciente et qui présentent, cependant, un caractère achevé, on peut supposer que ces données ont été acquises subliminalement par le médium, à la suite d'un regard inconscient jeté sur une page imprimée ou bien même, qu'elles ont été apprises par clairvoyance, sans l'intervention d'un autre esprit que celui, quoique fonctionnant d'une façon supra-normale, du médium.
Cette hypothèse n'est ni fantastique, ni de nature à mettre en doute la probité de M. Moses car il m'a avoué lui-même que, dans ses rapports avec des esprits éloignés dans le temps, il n'éprouvait pas la même sensation que lorsqu'il conversait avec des esprits plus rapprochés. Il n'en répudiait pas moins toute idée de mémoire subconsciente et affirmait qu'il n'a jamais pu voir ou lire au préalable la plupart de ce qu'il avait écrit automatiquement. Et ceci peut être vrai. Ses connaissances, par exemple, en littérature et en histoire, ne dépassant pas celles d'un maître d'école ordinaire. Il n'en reste pas moins que parmi toutes les communications historiques qui lui auraient été faites, il n'y en a pas une seule qui ne se trouve dans des sources imprimées accessibles à tout le monde.
Les preuves d'identité fournies par M. Moses, dans les cas concernant des esprits de personnes mortes depuis moins longtemps, paraissent plus satisfaisantes. Mais ici encore, il est difficile d'établir si les faits affirmés ne font pas partie des connaissances subliminales de l'automate. On a parfois l'impression que ces faits ont pu être retenus en parcourant machinalement les notices nécrologiques des journaux ou les inscriptions sépulcrales ; ou bien, des noms et des faits connus d'une des personnes présentes à la séance mais non de M. Moses, ont pu être mentionnés en sa présence et se graver dans sa mémoire subliminale. Dans le cas d'Hélène Smith, nous avons vu le degré d'acuité que peut atteindre l'hyperesthésie et l'hypermnésie du moi subliminal  mais, en présence de l'ignorance dans laquelle se trouvait le monde scientifique d'alors, relativement à ces questions, il n'est pas étonnant que M. Moses et ses amis se soient refusés à admettre l'explication que nous proposons ici. Que les esprits invoqués aient ou non manifesté directement leur action, ce qui parfois a bien pu être le cas, nous ne pouvons nous empêcher de croire que le moi subliminal du médium a dû, tout au moins, jouer un rôle assez actif dans ces communications.
Deux fois, M. Moses avait reçu une annonce de décès alors qu'il était impossible qu'il ait appris la nouvelle par une voie normale. Je citerai un de ces cas ( d'après mon article publié in Proceedings S. P. R., XI, pp. 96 et suivantes) qui est sous beaucoup de rapports le plus remarquable. Il s'agit d'une dame que j'avais connue et que M. Moses n'avait vue, je crois, qu'une seule fois. La publication du vrai nom ayant été interdite par l'esprit lui-même, pour des raisons qui m'ont paru suffisantes lors de la lecture du récit de ce cas mais qui n'étaient point connues de M. Moses et, le fils de la dame s'y étant opposé à son tour, je l'appellerai ici Blanche Abercrombie.
Cette dame est morte un après-midi de dimanche, il y a 26 ans, dans une maison de campagne située à 200 milles environ de Londres. La nouvelle de sa mort qui était un événement d'un intérêt général, fut immédiatement télégraphiée à Londres et parut dans le Times du lendemain, lundi ; il est certain toutefois que, sauf la presse et les parents les plus rapprochés, personne n'était au courant de cette nouvelle le dimanche soir. Or ce soir-là, vers minuit, une communication prétendant venir d'elle parvint à M. Moses dans son logement isolé situé dans la partie nord de Londres. L'identité a été confirmée quelques jours plus tard par quelques lignes présumées comme venant directement d'elle et écrites de son écriture. Il n'existe aucune raison de supposer que M. Moses ait jamais vu son écriture. La seule fois où il s'était rencontré avec cette dame et son mari fut au cours d'une séance, non d'une séance à lui où il a été froissé par le scepticisme hautement exprimé par le mari à l'égard des phénomènes de cette nature.
Après avoir reçu ces messages, M. Moses semble n'en avoir parlé à personne et les colla sur les pages de son livre manuscrit en inscrivant sur l'extérieur du livre: « Matières privées ». Lorsque, autorisé par les exécuteurs testamentaires, j'ouvris ce livre, je fus surpris d'y trouver une courte lettre qui, sans relater des faits bien précis, n'en était pas moins tout à fait caractéristique de la Blanche Abercrombie que j'avais connue. Mais bien que j'aie reçu de ses lettres de son vivant, je ne me rappelais pas son écriture et comme je connaissais un de ses fils, je l'avais prié de me prêter une des lettres écrites par sa mère afin que je pusse comparer les deux écritures. Il eut l'obligeance de le faire et je n'ai pas tardé à constater une ressemblance frappante entre l'écriture automatique et l'écriture de la lettre qui m'avait été prêtée, sauf en ce qui concerne la lettre A du nom de famille. Le fils me permit alors d'étudier toute une série de lettres de sa mère qui ont été écrites à des époques différentes, jusqu'aux derniers jours de sa vie. Et j'ai pu me convaincre que, dans les dernières années, elle avait pris l'habitude (imitée de son mari) d'écrire la lettre A de la façon-même dont elle était écrite dans le message automatique. Le docteur Hodgson auquel j'ai soumis les deux écritures, a trouvé que l'écriture automatique et surtout la signature, révélait une tentative d'imiter de mémoire et non d'après un spécimen, les principaux caractères de l'écriture originale. Il ne serait pas inutile de résumer, ici, les principaux caractères qui donnent aux messages reçus par M. Mose  leur identité, c'est-à-dire fournissent la preuve qu'ils viennent réellement des sources auxquelles ils sont attribués. Nous avons sous ce rapport à distinguer plusieurs degrés :
1° Nous avons d'abord les messages les plus ordinaires, ceux dans lesquels tous les faits qu'ils renferment ont été connus de l'automate d'une façon consciente. Dans les cas de ce genre, nous pouvons supposer qu'il ne s'agit que de sa propre personnalité et que les messages ont une source subliminale non extérieure.
2° Viennent ensuite les messages composés de faits qui paraissent avoir été connus de l'esprit invoqué mais dont l'automate ne possède pas de connaissance consciente, quoiqu'ils aient pu, autrefois, être notés par lui inconsciemment et se graver dans sa mémoire subliminale.
3° En ce qui concerne les messages du groupe suivant, il peut être prouvé, avec des degrés de certitude aussi variés que l'admettent les preuves négatives de ce genre, que l'automate ne les a jamais connus, de quelque façon que ce soit mais, qu'ils n'en sont pas moins faciles à trouver dans des livres ; de sorte que l'automate a pu les apprendre par clairvoyance ou, à la suite d'une communication faite par un esprit autre que l'esprit invoqué par lui.
4° Il peut être prouvé, avec un degré de certitude variable selon les circonstances, que les faits n'ont jamais été connus de l'automate et ne sont pas imprimés mais, qu'ils ont été connus des esprits invoqués et peuvent être vérifiés par les souvenirs de personnes vivantes.
5° On pourrait citer ensuite, ce groupe de messages expérimentaux ou de lettres posthumes dans lesquelles la personne décédée avait, avant sa mort, consigné une preuve spéciale ou un fait ou une phrase qu'elle seule connaissait, pour la transmettre, après sa mort si possible, comme signe de son retour ( voir le cas de M. Finney, chap. VIII ).
6° Nous n'avions affaire, jusqu'ici, qu'à des messages verbaux qu'il nous était facile de manier et d'analyser. Mais en réalité, ce ne sont pas les conclusions tirées de ces messages écrits qui ont, le plus souvent, servi à inspirer au survivant la croyance à l'apparition de son ami décédé. Logiquement ou non, ce n'est pas tant le message écrit qu'il invoque que le fantôme d'une figure ou d'une voix qu'il avait si bien connue. C'est sur cette présence que les survivants ont toujours insisté, depuis le temps où Achille cherchait en vain à embrasser l'ombre de Patrocle.
Jusqu'à quel point un fantôme constitue-t-il une preuve d'une action réelle exercée par l'esprit ? Cette question a été discutée plus haut. ( Chap. VII. ) Mais, quoique l'apparition d'une personne décédée ne constitue pas, en elle-même, une preuve de sa présence, elle n'est pas non plus une simple forme que les fantômes purement hallucinatoires semblent revêtir si fréquemment et, lorsqu'il existe des preuves supplémentaires comme, par exemple, une écriture prétendant venir de la même personne, les chances en faveur de sa présence réelle s'en trouvent considérablement augmentées. Dans le cas de M. Moses, presque toutes les figures qu'il avait vues apportaient avec elles une confirmation de ce genre.
7° Ceci nous amène à un groupe de cas largement représentés dans les séries de M. Moses où des messages écrits, prétendant venir d'un certain esprit, étaient accompagnés de phénomènes physiques dont le même esprit prétendait être l'auteur. Qu'il soit ou non possible de donner à cette preuve un caractère rigoureusement logique, il n'en est pas moins facile d'imaginer plus d'un cas où elle paraîtra décisive à tout le monde. Mais en eux-mêmes, les phénomènes physiques ne fournissent pas de preuve en faveur d'une intelligence autre que celle du sujet et ainsi que je l'ai dit, peuvent, dans plus d'un cas, constituer une simple extension de ses forces musculaires ordinaires, au lieu d'être dus à une action extérieure quelconque.
En nous en tenant aux messages verbaux, nous trouvons que les cas le plus largement représentés dans les récits de M. Moses appartiennent aux trois premiers groupes ; quant à ceux du quatrième groupe qui embrasse des faits vérifiables dont il n'existe aucun récit imprimé et dont on est sûr que le médium ne les avait jamais connus, ils sont relativement peu nombreux. Ceci peut être attribué, en partie, au petit nombre de ceux qui assistaient aux séances de M. Moses et qui étaient tous de ses amis personnels. Les récits de Mme Piper au contraire, dont nous allons nous occuper maintenant, sont particulièrement riches en incidents appartenant au quatrième groupe et, la valeur évidentielle des messages verbaux est donc, dans son cas, supérieur à celle que nous pouvions accorder aux messages de M. Moses. Tandis que chez ce dernier, l'identité d'un grand nombre de communications reposait principalement sur ce fait qu'elle était garantie par Empereur et son groupe d'auxiliaires, dans le cas de Mme Piper, les esprits de quelques amis récemment décédés qui ont donné plus d'une preuve de leur identité, apparaissent pour maintenir la réalité indépendante et la direction qu'elles exercent sur Mme Piper des mêmes intelligences, Empereur, Recteur, Docteur et autres dont M. Moses prétendait qu'elles intervenaient dans ses propres expériences. Nous reviendrons, à propos du cas de Mme Piper, sur la question de la supra-vision de ces esprits.
Deux différences importantes séparent le cas de Mme Piper de celui de M. Moses. D'abord, ses manifestations supra-normales ne sont accompagnées d'aucun phénomène de télékinésie  et ensuite, son moi supra-liminal ne présente pas la moindre trace d'une faculté supra-normale quelconque. Elle présente un exemple d'automatisme extrême où la possession n'est pas seulement locale ou partielle mais affecte, pour ainsi dire, toute la région psychique où le moi supra-liminal se trouve momentanément supprimé d'une façon complète et où, toute la personnalité subit des modifications intermittentes. En d'autres termes, elle entre dans un état où les organes de la parole et de l'écriture sont guidés par d'autres personnalités que sa personnalité normale éveillée. Occasionnellement, le moi subliminal apparaît soit immédiatement avant, soit immédiatement après l'extase, pour assumer, pendant un court intervalle, la direction de l'organisme  mais à cette exception près : les personnalités qui écrivent ou parlent pendant l'extase prétendent être des esprits désincarnés.
Les « possessions » de Mme Piper peuvent être divisées en trois périodes :
a) La première qui s'étend de 1 884 à 1891 et pendant laquelle la principale personnalité directrice est connue sous le nom de « Dr Phinuit » qui se sert presque exclusivement des organes vocaux, se manifestant dans un état d'extase ;
b) Pendant la deuxième période qui s'étend de 1892 à 1896, les communications se font principalement par l'intermédiaire de l'écriture automatique et sous une direction portant le nom de « Georges Pelham » ou « P. G. », quoique le Dr Phinuit se fût également manifesté pendant cette période à l'aide de la voix ;
c) Pendant la troisième période qui commence en 1897, la supra-vision serait exercée par l'Empereur, le Docteur, le Recteur et autres déjà mentionnés à l'occasion des expériences de M. Moses, le plus souvent par l'intermédiaire de l'écriture, de temps à autres à l'aide de la parole. Je ne discuterai pas ici l'hypothèse de la fraude qui a déjà été discutée et réfutée par le Dr Hodgson, le Pr William James, le Pr Newbold de l'Université de Pensylvanie, le Dr Walter Leaf et sir Oliver Lodge ( Voir l'article de M. W. James, in Psychological Review, juillet 1898.) et, je n'analyserai pas davantage tout au long, le caractère de la personnalité de Phinuit. D'après mon expérience personnelle, pendant le séjour de Mme Piper en Angleterre, en 1889-90, différentes extases et différentes parties de la même extase présentaient souvent une qualité inégale. Il y a eu quelques interviews au cours desquelles Phinuit ne posait pas une seule question et ne formulait pas une seule proposition qui ne fussent vraies. Il y en avait d'autres au cours desquelles il ne manifestait pas la moindre connaissance réelle et, se bornait à des questions et à des réponses posées et formulées au hasard. L'extase ne pouvait pas toujours être provoquée à volonté. Un état d'expectation tranquille en favorisait souvent l'apparition mais parfois auss toute tentative de la provoquer échouait. L'extase, une fois provoquée, durait une heure environ et il y avait souvent une différence notable entre les quelques premières minutes et le reste de sa durée. Dans ces occasions, tout ce qui était de quelque valeur était dit pendant les premières minutes, le reste de la conversation consistant en généralités vagues ou simples répétitions de ce qui a été déjà dit. Phinuit prétendait toujours être un esprit en communication avec d'autres esprits et il avait l'habitude de dire qu'il se rappelait leurs messages pendant quelques minutes seulement après « être entré dans le médium » et qu'ensuite, ses souvenirs se brouillaient et, il n'était pourtant pas capable de s'en aller lorsque sa provision de faits était épuisée. Il paraissait se produire une décharge inutile d'énergie qui durait jusqu'au moment où l'impulsion primitive aboutissait à l'incohérence. Ma conclusion générale, à cette époque, était que les manifestations de Phinuit devaient être considérées comme un élément de cette longue série de messages automatiques de tous genres qu'on commence seulement à recueillir et à analyser. J'ai considéré comme démontré que ces phénomènes attestaient une large extension télépathique ou clairvoyante des facultés normales de l'esprit humain et il me parut possible que les connaissances de Phinuit dérivassent d'une faculté télépathique ou clairvoyante que Mme Piper possédait à l'état latent et qui se manifestait d'une façon à laquelle nos expériences précédentes ne nous avaient pas habitués. D'un autre côté, les messages automatiques que nous avons déjà étudiés comprenaient des phénomènes très variés dont quelques-uns paraissaient, à première vue, dus à l'intervention peut-être indirecte, de la personnalité survivante de la personne décédée et, je me suis dit que si ces exemples de communications venant d'esprits extra-terrestres doivent un jour être acceptés par la science, les messages de Phinuit pourront, malgré tous leurs défauts et toutes leur inconséquences, être ajoutés au nombre.
Je n'ai pas besoin de dire que c'est cette dernière hypothèse que j'ai fini par adopter et, quoiqu'il soit évident que les difficultés concernant l'identité de Phinuit ne soient pas levées, il paraît possible de le considérer comme une intelligence extérieure à Mme Piper, comme un esprit désincarné. On ne doit pas oublier, cependant, qu'il a complètement échoué dans ses tentatives d'établir son identité personnelle et qu'il ne réussit même pas à prouver sa prétention d'être un médecin français. Nous ne possédons malheureusement aucun récit contemporain relatif aux premières extases de Mme Piper, ni aucune information concernant les premières manifestations de la personnalité de Phinuit. Il paraît clair, tout au moins, que le nom de Phinuit était le résultat d'une suggestion faite pendant ces premières extases (voir Proceedings S. P. R., VIII, pp. 46-58) et, plus d'un pensera que la supposition la plus probable est que, la direction exercée par Phinuit n'était autre chose que celle d'une personnalité secondaire de Mme Piper. Mais, selon les affirmations (dont il n'existe aucune preuve) faites par Empereur, Phinuit serait un esprit inférieur « attaché à la terre » qui a été troublé et égaré lors de ses premières tentatives de communication et a perdu, pour ainsi dire, « la conscience de son identité personnelle ». Or, les cas cités au chapitre II montrent qu'une pareille éventualité n'est pas rare dans cette vie et, il n'est pas impossible que des troubles profonds de la mémoire surviennent chez un esprit désincarné inexpérimenté, lors de ses premières tentatives de communiquer avec nous à travers le monde matériel. Quoiqu'il en soit, la personnalité de Phinuit ne s'était plus manifestée, ni directement ni indirectement, depuis le mois de janvier 1897, époque à laquelle Empereur avait commencé à présider aux supra-visions de Mme Piper.
Phinuit remplissait généralement le rôle d'intermédiaire, reproduisant les communications faites par des parents et amis « décédés » des personnes présentes aux séances et dans une série de séances favorables, l'impression générale a été telle que l’a décrit sir Oliver Lodge dans le cas suivant ( Proceedings S. P. R., VI, p. 454): « Un des meilleurs assistants a été mon voisin le plus rapproché, Isaac C. Thompson, à l'adresse duquel et avant qu'il fût introduit, Phinuit envoya un message prétendant venir de son père. Trois générations de membres vivants et décédés de la famille de sa femme et de la sienne ont été mentionnés avec la plus grande exactitude au cours de deux ou trois séances, chaque membre étant caractérisé avec une précision remarquable ; le principal informateur se donnant pour son frère décédé, un jeune docteur d'Edimbourg mort depuis une vingtaine d'années. Le caractère familier et touchant de ces communications était tout
à fait remarquable et, il est impossible de s'en faire une idée d'après le compte rendu imprimé des séances. »
Les cas de ce genre ne sont pas bien fréquents et, bien qu'il semble y avoir eu pendant la première période de l'histoire de Mme Piper, des preuves abondantes de l'existence d'une faculté supra-normale qui exigeait, tout au moins, l'hypothèse de la transmission de pensées de personnes vivantes rapprochées ou éloignées et rendait probable l'hypothèse d'une faculté de télesthésie ou peut-être même de prémonition, il n'en est pas moins vrai que la principale question qui nous intéresse à présent, celle de savoir si l'organisme de Mme Piper était guidé directement ou indirectement par des esprits désincarnés susceptibles de fournir des preuves satisfaisantes de leur identité ; cette question reste en suspens.
Au point de vue de la question de l'identité personnelle, les séries de séances tenues par Mme Piper pendant la deuxième période de 1892 à 1896, sont beaucoup plus importantes. L'informateur ou intermédiaire principal, pendant cette période, a été G. P. Ce G. P. dont le nom (quoique connu de plusieurs personnes) a été transformé en vue de la publication, en « Georges Pelham », était un jeune homme très capable qui s'adonnait beaucoup à des travaux littéraires. Quoique né citoyen américain, il appartenait à une famille anglaise noble. Je ne l'ai jamais vu mais j'ai eu la bonne fortune de compter quelques-uns de ses amis au nombre des miens et, j'ai pu m'entretenir intimement avec plusieurs d'entre eux sur la nature des communications qu'ils recevaient. J'ai été, de cette façon, mis au courant de quelques-unes des manifestations les plus significatives de G. P. qui ont été jugées de nature trop intime pour être imprimées et, j'ai moi-même assisté à des séances où G. P. s'était manifesté. Pour la discussion complète des preuves tendant à montrer l'identité de G. P., je n'ai qu'a renvoyer mes lecteurs aux récits originaux publiés dans Proceedings S. P. R., XIII, pp. 284-582, et XIV, pp. 6-49.
Nous pourrions citer d'autres exemples empruntés à l'histoire de Mme Piper et qui tous, tendent à montrer que son organisme corporel était possédé et guidé par des esprits désincarnés qui essayaient de prouver leur identité en reproduisant des souvenirs de leur vie terrestre.
Nous devons essayer, maintenant, de nous former une idée définie du processus de la possession basée, non sur des théories préconçues mais sur l'observation réelle des faits, quoiqu'il soit à peine besoin de dire que l'idée la plus adéquate que nous soyons à même de nous former pour le moment, recevra nécessairement, du fait de notre propre existence matérielle, une foule de restrictions et de limitations et ne pourra être exprimée qu'à l'aide d'analogies sommaires.
Je dois dire, dès le début, que cette union de deux êtres humains aussi différents qui s'expriment dans la possession d'un organisme n'a, en elle-même, rien de fatidique ni d'alarmant. Dans le cas de Mme Piper, le commencement et la fin d'une extase qui, selon l'expression de M. James, étaient accompagnés, au début, de « troubles respiratoires et de contractions musculaires prononcés », s'accomplissent à présent, aussi tranquillement que les faits de s'endormir et de se réveiller et, son état de veille ne se ressent en aucune façon de son extase, sauf une fatigue passagère lorsque l'extase a été trop prolongée ou d'un autre côté, un état de bien-être vague et diffus semblable à celui qu'on éprouve quelquefois en se réveillant à la suite d'un rêve agréable. L'influence sur la santé, loin d'être nuisible, aurait été plutôt salutaire. En tout cas, après des troubles sérieux qu'elle avait éprouvés à la suite d'un accident de traîneau et des opérations consécutives, Mme Piper est actuellement « une femme dont la santé est en parfait état ». Au point de vue du caractère, elle présente le type de la femme américaine tranquille et s'occupant beaucoup de son ménage et de ses enfants. (Elle s'était mariée en 1881 et a deux filles dont une âgée de 17, l'autre de 18 ans). D'après le Dr Hodgson, la direction qu'elle subit de la part d'intelligences supérieures à la sienne a augmenté sa stabilité et sa sérénité. Tant que nous ne considérons, en effet, que le côté matériel et charnel de ses rapports bizarres, il nous semble assister à un processus d'évolution qui se déroule devant nous avec une facilité inattendue, de sorte qu'il est de notre devoir de rechercher soigneusement et d'exercer d'autres individus favorisés présentant la même faculté toujours latente, peut-être mais de nos jours, émergeant graduellement dans la race humaine. Die Geisterwelt ist nicht verschlossen ; les sensitifs n'ont qu'à se plonger dans un profond recueillement pour apercevoir la porte qui s'entrouvre sur ce monde des esprits. C'est plutôt de l'autre côté de ces rapports que commencent les difficultés et les perplexités les plus grandes.
En abordant les choses qui se trouvent au-delà de l'expérience humaine, notre principal but doit être d'établir leur continuité avec ce que nous savons déjà. Il nous est impossible, par exemple, de nous former, indépendamment de ce que nous savons, une conception satisfaisante du monde invisible. Et cependant, cette conception n'a jamais été considérée franchement, du point de vue de nos idées modernes de continuité, de conservation de l'énergie, d'évolution. Les principales notions se rapportant à la survivance ont été formées par les hommes primitifs d'abord, par les philosophes aprioristes ensuite. Aux yeux de l'homme de science, la question ne présentait pas une actualité suffisante pour qu'il la jugeât digne d'être abordée à l'aide des méthodes scientifiques. Il se contentait, comme le reste de l'humanité, de quelque théorie traditionnelle, d'une préférence sentimentale pour telle description qui lui paraissait la plus satisfaisante et la plus élevée. Mais il sait bien que ce principe subjectif du choix avait conduit, dans l'histoire, à l'acceptation de plus d'un dogme que nos notions d'hommes civilisés nous font considérer comme blasphématoires et cruels au plus haut degré.
La seule différence, entre les conceptions des philosophes modernes et celles de l'homme primitif, consiste en ceci que, tandis que ce dernier admettait trop peu de différence entre le monde matériel et le monde spirituel, le premier considérant cette différence comme étant trop grande, creuse entre l'un et l'autre un abîme infranchissable ; les oppose d'une façon quasi-absolue.
Toute la question tourne autour de la persistance de l'identité personnelle au-delà de la mort. Comment devons-nous concevoir cette identité ? Au cours de la vie terrestre, le corps réel de notre ami, par exemple, qui, dans l'idée que nous avons de cet ami, constitue un élément plutôt subordonné, n'en recouvre pas moins par sa continuité physique, à la façon d'un symbole, toutes les lacunes de la mémoire, toutes les modifications du caractère. Mais c'étaient la mémoire et le caractère, c'est-à-dire les impressions emmagasinées sur lesquelles il réagissait et son mode de réaction spécifique qui constituaient notre ami proprement dit. Que doit-il conserver de sa mémoire et de son caractère pour être reconnu par nous ?
Notre mémoire (ou la sienne) doit-elle persister entière ou éternelle ? Sa mémoire doit-elle prendre une extension qui confine à l'omniscience et, son caractère revêtir une qualité divine ? Et, quelles que soient les hauteurs qu'il atteigne, devons-nous demander qu'il se révèle à nous quand même ? Les limitations qui découlent de notre monde matériel ne sont-elles pas pour lui un obstacle ?
Rappelons-nous les quelques points qui semblent se dégager des considérations que nous avons formulées plus haut au sujet des communications de ce genre. L'esprit entre en rapport avec une personne vivante occupant une place donnée à un moment donné et, animée de certaines pensées et émotions. L'esprit peut, dans certains cas, trouver la personne en question et la suivre à volonté. Il possède donc dans une certaine mesure une connaissance de l'espace, tout en n'étant pas limité par l'espace, son pouvoir d'orientation dans l'espace est, jusqu'à un certain point à notre vue, ce que celle-ci est aux tâtonnements de l'aveugle. De même, l'esprit paraît avoir une connaissance partielle du temps tout en n'étant pas limité par lui. Il est capable de voir dans le présent, des choses qui apparaissent pour nous comme situées dans le passé et d'autres que nous situons dans le futur. L'esprit est de plus conscient, en partie tout au moins, des pensées et émotions de ses amis terrestres, en tant que ces pensées et émotions se rapportent à lui et ceci, non seulement lorsque l'ami se trouve en présence du médium mais aussi, (comme l'a plus d'une fois montré G. P.) lorsque l'ami est chez lui, vivant de sa vie ordinaire.
Admettant donc, pour les besoins de la cause, que tel est l'état normal de l'esprit par rapport aux choses humaines, comment peut-il et doit-il procéder pour se mettre en communication avec des vivants ? Or, s'il garde non seulement la mémoire des amours terrestres mais, une conscience actuelle de toutes les émotions amoureuses dont il est l'objet après sa mort, il paraît probable qu'il aura, tout au moins, la volonté, le désir d'entrer en communications avec les vivants.
Cherchant alors une issue, il commencera par discerner quelque chose qui correspond (selon l'expression de G. P.) à une lumière, à une lueur qui perce l'obscurité confuse du monde matériel. Cette « lumière » n'est autre chose qu'un médium, c'est-à-dire un organisme humain constitué de telle façon que l'esprit peut, pendant un certain temps, lui fournir des informations et le diriger sans interrompre, nécessairement, le courant de sa conscience ordinaire en se servant, soit de sa main seulement, soit (comme dans le cas de Mme Piper) de sa main et de sa voix à la fois et, occupant tous les canaux par lesquels le médium se manifeste. Les difficultés inhérentes à cet acte de contrôle ou de direction sont décrites par le Dr Hodgson de la façon suivante : « Si, en effet, chacun de nous est un « esprit » survivant à la mort du corps charnel, il existe certaines suppositions que nous pouvons faire, non sans raison et, concernant la possibilité pour un esprit désincarné de se mettre en communication avec des esprits incarnés. Même dans les meilleures conditions, il peut arriver que l'aptitude aux communications soit aussi rare que les dons qui font un grand artiste, un grand mathématicien, un grand philosophe. Mais il se peut aussi que, sous  l'influence des changements qu'entraîne la mort elle-même, l' « esprit » se trouve, au début, troublé et égaré et cela, pendant un temps plus ou moins long ; et, même après s'être accoutumé à son nouveau milieu, il est possible qu'en établissant avec un autre organisme vivant la même relation qu'il avait eue autrefois avec son propre organisme, il se trouve encore troublé, comme lorsqu'on se réveille dans un milieu étrange après une longue période d'inconscience. Si mon propre corps ordinaire pouvait être préservé dans son état actuel et que je puisse moi-même, l'abandonnant pour des mois et des années, mener une existence dans un autre ensemble de conditions, il est possible qu'en rejoignant après cette longue absence mon corps, je me montrerais au début troublé et incohérent dans mes manifestations par son intermédiaire. Combien mon trouble et mon incohérence seraient-ils plus prononcés si je rejoignais un autre corps humain ! Je serais troublé par différentes formes d'aphasie et d'agraphie, je serais sujet à des troubles de l'inhibition, je trouverais les nouvelles conditions opprimantes et épuisantes et, mon esprit fonctionnerait d'une façon automatique et comme dominé par un rêve. Or, les communications que recevait Mme Piper présentaient précisément ce genre de confusion et d'incohérence auquel nous pouvions nous attendre a priori, si elles étaient vraiment ce qu'elles prétendaient être. »
J'ai comparé, au commencement de ce chapitre, les phénomènes de la possession avec ceux de la désintégration de la personnalité, avec les rêves et avec le somnambulisme. Or, il paraît probable que la théorie des personnalités multiples par laquelle on affirme qu'aucun des courants connus de la personnalité humaine n'épuise toute sa conscience et, qu'aucune de ses manifestations connues n'exprime toute la potentialité de son être, puisse s'appliquer aux hommes désincarnés aussi bien qu'aux hommes incarnés et, ceci nous permet de supposer que les manifestations des premiers ressembleront à ces communications fugitives et instables qui existent entre les différentes couches de la personnalité chez l'homme vivant.
Mais cette difficulté elle-même et ce caractère fragmentaire des communications sont susceptibles, en dernière analyse, de nous fournir des renseignements précieux. Nous assistons au mystère central de la vie humaine se déroulant dans de nouvelles conditions et, plus que jamais accessible à notre observation. Nous voyons un esprit se servir d'un cerveau. Un cerveau humain est, en dernière analyse, un arrangement de matière adapté de façon à être influencé, mis en action par un esprit mais, tant qu'il reçoit des impulsions d'un esprit auquel il est accoutumé, l'action est trop faible pour nous permettre d'en saisir le mécanisme. Mais maintenant, nous avons affaire à un esprit étranger au cerveau, non habitué à l'instrument, s'installant et tâtonnant. Nous sommes ainsi à même d'apprendre des choses infiniment plus profondes et importantes que celles que nous apprennent les interruptions morbides de l'oeuvre de l'esprit ordinaire, normal. Dans l'aphasie, par exemple, nous assistons à certaines difficultés de la parole dépendant de certains troubles cérébraux. Mais dans la possession, nous voyons l'esprit dirigeant en train de lutter contre des difficultés analogues, écrivant ou prononçant un mot inexact pour le remplacer par le mot juste et même, trouvant parfois le moyen de nous expliquer quelque chose de ce mécanisme verbal minutieux dont l'arrêt ou le dérangement avait donné naissance à l'erreur.
Il est possible qu'avec les progrès que feront nos investigations, à mesure que nous-mêmes d'un côté et les esprits désincarnés de l'autre serons de plus en plus initiés aux conditions nécessaires pour le contrôle parfait du cerveau et du système nerveux des intermédiaires, il est possible disions-nous, que les communications deviennent de plus en plus complètes et cohérentes et atteignent un niveau de plus en élevé de conscience unitaire. Les difficultés peuvent être grandes et nombreuses mais, peut-il en être autrement lorsqu'il s'agit de réconcilier l'esprit avec la matière ; d'ouvrir à l'homme de la planète où il est emprisonné, une trouée sur le monde spirituel ?
Nous avons vu, au cours de ce chapitre, les phénomènes de la possession intimement liés à ceux de l'extase. Ceci s'explique si l'on songe que, du moment où un esprit extérieur est susceptible d'entrer dans un organisme pour s'en emparer, l'esprit intérieur peut, à son tour, être capable d'abandonner l'organisme auquel il est habituellement attaché, changer son centre de perception et d'action, quoique d'une façon moins complète et moins irrévocable qu'à la suite des changements qui résultent de la mort. L'extase devient ainsi, simplement, l'aspect complémentaire et corrélatif de la possession spirituelle. Un tel changement ne doit pas être forcément spatial, pas plus que celui qui consiste dans l'invasion de l'organisme déserté par un esprit extérieur. On peut aller plus loin et dire que puisque l'esprit incarné est capable de changer de cette façon son centre de perception en réponse, pour ainsi dire, à l'invasion de l'organisme par un esprit désincarné, on ne voit pas pourquoi il ne pourrait pas en faire autant en d'autres occasions. Nous connaissons déjà la « clairvoyance migratrice » qui consiste en ce que l'esprit change de centre de perception au milieu de scènes du monde matériel. Pourquoi n'y aurait-il pas une extension de la clairvoyance migratrice au monde spirituel ? une transmission spontanée du centre de perception dans cette région d'où les esprits désincarnés semblent, de leur côté, capables de communiquer avec une liberté grandissante ?
La conception de l’extase, dans son sens à la fois le plus littéral et le plus sublime, s'est ainsi dégagée toute seule, d'une façon presque insensible, de tout un ensemble de preuves modernes  et ce n'est pas avant longtemps que nous réussirons à séparer de façon adéquate, je ne dirai pas l'élément objectif de l'expérience de son élément subjectif car nous aurons dépassé la région où ces mots conservent encore leur sens mais, l'élément de l'expérience qui appartient à des esprits autres que celui de l'homme en extase, de l'élément qui appartient en propre à ce dernier.
Il n'est pas paradoxal de dire que les preuves qui existent en faveur de l'extase sont plus sérieuses que celles que nous possédons en faveur de n'importe quelle autre croyance religieuse. De toutes les expériences subjectives de la religion, l'extase est celle qui a été affirmée avec le plus de force, le plus de conviction. Elle ne constitue pas le monopôle d'une seule religion quelconque et si, au point de vue psychologique, la principale preuve de l'importance d'un phénomène subjectif faisant partie de l'expérience religieuse consiste dans le fait qu'il est commun à toutes les religions, il en existe à peine un autre qui réponde à cette condition au même degré que l'extase. Depuis le sorcier des sauvages les plus primitifs jusqu'à saint Jean, saint Pierre, saint Paul sans oublier Bouddha et Mahomet, nous possédons des données qui, tout en présentant des différences considérables au point de vue moral et intellectuel, ont une base psychologique commune.
A toutes les époques, l'esprit est conçu comme étant susceptible de quitter le corps ou s'il ne le quitte pas, d'étendre considérablement son champ de perception en faisant naître un état qui ressemble à l'extase. Toutes les formes connues d'extase s'accordent sur ce point et toutes, elles reposent sur un fait réel.
Nous établissons ainsi la continuité et la réalité de phénomènes qui, jusqu'ici, ont été considérés sans connexion aucune et d'une façon à peu près inintelligible. Guidés par notre point de vue à nous, nous pouvons établir une connexion entre les formes supérieures et les formes inférieures sans aucun préjudice pour les premières. Le shaman, le sorcier lorsqu'il n'est pas un imposteur, pénètre aussi réellement dans le monde spirituel que saint Pierre ou saint Paul  mais, il ne pénètre pas dans la même région de ce monde ; des visions confuses et obscures le terrifient au lieu de l'exalter. Mais, en ce qui nous concerne, le fait seul que nous croyons à ses visions ne fait que confirmer et corroborer notre foi relative à la vision du « septième ciel » des apôtres.

 

 

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