Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


TROISIEME PARTIE

GRANDEURS ET MISERES DE LA MEDIUMNITE

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XXII. PRATIQUE ET DANGERS DE LA MEDIUMNITE.


Après avoir longtemps nié la réalité des phénomènes spirites, de nombreux contradicteurs, vaincus par l’évidence, changent maintenant de tactique et nous disent : Oui, le spiritisme est vrai, mais la pratique est pleine de dangers.

On ne saurait contester que le spiritisme présente des écueils aux imprudents qui, sans études préalables, sans préparation, sans méthode, sans protection efficace, se livrent aux recherches occultes. Faisant de l’expérimentation un jeu, un amusement frivole, ils attirent à eux les éléments inférieurs du monde invisible, dont ils subissent fatalement les influences.

Toutefois, ces dangers ont été fort exagérés. En toutes choses, il y a des précautions à prendre. La physique, la chimie, la médecine exigent aussi des études prolongées, et l’ignorant qui voudrait manier des substances chimiques, des explosifs ou des toxiques, exposerait par cela même sa santé et sa vie. Il n’est pas une seule chose, suivant l’usage que nous en ferons, qui ne soit bonne ou mauvaise. Il est injuste, en tout cas, de faire ressortir le mauvais côté des pratiques spirites, sans signaler les bienfaits qui en découlent et qui l’emportent de beaucoup sur les abus et les déceptions.

Aucun progrès, aucune découverte ne se réalise sans risques. Si l’on avait refusé, depuis l’origine des temps, de s’aventurer sur l’océan parce que la navigation comporte des périls, qu’en serait-il résulté ? L’humanité, fragmentée en familles diverses, se serait confinée sur les continents et aurait perdu tout le profit qu’elle retire des voyages et des échanges. Le monde invisible est aussi un vaste et profond océan semé d’écueils, mais plein de richesses et de vie. Derrière le voile de l’Au-delà s’agitent des foules innombrables que nous avons intérêt à connaître, car elles sont dépositaires du secret de notre propre avenir. De là, la nécessité d’étudier, d’explorer ce monde invisible, de mettre en valeur les forces, les ressources inépuisables qu’il contient, ressources près desquelles celles de la terre paraîtront un jour bien restreintes.

D’ailleurs, quand bien même nous nous désintéresserions du monde invisible, celui-ci ne se désintéresse pas de nous pour cela. Son action sur l’humanité est constante. Nous sommes soumis à ses influences, à ses suggestions. Vouloir l’ignorer, c’est rester désarmé devant lui. Tandis que, par une étude méthodique, nous apprenons à attirer à nous les forces bienfaisantes qu’il renferme ; nous apprenons à écarter les influences mauvaises, à réagir contre elles par la volonté et la prière. Tout dépend du mode d’emploi et de la direction imprimée à nos forces mentales. Et combien de maux dont la cause nous échappe, parce que nous voulons ignorer ces choses et qui pourraient être évités par une étude consciencieuse et approfondie du monde des Esprits !

La plupart des névrosés et des hallucinés, traités sans succès par la médecine officielle, ne sont que des obsédés, susceptibles d’être guéris par les pratiques spirites et magnétiques[1].

Dieu a placé l’homme au milieu d’un océan de vie, d’un réservoir inépuisable de forces et de puissances. Et il lui a donné l’intelligence, la raison, la conscience, pour apprendre à connaître ces forces, à les conquérir, à les utiliser. C’est par cet exercice constant que nous nous développerons nous-mêmes et arriverons à établir notre empire sur la nature, la domination de la pensée sur la matière, le règne de l’esprit sur le monde.

C’est le but le plus élevé que nous puissions assigner à notre vie. Au lieu d’en détourner l’homme, apprenons-lui à le poursuivre sans hésitation. Étudions, scrutons l’univers sous tous ses aspects, sous toutes ses formes. Savoir est le bien suprême, et tous les maux viennent de l’ignorance.

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Les difficultés d’expérimentation proviennent de ce que nos contemporains, en général, n’ont pas la moindre notion des lois psychiques et sont, en outre, dans l’incapacité de les étudier avec fruit, par suite des dispositions d’esprit résultant d’une mauvaise éducation. Par leurs préjugés, leur présomption, leur scepticisme gouailleur, ils éloignent d’eux les influences favorables.

Dans ces conditions, il se peut que l’expérimentation spirite soit pleine d’embûches, mais elle le sera bien plus pour les médiums que pour les observateurs. Le médium est un être nerveux, sensible, impressionnable ; il a besoin de se sentir enveloppé d’une atmosphère de paix, de calme, de bienveillance, que la présence des Esprits avancés peut seule créer. L’action fluidique prolongée des Esprits inférieurs peut lui être funeste, ruiner sa santé, en provoquant les phénomènes d’obsession et de possession dont nous avons parlé. Ces cas sont nombreux. Allan Kardec les a étudiés et signalés[2]. Après lui, Eug. Nus en a relaté d’autres[3]. Nous en citerons de plus récents. Quelques-uns vont jusqu’à la démence. On en a tiré argument contre le spiritisme. En réalité, ils découlent simplement de la légèreté et du manque de précaution des expérimentateurs, et ne prouvent rien contre le principe. Partout, dans le spiritisme, à côté du mal se trouve le remède.

Il faut, disions-nous, s’entourer de précautions dans la pratique de la médiumnité. Les routes que le spiritisme trace entre le monde occulte et le nôtre peuvent servir de moyens d’invasion aux âmes perverses qui flottent dans notre atmosphère, si nous ne savons leur opposer une garde vigilante et sûre. Bien des âmes tendres et sensibles, incarnées sur la terre, ont souffert de leur commerce avec ces Esprits malsains, que leurs désirs, leurs appétits, leurs regrets, ramènent sans cesse près de nous.

Les âmes élevées savent, par leurs conseils, nous garantir des abus, des dangers, et nous guider dans les voies de la sagesse ; mais leur protection sera insuffisante, si, nous ne faisons effort pour nous améliorer par nous-mêmes. C’est la destinée de l’homme de développer ses propres forces, de construire lui-même son intelligence et sa conscience. Il faut que nous sachions atteindre un état moral qui ôte toute prise sur nous aux individualités inférieures. Sans cela, la présence de nos guides sera impuissante à nous sauvegarder. Au contraire, la lumière qu’ils font autour de nous attirera les Esprits de l’abîme, comme la lampe allumée au sein de la nuit attire les phalènes, les oiseaux nocturnes, tous les habitants ailés de l’ombre.

Nous avons parlé des obsessions ; en voici quelques exemples :

Le médium Philippe Randone, dit la Médianita, de Rome[4], est en butte aux mauvais procédés d’un Esprit, désigné sous le nom d’uomo fui, qui s’est efforcé, plusieurs fois, de l’étouffer la nuit sous une pyramide de meubles qu’il s’amuse à transporter sur son lit. En pleine séance, il s’empare violemment de Randone et le jette à terre, au risque de le tuer. Jusqu’ici on n’a pu débarrasser le médium de cet hôte dangereux.

En revanche, la revue Luz y Union, de Barcelone (décembre 1902), rapporte qu’une malheureuse mère de famille, poussée au crime sur son mari et ses enfants par une influence occulte, en proie à des accès de fureur contre lesquels les moyens ordinaires étaient restés impuissants, fut guérie en deux mois par suite de l’évocation et de la conversion de l’Esprit obsesseur, au moyen de la persuasion et de la prière. Il est certain que des résultats analogues seraient obtenus, dans bien des, cas, à l’aide des mêmes procédés.

La plupart des Esprits qui interviennent dans les phénomènes de hantise peuvent être classés parmi les obsesseurs.

Le revenant de Valence-en-Brie (1896), qui bouleversait les meubles dans la maison de M. Lebègue, et dont la voix se  faisait entendre depuis la cave jusqu’au grenier, injuriant les habitants, se répandant en paroles grossières, en expressions stercoraires, est le type de ces manifestants de bas étage.

Les Psychische Studien, d’août 1891, signalent un cas analogue. Une pauvre femme de Goepingen, âgée de 50 ans, était hantée par l’Esprit de son mari, qui, après l’avoir abandonnée pour aller en Amérique avec une autre femme, avait tué sa maîtresse, puis s’était suicidé. Il produisait dans la chambre de sa veuve des bruits continuels et variés, et privait de sommeil les locataires voisins. Elle le reconnaissait à la voix ; elle dut changer plusieurs fois de domicile, mais inutilement. L’Esprit la suivait partout. Il se glissait la nuit dans son lit, la poussait violemment et lui tirait les cheveux. Une fois, il la brûla si fort, qu’elle en porta la marque pendant quinze jours.

Ces mauvais Esprits ne sont, en général, que des ignorants, et on peut les ramener dans la voie du bien par la douceur, la patience, la persuasion. Il en est aussi de méchants, d’endurcis et même de redoutables, qu’on ne saurait braver impunément, si l’on n’est armé de volonté, de foi, de moralité. Il est bon de le redire : la loi de rapport règle toutes choses dans le domaine de l’invisible. Nos contacts avec le monde ultra-terrestre varient à l’infini, suivant la nature de nos pensées et de nos fluides. Ceux-ci sont des aimants puissants pour le bien ou pour le mal. Par eux, nous pouvons nous associer à ce qu’il y a de meilleur ou de pire dans l’Au-delà, et provoquer autour de nous les manifestations les plus sublimes ou les phénomènes les plus répugnants.

Citons encore deux cas intéressants d’obsession, qu’on put faire cesser par des procédés divers. Les Annales des Sciences psychiques de janvier 1911 rapportent le fait suivant, attesté par M. E. Magnin, professeur à l’École de Magnétisme :

« Une jeune femme, atteinte de maux de tête d’origine neurasthénique, auxquels depuis plusieurs années une obsession de suicide s’était ajoutée, vint me consulter. Un examen attentif me révéla un organisme sans aucune tare physique. Le côté psychique, au contraire, laissait beaucoup à désirer : émotif, fantasque, facilement suggestible. La malade insistait sur une angoisse « affolante », disait-elle, à la nuque, avec une sensation de pesanteur parfois intolérable sur les épaules ; à ces moments, elle était prise d’une envie presque irrésistible de se tuer.

« Au cours d’une longue conversation, la malade me confia qu’avant son mariage elle avait été courtisée par un officier qu’elle aimait, mais que des raisons de famille l’empêchèrent d’épouser. Ce dernier était mort depuis et, peu de temps après, cette obsession d’en finir avec la vie s’était emparée d’elle. Là résidait sans doute l’origine de cette idée obsédante, et un traitement psychothérapique s’imposait. Plusieurs séances à l’état de veille eurent lieu sans succès ; je procédai ensuite à des essais de rééducation dans l’hypnose « magnétique » et n’obtins aucune amélioration ; des suggestions impératives dans le sommeil « hypnotique » ne donnèrent pas non plus de résultats appréciables.

Je décidai, avec le consentement du mari, mais à l’insu de la malade, d’opérer par l’intermédiaire « d’un médium » que j’étudiais depuis quelque temps et qui souvent m’avait stupéfait par la netteté des clichés visuels que son don de « voyante » lui permettait de me décrire. Je ne dis pas un mot de la situation au médium. Je ne la mis en présence de la malade qu’après avoir endormi cette dernière. Je l’avertis que je ne lui poserais aucune question et qu’elle n’aurait qu’à me décrire le plus simplement possible ce que ses dons de vue psychique lui feraient voir.

« A peine fut-elle introduite auprès de la malade, endormie dans un fauteuil, qu’elle me décrivit un être qui paraissait « agrippé » sur le dos de la patiente. Sans laisser percevoir mon étonnement ni le grand intérêt que présentait cette constatation, je priai la voyante de préciser la position exacte de cet être invisible pour moi. « De sa main droite, dit-elle, il enserre la nuque de la malade et de sa main gauche il cache son propre front. » puis, suffoquée par l’émotion, elle s’écria : « Il s’est suicidé et il veut qu’elle le rejoigne. » A ma demande, elle me décrivit, la physionomie, l’expression : « un regard bien étrange, », dit-elle. Le médium et moi, pûmes causer avec cet être. Ma conversation fut longue et tourmentée ; j’éprouvai un soulagement et une réelle satisfaction en apprenant du médium, que mes arguments avaient convaincu le « revenant » et que, pris de pitié, il promettait de laisser sa victime en paix.

« Je ne réveillai la patiente que deux heures après le départ du médium. Je ne lui révélai pas un seul mot de l’expérience, qu’elle devait toujours ignorer. En me quittant, elle me dit : « Je me sens aujourd’hui très soulagée. »

« Le surlendemain, elle revint me voir ; elle était transformée. Son expression, son attitude, sa toilette, tout dénotait un revirement de ses pensées ; son naturel, sa gaieté, son goût pour les arts étaient revenus d’un jour à l’autre ; son mari ne la reconnaissait plus, tant le changement avait été brusque.

« Depuis cette expérience, cette jeune femme n’a plus jamais ressenti ni l’angoisse à la nuque, ni la sensation physique de poids sur les épaules, ni l’obsession psychique du suicide ; sa santé fut en tous points parfaite jusqu’à ce jour.

« Une enquête discrète m’apprit que cet officier n’était pas mort d’une fièvre infectieuse, ainsi qu’on le croyait dans son entourage, mais qu’il s’était bien réellement suicidé d’une balle dans la tête. La nature du caractère était absolument celle décrite par le médium et son regard « étrange » expliqué par un très léger strabisme. »

Dans Luce e Ombra, de janvier 1905, Enrico Carreras rend compte des luttes d’influence qui se produisaient, au cours des séances données par le médium Politi, entre l’Esprit protecteur Ranuzzi et l’observateur Spavento :

« Je me rappelle qu’un soir, au milieu de l’obscurité, me trouvant seul en face de lui parce que mes deux compagnons d’étude s’étaient enfuis épouvantés, je dus soutenir contre le médium, dont Spavento s’était emparé, une lutte acharnée, dans laquelle je dus faire appel à toute la force dont je suis doué.

« J’ai tenu à dire tout ceci, pour montrer aux novices que le spiritisme n’est pas une chose que l’on doive prendre en plaisantant, car il peut entraîner de graves conséquences, et aussi pour montrer aux professeurs de l’école matérialiste combien sont loin des inoffensives personnalités secondes de Binet et de P. Janet ces personnalités médianimiques ou, pour mieux dire, spirites, capables de produire les phénomènes signalés ci-dessus, sans compter tant d’autres, comme les hurlements d’animaux entendus jusque dans la rue et répétés, les sifflements aigus, les explosions violentes, qui se produisaient dans une maison voisine de la nôtre et qui était inhabitée, etc.

« Le système que nous avions adopté et la collaboration assidue de Ranuzzi, qui s’efforçait de calmer Spavento d’une part, et de l’autre de soutenir le médium, en se matérialisant la nuit dans sa chambre et en lui adressant des paroles d’encouragement, en le conseillant, en lui transmettant de bons fluides ; cette tactique, disons-nous, ne tarda pas à produire ses bons effets.

« Petit à petit, Spavento se modifia, aussi bien dans ses manifestations physiques que dans son moral. Il abandonna son premier nom pour prendre celui de César et devint, à notre grande satisfaction, un de nos plus chers amis invisibles. Peut-être aurai-je bientôt l’occasion de montrer à mes fidèles lecteurs comment se produisit cette lente transformation, qui nous a coûté assez de peines, mais dont nous avons été largement récompensés. »

Par quels moyens peut-on préserver les médiums des périls de l’obsession ? En les entourant d’une atmosphère de paix, de recueillement, de sécurité morale, en formant, par l’union des volontés, un faisceau de forces magnétiques. Le médium doit se sentir soutenu, protégé. Il ne faut pas négliger la prière. Les pensées sont des forces, d’autant plus puissantes qu’elles sont plus pures et plus élevées. La prière, aidée par l’union des volontés, oppose une barrière fluidique infranchissable aux Entités inférieures.

Le médium, de son côté, doit résister par la pensée et la volonté à toute tentative d’obsession et s’affranchir des dominations suspectes. Il est plus facile de prévenir que de guérir. Les cas d’incorporation, surtout, présentent des dangers. Aussi le médium ne doit abandonner son corps à d’autres âmes que sous la surveillance et le contrôle d’un guide éclairé.

C’est une erreur et un abus de croire que le médium doit toujours être passif et soumis sans réserve aux influences ambiantes, Le médium n’est pas un sujet servile, comme ces malades sensitifs assujettis aux expériences de certains spécialistes : c’est un missionnaire, dont la conscience et la volonté ne doivent jamais s’annihiler, mais s’exercer sagement et ne se plier qu’à bon escient, et après examen, à la direction occulte qui lui est imprimée. Quand les influences ressenties lui paraissent mauvaises et dégénèrent en obsession, le médium ne doit pas hésiter à changer de milieu, ou tout au moins à éloigner de lui les personnes qui semblent favoriser ou attirer ces influences.

En écartant les causes d’obsession, on éloigne en même temps les causes de maladie. Ce sont les fluides impurs qui altèrent la santé des médiums, troublent et amoindrissent leurs plus belles facultés.

 Dans les phénomènes d’incorporation, on abuse souvent du magnétisme humain. L’action fluidique d’un homme de bien, de mœurs pures et de pensées hautes, seule, peut être acceptée. Le médium, en toutes circonstances, doit se placer sous la protection de son guide spirituel, qui, s’il est élevé et énergique, saura éloigner de lui tous les éléments de trouble, toutes les causes de souffrance. Somme toute, les mauvais Esprits ne peuvent agir sur nous que dans la mesure où nous leur laissons prise. Quand la raison est droite, le cœur pur, la volonté ferme, leurs efforts sont vains.

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Une protection occulte efficace, avons-nous dit, est la condition essentielle du succès dans le domaine de l’expérimentation. Aucun groupe ne saurait s’en passer. Les faits le démontrent, et tous les médiums qui ont publié leurs impressions, leurs souvenirs, en fournissent le témoignage.

Mme d’Espérance dédie son livre : Au Pays de l’ombre, à son guide spirituel, Hummur Stafford, « dont la main directrice, quoique invisible, et dont les sages conseils, ont été sa force et sa consolation pendant le voyage de la vie ».

Mme Piper, affaiblie et rendue malade par le contact d'Esprits inférieurs, dut son rétablissement et la bonne direction de ses travaux à l’intervention ferme et vigoureuse des Esprits Imperator, Doctor et Rector. Grâce à eux, de confuses qu’elles étaient les expériences redevinrent aussitôt claires, précises, convaincantes[5].

On pourrait multiplier ces exemples. Allan Kardec a constitué la doctrine spirite à l’aide de révélations émanant d’Esprits supérieurs. Dans notre propre groupe, c’est grâce à l’influence d’Esprits élevés que nous obtînmes les beaux phénomènes relatés plus haut. Ce fut, seulement, il est vrai, après une longue période d’attente et de persévérants essais que ce secours nous fut accordé. Dans cet ordre de faits, on obtient ce qu’on a su mériter par une patience longtemps mise à l’épreuve et un désintéressement absolu. Dans l’expérimentation, nous nous trouvons en présence d’intelligences étrangères, de volontés qui, souvent, priment la nôtre et se soucient peu de nos exigences et de nos caprices. Elles lisent en nous, et il faut savoir gagner leur confiance et leur appui par de nobles intentions, par des mobiles généreux.

Cette protection, qui planait sur notre groupe et persista aussi longtemps que nous restâmes unis de pensée et de cœur, je l’ai retrouvée dans tout le cours de ma carrière de conférencier, et je suis heureux d’en rendre témoignage ici, en remerciant, d’une âme sincère et attendrie, ces nobles amis de l’espace, dont l’assistance m’a été si précieuse aux heures difficiles.

Plus d’une fois, au moment d’affronter un public sceptique, voire hostile, et de traiter, devant des salles combles, des sujets très controversés, je me suis trouvé dans les conditions physiques les plus défavorables. Et chaque fois aussi, à mon pressant appel, mes guides invisibles venaient me rendre les forces nécessaires à l’accomplissement de ma tâche.

On voit combien la protection d’un guide sérieux, puissant, éclairé, est nécessaire dans les séances. Lorsque le guide est insuffisant, les difficultés se multiplient et les mystifications abondent. Les Esprits légers se mêlent aux Esprits de notre famille, dont ils troublent les manifestations. Des intrus, d’une obscénité révoltante, se glissent parfois dans les réunions. Le professeur Falcomer, dans sa Phénoménographie[6], parle d’un cas où « à de pieuses manifestations succéda un langage impie, dicté par les coups du guéridon, et adressé à trois dames et une jeune fille. Ce langage était celui d’un être impudent et laid, et on ne peut le transcrire. La mère du professeur et les autres assistants en éprouvèrent un profond dégoût ».

L’action des Esprits malins et dégradés ne jette pas seulement le ridicule et le discrédit sur notre cause, en éloignant d’elle les personnes scrupuleuses et bien élevées ; elle pousse encore les médiums à la supercherie et ruine à la longue leur jugement et leur dignité. On commence par rire et s’amuser des réponses cyniques ou saugrenues de ces Esprits ; mais par cela même on les attire à soi, et ces visiteurs incommodes, à qui vous ouvrez ainsi votre porte, reviennent, s’attachent à vous et deviennent parfois de redoutables obsesseurs.

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Le spiritisme, considéré comme dangereux, par les uns, comme puéril et vulgaire par les autres, n’est guère connu de la masse que sous ses aspects inférieurs. Ce sont les phénomènes les plus matériels qui attirent de préférence l’attention et provoquent des jugements défavorables. Cet état de choses est dû aux théoriciens et vulgarisateurs qui, voyant dans le spiritisme une science purement expérimentale, négligent ou écartent par système, quelquefois avec dédain, les moyens d’entraînement et d’élévation mentale indispensables pour produire des manifestations vraiment imposantes. On ne tient pas assez compte des différences considérables existant entre l’état psychique vibratoire des expérimentateurs et celui des Esprits susceptibles de produire des phénomènes d’une grande portée, et on ne fait rien pour atténuer ces différences. De là, la pénurie des hautes manifestations comparées à l’abondance des faits vulgaires.

Il en résulte que de nombreux critiques, ne connaissant de la question que son côté terre à terre, nous accusent journellement d’édifier sur des faits mesquins une doctrine pleine d’ampleur. Plus familiarisés avec le côté transcendantal du spiritisme, ils reconnaîtraient que nous n’avons rien exagéré. Au contraire, nous sommes plutôt restés au-dessous de la vérité.

Quelles que soient les répugnances des théoriciens positivistes et « antimystiques », il faudra bien tenir compte des indications des hommes compétents, sans quoi on ferait du spiritisme une piètre science, pleine d’obscurités et de périls pour les chercheurs.

L’amour de la science ne suffit pas, a dit le professeur Falcomer ; il faut encore la science de l’amour. Dans les phénomènes, nous n’avons pas seulement affaire à des éléments physiques, mais à des agents spirituels, à des êtres moraux, qui, comme nous, pensent, aiment, souffrent. Dans les profondeurs invisibles, l’immense hiérarchie des âmes s’étage, des plus obscures, jusqu’aux plus radieuses. Il dépend de nous d’attirer les unes et d’écarter les autres.

Le seul moyen consiste à créer en nous, par nos pensées et nos actes, un foyer rayonnant de pureté et de lumière. Toute communion est une œuvre de la pensée. Celle-ci est l’essence même de la vie spirituelle ; c’est une force qui vibre avec une intensité croissante, à mesure que l’âme monte, de l’être inférieur à l’esprit pur et de l’esprit pur à Dieu.

Les vibrations de la pensée se propagent à travers l’espace et attirent à nous des pensées et des vibrations similaires. Si nous comprenions la nature et l’étendue de cette force, nous n’aurions que de hautes et nobles pensées. Mais l’homme s’ignore encore, comme il ignore les ressources immenses des facultés créatrices et fécondes qui sommeillent en lui et à l’aide desquelles il pourrait renouveler le monde.

Dans notre inconscience et dans notre faiblesse, le plus souvent, nous attirons à nous des êtres mauvais, dont les suggestions nous troublent. C’est ainsi que la communion spirituelle s’altère, s’obscurcit par le fait de notre infériorité ; des fluides empoisonnés se répandent sur la terre, et la lutte du bien et du mal se déroule dans le monde occulte comme dans le monde matériel.

L’attraction des pensées et des âmes, c’est toute la loi des manifestations psychiques. Tout est affinité et analogie dans l’invisible. Chercheurs, qui sondez le secret des ténèbres, élevez donc bien haut vos pensées, afin d’attirer à vous les génies inspirateurs, les forces du bien et du beau. Élevez-les, non seulement aux heures d’études et d’expériences, mais fréquemment, à toute heure du jour, comme un exercice salutaire et régénérateur. N’oubliez pas que ce sont ces pensées, qui, lentement, affinent et épurent notre être, agrandissent nos facultés, nous rendent aptes à ressentir les sensations délicates, source de nos félicités à venir.

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Le problème de la médiumnité est resté obscur et incompris pour la plupart des psychologues et des théologiens de notre époque. Le passé possédait sur ce point des lumières plus vives, et même, au moyen âge, quelques hommes, héritiers de la sagesse antique, ont vu juste dans la question. Au douzième siècle, Maïmonides, le savant rabbin juif de Cordoue, élève d’Averrhoès, s’inspirant des doctrines de la Kabbale, résumait en ces termes la loi de la médiumnité :

« L’Esprit plane sur l’humanité jusqu’à ce qu’il ait trouvé le lieu de sa demeure. Toute nature ne lui est pas bonne ; sa lumière n’est à l’aise que dans l’homme sage, sain, éclairé parmi ses semblables. Quiconque aspire aux honneurs du commerce sublime doit s’appliquer à perfectionner sa nature au dedans comme au dehors. Amant de la solitude, il y emporte les livres sacrés, prolonge ses méditations et ses veilles, remplit son âme de science et de vertu. Ses repas sont réglés ; ses mets, ses breuvages, choisis, afin que, dans son corps sain et sa chair renouvelée à point, il y ait un sang généreux. Alors, tout est prêt : le fort, le savant, le sage sera prophète ou voyant, dés que l’Esprit le rencontrera sur sa route[7]. »

L’homme a donc une préparation compliquée à subir et une règle de conduite à observer pour développer en lui le don précieux de la médiumnité. Il faut pour cela la culture simultanée de l’intelligence, de l’âme, du corps. Il faut la science, la méditation, le recueillement, le détachement des choses humaines. L’esprit inspirateur déteste le bruit : « Dieu n’habite pas dans le trouble, » dit l ’Écriture. Un proverbe arabe le répète : « Le bruit est aux hommes ; le silence est à Dieu. »

« Il faut se perfectionner au dedans et au dehors », dit le savant juif. En effet, les fréquentations vulgaires sont nuisibles à la médiumnité, en raison des fluides impurs qui se dégagent des personnes vicieuses et s’attachent aux nôtres pour les neutraliser. Il faut aussi veiller sur son corps : Mens sana in corpore sano. Les passions charnelles, attirent les Esprits de luxure ; le médium qui s’y livre avilit sa puissance et finit par la perdre. Rien n’affaiblit les hautes facultés comme de s’abandonner à l’amour sensuel ; il énerve le corps et trouble les sources limpides de l’inspiration. De même que le lac le plus pur et le plus profond, lorsqu’il est agité par la tempête, qui en remue le limon et le fait remonter à la surface, cesse de refléter l’azur du ciel et la splendeur des étoiles ; ainsi l’âme du médium, troublée par des mouvements impurs, devient impropre à reproduire les visions de l’Au-delà.

Il est, dans les profondeurs intimes, dans les replis ignorés de toute conscience, un point mystérieux par où chacun de nous confine à l’invisible, au divin. C’est ce point qu’il faut découvrir, agrandir, dilater ; c’est cette arrière conscience qui se réveille dans la trance, comme un monde assoupi, et livre le secret des vies antérieures de l’âme. C’est la grande loi de la psychologie spirite, unissant et conciliant, dans le phénomène médianimique, l’action de l’Esprit et la liberté de l’homme ; c’est le baiser mystérieux résultant de la fusion de deux mondes dans cet être fragile et fugitif que nous sommes ; c’est un des plus nobles privilèges, une des plus réelles grandeurs de notre nature.

La haute médiumnité entraîne de grands devoirs et des responsabilités étendues. « Il sera beaucoup demandé à ceux qui ont beaucoup reçu. » Les médiums sont de ceux-là. Leur part de certitude est plus grande que celle des autres hommes, puisqu’ils vivent par anticipation dans le domaine de l’invisible, auquel un lien de plus en plus étroit les attache. Un sage exercice de leurs facultés les élève vers les sphères lumineuses de l’Au-delà et y prépare leur place future. Au point de vue physique, cet exercice n’est pas moins salutaire. Le médium se baigne, se retrempe dans un océan d’effluves magnétiques, qui lui donnent force et puissance.

Par contre, il a d’impérieux devoirs à remplir et ne doit pas oublier que ses pouvoirs ne lui sont pas accordés pour lui-même, mais pour le bien de ses semblables et le service de la vérité. C’est une des plus nobles tâches qui puissent échoir à une âme en ce monde. Pour l’accomplir, le médium doit accepter toutes les épreuves, savoir pardonner toutes les offenses, oublier toutes les injures. Sa destinée sera pénible, peut-être, mais c’est la plus belle, car elle conduit vers les hauteurs de la spiritualité. Sur la longue route de l’histoire, la vie des plus grands médiums et prophètes lui donne l’exemple de l’abnégation et du sacrifice.

 

[1] TH. DAREI, la Folie (Leymarie, édit.), passim.

[2] ALLAN KARDEC, Livre des Médiums, pp. 307 à 326.

[3]Voir, dans Choses de l'autre monde, p. 139, le cas de Victor Hennequin, qui, s'obstinant à expérimenter seul et sans contrôle, perdit la raison. Il recevait, par la table, des communications de « l'âme de la terre » et se crut élevé au rang de « sous-dieu » de la planète. Mais peut-être n'y avait-il là qu'un phénomène d'autosuggestion inconsciente.

[4] Reproduit parle Spiritualisme moderne. Paris, avril 1903, p. 57.

[5]Voir chap. XIX, p. 303.

[6] Reproduit par la Revue spirite, 1902, p. 747.

[7] Dux dubitantium et director perplexorum (Le Guide des égarés). Trad, Münck, t. I, p. 328.

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