Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


II. LA MARCHE ASCENDANTE ; LES MODES D'ETUDES.


La réunion du Congrès spirite et spiritualiste international de Paris, en 1900[1], a permis de constater la vitalité toujours croissante du spiritisme. Des délégués venus de tous les points du monde, représentant les peuples les plus divers, y ont exposé les progrès de l’idée dans leurs pays respectifs, sa marche ascendante malgré les obstacles, les conversions retentissantes qu’elle opère, aussi bien parmi les hommes d’église que chez les savants matérialistes. Il en a été de même au Congrès de Bruxelles, en 1910. Un bureau international a été institué. Il a pour but d’établir des relations permanentes entre les groupements des diverses nations et de recueillir des informations sur le mouvement spirite dans le monde entier.

En dépit des dénégations et des railleries, la croyance spirite se fortifie et grandit. Mais, à mesure qu’elle se répand, la lutte devient plus vive entre négateurs et convaincus. Le vieux monde s’inquiète ; il se sent menacé. Le combat pour la vie n’est pas plus âpre que la lutte entre les idées. L’idée vieillie, incomplète, se cramponne en désespérée aux positions acquises et résiste aux efforts de l’idée nouvelle, qui veut prendre sa place au soleil. Les résistances s’expliquent par les intérêts de tout un ordre de choses qui se sent ébranlé. Elles sont utiles, parce qu’elles rendent plus sages les novateurs, plus mesurés les progrès de l’esprit humain.

Il est dans la destinée de celui-ci de toujours détruire et reconstruire. Sans cesse il travaille à édifier des monuments splendides, qui lui serviront de demeures, mais qui, bientôt devenus insuffisants, devront faire place à des œuvres, à des conceptions plus vastes, appropriées à son développement constant.

Tous les jours, des individualités disparaissent, des systèmes s’effondrent dans la lutte. Mais, au milieu des fluctuations terrestres, la route de la vérité se déroule, tracée par la main de Dieu, et l’humanité s’achemine vers ses destinées inéluctables.

Le spiritisme, utopie d’hier, sera la vérité de demain. Familiarisés avec elle, nos successeurs oublieront les luttes, les souffrances de ceux qui auront assuré sa place dans le monde ; mais, à leur tour, ils auront à combattre et à souffrir pour le triomphe d’un idéal plus élevé. C’est la loi éternelle du progrès, la loi d’ascension qui porte l’âme humaine, d’étapes en étapes, de conquêtes en conquêtes, vers une somme toujours plus grande de science, de sagesse et de lumière. C’est la raison même de la vie, la pensée maîtresse qui dirige l’évolution des âmes et des mondes.

A mesure que le spiritisme se répand, plus impérieuse apparaît la nécessité d’établir des règles précises, des conditions sérieuses d’étude et d’expérimentation. Il faut éviter aux adeptes des déceptions fâcheuses et mettre à la portée de tous les moyens pratiques d’entrer en rapport avec le monde invisible.

Pour acquérir la science d’outre-tombe, il est deux moyens : l’étude expérimentale, d’une part ; de l’autre, l’intuition et le raisonnement, que, seules, les intelligences exercées savent mettre en action. L’expérimentation est préférée par la grande majorité de nos contemporains. Elle répond mieux aux habitudes du monde occidental, encore peu initié à la connaissance des ressources profondes de l’âme.

Les phénomènes physiques bien constatés ont, pour nos savants, une importance sans égale. Chez beaucoup d’hommes, le doute ne peut cesser, la pensée ne peut sortir de l’état de torpeur que grâce au fait. Le fait brutal, le fait probant vient bouleverser les idées préconçues ; il oblige les plus indifférents à scruter le problème de l’Au-delà.

Il est nécessaire de faciliter les recherches expérimentales et l’étude des phénomènes physiques, mais en les considérant comme un acheminement vers des manifestations moins terre à terre. Celles-ci, à la fois intellectuelles et spirituelles, constituent le côté le plus important du spiritisme. Sous leurs formes diverses, elles représentent autant de moyens d’enseignement, autant de modes d’une révélation sur laquelle s’édifie une notion de la vie future, plus large et plus haute que toutes les conceptions du passé.

L’homme qui pleure des êtres aimés, dont la mort l’a séparé, recherche, avant tout, une preuve de la survivance, dans la manifestation des âmes chères à son cœur et que l’amour attire aussi vers lui. Un mot affectueux, une preuve morale venant d’elles, feront plus pour le convaincre que tous les phénomènes matériels.

Jusqu’ici, chez la plupart des hommes, la croyance à la vie future n’avait été qu’une vague hypothèse, une foi vacillant à tous les souffles de la critique. Les âmes, après la séparation des corps, n’étaient à leurs yeux que des entités mal définies, confinées en des lieux circonscrits, inactives, sans but, sans rapports possibles avec l’humanité.

Aujourd’hui, nous savons, de science certaine, que les esprits des morts nous entourent et se mêlent à notre vie. Ils nous apparaissent comme de véritables êtres humains, doués de corps subtils, ayant conservé tous les sentiments de la terre, mais susceptibles d’élévation, participant dans une mesure grandissante à l’œuvre et au progrès universels, en possession de forces bien supérieures à celles dont ils disposaient dans leur ancienne condition d’existence.

Nous savons que la mort n’apporte aucun changement essentiel à la nature intime de l’être, qui reste, en tous milieux, ce qu’il s’est fait, emportant au delà de la tombe ses penchants, ses affections et ses haines, ses grandeurs et ses faiblesses ; restant attaché par le cœur à ceux qu’il a aimés sur la terre : toujours anxieux de s’en rapprocher.

L’intuition profonde nous révélait bien la présence de nos amis invisibles et, dans une certaine mesure, nous permettait, en notre for intérieur, de correspondre avec eux. L’expérimentation va plus loin. Elle nous procure des moyens de communication positifs et précis ; elle établit entre les deux mondes, le visible et l’occulte, une communion qui va s’étendant à mesure que les facultés médianimiques se multiplient et s’affinent. Elle resserre les liens qui unissent les deux humanités ; elle leur permet, par des rapports constants, par un échange continuel de vues, de mettre en commun leurs forces, leurs aspirations, de les orienter vers un même but grandiose et de travailler ensemble à conquérir plus de lumière, plus d’élévation morale et, par suite, plus de bonheur pour la grande famille des âmes, dont hommes et Esprits sont membres.

Toutefois, il faut reconnaître que la pratique expérimentale du spiritisme est pleine de difficultés. Elle exige des qualités dont beaucoup d’hommes sont dépourvus : esprit de méthode, persévérance, discernement, élévation de pensée et de cœur. Quelques-uns arrivent seulement à la certitude, qui est leur but, après des échecs nombreux ; d’autres l’atteignent d’un seul élan par le cœur, par l’amour. Ceux-là saisissent la vérité sans effort, et rien ne peut plus les en détacher.

Oui, la science est belle ; le chercheur persévérant trouve en elle des satisfactions infinies. Tôt ou tard, elle lui fournira la base sur laquelle se fondent les convictions solides. Cependant, à cette science purement intellectuelle qui étudie seulement les corps, il faut, pour lui faire équilibre, en adjoindre une autre qui s’occupe de l’âme et de ses facultés affectives. C’est ce que fait le spiritisme, qui n’est pas seulement une science d’observation, mais aussi de sentiment et d’amour, puisqu’elle s’adresse à la fois à l’intelligence et au cœur.

C’est pourquoi les savants officiels, habitués aux expériences positives, opérant avec des instruments de précision et se basant sur des calculs mathématiques, réussissent moins facilement et se lassent trop vite en présence du caractère fugace des phénomènes. Les causes multiples en action dans ce domaine, l’impossibilité de reproduire les faits à volonté, les incertitudes, les déceptions, les déroutent et les rebutent.

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Rares ont été pendant longtemps, en France, dans les milieux officiels, les expérimentateurs affranchis des routines classiques et doués des qualités nécessaires pour mener à bien ces observations délicates. Tous ceux qui ont procédé avec persévérance et impartialité ont pu constater la réalité des manifestations des défunts. Mais, lorsqu’ils publiaient les résultats de leurs recherches, ils ne rencontraient le plus souvent qu’incrédulité, indifférence ou persiflage. Les hommes de science, pour expliquer les faits spirites, ont entassé systèmes sur systèmes et recouru aux hypothèses les plus invraisemblables, torturant les phénomènes pour les faire entrer dans le lit de Procuste de leurs conceptions.

C’est ainsi qu’on a vu surgir tant de théories étranges, depuis le nerf craqueur de Jobert de Lamballe, les articulations claquantes, l’automatisme psychologique, les hallucinations collectives, jusqu’à celle du subliminal. Ces théories, mille fois réfutées, renaissent sans cesse. On dirait que les représentants de la science officielle ne craignent rien tant que d’être obligés de reconnaître la survivance et l’intervention des Esprits.

Sans doute, il est prudent, il est sage d’examiner toutes les explications contraires, d’épuiser toutes les hypothèses, toutes les autres possibilités, avant de recourir à la théorie spirite. Tout d’abord, la plupart des expérimentateurs ont cru pouvoir s’en passer ; mais, à mesure qu’ils examinaient le phénomène de plus près, ils s’apercevaient que les autres théories étaient insuffisantes et qu’il fallait recourir à l’explication tant dédaignée[2]. Les autres systèmes s’écroulaient un à un sous la pression des faits.

Malgré toutes les difficultés, on a vu peu à peu s’accroître le nombre des investigateurs consciencieux, de ceux dont l’esprit était assez libre et l’âme assez haute pour placer la vérité au-dessus de toutes les considérations d’école ou d’intérêt personnel. De jour en jour on a vu des savants hardis rompre avec la méthode traditionnelle et aborder résolument l’étude des phénomènes. Ils ont déjà réussi à faire entrer la télépathie, la clairvoyance, la prémonition, l’extériorisation des forces, dans le domaine de la science d’observation.

Avec le colonel de Rochas, la France tient le premier rang dans l’étude de l’extériorisation de la sensibilité. Des sociétés d’études psychiques se fondent un peu partout. Le scepticisme d’antan s’atténue. A certaines heures, un souffle nouveau semble animer le vieil organisme scientifique.

Pourtant ne nous y fions pas. Les savants officiels n’abordent pas encore ce domaine sans restrictions. M. Duclaux, le grand disciple de Pasteur, le déclarait dans sa conférence d’ouverture de l’Institut psychique international, le 30 janvier 1901 :

« Cet institut sera une oeuvre de critique mutuelle, avec l’expérience pour base. Il n’admettra comme découverte scientifique que celle qui peut être répétée à volonté. »

Que signifient ces paroles ? Peut-on reproduire à volonté les phénomènes astronomiques et météorologiques ? Ce sont cependant là des faits scientifiques. Pourquoi ces réserves et ces entraves ?

Dans bien des cas, le phénomène spirite se produit avec une spontanéité qui déroute toutes les prévisions. On ne peut que le constater. Il s’impose et échappe à notre action. L’appelez-vous, il se dérobe ; mais si vous n’y pensez plus, il reparaît. Tels sont presque tous les cas d’apparitions à distance et les phénomènes des maisons hantées. Les fantômes vont et viennent, sans se soucier de nos exigences et de nos prétentions. Vous attendez pendant des heures et rien ne se produit. Faites-vous mine de partir, les manifestations commencent.

A propos de l’imprévu des phénomènes, rappelons ce que disait M. Varley, ingénieur en chef des postes et télégraphes de la Grande-Bretagne[3] :

« Mme Varley voit et reconnaît les Esprits, particulièrement lorsqu’elle est entrancée (état de somnambulisme lucide) ; elle est aussi très bon médium à incarnations, mais je n’ai sur elle presque pas d’influence pour provoquer la trance, en sorte qu’il m’est impossible de me servir de sa médiumnité pour faire des expériences. »

C’est donc un point de vue erroné et gros de conséquences fâcheuses que de considérer le spiritisme comme un domaine où les faits se présentent toujours identiques, où les éléments d’expérimentation peuvent être disposés à notre gré. On s’expose par là à des recherches vaines ou à des résultats incohérents.

Tout en applaudissant au mouvement qui entraîne les hommes instruits vers l’étude des phénomènes psychiques, nous ne pouvons nous défendre d’une certaine crainte, celle de voir leurs efforts rester stériles s’ils ne parviennent pas à se dépouiller de leurs préoccupations habituelles. En voici un exemple.

M. Charles Richet, qui est un esprit sagace et ouvert, après avoir constaté tant de fois les faits produits par Eusapia Paladino et signé des procès-verbaux qui en attestaient la réalité, ne reconnaît-il pas lui-même que sa conviction, d’abord profonde, s’affaiblit et devient flottante quelque temps après, sous l’empire des habitudes d’esprit contractées dans le milieu qui lui est familier ?

Le public attend beaucoup du nouvel institut et des savants qui le composent. Il ne s’agit plus ici de psychologie élémentaire, mais de la plus haute question qui ait jamais préoccupé la pensée humaine : le problème de la destinée. L’humanité, lasse du dogmatisme religieux, tourmentée du besoin de savoir, tourne ses regards vers la science ; elle attend d’elle le verdict définitif qui lui permettra d’orienter ses actes, de fixer ses opinions, ses croyances.

Les responsabilités des savants sont lourdes. Les hommes qui occupent les chaires du haut enseignement en sentent-ils tout le poids et en mesurent-ils toute l’étendue ? Sauront-ils faire le sacrifice de leurs petits amours-propres et revenir sur des affirmations prématurées ? ou bien se prépareront-ils, au déclin de leur carrière, la douleur de constater qu’ils ont manqué le but, dédaigné les choses les plus essentielles à connaître et à enseigner ?

Nous l’avons vu plus haut : le mouvement psychique vient surtout du dehors et s’accentue de jour en jour. Si la science française refusait d’y prendre part, elle serait débordée, devancée, et son bon renom pâlirait dans le monde. Abandonnant ses préjugés et gardant ses méthodes prudentes, qu’elle apprenne donc à s’élever, à la suite des savants étrangers, vers des sphères plus vastes, plus subtiles, fécondes en découvertes. Son intérêt lui commande de les explorer plutôt que de les nier !

Qu’elle fasse du spiritisme une science nouvelle, qui complète les autres sciences en les couronnant. Celles-ci s’appliquent à des domaines particuliers de la nature ; elles conduisent parfois à de faux systèmes, et ceux qui s’y confinent perdent de vue les grands horizons, les vérités d’ordre général. La science psychique doit être la science suprême qui nous apprendra à nous connaître, à mesurer, à augmenter les puissances de l’âme, à les mettre en oeuvre et à nous élever avec leur aide vers l’âme éternelle et divine.


[1] Voir Compte rendu du Congrès spirite et spiritualiste international de 1900 (Leymarie, éditeur).

[2] C'est le cas de W. Crookes, de Russell-Wallace, Lodge, Aksakof, Myers, Hodgson, Lombroso, et de tant d'autres.

[3] Proceedings of the Society psychical research, v. II.

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