Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec



CHAPITRE II
A. LA VIE PROFANE DE D.-H.-L. RIVAIL (1804-1854)


Un tel titre semble impropre à désigner cette partie de la vie d'Allan Kardec, antérieure à la période spirite. Le fondateur du spiritisme pourrait, à juste titre d'ailleurs, en être mécontent. N'a-t-il pas pris position contre un abbé qui l'avait appelé « Grand prêtre d'une secte nouvelle ? »
Si Rivail a vécu « profanement », il est logique qu'Allan Kardec soit un « inspiré », un être à part, sinon un saint.
Néanmoins, nous garderons ce titre afin de marquer l'aspect pédagogique (social, humain, etc.) de ce demi-siècle d'existence. La seconde période qui sera consacrée à la vie spirite, montrera alors le visage d'un homme nouveau : Rivail devient Allan Kardec.
Nous nous permettons d'employer une image comparative qu'Allan Kardec ne refuserait pas. A l'instar de ce que Saint-Paul écrit dans ses Lettres aux Corinthiens au sujet de l'Ancien et du Nouveau Testament, cette première Période de la vie de D.-H.-L. Rivail se place sous le signe de la loi, pendant que la seconde est celle de la grâce. Il y a donc une différence qualitative, voire une coupure. Mais qui refuserait de prendre en considération l'Ancien Testament sous prétexte que la Parole évangélique n'y est pas ? Tant de prophètes, de miracles et d'événements préparent la venue du Christ et de la Grâce ! De même, les cinquante ans de la vie « civile » (profane) de D.-H.-L. Rivail préparent et annoncent la naissance d'Allan Kardec et du spiritisme véritable. De l'apprentissage éducatif comme élève du pédagogue Pestalozzi à l'homme universel qu'il sera en 1954, D.-H.-L. Rivail se montrera comme le plus assidu des ouvriers de la science et de l'éducation du genre humain.

I. L'élève de Pestalozzi (1804-1818)

Nous l'avons déjà dit : il n'y a pas de biographie véritable de D.-H.-L. Rivail. Ceux qui ont parlé de son activité se sont bornés à la vie (et à l'activité) d'Allan Kardec plus qu'à celle de Rivail. La cause de la célébrité du fondateur du Spiritisme réside, justement, dans le rayonnement de ses livres spirites. Car, en effet, qu'importe qu'Allan Kardec ait écrit auparavant plus de vingt ouvrages scolaires et éducatifs ? Apparemment, il n'y a aucun rapport entre un opuscule sur la méthode d'enseignement des mathématiques ou de la grammaire dans les écoles du premier et second degré et le Livre des Médiums. Mais l'apparence n'est pas la vérité. On verra - nous l'espérons - que telle introduction ou propos à caractère didactique de Rivail annonce et explique les articles de la doctrine spirite.
La première étape est donc celle de son apprentissage à l'école de Pestalozzi. Il s'agit du célèbre établissement d'Yverdon, en Suisse. Nous verrons plus loin et d'une manière plus détaillée quel est le système d'éducation enseigné par Pestalozzi (ainsi que les traits généraux de la vie et de l'œuvre du célèbre pédagogue). Soulignons cependant une de ces premières coïncidences dont nous nous sommes donné la tâche de révéler la présence (car la vie d'Allan Kardec doit être, pour le biographe, une sorte de testament ; pour celui qui sait embrasser le tout, rien ne doit rester inutile ou inexplicable par rapport à la vie spirite). En effet, après de multiples tribulations et des fortunes diverses, Pestalozzi réussit à établir dans le château (et les jardins) d'Yverdon, en Suisse, son école désormais célèbre. Et ceci en l'an 1804 qui est celui de la naissance de Rivail.
C'est en effet le 3 octobre 1804 qu'est né, d'une vieille famille lyonnaise, Denizard-Hippolyte-Léon Rivail. L'acte de naissance établi par le maire de la division du Midi donne les détails suivants :
« Le 12 vendémiaire de l'an XIII, acte de naissance de Dénizard-Hippolyte-Léon Rivait, né hier soir 7 heures, fils de Jean-Baptiste-Antoine Rivail, homme de loi, juge, et de Jeanne Duhamel son épouse, demeurant à Lyon, rue Sala, 76. »
« Le sexe de l'enfant a été reconnu masculin. »
« Témoins majeurs : Syriaque-Frédéric Dittmar, directeur de l'établissement des eaux minérales de la rue Sala, et Jean-François Targe, même rue Sala, sur la réquisition du médecin Pierre Radamel, rue Saint-Dominique n°78. »
« Lecture faite, les témoins ont signé, ainsi que le maire de la division du Midi »
« Le Président du Tribunal, »
« Signé : Mathion. »

Pour extrait conforme :
« Le Greffier du Tribunal, » « Signé : Malhnin. »

Le nom de Rivail remonte au XVe siècle. Son origine est latine (Rivalnio) et on disait également : Durivail ou Rivaux. Denizard-Hipppolyte-Léon, devenu Allan Kardec, a sans doute pensé à cet ancêtre qui s'appelait Aymard Rivail, né à Saint-Marcellin (Isère), vers 1490 et qui est à l'origine de plusieurs familles de Rivail dans la région dauphinoise et lyonnaise. Aymard était un juriconsulte averti (le père de Denizard-Hyppolite-Léon, on l'a vu, était lui aussi homme de loi) et un diplomate subtil. Le roi François Ier se l'attacha pour différentes missions en Italie. Cependant, Anne de Bretagne appréciait davantage ses qualités pédagogiques, sa vaste culture et son esprit méthodique. Elle lui demanda d'être le précepteur de sa fille Renée. Malheureusement, Aymard Rivait dut se consacrer à la vie militaire et politique. On sait qu'il était très lié au Chevalier Bayard.
Ancêtre des Rivail et des autres Rivallière, il a certainement transmis à ses héritiers son goût pour la culture, l'étude des lois et des problèmes d'éducation.
Donc, dans une maison de la rue Sala, est né en 1804 le futur fondateur du spiritisme. En cette année, le Premier Consul décide de prendre la couronne d'empereur. Soixante cinq ans plus tard, lors de la mort d'Allan Kardec, un autre empereur arrivera à la fin de son règne. De Napoléon Ier à Napoléon III, d'un empereur à l'autre, Allan Kardec poursuit une vie autrement royale. On verra combien les révolutions de I830 et 1848 seront plus importantes dans sa vie, que les couronnes de deux Napoléons.
Un an plus tard, le 15 juin 1805, le petit Dénizard-Hippolyte-Léon est baptisé en l'église Saint-Denis de la Croix-Rousse. A cette époque, l'église n'appartenait pas à la ville de Lyon, mais à la Bresse (dépendant, évidemment, du diocèse lyonnais).
Voici l'extrait des registres de baptême
« Le quinze du mois de juin de l'année mil huit cent cinq a été baptisé en cette paroisse Hipolyte (sic) Léon Denizard né à Lyon le trois octobre mil huit cent quatre, fils de Jean-Baptiste-Antoine Rivail homme de loi et de Jeanne-Louise Duhamel, parrain Pierre-Louis Perrin, marraine Suzanne-Gabrielle-Marie Vernier demeurant en la ville de Bourg.
Signé : Barthe curé, pour copie conforme délivrée le vingt huit octobre mil huit cent treize. »
« Signé : Chassin, curé. »

Ce document, en possession du spirite Leymarie (et dont Henri Sausse avait eu connaissance en 1896, à l'occasion de l'anniversaire du 31 mars préparé par la Fédération spirite lyonnaise), est établi sur papier timbré coûtant 25 centimes.
De son enfance, que pouvons-nous dire ? L'enfant a été élevé dans la stricte atmosphère peut-être un peu sévère, de la famille lyonnaise. Mais l'esprit de justice et d'honnêteté lui a été montré par un père intègre.
Les premières études sont lyonnaises. Combien de temps est-il resté à l'école primaire la plus proche de la rue Sala ? Si on sait qu'en 1810 Rivail a six ans - l'âge scolaire on peut facilement admettre qu'en 1814, après les quatre années scolaires (cours élémentaire et moyen), il est prêt pour partir en Suisse.
Ceci n'est qu'une hypothèse mais la plus probable. Il faut croire que les parents du jeune Rivail n'ont pas voulu le laisser partir avant qu'il ait atteint l'âge de dix ans. D'autre part, les événements politiques et militaires des années 1814-1815, en France, ont convaincu les Rivail d'éloigner leur fils vers un pays plus tranquille.
Pourquoi ont-ils choisi Yverdon, en Suisse ? La proximité relative de l'école n'explique pas tout. Ce qui est plus vraisemblable, en dehors du fait que Paris, menacé et occupé par les Alliés, n'était pas sûr, c'est la renommée de l'établissement scolaire d'Yverdon, dont l'expérience remontait à une dizaine d'années.
Donc, en ces années 1814-1815, l'Empereur perdait à Waterloo ses derniers espoirs et s'embarquait (contre son gré) pour Sainte-Hélène. Denizard-Hippolyte-Léon Rivail, lui, partait pour la Suisse.

Qui est Pestalozzi ?

Le nom n'était pas inconnu aux Rivail. Plusieurs homonymes du célèbre éducateur avaient habité Lyon. Un médecin du nom de Jérôme-Jean Pestalozzi, né justement à Lyon, en 1674, était originaire d'une famille de Gravedone, dans la région milanaise, où Aymard Rivail avait été envoyé par François Ier. Un fils de Jérôme Pestalozzi, du nom d'Antoine-Joseph, né vers 1703 (un siècle avant Rivail), était également docteur. Son nom est resté lié à des expériences sur le « fluide électrique ». Nous faisons ces digressions pour établir des coïncidences assez troublantes : le jeune Rivail qui sera l'élève d'un troisième Pestalozzi, pédagogue celui-ci, fera des études médicales comme les premiers Pestalozzi natifs de Lyon et puisera dans leurs études sur l'électricité des preuves de la science spirite.
Pour l'instant, les parents de Denizard-Hyppolite-Léon envoient leur fils à Yverdon car l'école a une renommée européenne. Un contemporain d'Allan Kardec, ancien élève d'Yverdon venait d'écrire un livre sur cet établissement et la méthode éducative qu'on y enseignait. Il s'agit de Marc-Antoine Julien, de Paris, auteur d'un Exposé de la méthode éducative de Pestalozzi, telle qu'elle a été suivie et pratiquée sous sa direction depuis 1806 dans l'Institut d'Yverdon. L'ouvrage paraît en 1812. Une seconde édition, augmentée, décrit les dix ans d'expérience éducative 1806-1816 telle que l'auteur l'a connue lui-même. Mais elle ne paraîtra qu'en 1842. Il est certain que les parents de Rivail ont connu la première édition et que Denizard-Hippolyte-Léon a lu en 1842, la seconde ; d'autant plus qu'il est en plein travail « pestalozzien ». L'ouvrage a dû lui rappeler les années d'apprentissage à Yverdon et le visage du Maître …
Yverdon est décisif pour le jeune Rivail. Toute son activité future, sa vie de chef d'institution scolaire et d'auteur de livres didactiques, qui s'étale sur une trentaine d'années (1824-1854) a ses racines dans les années passées à Yverdon. Il y eu là un petit univers humain qui l'a marqué à jamais et la figure du maître deviendra pour lui l'image même du chef qui dirige et éduque les hommes. Nous comprenons alors pourquoi la vie d'Allan Kardec qui s'identifie avec la fondation du spiritisme pratique, n'est pas compréhensible sans la vie de Denizard-Hippolyte-Léon Rivail dans ses débuts scolaires.

L'école de Pestalozzi.

Yverdon est un lieu de rassemblement pour les enfants du monde entier. C'est l'école de l'universalisme, de la fraternité des enfants qui deviendront, à leur tour, des hommes chargés de responsabilité. Pestalozzi, c'est l'Educateur attentif, le Maître à la fois sévère et doux, juste et charitable. Dans sa doctrine et son exemple, Rivail trouvera le modèle de l'homme intègre qu'il sera lui-même et qui deviendra, également, l'idéal de la morale spirite.
Jean-Henri Pestalozzi est né à Zürich le 12 janvier 1745. Il étudie d'abord les langues étrangères puis se consacre, dès l'âge de dix-huit ans, à la théologie. Cependant, déçu par une prédication malheureuse, Pestalozzi abandonne ses intentions de prêtrise pour s'orienter vers la jurisprudence. Mais un beau jour, il découvre l'œuvre capitale que Jean-Jacques Rousseau avait publiée en 1762, le roman pédagogique Emile (ou De l'Education).
Pestalozzi lit donc les théories sur la « nature de l'homme corrompue par la société ». Il est conquis ; désormais, comme pour Rousseau, « la civilisation sera aux yeux de Pestalozzi un contre-sens, car elle est contraire à la Nature ». L'accent éducatif sera mis sur la spontanéité naturelle de l'être humain qu'il convient de préserver contre la corruption sociale.
Ceci est très intéressant à savoir. Un effet, Allan Kardec s'efforcera à son tour, dans ses livres concernant les phénomènes spirites, de faire appel à l'idée de nature qui exclut à la fois le surnaturel et le merveilleux. L'élève de Pestalozzi n'oubliera jamais la leçon du maître : fonder une science, éducative ou théorique, d'observation ou d'expérimentation, signifie, tout d'abord, partir de l'élément nature.
Ainsi, à travers Yverdon et Pestalozzi, le fondateur du Spiritisme s'abreuve à la nature de Rousseau.
Pestalozzi se met à travailler dans le sens de la nouvelle pédagogie. Il cherche d'abord une méthode populaire pour l'enseignement du latin. Mais cela ne lui suffit pas. Il vend tout ce qu'il possède pour acheter une terre, qu'il appelle Neuhof, dans le canton d'Argovie. En 1775, il y fonde un institut pédagogique pour des enfants pauvres et abandonnés. Pestalozzi devient donc l'instituteur d'environ cinquante garçons. Dans son plan d'éducation, l'esprit pratique de Pestalozzi fait place à l'enseignement de l'agriculture et de l'industrie manufacturière. A cette époque, le problème important restait le placement des élèves après leurs études.
Pestalozzi y perd sa fortune. Personne ne l'avait aidé, matériellement. Néanmoins, en publiant à son tour un roman populaire (c'était la mode), Léonard et Gertrude, son nom et ses idées se répandent dans les cantons suisses.
Or, voici que la Révolution française entraîne le pays de Pestalozzi dans le chaos.
En 1798, le pays est miné par la révolution helvétique. La misère est telle que le Gouvernement n'arrive plus à s'occuper des enfants qui errent dans les rues. On confie donc à Pestalozzi l'éducation de cent cinquante enfants. Le pédagogue établit son institut à Stanz, dans un couvent supprimé. Le directoire helvétique lui adjoint un économe et un second, le commissaire Zochokke. L'institut déménage ensuite à Berthoud, dans le canton de Berne.
En 1803, Pestalozzi est nommé membre de la députation appelée par le consul Bonaparte à Paris. Pestalozzi doit s'y rendre mais sans plaisir. Il profitera de la première occasion pour renoncer à la vie publique.
Enfin, voici l'année 1804. Pestalozzi déménage encore une fois, à Munchen-Bouchisée d'abord, ensuite à Yverdon. Ce sera l'école la plus connue du célèbre pédagogue.
Voici comment Marc-Antoine julien décrit la région où se trouve l'école :
« Les environs de l'Institut d'Yverdon offrent ainsi des promenades charmantes qui semblent disposées exprès pour les jeux et les plaisirs de l'enfance. Un beau lac, dont les bords sont plantés de longues allées de peupliers, présente à la fois des bains commodes pour se former à l'exercice de la natation. »
Combien de fois a dû s'y rendre le jeune Rivail ! Ce cadre à la fois romantique et sain est sans doute resté dans sa mémoire, puisque le fondateur du Spiritisme, au cours de ses années de travail acharné et sans répit, s'accordera une seule fois de vraies vacances : pour aller en Suisse. On comprend ce pèlerinage vers les lieux de l'enfance studieuse, d'où, peut-être, est issue la pureté morale de la doctrine spirite. Alors, revenu à Yverdon, contemplant la nature «bonne » et « propre » (qui ne saurait induire l'homme en erreur), Allan Kardec a dû réentendre les paroles du Maître : - «Il y a un Dieu, un Dieu bienfaisant qui a mis la pitié dans le cœur de l'homme. »
D'Yverdon au Passage Sainte-Anne où se réuniront les premiers spirites parisiens, le chemin sera long sans doute, mais le souvenir d'Allan Kardec reste ineffaçable.
En effet, c'est à Yverdon et grâce à Pestalozzi qu'il apprend le sens de l'éducation à la fois paternelle et libérale. On a dit, à juste titre, que la doctrine spirite est d'une douce sévérité. C'en est justement le caractère de la méthode d'éducation enseignée par Pestalozzi. Ses enfants y forment une grande famille. Cette famille sera, elle aussi, le modèle de la famille des spirites car elle est universelle.
En effet, l'école de Pestalozzi ouvre ses portes aux élèves du monde entier, par-dessus les différences de langue, de civilisation, de race ou de croyance, à des enfants venus de France, comme Rivail, des cantons Suisses, mais aussi d'Allemagne, du Hanovre, de Saxe, de Prusse, de Russie, du royaume de Naples, d'Espagne et même d'Amérique. On voit donc l'avantage de cette éducation qui enseigne à l'enfant le sentiment de l'égalité humaine, de la fraternité et de la tolérance. C'est là qu'Allan Kardec, dans cette famille de coeur, apprend les principaux principes moraux du spiritisme. La franc-maçonnerie - dont nous parlerons en son temps - ne pouvait que confirmer sa formation humanitaire et libérale. Mais il y a plus : l'élève devient disciple et celui-ci doit remplacer le maître. C'est ce qui arrive au jeune Rivail, en 1818. « En effet, écrit H. Sausse, dès l'âge de quatorze ans, Allan Kardec expliquait à ses petits camarades, moins avancés que lui, les leçons du maître, lorsque ceux-ci ne les avaient pas comprises, alors que son intelligence, si ouverte et si active, les lui avait fait saisir au premier énoncé. « Pestalozzi aime laisser à ses élèves la liberté de choisir entre le repos et le travail, entre telle discipline ou telle autre. » Maintes fois, raconte Marc-Antoine Julien (ancien élève de l'établissement), les pensionnaires d'Yverdon préféraient ne pas aller se coucher pour étudier encore. »
Cela aussi a laissé des traces dans le caractère de l'« ouvrier laborieux » que sera Allan Kardec. Combien de fois veillera-t-il tard dans la nuit afin de préparer des articles pour la Revue Spirite ou pour écrire ses innombrables ouvrages ! Sa mort charnelle le frappera d'ailleurs pendant son activité infatigable.

Quels sont les principes généraux de l'éducation pestalozzienne ?

Pour y répondre, nous avons trouvé bon de chercher dans les propres écrits de Rivail le résumé de ces principes. La tâche nous a été très facile, puisque le premier ouvrage écrit par le jeune éducateur et instituteur, en 1824 (il n'avait pas vingt ans!), s'ouvre d'un Discours Préliminaire. Il s'agit d'un Cours pratique et théorique l'Arithmétique d'après la méthode de Pestalozzi. Dans le « discours » introductif, Rivail explique l'action de l'instituteur pestalozzien : « Il a pris l'enfant au sortir des mains de la nature, pour le suivre dans ses développements ; il a considéré la manière dont ses idées se développent, il a étudié ses besoins et ses facultés ; et, d'après de nombreuses observations, il a établi une méthode qui tend essentiellement à profiter des facultés qu 'il a reçues de la nature, pour lui donner un jugement sain, et l'habituer à mettre de l'ordre dans ses idées. »
Ce que veut Pestalozzi, c'est apprendre à l'enfant l'art... d'apprendre.
Pestalozzi prend donc l'enfant au berceau, tel que la mère, par le " truchement duquel Dieu veille lui-même sur ses créatures naissantes » (A. Kardec dans la Genèse), le met au monde Dieu, c'est la nature « bonne et juste ». L'instituteur essaie de développer chez l'enfant l'esprit d'observation et la mémoire. Car l'enfant naît observateur et son esprit de curiosité et d'analyse ne demande qu'une aide minime. Il suffit, dit Denizard Rivail d'être « doux et sévère ».
Certes, à cette méthode qui va guider ses premiers pas dans l'activité pédagogique, Allan Kardec va ajouter ses propres idées. Rivail préfère d'ailleurs, dès 1824, combiner la méthode Pestalozzi avec la méthode ordinaire, à savoir : « faire succéder l'abstraction à l'intuition ; en sorte que si l'élève, instruit d'après cette méthode, passait subitement à une autre, il ne s'y trouverait point étranger, tandis que celui qui sortait de chez Pestalozzi avait une étude entièrement nouvelle à faire ».
Nous avons bien lu : « faire succéder l'abstraction à l'intuition ». Or, ce qu'il écrivait en 1824, sera encore valable en 1854 quand il connaîtra les phénomènes spirites. Dans notre étude introductive, nous avons souligné le souci d'Allan Kardec de procéder de l'intuition et du fait concret avant d'établir la théorie du monde abstrait (invisible).
Dans le même Discours introductif, il résume les six principes qui sont à la base du système pestalozzien, tel qu'il le comprend et l'applique lui-même dans le présent ouvrage.

« 1° Cultiver l'esprit naturel d'observation des enfants, en portant leur attention sur les objets dont ils sont environnés. »
« 2° Cultiver l'intelligence, en suivant une marche qui mette l'élève en état de découvrir lui-même les règles. »
« 3° Procéder toujours du connu à l'inconnu, du simple au composé. »
« 4° Eviter tout mécanisme, en lui faisant connaître le but et la raison de tout ce qu'il fait. »
« 5° Lui faire toucher au doigt et à l'œil toutes les vérités. Ce principe forme en quelque sorte la base matérielle de ce cours d'arithmétique. »
« 6° Ne confier à la mémoire que ce qui aura été saisi par l'intelligence. »

Les principes no 3 et 5, semblent repris mot à mot par le Livre des Médiums. Ce qui prouve l'importance extraordinaire de l'époque Yverdon dans la vie du futur fondateur du Spiritisme.
Nous y reviendrons.
Retenons donc, comme conclusion au passage de Denizard Rivail à l'école de Pestalozzi, les propos de son premier (et unique) biographe, Henri Sausse :
« C'est à cette école que se sont développées les idées qui devaient plus tard faire de lui un observateur attentif, méticuleux, un penseur prudent et profond. »
A ceci, nous pouvons ajouter la leçon de tolérance qu'il a reçu, lui, le catholique dans un pays protestant. L'élève de Pestalozzi n'oubliera jamais le sens de cette famille humaine formée par les enfants venus des quatre coins du monde. Il est regrettable que Rivail n'ait pas eu les loisirs nécessaires pour entreprendre son Traité de Pédagogie qui lui tenait au cœur. Il nous aurait davantage parlé de son être, de ses propres expériences d'élève à l'école d'Yverdon.
Quant à Pestalozzi, il a subi des fortunes diverses. Pendant que l'exemple de son école se répand dans toute 1’Europe, il est obligé de se retirer, en 1825 à Neuhof pour y mourir deux ans plus tard (le 27 février 1827). Cependant, dès 1819 (l'année où Rivail a probablement quitté l'école pour continuer ses études en France), on commence à publier son œuvre complète. Fidèle à son esprit humanitaire, le maître offre le produit de ses droits d'auteur à la fondation d'une école pour les enfants perdus.
En 1819-1820 apparaissent les quatre premiers tomes (Léonard et Gertrude), le cinquième (Comment Gertrude éduque ses enfants) et le sixième tome (A l'innocence, à la gravité, à la magnanimité de ma patrie).
En 1821 sort le septième tome : Mes recherches sur la marche de la nature dans l'éducation du genre humain (sur la législation et l'infanticide).
En 1822, le huitième tome donne Le Principe de l'éducation élémentaire, et le neuvième tome comprend Livres écrits sur l'éducation. Enfin, en 1823, le dixième tome offre les Tendres figures pour ma croix de par Dieu, le onzième tome de Vues et expériences concernant le Principe de l'éducation élémentaire, pour en finir, en 1824, avec le douzième tome consacré au second livre populaire : Christophe et Elisabeth.
Il est intéressant de remarquer que l'impression de l'œuvre complète de Pestalozzi s'achève l'année même où Rivail publie son premier ouvrage (1824). Cette coïncidence prouve qu'un flambeau est transmis de main en main. Rivail travaillera pendant trente ans à l'éducation des enfants de France, avant de se consacrer, dans ses quinze dernières années, aux principes du spiritisme.

II L'étudiant (1818-1824)

Nous savons très peu de choses sur cette étape de sa vie. Combien de temps est-il encore resté à Yverdon ? En 1818, il a déjà quatorze ans, c'est-à-dire l'âge de la limite scolaire. Il se peut, cependant, que pendant un certain temps il ait remplacé Pestalozzi appelé un peu partout en Europe, pour fonder des instituts semblables à celui d'Yverdon. A cette époque, un enfant de quinze ou seize ans était bachelier.
Henri Sausse nous fait part de quelques renseignements fournis par M. G. Leymarie, en 1896. Malheureusement, nous n'avons pas pu les vérifier. Selon l'ami du biographe d'Allan Kardec, le fondateur du spiritisme ne s'est pas contenté de ses baccalauréats ès lettres et ès sciences. Il aurait poursuivi des études médicales et même présenté sa thèse, avec brio du reste.
Cependant, pour nous, un doute subsiste. Que le jeune Rivail eut une bonne culture humaniste et un grand désir de s'instruire, cela ne fait pas de doute. Les « humanités » comme les « sciences » l'intéressent dans une même mesure. Parmi les sciences, la physique, la chimie, la géologie. La biologie aussi, sans doute. Mais de là à affirmer qu'il a fait des études de médecine et passé sa thèse, cela nous semble douteux. Il se peut qu'en rentrant d'Yverdon, le jeune Lyonnais ait fréquenté la Faculté de médecine. Cependant, l'étude ne semble pas l'avoir enthousiasmé, puisque jamais il n'en parlera. Une seule fois, et au sujet du magnétisme animal, il dira que cette étude l'a intéressé, voilà une trentaine d'années (ce qui correspond à l'époque estudiantine). Or, la Faculté de médecine ne pouvait lui expliquer les étranges phénomènes vulgarisés par Mesmer d'ailleurs, l'Académie de Paris avait pris parti contre le magnétisme animal. Nous y reviendrons plus loin.
Il nous semble plus probable que le jeune instituteur, rentré en France, avait hâte de mettre en pratique les enseignements de Pestalozzi. L'éducation des enfants à l'âge scolaire l'intéresse plus que la guérison des maladies physiques. Il retrouvera la médecine, dans la seconde partie de sa vie. Ce sera une médecine de l'âme, le spiritisme pratique.
Avant de se diriger sur Paris, il doit faire face aux obligations militaires. Il se fait exempter sans aucun regret : le militaire défend une patrie, pas obligatoirement celle du jeune Rivail, beaucoup plus vaste, puisqu'elle englobe l'univers de tous les hommes.
Quoi qu'il en soit, Denizard Rivail est à Paris, en 1824, lors de la publication de son premier livre.

III. Le Pédagogue (1824-1848)

Dans cette étape de sa vie, Rivail semble avoir trouvé sa vocation. Il se donne à fond, n'économise pas ses efforts ni ses conseils. Un nombre important de livres à caractère dédactique, de plans, méthodes et projets proposés aux députés, gouvernements et universités concernant l'éternelle Réforme de l'enseignement français, bref, une activité pédagogique lui tient place de vie privée. En fait, il n'y aura jamais de vie privée, aussi bien pour Rivail que pour Allan Kardec car, pédagogue ou fondateur du spiritisme, il est l'homme d'une vocation.
Dans le Discours Préliminaire de son premier ouvrage, Cours Pratique et théorique d'arithmétique, il dit : «Désirant me rendre utile à la jeunesse... » A vingt ans, cet ami de l'homme, cet esprit altruiste, veut se mettre au service des enfants de son pays, en se disant que l'instruction publique est la chose la plus importante pour un pays. Dans ses plans de réforme, il le rappellera aux responsables ministériels.
Mais il n'oublie pas ses anciens maîtres. Dès 1824, il écrivait dans le même discours préliminaire :
« Je dois ici rendre hommage à une personne qui protégea mon enfance, à M. Boniface, disciple de Pestalozzi, instituteur aussi distingué par son érudition que par son talent pour instruire. » « Nul ne posséda mieux que lui l'art de se faire aimer, je dirai plus, de se faire chérir de ses élèves. Il fut un de mes premiers maîtres, et je me rappellerai toujours le plaisir avec lequel j'allais à ses leçons, ainsi que mes condisciples. Plein d'amour pour l'enfance, et pénétré d'une véritable philantropie, il a fondé une école, rue de Tournon, faubourg Saint-Germain, qui mérite à juste titre les éloges que lui ont adressés les personnes les plus distinguées par leur mérite. Il est auteur de plusieurs ouvrages, entre autres d'un Cours de dessin linéaire, très estimé. »
Peut-on déduire de ces aveux que Denizard Rivail a fréquenté l'école de la rue de Tournon ? M. Boniface semble être un parisien. Or, selon toutes les probabilités, Rivail n'est pas venu à Paris avant 1820.
Quoi qu'il en soit, c'est grâce à ce maître que Rivail a écrit son premier ouvrage. « Il a bien voulu, dit-il, m'aider de ses conseils », mieux encore, il lui a donné l'idée de ce Cours.
Dans le même texte introductif, Rivail remercie « M. Ampère, membre de l'Université, à qui j'ai communiqué mon plan ». Or, ce nom, à jamais célèbre dans les sciences physiques, nous oblige à nous demander s'il ne s'agit pas d'André-Marie Ampère, le savant mathématicien, à qui on doit les principes de la télégraphie électrique et la loi fondamentale de l'électrodynamique. En effet, vers 1820-1822, Ampère, né en 1775, a moins de cinquante ans. De plus, il est originaire de Lyon, ce qui devait donner le courage au lyonnais Rivail d'aller le voir... Signalons, enfin que le fils d'Ampère, Jean-Jacques, né également à Lyon, a presque le même âge que Rivail (il était né en 1800). Le jeune instituteur avait sans doute lu les ouvrages du physicien (l'étude de l'électricité comme celui du magnétisme animal l'avait intéressé depuis son jeune âge. Le spiritisme s'en ressentira).
Nous avons déjà parlé de l'éloge que Rivail fait de son maître Pestalozzi. Pendant longtemps, le pédagogue suivra les conseils de l'éducateur d'Yverdon et signera ses ouvrages avec la mention : « élève de Pestalozzi. »
Sur ce premier Cours d'Arithmétique, il n'y a pas grand chose à dire. Ce qui importe d'abord, c'est sans doute la méthode employée et les exemples didactiques que Rivail nous en donne.
«Présentez, dit-il, à une personne qui ne connaît pas les chiffres, un 5 ; connaîtra-t-elle d'elle-même le nombre qu'on a voulu figurer ? Mais présentez-lui cinq doigts, cinq pierres et elle en désignera de suite la qualité. » « Car, ajouta-t-il, l'arithmétique doit être considérée non seulement comme science, mais comme moyen de développer l'intelligence de l'enfant, de formuler son jugement, et de l'habituer avec justesse. » Comme toute science, l'arithmétique doit apprendre à l'élève l'art de bien raisonner. L'intelligence n'est qu'une préparation de l'esprit à résoudre les situations nouvelles avec des exemples anciens
Ces quelques mots d'introduction ne doivent pas suffire à Rivail. L'élève de Pestalozzi a des plans d'éducation qu'il estime efficaces et nécessaires à l'enseignement français. en 1828, il met par écrit ce Plan Proposé Pour l'amélioration de l'Education publique, qu'il signe de son nom auquel il ajoute le titre de « disciple de Pestalozzi ». En même temps, il rappelle son expérience de «Chef d'institution de l'Académie de Paris » et de «membre de plusieurs sociétés savantes », sans toutefois préciser lesquelles.
Chef d'institution, il l'était en effet. Libéré du souci de la conscription militaire il fonde à Paris au 35, rue de Sèvres, un établissement semblable à celui dé son maître d'Yverdon. Un de ses oncles - frère de sa mère - est son bailleur de fonds. Nous verrons plus loin l'échec (financier) de cette entreprise.
Ce qui n'empêche pas le jeune instituteur d'y mettre en pratique ses idées sur l'éducation. Dans le Plan qu'il soumet aux membres du Parlement, en 1828, il écrit en guise de motto :
« Les moyens propres à élever la jeunesse constituent une science bien distincte que l'on devrait étudier pour être instituteur, comme on étudie la médecine pour être médecin. » Il est utile de relever le souci « scientifique » de Rivail. La comparaison avec une science « exacte » est pour lui une forme de rigueur qu'il accorde à la science humaniste qu'il défend. Ce qu'il fait pour la science éducative en 1828, il le continuera, trente ans plus tard, pour la science spirite. Entre Rivail, l'éducateur et Allan Kardec, il n'y a aucune différence ni de méthode ni de rigueur scientifique.
Dans ce Plan, il développe l'idée pestalozzienne de l'enfant innocent mis au monde par la nature (grâce à la mère), et qui n'a qu'à éclore. L'instituteur veille, tel un jardinier, sur cette plante.
« Dans l'éducation publique, écrit-il, l'organisation des institutions est une chose de la plus haute importance. Si elle est vicieuse, l'éducation y sera nécessairement mauvaise. Tout doit y être combiné, calculé, de manière à répondre à l'objet qu'on se propose. Il ne suffit pas que le local soit sain, bien aéré, qu'il y ait un jardin, de vastes dortoirs ; il faut une disposition de détails propre à empêcher tous les abus et à éviter aux enfants les occasions de faire le mal ; car, si on réfléchit bien à toutes leurs fautes, on verra qu'on peut en éviter la plus grande partie. Ceci est un point très important que je développerai dans un ouvrage complet sur la pédagogie. »
Hélas, il n'écrira jamais cet ouvrage. Allan Kardec, pendant ses trente premières années d'activité pédagogique, sera obligé de vivre au jour le jour, de s'agiter pour son pain quotidien et surtout de mettre en application ses thèses pédagogiques. Plus tard, le spiritisme le confisquera totalement. De sorte qu'aujourd'hui nous regrettons l'absence de cet ouvrage qui, nous n'en doutons pas, aurait marqué une date dans l'histoire de la science pédagogique.
Selon ses habitudes, son esprit clair résume en quelques propositions ses vues sur l'éducation publique.

1° L'éducation est une science bien caractérisée.
2° Si l'on trouve si peu de personnes qui enseignent sous son véritable point de vue, cela tient à l'absence d'études spéciales sur cet objet.
3° Le retard de l'éducation doit être attribué à ce que peu de personnes sont à même d'apprécier son véritable but, ce qu'elle est, ce qu'elle pourrait être et, par conséquent, ce qu'il faudrait faire pour l'améliorer. L'éducation est actuellement dans l'état où se trouvait la chimie il y a un siècle. C'est une science qui n'est pas encore constituée et dont les bases sont encore incertaines.

Alors, Rivail propose la création d'une Ecole théorique et pratique de Pédagogie, semblable aux écoles de droit et de médecine : « On y étudierait, écrit-il, tout ce qui tient à l'art de former les hommes. » Les études dureraient trois ans : le premier consacré à la théorie, le second à la théorie et la pratique, le dernier uniquement à la pratique.
Ce Plan d'environ cinquante-deux pages, publié à la librairie Dentu (au Palais Royal) prouve le bon sens de Rivail, éducateur. Ce bon sens sera la première qualité du fondateur du spiritisme. La doctrine en profitera, car Allan Kardec saura faire la part de la théorie et de la pratique, comme le prouve, amplement, le Livre des Esprits et le Livre des Médiums.
Donc, Rivail revient à son institut de la rue de Sèvres. Il se fait entourer de collaborateurs qui, comme lui, donnent le meilleur de leur temps pour l'éducation des enfants dont ils ont la charge. L'Institut Rivail jouit d'une certaine renommée d'autant plus que son directeur continue à préparer livres et plans ainsi que projets didactiques.
En 1831, il donne une Grammaire française classique selon un « nouveau plan ». Ce plan est justement un Mémoire que Rivail adresse à « Messieurs les membres de la Commission chargée de réviser la législation universitaire et de préparer un projet de loi sur l'enseignement ».
L'occasion est trop belle pour que Rivail la laisse échapper. La Commission doit établir un nouveau plan concernant le statut des institutions scolaires. Rivail, « chef d'établissement » publie à ses frais un Mémoire de seize pages dans lequel il dit notamment :
« Messieurs, n'ai-je point la folle prétention de mettre mes faibles connaissances en parallèle avec les vôtres, et encore moins de vous donner des conseils sur la marche à suivre. Si je me permets de vous adresser quelques réflexions à ce sujet, c'est parce que chacun doit payer dans son genre son tribut à l'institut public ; et comme dans la solution de tout problème, il est nécessaire de réunir le plus de faits possible, je m'estimerai heureux si, par l'exposé succinct de ceux que je dois à une étude approfondie des divers systèmes d'éducation et à une expérience de douze années, j'ai pu réussir à développer quelques idées dignes à la fois de votre attention et de l'objet important qui vous occupe. »
Rivail affirme donc, en 1831, avoir eu douze ans d'expérience pédagogique. Elle commence donc depuis 1818 (en 1819), quand le maître avait permis au disciple de le remplacer à Yverdon. Ce qui renforce notre hypothèse concernant les études de médecine que Rivail aurait suivies entre 1819 et 1822. La vocation pédagogique ne l'a jamais quitté : c'est lui-même qui le reconnaît.
La question primordiale en ce qui concerne l'éducation est, selon Rivail, « la liberté de l'enseignement et du monopole universitaire ». « Car, dit encore le jeune chef d'institution scolaire, on croit que la liberté de l'enseignement réside dans la faculté de créer à volonté des maisons d'éducation. » Or, c'est une erreur. La liberté ne doit pas être formelle, mais en fait. Car à quoi sert-il d'avoir le droit d'ouvrir un établissement sans que le directeur en puisse enseigner toutes les matières ? L’État, en effet, se réserve le monopole de certaines études, ce qui fait que les bacheliers des instituts privés ne sont pas sur le même pied que ceux de l'État. C'est le cas de l'enseignement concernant les langues ou certaines sciences, qui sont, à l'instar des marchandises, monopole de l'État.
Ensuite, il revient à sa préoccupation principale : l'accent n'est jamais mis sur l'éducation morale, la seule qui fasse de l'enfant un citoyen juste et un homme de charité. Comment s'étonner alors que le spiritisme d'Allan Kardec ait comme devise, la charité et l'instruction morale de l'homme.
Dans le Mémoire de 1831, il établit la hiérarchie des aristocraties qui se sont succédées dans l'histoire humaine :
1) de force,
2) de droit (qui a été abolie en 1789),
3) de fortune (aristocratie bourgeoise) et
4) d'intelligence.
Cette dernière est formée par l'élite intellectuelle, celle que doit préparer l'enseignement scolaire. Rivail, afin que tout soit explicitement dit, établit en vingt-six articles (ou points), ses observations et propositions sur le système général d'instruction publique. Rien n'y est oublié : ni le nombre d'élèves (limite) pour chaque institution, ni l'âge (limite) pour être bachelier ou licencié, ni le salaire de l'instituteur, etc. Esprit méthodique, animé d'un véritable désir d'aider les autorités compétentes dans l'élaboration d'une loi efficace sur l'éducation scolaire, Denizard Rivail n'épargne pas son temps... il en sera récompensé par un prix très flatteur : l'Académie royale d'Arras couronne son Mémoire.
C'est à la même époque qu'intervient un épisode heureux dans la vie du chef de l'établissement scolaire de la rue de Sèvres : il fait la connaissance d'Amélie Boudet qui devient sa femme un an après.
« Dans le monde des lettres, écrit Henri Sausse, et de l'enseignement qu'il fréquentait à Paris Denizard Rivail rencontra Mlle Amélie Boudet qui était institutrice avec diplôme de première classe. Petite, très bien faite, gentille et gracieuse, riche par ses parents et fille unique, intelligente et vive, elle sut se faire remarquer par son sourire et ses qualités, de M. Rivail, en qui elle devina, sous l'homme aimable à la gaieté franche et communicative, le penseur savant et profond, alliant une grande dignité au meilleur savoir-vivre. »
Ce portrait, flatteur, est destiné à faire oublier que la femme a neuf ans de plus que Denizard Rivail. Un effet, l'état civil d'Amélie-Gabrielle Boudet nous apprend qu'elle est la fille de Julien-Louis Boudet, propriétaire et ancien notaire, et de Julie-Louise Seigneat de Lacombe. Elle est née à Thiais, dans la Seine « le 2 frimaire an IV, c'est-à-dire le 23 novembre 1795 »
Le contrat de mariage est signé le 6 février 1832 et les jeunes époux s'installent à l'Institut technique, 35, rue de Sèvres.
De leur vie conjugale, nous ignorons tout : mais on peut supposer que les deux époux s'entendent très bien puisque leur collaboration a été sans aucun heurt. Amélie a secondé son mari, aussi bien dans son activité pédagogique qu'au temps de la fondation du spiritisme scientifique.
La vie de « L'Institution Rivail » de la rue de Sèvres qui enseigne selon la méthode Pestalozzi ne devait pas être longue. L'oncle de Denizard - son bailleur de fonds - a la passion du jeu. Presque tout le temps il est à Aix-la-Chapelle et à Spa où il perd des sommes toujours plus grandes. Rivail va demander la liquidation de l'Institut.
Mais, avant la douloureuse échéance, il tient son dernier grand discours de fin d'année. Le 14 août 1834, devant ses collaborateurs et ses élèves rassemblés pour la distribution des prix, il dit :
« Je viens, selon mon habitude, profiter de cette solennité pour vous rendre compte de ma gestion. Jaloux de justifier votre confiance, je m'efforce de réformer ce qui me paraît défectueux, d'ajouter ce qui me semble utile, de profiter, en un mot, des observations que je fais chaque jour; car l'éducation est l'œuvre de ma vie, et tous mes instants sont employés à méditer sur cette matière ; heureux quand je trouve quelque moyen nouveau ou quand je découvre de nouvelles vérités. »
Après le préambule, il revient à son sujet préféré : l'éducation.
« L'instruction d'un enfant ne consiste pas seulement dans l'acquisition de telle ou telle science, mais dans le développement général de l'intelligence ; l'intelligence se développe en raison du nombre d'idées acquises, et plus on a d'idées plus on est apte à en acquérir de nouvelles. L'art de l'instituteur consiste dans la manière de présenter ces idées, dans le talent avec lequel il sait les grandir, les classer et les approprier à la nature de l'intelligence. Semblable au jardinier habile, il doit connaître le terrain dans lequel il sème, car l'esprit de l'enfant est un véritable terrain dont il faut étudier la nature ; et de même que le talent du jardinier ne se borne pas à savoir mettre des plantes en terre, de même celui de l'instituteur ne se borne pas à faire apprendre le rudiment. »
Ensuite, Rivail résume les principes d'éducation qu'il a pratiqué lui-même dans ses ouvrages antérieurs. Il rappelle également l'introduction de la physique et de la chimie parmi les matières enseignées. Il désire introduire dans le programme de l'année à venir, les connaissances anatomiques et physiologiques.
La préoccupation est toujours aussi positive qu'avant :
Le dessin géométrique appris chez son maître, M. Boniface, la lecture soutenue, des exercices pratiques d'écriture. Par contre, il critique l'étude de l'histoire qui « se borne à l'histoire politique.... dates sans importance, filiations des maisons souveraines » Etude trop aride et vite oubliée par l'élève. Par contre « l'histoire des mœurs et des usages, le progrès artistique et scientifique des époques », voilà le vrai objet de l'histoire.
Enfin, il estime que l'étude et l'exercice de la musique vocale est aussi nécessaire que la lecture.
L'instituteur, dit encore Rivail, a un art bien difficile celui de former un homme. C'est un art philosophique.
Il s'adresse également à « ses amis », les élèves. Rivail leur fait éloge de l'instruction, en disant :
« Autrefois, la force du bras faisait seule la loi, aujourd'hui, c'est la force de l'esprit. » Il plaint celui qui reste dans l'ignorance et leur demande de rendre grâce à la Providence de les avoir fait naître dans un siècle si éclairé.
Il finit en leur rappelant « qu'en vous instruisant vous travaillez à votre propre bonheur ».
Au nom des élèves, le jeune Louis Rouyer, âgé de quinze ans, répond à Rivail :
« Mes chers camarades,
« A la clarté, à l'élégance qui caractérisent le style du maître, va succéder l'incohérence et à la diffusion de l'écolier. » Le jeune conférencier doit brosser une courte histoire du prix, comme récompense aux plus méritants... « Le premier lauréat connu, dit-il, c'est Bacchus. » Ensuite, il rappelle l'histoire de Miltiade, vainqueur du Marathon, qui, ayant sollicité une couronne pour prix de sa victoire, se voit répondre : « Miltiade, quand tu auras combattu seul, tu seras honoré seul. »
Mais aujourd'hui, « à défaut de jeux olympiques, les académies distribuent des récompenses aux hommes de lettres qui se sont distingués ; des médailles d'or sont remises par elles aux auteurs des meilleurs discours dont les sujets ont été fournis par ces doctes compagnies... A ce sujet, ce n'est pas sans éprouver une vive émotion de plaisir que je vous rappellerai le triomphe de M. Rivail à l'Académie Royale des Sciences d'Arras».
Hélas, l'Institut technique de la rue de Sèvres doit fermer ses portes. Après liquidation de l'affaire, il revient quarante cinq mille francs à Rivail (et autant à son oncle). Conseillé par sa femme, Rivail place cette somme chez un négociant, ami intime de la famille. Malheureusement celui-ci fait faillite. Le couple ne désespère pas.
Henri Sausse écrit :
« ... M. et Mme Rivail se mirent courageusement à l'ouvrage ; il trouva et put tenir trois comptabilités qui lui rapportaient environ sept mille francs par an, et, sa journée terminée, ce travailleur infatigable faisait le soir, à la veillée, des grammaires, des arithmétiques, des volumes pour les hautes études pédagogiques.
Il traduit, également, des ouvrages anglais et allemands et, avec Lévy-Alvarès, il prépare des cours pour les élèves des deux sexes du faubourg Saint-Germain.
La liste des ouvrages didactiques écrits seul ou avec Lévy-Alvarès, est assez longue. Quelquefois, l'année de publication est incertaine. Mais nous estimons utile de rappeler quelques titres, pour se faire une idée de son activité pédagogique :
Grammaire normale des examens, ou solutions raisonnées de toutes les questions sur la grammaire française, proposées dans les examens de la Sorbonne, de l'Hôtel de Ville de Paris et de toutes les académies de France, pour l'obtention des brevets et diplômes de capacité, et pour l'admission dans les administrations publiques, résumant l'opinion de l'Académie et des différents grammairiens sur les principes et les difficultés de la langue française ; à l'usage des aspirants et des aspirantes des études secondaires. L'ouvrage est écrit en collaboration avec Lévy-Alvarès.
Cours de calcul de tête, d'après la méthode de Pestalozzi (à l'usage des mères de famille et des instituteurs pour l'enseignement des jeunes enfants).
Traité d'arithmétique (3.ooo exercices et problèmes gradués). Le seul qui contienne la méthode adoptée dans le commerce et la banque pour le calcul des intérêts.
Questionnaire grammatical, littéraire et Philosophique, en collaboration avec Lévy-Alvarès.
Manuel des examens pour les brevets de capacité.
Catéchisme grammatical de la langue française.
Solutions raisonnées des questions et problèmes d'arithmétique et de géométrie usuelle, proposés dans les examens de l'Hôtel de Ville et de la Sorbonne. (Manuel des examens pour les brevets de capacité.)
Solution des exercices et problèmes du « Traité complet d'arithmétique ».
De 1835 à 1848, nous voyons donc Rivail acharné au travail scolaire. Il organise, en plus, chez lui des cours gratuits de chimie, de physique, d'astronomie, d'anatomie comparée, tout ce qu'il n'avait pas pu enseigner dans son Institut technique.
Il reprend ses cours, comme professeur au Lycée Polymathique. Un an après apparaissent les deux derniers ouvrages de Rivail :
Dictées normales des examens de l'Hôtel de Ville et de la Sorbonne.
Dictées spéciales sur les difficultés orthographiques.

L'Université de France adopte ses ouvrages, ce qui couronne, en quelque sorte, une activité d'un quart de siècle au service de l'instruction publique.
D'ailleurs, Rivail ne renonce pas à ses Plans et Projets. Après le « Programme des études selon le plan d'instruction » édité en 1838 il publie, à ses frais, un Projet de Réforme concernant les examens et les maisons d'éducation des jeunes personnes, suivi d'une proposition touchant l'adoption des ouvrages classiques par l'Université au sujet du nouveau projet de loi sur l'enseignement. Le Projet date de 1847 et l'adresse « Imprimé chez l'auteur, 18 rue Mauconseil », nous fait croire que Rivail a quitté le domicile de la rue de Sèvres. Il est aussi intéressant de remarquer que, parmi ses titres (membre de l'Académie Royale des Sciences d'Arras, de l'Institut historique, de la Société des Sciences naturelles de France, etc.), ne figure plus celui de « disciple de Pestalozzi ». Ce qui ne signifie point que le disciple a complètement oublié les leçons du maître sur la « nature de l'enfant », le « rôle de la mère et de l'instituteur-jardinier ».
Dans ce Projet, il parle des brevets et des diplômes, des degrés d'études pour l'instituteur ainsi que de l'adoption des ouvrages classiques par l'Université. Ce sont là des propositions précises sur l'organisation de l'enseignement et l'orientation qu'il juge nécessaires dans la rédaction des ouvrages scolaires. Comme il l'écrira dans l'Introduction du Catéchisme grammatical de la Langue française (à l'usage des études primaires, publié en 1848), « la clarté et la simplicité sont les principaux mérites d'un ouvrage destiné à des commençants ; c'est pourquoi nous avons soigneusement évité dans celui-ci toutes les abstractions, et tout ce qui pouvait faire confusion dans des esprits novices, nous bornant à donner les connaissances élémentaires indispensables ».
Quant à la clarté, « elle résulte de la brièveté même avec laquelle les principes sont formulés et rendus en quelque sorte indépendants les uns des autres, ce qui permet à l'élève de les comprendre et de les retenir avec moins de difficulté ».
Au terme d'une activité et d'une expérience pédagogique, nous voyons Rivail préparé pour cette autre tâche, la fondation scientifique du spiritisme. Et nous pensons que c'est grâce à cette rigueur de « clarté et brièveté» - rigueur toute cartésienne - qu'il a pu mettre en évidence ce qui était valable dans le fait spirite. Henri Sausse affirme même qu'il « était poussé vers le mysticisme ». Il se peut : mais jamais nous ne trouvons dans son œuvre spirite un seul moment où Allan Kardec se laisse entraîner par des paroles incontrôlées ou par la divagation inspirée. Il a donc su canaliser son fond religieux vers l'explication positive.
N'est-ce pas là, justement, la plus profonde caractéristique du spiritisme ?
Plus que jamais, nous pensons que la vie d'Allan Kardec et la fondation du spiritisme scientifique coïncident…
Mais il nous reste à parler de la dernière étape de sa vie pré-spirite.

IV. L'homme universel (1848-1854)

A force d'écrire des ouvrages d'arithmétique, de géométrie, de chimie, de physique, d'histoire, de littérature, etc., Rivail devient un homme très instruit. Rien ne lui est inconnu. C'est un homme qui donne à sa curiosité une méthode de recherches solide.
Cependant, le vrai portrait de Rivail, celui qui nous est absolument nécessaire avant d'aborder la période spirite, n'est pas complet si nous ne parlons pas de son aspect d'homme universel. Bien que Rivail travaille pour l'éducation des enfants de son pays, il ne cesse de se transformer lui-même en un homme sans patrie ni attaches particulières. Les sciences, l'« étude des humanités lui ont appris que l'homme, pour être vraiment libre, doit prendre conscience de son universalité. L'esprit de tolérance, de charité, doit être plus fort que celui de clan, de secte ou d'église, de groupe limité dans le temps et dans l'espace. »
Or, parmi toutes les doctrines - ou systèmes d'éducation universalistes - qui précèdent le spiritisme, Rivail trouvera des affinités avec la franc-maçonnerie. Il est cependant dommage qu'Henri Sausse n'ait pas parlé de son initiation dans la Loge de France. Car, en dehors des survivances dans le spiritisme de la méthode pestalozzienne, nous y trouverons celle des principes maçonniques.
Le mot tolérance qui revient tout le temps sous sa plume - comme enseignement dicté par les Esprits - est de source maçonnique. Au XIXe siècle, après la Révolution française qui met en pratique les principes de : Liberté, Égalité, Fraternité, la Franc-Maçonnerie établit solidement ses assises.
Le Grand Orient de France, avec son suprême Conseil au 33e degré, a été fondé à Paris depuis longtemps (en 1736, 1743 et 1756). En 1772, il compte 203 loges.
Le Suprême Conseil du rite écossais, également au 33e degré (d'initiation) est fondé à Paris - significative coïncidence - en 1804, l'année de la naissance d'Allan Kardec. Il comprend 54 loges.
Enfin, la Grande Loge nationale de France est fondée en 1848 et comprend 8 loges.
Tout le monde est à cette époque Franc-Maçon : Louis XVI, comme Napoléon Ier, Babœuf comme Napoléon III.
Dans quelle loge sera initié Denizard Rivail ? Peu importe Les principes étaient les mêmes. Voici la définition idéologique de la franc-maçonnerie rapportée par le Larousse du XIXe siècle) :
« Elle a pour but l'amélioration morale et matérielle de l'homme, pour principes la loi du progrès de l'humanité, les idées philosophiques de tolérance, de fraternité, d'égalité, de liberté, abstraction faite de la foi religieuse ou politique, de nationalités et des distinctions sociales. »
Le spiritisme moral et social ne dira pas autre chose.
Quant aux principes philosophiques, ils sont absolument les mêmes :
a) L'existence de Dieu.
b) L'immortalité de l'âme.
c) La solidarité humaine.

Nous verrons plus loin, lors de l'« autodafé de Barcelone » (forme rétrograde de l'inquisition espagnole), comment Allan Kardec, au nom du spiritisme, réclame « la liberté de conscience » comme un droit propre à chaque homme. Il aurait aussi bien pu le faire au nom des principes maçonniques : ce sont les mêmes...
Par contre, Allan Kardec renoncera à tout ce qui est formalisme, donc aspect cultuel (et rétrograde) de l'initiation maçonnique. Pour lui, il suffit que Dieu soit le Grand Architecte de l'Univers, le créateur intelligent des lois « exactes » et « sublimes » de la physique et de l'astronomie. Pourquoi alors reproduire le signe occulte de l'équerre, de l'étoile, du compas, de la pelle et du maillet ? Cela n'ajoute rien à la foi - qui, du reste, n'en est pas une (le spiritisme étant a la religion raisonnée). La même chose pour la cérémonie d'initiation aux séances spirites. L'initiation, en effet, n'est pas une marche, les yeux bandés, comme dans la franc-maçonnerie, vers la vérité, mais au contraire, les yeux ouverts devant le fait indubitable de la manifestation des Esprits. On n'a pas besoin de crier « Houzzaï », par trois fois ni de faire marcher la « batterie de deuil » : trois coups égaux frappés avec la paume de la main droite sur la partie de la manche du vêtement qui recouvre l'avant-bras gauche.
Cependant, le fond de la doctrine maçonnique se retrouve dans le spiritisme. Allan Kardec écrira dans la préface du Ciel et l'Enfer :
« L'Univers est un vaste chantier : les uns démolissent, les autres reconstruisent ; chacun taille une pierre pour le nouvel édifice dont le grand Architecte possède seul le plan définitif, et dont on ne comprendra l'économie que lorsque ses formes commenceront à se dessiner au-dessus de la surface du sol. »
Le spiritisme se donnera comme tâche la reconstruction morale du monde. Maintes fois, Allan Kardec, formé par l'initiation maçonnique aura l'occasion de se rappeler ces propos (tirés du catéchisme de la Grande Loge de France, de rite écossais) :
« La Société au milieu de laquelle nous vivons n'est qu'à demi civilisée. Les vérités essentielles y sont encore entourées d'ombres épaisses, les préjugés et l'ignorance la tuent, la force y prime le droit. »
Le spiritisme - et Allan Kardec le premier - seront attaqués, brimés, sujet à des moqueries et des préjugés.
Mais l'homme universel qu'est le fondateur du spiritisme passera outre l'avis des sots et des gens de mauvaise foi.
Enfin, il faut mentionner une dernière expérience qui, vraisemblablement, date de cette époque : celle de directeur de théâtre. Henri Sausse n'en parle pas, mais les adversaires du spiritisme n'hésitent pas à rappeler qu'Allan Kardec avait été le directeur des Folies-Marigny. Comme si cet épisode, sans aucune signification pour la formation intellectuelle et humaine de Denizard Rivail avait la moindre importance dans la fondation du spiritisme scientifique.
Ce petit théâtre des Champs-Elysées a été construit peu après la Révolution de 1848, pour les séances du prestidigitateur Lacaze. Il se peut que Rivail ait été intéressé par les expériences « surnaturelles » de cet homme. On ne sait, en fait, si Rivail est passé par les Folies-Marigny avant 1849 (date à laquelle il est professeur au lycée polytechnique) ou beaucoup plus tard.
Ce qui est certain, c'est que le théâtre des Folies-Marigny est repris par Jacques Offenbach, inconnu alors, qui y fait chanter ses œuvres. Le nom change en celui de Bouffes-Parisiens (le 5 juillet 1855).
Donc, si Rivail a eu la direction du théâtre, cela a dû se passer entre 1852 et 1853, époque où il cesse de publier des ouvrages pédagogiques et semble s'intéresser davantage aux problèmes sociaux, tout en perfectionnant ses connaissances sur les phénomènes « insolites » produits et expérimentés en Amérique, en Angleterre et en Allemagne...
Quoi qu'il en soit, la carrière de Rivail tend à sa fin. Une vie d'activité intense, souvent ralentie par les ennuis matériels... C'est une période de vie profane, bien que Rivail ait montré une grande vocation éducative. Disons qu'il n'a pas eu la chance ni les moyens de réaliser tout ce dont son talent et son érudition étaient capables. Mais l'effet n'a pas été sans utilité : il a préparé un homme pour une tâche plus grande et, peut-être, plus utile aux milliers de gens que Rivail avait instruits.
Nous retrouvons donc, avec Allan Kardec, non seulement un éducateur et un ami des hommes, mais aussi un créateur (certains diront un prophète) d'une doctrine dont la prétention sera d'apporter la consolation.
Car, en effet, ce que les idées maçonniques, socialistes (idées de la Révolution de 1848) et chrétiennes n'avaient pas pu faire, pour les hommes, Allan Kardec entend le réaliser par le spiritisme, et va y consacrer le reste de sa vie.

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