Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


Introduction

Le mobile qui nous a conduit à rédiger ces pages peut être défini en quelques mots : «Mettre en évidence le rôle qui nous incombe dans l'évolution de nos «frères inférieurs ». C'est autour de cette idée centrale que sont venus s'ordonner les divers chapitres de ce volume.
Bien que la psychologie des animaux soit encore loin d'être connue — sans doute ne le sera-t-elle jamais complètement — les données aujourd'hui réunies permettent à tout le moins de tirer des faits constatés certaines conclusions. Les observations faites au cours du temps par de nombreux investigateurs et en particulier par ceux qui ont été appelés à vivre en rapports étroits avec des animaux, ont mis en évidence certains traits communs entre la psychologie humaine et la psychologie animale. De ces traits, il en est plusieurs qui montrent de façon pertinente qu'il n'existe pas, entre la bête et l'homme, un fossé infranchissable et que tout nous invite, au contraire, à considérer l'homme comme un animal auquel un «quelque chose» aurait été ajouté ; et c'est dans la présence de ce « quelque chose » que réside le grand mystère ! Certes, notre prétention n'est pas de l'élucider mais peut-être l'examen attentif des nombreux faits rapportés dans ce volume nous permettra-t-il d'y projeter quelque clarté. En bref, nous conduirons le lecteur, de l'animal à l'homme — si l'on peut s'exprimer ainsi — et de cette graduelle ascension se dégagera, croyons-nous, la démonstration de ce que nous nous sommes proposé de mettre en lumière : «Notre responsabilité morale envers nos frères inférieurs».
Dès les temps les plus reculés, nous voyons la vie des hommes étroitement associée à celle des animaux et sans remonter aux temps lointains de la préhistoire, on constate que ces rapports se sont poursuivis au cours des âges et existent aujourd'hui encore, que ce soit chez les peuples primitifs vivant encore de la chasse et de la pêche ou chez les représentants de nations dites civilisées qui, par la domestication ou l'asservissement de certaines espèces animales, se sont procurés un précieux élément de prospérité.
Il n'y a aucun doute que les premiers rapports de l'homme et de l'animal ne furent pas ceux d'une amicale collaboration. La science préhistorique nous apprend, en effet, que nos plus lointains ancêtres des temps paléolithiques ne virent dans les bêtes qui peuplaient alors les forêts, les steppes ou la toundra, qu'un gibier destiné à leur assurer la subsistance journalière ; la bête ne présentant pour ces chasseurs qu'un intérêt de garde-manger mais qui était alors d’un intérêt vital. Songeons, en effet, au rôle immense que les bêtes tenaient dans la vie du clan ! Ses égales dans la bataille de l'existence, elles intervenaient constamment dans le sort de l'homme : une chasse heureuse, c'était l'abondance, l'absence de gibier, c'était le spectre de la faim.
Les premières représentations d'animaux sont, comme on sait, des fresques et des gravures relevées sur les parois et les plafonds rocheux d'un certain nombre de cavernes qu'occupèrent les populations de l'âge de la pierre taillée ou encore, des oeuvres modelées dans la glaise ou taillées en ronde-bosse dans la roche. A ces oeuvres diverses, que rehaussait parfois un coloris, il faut ajouter de menus objets mobiliers dont l'art quaternaire offre de nombreux exemples.
On s'est demandé si ces oeuvres diverses, dans lesquelles se reflète la faune quaternaire, étaient l'oeuvre d'artistes désintéressés, faisant de l'art pour l'art ou s'il fallait leur attribuer un mobile d'ordre pratique en relation avec des opérations de magie ou encore, comme une expression du sentiment religieux.
Que les Paléolithiques aient cru à l'existence de puissances surnaturelles, la chose est probable. C'est tout au moins ce qui semble ressortir de l'examen d'un certain nombre de figures bizarres relevées dans l'art du paléolithique supérieur.
Ce qui ne serait pas douteux, à en croire de nombreux auteurs, c'est qu'à cette époque, bien des cavernes, soit en totalité, soit dans leurs parties profondes, aient servi de sanctuaires. Et alors, il est licite de supposer — nous avons ici des parallèles ethnographiques — que les figurations animales aient eu à jouer un rôle dans les oeuvres de magie. En effet, la nourriture des chasseurs paléolithiques dépendait avant tout du produit de la chasse et, le rôle essentiel de la magie mimétique pouvait être de provoquer le succès de celle-ci. « Les Magdaléniens, dit G. Luquet, recouraient certainement à l'envoûtement ou magie sympathique qui repose sur l'idée qu'une opération effectuée sur le simulacre d'un être réel produit son effet sur cet être lui-même. Diverses gravures ou sculptures en argile de la grotte de Montespan ( Haute-Garonne ) semblent avoir été exécutées pour être percées de trous ou zébrées d'estafilades destinés à blesser des animaux réels. Particulièrement remarquable est une statue d'ourson modelée en ronde-bosse et érigée sur une plate-forme qui semble avoir été disposée à cet effet. Cette statue n'a jamais eu de tête ; la section du cou porte une cavité qui semble produite par une cheville de bois cédant sous un poids et, un crâne d'ourson a été retrouvé sur le sol entre les pattes de devant de la statue. Cela donne à penser que la statue acéphale qui est criblée de plus d'une trentaine de trous, avait été complétée par une tête naturelle et peut-être, d'après d'autres indices, revêtue d'une peau pour servir à une cérémonie d'envoûtement.
« Dans l'art mobilier, un quadrupède en ronde-bosse d'Isturitz porte à la fois des perforations qui ne semblent pas pouvoir s'expliquer comme des trous de suspension et doivent, par suite, représenter des blessures de flèches ou de harpons sur ses cuisses et son échine. L'intention d'envoûtement est peut-être encore plus manifeste dans une autre sculpture de la même grotte. Un bison en grès a, sur le flanc, une profonde incision verticale à côté de laquelle est gravée une flèche. De ces cas dans lesquels l'opération magique consiste en blessures effectives infligées au simulacre d'un animal, on passe par transition insensible à d'autres dans lesquels les blessures ne sont que figurées ou même, simplement évoquées par la représentation des armes qui sont censées les produire. Telle est, parmi quantité de spécimens, une gravure pariétale d'ours de la grotte des Trois Frères, à corps semé de figures de flèches et lapidé et, dont le museau laisse couler un flot de sang. »
D'après le même auteur, on devrait considérer comme relevant de la magie de fécondité les représentations de certains couples d'animaux ainsi que les représentations de certaines femelles.
Nous voyons ainsi les hommes des temps paléolithiques s'attaquer à l'animal, non seulement de façon directe et à découvert mais encore, par le moyen d'un rituel de magie destiné à lui en rendre plus facile la capture. L'homme et la bête vivent encore en ennemis ; c'est entre eux la lutte sans merci où s'affrontent la force musculaire et l'intelligence naissante.
Bien qu'il ne faille pas abuser des parallèles ethnographiques car il n'est pas certain que la marche au progrès ait passé pour tous les groupes humains, par les mêmes stades, les mêmes étapes, nous pouvons imaginer avec quelque vraisemblance, qu'à côté des pratiques de magie sympathique, les clans paléolithiques entretenaient avec certaines bêtes les rapports mystérieux que l'on trouve aujourd'hui dans les liens qui unissent les membres d'un clan à son totem. Pratique bizarre dont les origines semblent remonter très haut dans le passé et qui établit entre l'homme et la bête de véritables liens d'amitié et de collaboration.
On sait que l'animal totem sacré pour les membres du clan, lui est lié par une sorte de pacte ; il devient pour chacun un parent au même titre que les autres hommes du groupe. Comme tel, il est assujetti envers eux aux mêmes obligations auxquelles ils sont assujettis les uns envers les autres. Chaque groupe exerce donc sur telle ou telle espèce animale une autorité et un contrôle particuliers. Des cérémonies magiques sont célébrées et, c'est en s'identifiant rituellement aux animaux que les membres du clan réussissent à exercer une action sur eux. Bien que cela ne soit pas un caractère constant des institutions totémiques, il arrive aussi qu'un véritable culte de vénération respectueuse soit rendu au totem ; que des sacrifices soient accomplis où l'animal sacré est immolé et où sa chair est rituellement consommée. Mort, on l'enterre avec les mêmes honneurs que ceux rendus aux membres du clan.
Certains auteurs font dater de ces premières alliances conclues entre un groupe humain et des animaux, l'éveil du sentiment religieux ; le totémisme apparaissant comme un stade de l'évolution religieuse.
Pour Frazer, le lien totémique consiste essentiellement en un échange d'âme à âme, entre l'homme et l'animal totem. Il s'appuie pour cela sur les arguments qu'il tire de certaines cérémonies en usage lors de l'admission des jeunes gens et des jeunes filles au rang des guerriers et des femmes nubiles. Dans les danses sacrées où l'on figure la mort et la résurrection du jeune homme, son âme ou sa vie extraite de son corps et transférée au totem. L'extériorisation de son âme tue le jeune initié mais un échange d'âme s'opère entre son totem et lui ; lorsqu'il ressuscitera, il sera devenu un animal, se mettant ainsi à l'abri des multiples dangers naturels et surnaturels qui l'environnent. On ne pourra plus le tuer puisque sa vie, qui continue cependant à animer son corps, n'est plus à lui mais déposée en un animal. Il puisera, d'autre part, du fait de cette étroite union avec ce dernier, une force et une vigueur plus grandes qui lui permettront de lutter avec des chances accrues contre les hommes de tribus rivales et les artifices des sorciers.
Aux clans des chasseurs paléolithiques succède, en Europe, une civilisation intermédiaire dont les divers faciès sont encore peu connus ; elle précède l'arrivée de populations nouvelles : les Néolithiques dont le foyer d'origine ne saurait être précisé. Les hommes de ce niveau archéologique avaient franchi le stade qui sépare le chasseur nomade vivant à la belle étoile ou dans des abris naturels, du pâtre et de l'agriculteur adonnés à l'élevage du bétail et au travail de la terre. L'étable et le grenier ont, dès lors, pris place dans les éléments divers de la vie domestique.
Nous avons dit : l'élevage du bétail. En effet, parmi les multiples débris recueillis en grand nombre dans les agglomérations humaines de l'époque ont été retrouvés les ossements de plusieurs individus appartenant au groupe principal de nos animaux familiers : chèvres, cochons, moutons, bovidés, etc. dont la domestication remonte ainsi à une époque fort lointaine. «La domestication dit Zaborowski, oeuvre si essentielle à l'établissement de toute civilisation si diverse et si ancienne, qu'elle n'a pas de date d'origine et pas de patrie, s'est imposée à l'homme partout, si impérieusement, qu'elle a maintenant épuisé les ressources des faunes de toutes les parties du monde. »
Cet asservissement de l'animal par l'homme ne semble pas être issu d'une région privilégiée où certaines espèces auraient fait preuve d'aptitudes particulières ou d'une docilité exceptionnelle car, des animaux admirablement domestiqués appartiennent à des formes très éloignées les unes des autres tels : le dindon du Mexique, le cormoran de Chine, le lama du Pérou, l'éléphant aux Indes, le renne en Laponie, le yak au Tibet, le buffle en Egypte, etc.. Disons en passant — fait digne d'être noté — que c'est antérieurement déjà à l'époque néolithique qu'apparaît le chien, ce merveilleux ami de l'homme dont la domestication semble avoir été l'oeuvre de divers peuples. On sait qu'en Europe, c'est dans les kjoekkenmöddings du Danemark et dans les stations lacustres les plus anciennes que se sont rencontrées les premières traces de cet admirable compagnon de la race humaine.
Pour les peuples qui nous sont connus par l'histoire, nous sommes renseignés sur leurs conceptions religieuses par des documents écrits ; pour les populations qui relèvent de l'ethnologie, au moyen d'observations recueillies par les voyageurs et les explorateurs. Aux âges les plus lointains de la préhistoire, étant donné que l'une ou l'autre de ces sources ne sont pas à notre disposition, les seuls matériaux dont nous puissions disposer sont soit les traces matérielles de pratiques rituelles, soit les représentations artistiques. C'est en se basant sur l'interprétation d'éléments matériels de cette sorte et en les mettant par ailleurs en parallèle avec certaines données de l'ethnographie, que le Rév. Père Mainage a pu dire : « L'art quaternaire est adapté à des fins utiles, il est étroitement subordonné à la religion ; il est l'expression même du sentiment religieux. » Est-ce, en l'état actuel de nos connaissances, un verdict sans appel ? Gardons-lui un caractère hypothétique et bornons-nous à faire remarquer qu'il se pourrait, en effet, que le culte rendu aux animaux et à leurs représentations par maints peuples de l'antiquité — qui les considéraient comme la forme visible ou l'incarnation de divinités météorologiques ou cosmiques ou encore, de puissances surnaturelles — plonge ses racines dans les temps reculés de la préhistoire.
Pour les époques moins anciennes, les documents écrits, comme aussi l'existence de monuments fort bien conservés permettent d'affirmer que nombre de peuples représentèrent leurs dieux, leurs génies, leurs héros sous une apparence zoomorphique. Il n'est que de consulter pour s'en convaincre, un ouvrage moderne de mythologie générale ; on y verra combien nombreuses et variées furent ces représentations en Egypte, en Chaldée, en Assyrie, aux Indes, en Perse, en Syrie, en Grèce ou encore chez les Romains, les Celtes, les Slaves, etc..
Il arrive aussi que la puissance divinisée épouse une forme semi-humaine et semi-animale témoignant ainsi de l'association étroite du dieu, de l'animal et de l'homme. Que ce dernier ait pu adorer l'animal que nous avons dédaigné, exploité, exterminé ou conquis nous demeure une énigme et pourtant, c'est un fait : tous les dieux adorés par la suite sous forme humaine se sont dégagés peu à peu, par une lente évolution, d'une forme animale primitive. Les plus anciennes idoles ont encore fréquemment l'apparence d'une bête.
Ce que nous venons de rappeler brièvement montre à l'évidence que l'homme et l'animal ont été — et sont encore de bien des manières — étroitement associés. Très vite, la domestication s'est imposée à l'homme de façon impérieuse ; et il est de fait que nous ne concevons guère aujourd'hui l'existence de celui-ci sans les avantages incalculables que lui procura la domestication et, sans les ressources si multiples et si précieuses qu'il retire des bêtes.

 

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