Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


PREFACE


 

Julia et Hélène, deux Américaines à la fleur de l'âge, étaient unies par les liens d'une amitié si étroite qu'il semblait que la mort même n'eût pu les séparer. Toutes deux étaient des chrétiennes sincères, s'occupant plus à faire de bonnes œuvres pour les vivants, que de se livrer à des spéculations sur l'autre monde.
Pourtant, parfois quand la pensée de la mort venait jeter un peu d'ombre sur leur vie active, elles se firent mutuellement le serment solennel que celle qui mourrait la première viendrait, si cela est possible, se manifester à l'autre qui survivrait. L'apparition visible de la présence du mort viendrait ainsi bannir tout doute et convaincre le survivant de la continuité ininterrompue de la vie, ainsi que de l'amour au delà du tombeau.
Les années s'écoulèrent. Julia mourut. Le coup de ce malheur se fit vivement sentir chez tous ses amis, mais sur personne aussi cruellement que sur Hélène. Toute la joie de sa vie semblait s'être évanouie dans l'ombre de la mort. Pendant plusieurs mois, il lui semblait qu'elle ne pourrait plus supporter l'existence sans son amie. Mais, une nuit, la promesse se réalisa.
Hélène fut brusquement réveillée dans la maison où elle demeurait avec ses parents. Bien que l'obscurité fût complète, sa chambre était pleine de lumière ; et auprès de son lit, elle vit Julia vêtue comme elle était de son vivant et rayonnante de vie, de paix et de joie. Elle était restée fidèle à sa promesse. Elle se tenait debout près d'elle pendant quelques moments, souriante mais silencieuse.
Hélène était trop saisie d'effroi pour pouvoir parler.
La réalisation subite et certaine du désir de son cœur semblait lui avoir enlevé toutes ses facultés, excepté celle d'une indicible joie.
Et puis, lentement et d'une manière presque imperceptible, l'apparition disparut et Hélène se trouva de nouveau seule.
Quelques mois après, Hélène vint en Angleterre et Julia y renouvela sa promesse et lui apparut une seconde fois. Le hasard voulut que je fusse l'hôte des personnes où Hélène était venue en visite, et comme je m'intéressais beaucoup aux questions de cette nature et que j'avais connu Julia, Hélène me raconta l'histoire de ces deux apparitions. Après m'avoir décrit de quelle manière Julia s'était montrée, la première fois, elle ajouta : « Je l'ai vue de nouveau l'autre nuit, ici dans ma chambre ; et les deux fois pareillement ; je dormais et ayant été réveillée subitement, je la vis debout, à côté de mon lit. Puis elle disparut et je ne vis plus que la lumière à l'endroit où elle s'était tenue debout. La première fois, je pensais que cela pouvait avoir été l'effet d'une hallucination, comme sa mort était récente et que je m'étais tant chagrinée ; mais l'autre nuit, il n'y avait pas à s'y tromper. Je la vis très distinctement. Je savais que c'était Julia et qu'elle était revenue comme elle l'avait promis ; mais je ne pouvais pas l'entendre parler, et je ne pouvais douter qu'elle ne fût revenue m'apporter un message ; et cependant je ne pouvais pas entendre ce qu'elle avait à me dire. »
Comme j'avais à cette époque — à ma grande surprise — senti se développer en moi le don imprévu jusqu'alors de l'écriture automatique, je proposai à Julia, dans le cas où elle y consentirait et en serait capable, de se servir de ma main comme de la sienne, pour écrire par ce moyen tels messages qu'il lui plairait.
« L'écriture automatique est celle qui est écrite par la main d'une personne qui n'est pas sous le contrôle de son esprit conscient. La main semble écrire d'elle-même, alors que la personne n'a aucune connaissance de ce qu'elle écrit. C'est une forme de médiumnité très commune et très simple, qui ne fait aucun tort aux facultés du médium ni ne met sa personnalité sous le contrôle d'aucun autre esprit.
« Cette manière d'écrire peut provenir de son esprit subconscient, ou elle peut être attribuée à l'action directe d'esprits indépendants, mais invisibles. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle n'émane pas de l'esprit conscient de celui qui écrit, qui reçoit souvent des messages contenant des renseignements sur des événements passés dont il n'a jamais entendu parler ; et d’autres fois, des prédictions tout à fait vraies, concernant des événements qui ne sont pas encore arrivés. »
Ce fut de cette manière que je commençai à recevoir les communications dont un petit nombre sont réunies dans ce petit volume. Toutes les « lettres de Julia » ont été reçues par moi-même et par ce moyen. Étant seul, assis et l'esprit tranquille, je mis consciencieusement ma main droite, dans laquelle je tenais ma plume comme d'habitude, à la disposition de Julia et j'observai avec un intérêt vif et sceptique ce qu'elle écrirait. La plus grande partie de la première série des lettres fut écrite comme étant des lettres de Julia à Hélène. Elles furent écrites comme d'une amie à une autre, commençant et finissant juste comme si celle qui écrivait était encore vivante, au lieu d'avoir à compter sur moi. La seconde série fut écrite pour être publiée à des intervalles irréguliers. La première série est réellement un ensemble d'extraits de lettres écrites chaque semaine, pendant à peu près six mois, avec quelques observations y intercalées qui me furent faites au moment où j'écrivais. La seconde série est composée des communications écrites, ayant été imprimées aux dates données dans le texte. Le lecteur sera peut-être contrarié de l'interruption continuelle de la narration par les objections, y interposées et les questions imprimées. Mais en y réfléchissant, il conviendra probablement que la reproduction des « Lettres », juste comme elles furent reçues, au moment même où les pensées jaillirent de l'esprit conscient de l'écrivain, dont la main était l'agent inconscient de leur transmission, était nécessaire ; ne fût-ce que pour montrer combien c'était contraire à la vérité d'affirmer que les lettres de Julia étaient l'expression de mon esprit conscient. Il n'est pas nécessaire que j'entre dans des détails circonstanciés, pour montrer l'évidence qui m'a conduit à la conclusion que « les lettres de Julia » sont réellement ce qu'elles prétendent être, les communications de l'esprit désincarné de quelqu'un qui fut mon amie durant sa vie terrestre ; mais dont l'amitié a été plus étroite et plus réelle, depuis qu'elle nous a été enlevée, il y a six ans.
L'évidence peut en être donnée sommairement comme suit :
1. Le commencement des communications tel qu'il a été décrit plus haut ;
2. Une preuve donnée dans le premier message d'un affectueux « sobriquet » qu'elle donna sur son lit de mort, qui était connu de son amie mais que j'ignorais.
3. La description minutieuse d'un incident qui avait eu lieu en 1885 ou à peu près, dont je n'avais jamais entendu parler et qu'Hélène elle-même avait totalement oublié, jusqu'au moment où sa mémoire fut éveillée par les détails de lieu et de temps, dont je n'avais absolument aucune connaissance.
4. Les noms, prénoms et surnoms écrits de ma main, qui m'étaient tout à fait inconnus et qui étaient ceux de ses amis dans son pays natal.
5. Le vif et affectionné intérêt personnel témoigné par celui qui se servait de ma main, pour des personnes et des faits où mon intérêt à moi n'était en aucune manière aussi profond que celui de Julia.
6. L'idiosyncrasie personnelle fortement marquée et invariable de celle qui a écrit ces « Lettres », qui ne proviennent certainement pas de moi est, et je n'en doute pas, sous beaucoup de rapports très supérieure à la mienne.
En plus de ces évidences de faits, il y avait l'évidence de personnes psychiques douées du pouvoir de voir les formes spirituelles qui nous entouraient tous. Pour ceux qui nient que de telles formes existent, ou peuvent être vues de tous, cette évidence importe peu. Cependant, l'incrédulité dogmatique de ces sceptiques serait ébranlée si, après m'avoir accompagné près de divers clairvoyants, qui ne me connaissaient ni de nom, ni de figure, ils constataient que chacun et tous ceux de ces psychiques doués de cette faculté de la vision, décrivaient, parmi un grand nombre d'autres, la forme facile à reconnaître de Julia. Ceux qui savent que certaines personnes ont ce don de clairvoyance, comprendront la raison plausible que j'ai acquise de la réalité objective de sa présence, quand j'aurais mentionné les faits suivants.
1° Que des étrangers qui ne savent absolument rien de sa vie, l’ont dépeinte se tenant debout, quand j'écrivais automatiquement.
2° Que plusieurs d'entre eux n'en ont pas seulement fait la description, mais ont donné son nom.
3° Que quelqu'un d'ici et une autre personne de son pays natal a donné aussi son « surnom », que je me suis abstenu de publier, et que je me suis aussi efforcé en vain de communiquer par télépathie à l'esprit d'autres médiums.
4° Que dans un certain cas, le « voyant » prit hors d'un paquet de vingt portraits, celui de Julia qui ne portait aucun signe particulier pour le distinguer, et l'identifia comme étant « la dame qui écrit avec moi».
5° Que dans un autre cas, le « voyant » a donné des détails, en décrivant des faits que je croyais et affirmais être erronés ; mais qui, d'après les renseignements fournis par ses amis les plus intimes, furent reconnus être corrects ; et
6° Que, après que des arrangements furent faits, Julia a rempli ses engagements avec des « voyants » qui étaient très éloignés de moi.
En dehors de ces raisons, pour croire que l'esprit qui s'est servi de ma main, quand « les Lettres de Julia » ont été écrites, n'était pas le mien, mais un esprit supérieur indépendant de ma conscience cérébrale, c'est le fait qu'en plusieurs occasions elle m'a prédit, avec autant de persistance que de vérité, des événements qui n'eurent lieu qu'après plusieurs mois, et que je lui dis, sans détours, que je ne croyais pas pouvoir arriver.
Conséquemment, je ne puis m'empêcher de déclarer que ces communications sont bien ce qu'elles prétendent être — les vraies lettres de la vraie Julia — qui n'est pas morte, mais partie avant nous. Je sais qu'après cinq années de correspondance presque journalière avec elle, d'écriture automatique, je suis en conversation avec un esprit aussi éclairé que le mien, une personnalité aussi distinctement définie et une amie aussi sincère et tendre que j'aie jamais connue.
Quant à ceux qui se moquent de la possibilité d'un tel phénomène, je leur demanderai simplement d'admettre que, dans ce cas, leur théorie de fraude intentionnelle doit être écartée, quant au médium, par le fait que ces messages ont été écrits de ma propre main droite, sans qu'il y eût aucune autre personne présente. Celui qui sait quelle prévention existe à ce sujet ne niera pas que je n'ai aucun intérêt personnel à me prévaloir du nom si impopulaire et si ridiculisé de croyant à la réalité de telles communications. J'ai coopéré à ces faits, de différentes manières, à la fois privées et publiques et avec un désavantage sérieux ; je sais très bien que le contenu de cette préface me causera pendant des années des ennuis, et discréditera tout ce que je ferai ou dirai. C'est malheureux, sans doute, mais cela ne peut pas être mis en balance, comparé à l'importance du témoignage que j'apporte, en affirmant que ces messages ont été écrits de ma main.
Je conclus, et je dis que quoique la source de ces messages soit naturellement une chose de la plus grande importance, en ce qu'ils servent de témoignage à des choses qui ne sont pas à la portée de la connaissance de l'homme, la valeur intrinsèque des trois quarts des « Lettres de Julia » ne reposent pas plus sur des théories quant à leur origine, que le mérite des œuvres de Shakespeare ne repose sur des théories quant à leur auteur. J'admets, si vous le voulez, que les Lettres aient été simplement écrites par mon « Ego subconscient » cela n'infirmerait en rien la vérité, ni ne diminuerait la force de l'éloquent et émouvant plaidoyer en faveur d'une vie supérieure. Je désirerais beaucoup que mon « Ego» conscient pût écrire aussi bien.
W. T. STEAD.

 

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