Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


XVII. PHENOMENES PHYSIQUES. LES TABLES.


Les phénomènes physiques se présentent sous les formes les plus variées. La force qui sert à les produire se prête à toutes les combinaisons ; elle pénètre tous les corps, traverse tous les obstacles, franchit toutes les distances. Sous l’action d’une puissante volonté, elle peut décomposer et recomposer la matière compacte. C’est ce que démontre le phénomène des apports ou transports de fleurs, fruits et autres objets à travers des murs, dans des chambres closes[1]. Zoellner, l’astronome allemand, observa la pénétration de la matière par une autre matière, sans qu’il fût possible de distinguer une solution de continuité dans l’un ou l’autre corps[2].

A l’aide de la force psychique, les entités agissant dans les manifestations parviennent à imiter les bruits les plus étranges.

W. Crookes, dans son ouvrage déjà cité, rend compte de ce genre de phénomènes[3] :

« Le nom populaire de raps (coups frappés) donne une idée très fausse de ces phénomènes. A différentes reprises, pendant mes expériences, j’ai entendu des coups délicats qu’on eût dits produits par la pointe d’une épingle ; une cascade de sons perçants comme ceux d’une machine à induction en plein mouvement; des détonations dans l’air ; de légers bruits métalliques aigus ; des sons qui ressemblaient à des grattements ; des gazouillements comme ceux d’un oiseau, etc. »

Le célèbre chimiste estime que ces coups, qu’il dit « avoir sentis sur ses propres épaules et sur ses mains », doivent être attribués, dans la plupart des cas, à des intelligences invisibles, puisque, au moyen de signaux convenus, on peut converser, pendant des heures entières, avec ces êtres (loc. cit., p. l47).

En présence du médium Home, un accordéon, enfermé dans une cage ou suspendu dans l’air, jouait seul de douces mélodies[4]. Le poids des corps augmentait ou diminuait à sa volonté. Une table devint alternativement lourde à ne pas pouvoir être soulevée, ou si légère qu’elle s’enlevait au moindre effort.

Home fut reçu par plusieurs souverains. L’empereur Alexandre II obtint, en sa présence, une manifestation peu ordinaire :

« En pleine lumière, une main d’Esprit ouvrit un médaillon qui se combinait avec un des boutons de l’uniforme porté par l’empereur et renfermait le portrait du czarévitch décédé ; une communication, dictée par petits coups frappés sur le bouton, vint ensuite démontrer au tsar que l’Esprit qui se manifestait était bien celui auquel il avait pensé[5]. »

Dans une séance mémorable, le 16 décembre 1868, à Ashley-house, à Londres, séance à laquelle assistaient lord Lindsay, lord Adare et le capitaine Wyne, son cousin, Home, entrancé, fut soulevé et projeté en dehors d’une fenêtre, suspendu au-dessus du sol de la rue, et rentra par une autre fenêtre.

Lord Lindsay fut appelé à témoigner de ce fait devant la Société de dialectique[6] :

« Nous voyions Home », dit-il, « flotter dans l’air en dehors de la fenêtre, à une distance de six pouces. Après être resté dans cette position pendant quelques secondes, il souleva l’autre fenêtre, glissa dans la chambre, les pieds en avant, et revint s’asseoir. Les deux fenêtres sont à soixante-dix pieds au-dessus du sol, éloignées l’une de l’autre de sept pieds six pouces. »

Ces phénomènes se produisaient en des demeures où Home n’avait jamais pénétré auparavant, et où il n’eût pu se livrer à aucun préparatif, ni recourir à des engins spéciaux.

Le 27 mai 1886, à Paris, le docteur Paul Gibier, préparateur au Muséum d’histoire naturelle, observe, en présence du médium Slade, un cas de lévitation d’une table, qui se soulève, se retourne et va toucher le plafond de ses quatre pieds « en moins de temps qu’il ne faut pour le dire[7] ».

Dans un but d’expérimentation psychique, on a vu, depuis lors, des savants illustres : Ch. Richet, Lombroso, A. de Rochas, Flammarion, etc., poser les mains sur ces tables tant ridiculisées, en compagnie d’Eusapia Paladino, le médium napolitain, et interroger le phénomène. De nombreuses photographies prises pendant ces séances montrent la table complètement détachée du sol, alors que le médium a les mains et les pieds tenus par les opérateurs.

Ces séances commencèrent à Naples, en 1891, à la suite d’un défi porté par le chevalier Chiaia au professeur Lombroso[8]. Elles se renouvelèrent à Milan, en 1892 ; puis à Naples, en 1893 ; à Rome et à Varsovie, en 1894 ; en 1895, chez M. Ch. Richet, au château de Carqueiranne et à l’île Roubaud, sur la côte de Provence ; en 1896, à l’Agnélas, chez le colonel de Rochas ; en 1897, à Montfort-l’Amaury, en présence de M. Flammarion ; en 1901, à Auteuil, où Sully-Prudhomme s’adjoignit aux expérimentateurs habituels[9].

D’autres séances eurent lieu au cercle Minerva, à Gênes, en 1901 ; elles ont eu un grand retentissement en Italie.

M. Vassallo, directeur du Secolo XIX, a réuni en un volume[10] les rapports de ces séances, qu’il a suivies avec une attention scrupuleuse. Le 5 avril 1902, il donnait sur le même sujet et sous le titre : la Médiumnité et la Théorie spirite, à l’Association de la presse, à Rome, une conférence présidée par l’ex-ministre Luzzati, président de l’Association, dont tous les journaux italiens ont rendu compte avec éloges. Nous résumons :

« 1re séance. En pleine lumière, la table de sapin brut, à quatre pieds, longue d’un mètre, se soulève, se détache du sol un grand nombre de fois et reste suspendue à dix centimètres au-dessus du carrelage, sans qu’aucune main humaine la touchât. Pendant ce temps, les mains d’Eusapia étaient tenues par ses voisins, qui contrôlaient également les pieds et les jambes, de façon qu’aucune partie de son corps ne pût exercer le moindre effort. »

« 2ème séance. Des coups violents, à briser la table, retentissent. Des mains apparaissent, dont on ressent les attouchements et les caresses, mains fortes et larges d’hommes, mains plus petites de femmes, menottes minuscules de bébés. Des lèvres invisibles se posent sur le front des assistants, et des baisers se font entendre. Des empreintes de mains invisibles sont obtenues dans la plastiline.

« 5e séance. Le médium, dont les mains sont toujours tenues, est soulevé avec sa chaise par une action occulte, sans heurts, sans secousses, par un mouvement lent, et suspendu en l’air, ses deux pieds et les pieds antérieurs de la chaise reposant sur la surface de la table, déjà détériorée par les chocs. Le poids soulevé est de 70 kilogrammes et nécessite une force considérable.

« Chose plus extraordinaire, de la surface de la table, Eusapia, avec sa chaise, est encore lévitée, de telle sorte que le professeur Porro, astronome, et une autre personne peuvent passer leurs mains sous ses pieds et ceux de la chaise, sans accord préalable et avec une parfaite concordance d’impressions.

« Le fait de se détacher de la table dénote, plus encore que celui de se détacher du sol, l’intervention d’une force extrinsèque au médium, intelligente, calculatrice, qui a su proportionner les actes aux résultats et éviter un accident toujours possible, étant donné le poids d’Eusapia, l’appui précaire d’une table à moitié brisée et le fait que deux pieds de la chaise se trouvaient suspendus dans le vide.

« 6e séance. Transport d’objets sans contacts : fleurs, anneaux, instruments de musique, ardoises, boussole et surtout d’un de ces dynamomètres qui servent à mesurer la force avec laquelle une main peut serrer un ressort ; quatre ou cinq fois, comme par un jeu, ce dynamomètre est enlevé à son propriétaire qui l’avait remis à zéro, puis rendu chaque fois avec des indications variant depuis un maximum correspondant à une force herculéenne jusqu’à un minimum pareil à. la force d’un petit enfant.

« Comment attribuer », dit le professeur Porro, « à un dégagement d’Eusapia un processus aussi compliqué d’actes volitifs et conscients, accompagnés d’une graduation aussi sage d’effets dynamiques ? Pourrait-elle simuler tour à tour diverses entités et développer en chaque cas une force à leur mesure ? »

Au cours des séances suivantes, des matérialisations se produisirent, dont nous parlerons au chapitre spécialement consacré à ce genre de manifestations.

Le docteur Ochorowicz, de Varsovie, a obtenu, en plein jour et souvent à volonté, avec le concours du médium Mlle Stanislawa Tomczyk, des déplacements sans contact d’objets matériels : crayons, aiguilles, tubes à expériences, etc. Il a pu les photographier suspendus dans le vide[11].

C’est par erreur que l’on a considéré le phénomène de la lévitation comme une violation des lois de la pesanteur. Il démontre simplement l’action d’une force et d’une intelligence invisibles. Le médium ne saurait trouver en lui seul le pouvoir de s’élever sans point d’appui et de rester suspendu. Il faut admettre nécessairement l’intervention d’une volonté étrangère, qui accumule la force fluidique en quantité suffisante pour contre-balancer le poids du  médium ou des objets lévités et les détacher du sol. Les fluides sont empruntés en partie au médium lui-même, qui, dans ce cas, joue le rôle de pile, puis aux autres personnes présentes et, s’il y a insuffisance, à d’autres Entités invisibles, qui prêtent leur concours à l’opérateur.

Il en est de même pour les raps ou coups frappés. Ces bruits sont produits par la condensation et la projection d’amas fluidiques sur des corps durs. Parfois ces amas sont lumineux. On lit, dans les notes de M. Livermore[12] :

« Une boule lumineuse du volume d’une orange, paraissant retenue par un point d’attache, rebondissait sur la table, et un coup résonnait chaque fois que la boule retombait sur le plateau de cette table. »

Tous ces phénomènes se rapportent, on le voit, aux lois physiques connues. Il suffit seulement d’étendre l’application de ces lois au monde invisible comme au monde visible ; dès lors tout s’explique et s’éclaire. Il n’y a, en tout ceci, rien de surnaturel. Le spiritisme est une science qui nous apprend à connaître la nature et l’action des forces occultes comme la mécanique nous fait connaître les lois du mouvement, et l’optique, celles de la lumière. Ses phénomènes viennent s’ajouter aux phénomènes connus, sans altérer ni détruire l’ordre imposant, qui les régit. Elle en élargit simplement le champ d’action, en même temps qu’elle nous fait pénétrer les ultimes profondeurs de la nature et de la vie.

«

« «

Les tables ne jouent pas seulement un rôle important dans les manifestations physiques spontanées. Elles ont aussi une part dans les phénomènes d’ordre intellectuel.

Les tables tournantes et parlantes ont suscité bien des critiques et des railleries ; mais, comme l’a dit Victor Hugo : « Cette raillerie est sans portée. » Si, laissant de côté le persiflage stérile et oiseux, nous considérons le fait en lui-même, que verrons-nous dans les manifestations de la table ? Presque toujours le mode d’action d’un être intelligent et conscient.

La table est un des meubles les plus faciles à déplacer. On le trouve partout, dans tous les appartements. C’est pourquoi il est utilisé de préférence. Ce qu’il faut voir avant tout dans ces faits, ce sont les résultats acquis, et non pas l’objet qui a servi à les produire. Lorsque nous lisons une belle page, ou que nous contemplons un tableau, songeons-nous à la plume qui l’a écrite, au pinceau qui l’a exécuté ? La table n’a pas plus d’importance ; elle n’est que l’instrument vulgaire transmettant la pensée des Esprits. Selon les manifestants, cette pensée sera tour à tour banale, grossière, spirituelle, malicieuse, poétique ou sublime. Les chercheurs, qui reçoivent, par ce moyen, des marques d’affection des êtres qu’ils ont aimés, oublient facilement l’insignifiance du procédé employé.

Certains mouvements de la table peuvent, il est vrai, être attribués à l’action de forces extériorisées par les assistants et transmises par leurs mains au meuble. Dans ces expériences, il faut toujours faire la part des mouvements involontaires des opérateurs, lorsqu’il s’agit de phénomènes physiques, et de la suggestion, lorsqu’il s’agit du fait intellectuel.

Cependant, dans la plupart des cas, ces deux causes sont insuffisantes pour expliquer les phénomènes. D’abord le contact des mains n’est pas toujours nécessaire pour provoquer les mouvements. Faraday, Babinet, Chevreul et d’autres savants, pour résoudre le problème, avaient adopté la théorie des mouvements musculaires inconscients. Mais voici que les tables s’agitèrent en dehors de tout contact humain. C’est ce qu’établirent les expériences de Robert Hare et de W. Crookes, qui contrôlèrent les mouvements du meuble au moyen d’appareils enregistreurs employés dans les laboratoires de physique.

Un rapport du Comité désigné par la Société dialectique de Londres, en 1869[13], vint confirmer leurs déductions. Il concluait ainsi[14] : 1° une force émanant des opérateurs peut agir sans contact ou possibilité de contact sur des objets matériels ; 2° elle est fréquemment dirigée avec intelligence.

Les expériences poursuivies, pendant plusieurs années, à Paris, rue de Beaune, n° 2, par Eugène Nus, le spirituel écrivain, auquel se joignirent le peintre Ch. Brunier, le compositeur Allyre Bureau, l’ingénieur Franchot, etc., sont parmi les plus célèbres. Nous les rappellerons succinctement[15].

On s’y sert d’abord d’une table à manger, lourde et massive, qui se lève sur deux pieds et reste immobile en équilibre. Une énergique pesée suffit à peine à la ramener à sa position normale.

On essaie ensuite avec un guéridon, qui, plus léger, gambade, se dresse sous les mains, imite le mouvement du berceau et le roulis de la vague. « Ce n’est plus une chose. C’est un être. Il n’a besoin, pour comprendre, ni de paroles, ni de gestes, ni de signes. Il suffit de vouloir, et, prompt comme la pensée, il va, vient, s’arrête, se dresse sur ses deux pieds et obéit. »

Il parle... à l’aide de coups frappés, dicte des sentences, des enseignements, des phrases délicates ou profondes. Par exemple : « La solitaire expérimentation est la source des erreurs, des hallucinations, des folies. Pour faire utilement des expériences, il faut être préoccupé de Dieu. Élevez vos âmes à Dieu pour être revivifiés contre les affaissements douteurs. »

On lui demande de parler anglais. Elle le fait d’une façon très poétique. Plusieurs expressions inconnues des assistants ne peuvent être traduites qu’à coups de dictionnaire.

Puis viennent les définitions en douze mots : « Je défie, dit Eug. Nus, toutes les Académies réunies, de formuler brusquement, instantanément, sans préparation, sans réflexion, des définitions circonscrites en douze mots, aussi nettes, aussi complètes et souvent aussi élégantes que celles improvisées par notre table. »

En voici quelques-unes :

Harmonie : L’équilibre par fait de l’ensemble et des parties entre elles.

Amour : Pivot des passions mortelles ; force attractive des sens ; élément de continuation.

Religion future : Idéal progressif pour dogme, arts pour culte, nature pour église.

« Parfois, ajoute l’écrivain, nouvelle preuve de la spontanéité du phénomène, nous refusions d’accepter une définition. La table recommençait immédiatement et nous dictait une autre phrase de douze mots, toute nouvelle.

« D’autres fois, nous arrêtions le phénomène pour chercher nous-mêmes la fin de la phrase et nous ne la trouvions jamais. Un exemple : la table nous donnait la définition de la foi : « La foi déifie ce que le sentiment révèle et...

« Et..., quoi ? dis-je tout à coup en arrêtant le guéridon pour l’empêcher d’achever sa dictée : plus que trois mots. Cherchons ! - Nous nous regardons, nous réfléchissons, et nous restons bouche béante. Enfin nous rendons à la table la liberté de ses mouvements, et elle achève tranquillement sa phrase : «... et la raison explique. »

« Quelque volonté que nous eussions de nous borner au rôle d’expérimentateurs, il ne nous était pas possible de rester indifférents aux affirmations de cet interlocuteur mystérieux, qui posait et imposait son étrange personnalité avec tant de netteté et d’indépendance, supérieur à tous tant que nous étions, au moins dans l’expression et la concentration des idées, et parfois nous ouvrant des aperçus dont chacun convenait de bonne foi n’avoir jamais eu l’intuition. »

La même table composa des mélodies. Félicien David en entendit l’exécution et en fut charmé. Il y avait entre autres : le Chant de la terre dans l’espace ; le Chant de la mer ; la Mélodie du vent ; le Chant de l’astre satellite lunaire ; le Chant de Saturne, de Jupiter de Vesta ; l’Adoration, etc.[16]

Des messages furent dictés par coups frappés, non plus sur le parquet, mais dans la table même. Puis ce fut le crayon de Ch. Brunier, devenu médium écrivain, qui interpréta la pensée de l’invisible visiteur. A une question posée par Eug. Nus : Qu’est-ce que le devoir ? il répondait : « Le devoir est l’accomplissement librement voulu de la destinée de l’être intelligent. Le devoir est proportionnel au degré de l’être, dans la grande hiérarchie divine nécessaire. Je dis ce mot nécessaire, parce que, toujours, la nécessité implique Dieu. »

« Une comparaison pour définir la prière : « Supposons un être représenté par un cercle. Cet être a une vie interne et une vie externe. Sa vie externe ou rayonnante, ou expansion divine, part du point qui est au centre et dépasse le cercle qui correspond au fini pour aller dans l’infini. C’est donc l’élévation dans la vie. » En religion actuelle, cela s’appelle, au point de vue de la prière, simple élévation à Dieu. Sondez ces trois mots et vous pourrez conclure avec la science. »

Le mystérieux interlocuteur d’Eug. Nus ne s’est pas fait connaître[17]. Mais, en d’autres cas, des personnalités invisibles absolument inconnues des expérimentateurs, se sont affirmées par la table, et leur identité a pu être établie d’une manière précise.

C’est, entre autres, le cas d’Anastasie Pérélyguine, décédée à l’hôpital de Tambov (Russie) en novembre 1887, et qui se manifesta spontanément par la table le lendemain de sa mort, dans la maison de M. Nartzeff, à un groupe de personnes, dont aucune ne connaissait son existence[18].

Puis c’est Abraham Florentine, soldat de la milice américaine, mort le 5 août 1874 à Broocklyn (États-Unis), qui se communique à Shanklyn, île de Wight (Angleterre), le même mois, indiquant, d’une façon très nette, son âge, son adresse, avec force détails sur sa vie passée. Il résulte d’une minutieuse enquête que tous ces détails étaient exacts[19].

Les preuves d’identité obtenues au moyen de la table sont nombreuses, mais beaucoup sont perdues pour la publicité et pour la science, par suite du caractère d’intimité qui s’attache à ces manifestations. Bien des âmes sensibles redoutent de livrer à la curiosité publique le secret de leurs attachements et de leurs douleurs.

Le docteur Chazarain a fait part de deux communications de cet ordre au Congrès de Paris de 1900, dans les termes suivants[20] :

« Pendant dix ans, dans un groupe familial que je présidais et dont le médium (ma fille Jeanne) n’avait que treize ans lorsque nos séances commencèrent, nous avons communiqué de la manière la plus heureuse avec nos amis de l’Au-delà, car ils nous ont donné, sur la vie de l’espace, des instructions d’un mérite qu’on rencontre rarement.

« La première communication, du 16 mai 1888, répondait à la grande douleur que m’avait causée la mort de mes deux meilleurs amis, décédés deux mois auparavant, à quelques jours d’intervalle l’un de l’autre. La voici :

« Voudriez-vous entendre le concert joyeux qui se produit là-haut, lorsqu’une âme chère et attendue fait sa rentrée dans le monde des Esprits ? Désireriez-vous contempler, le spectacle du bonheur du revoir ?

« Oh ! nous qui avons éprouvé ces joies, nous voudrions pouvoir vous les faire partager. Mais hélas ! pourquoi faut-il que trop souvent notre bonheur soit troublé par vos tristesses ? Lorsque l’un de vous est mûr pour le pays des âmes, il lui faut s’élever au-dessus des souffrances terrestres et briser tous les liens qui l’attachent à la terre. Rien ne saurait le retenir ni l’enchaîner plus longtemps ; semblable au prisonnier, à qui la liberté est rendue, il s’envole vers les horizons nouveaux qui lui sont ouverts. Oh ! ne pleurez pas trop sur vos chers envolés, car, après avoir connu les amertumes de la séparation, vous connaîtrez aussi les douceurs du revoir. »

Les tables furent consultées par de hautes intelligences. Mme E. de Girardin, grâce à elles, conversait avec des Esprits de choix. Auguste Vacquerie, dans les Miettes de l’Histoire, raconte qu’à Jersey elle initia à ces pratiques toute la famille de Victor Hugo. Nous lui empruntons ce récit émouvant :

« Un soir, la table épela le nom d’une morte vivante dans tous ceux qui étaient là... Ici la défiance renonçait : personne n’aurait eu le cœur ou le front de se faire, devant nous, un tréteau de cette tombe. Une mystification était déjà bien difficile à admettre, mais une infamie ! Le soupçon se serait méprisé lui-même. Le frère questionna la sœur qui sortait de la mort pour consoler l’exil ; la, mère pleurait ; une inexprimable émotion étreignait toutes les poitrines ; je sentais distinctement la présence de celle qu’avait arrachée le dur coup de vent. Où était-elle? Nous aimait-elle toujours ? Était-elle heureuse ? Elle répondait à toutes les questions ou répondait qu’il lui était interdit de répondre. La nuit s’écoulait, et nous restions là, l’âme clouée sur l’invisible apparition. Enfin elle nous, dit : « Adieu ! » et la table ne bougea plus. »

Après le départ de Mme de Girardin, le grand exilé continua ces entretiens mystérieux et les consigna en plusieurs cahiers, que M. Camille Flammarion a pu compulser, et dont il a publié des fragments dans les Annales politiques et littéraires du 7 mai 1899. Il y est dit ceci :

« Mme Victor Hugo[21] et son fils François étaient presque toujours à la table. Vacquerie et quelques autres ne s’en approchaient qu’alternativement, Hugo jamais. Il remplissait le rôle de secrétaire, écrivant, à l’écart, sur des feuillets, les dictées de la table. Celle-ci, consultée, annonçait, généralement la présence de poètes, d’auteurs dramatiques et autres personnages célèbres, tels que Molière, Shakespeare, Galilée, etc. Mais la plupart du temps, lorsqu’on les interrogeait, à la place du nom qu’on attendait, la table frappait celui d’un être imaginaire, par exemple celui-ci qui revient, souvent : l’Ombre du sépulcre.

« Un jour, les Esprits demandèrent qu’on les interrogeât en vers. Victor Hugo déclara qu’il ne savait pas improviser de la sorte, et demanda de remettre la séance. Le lendemain, Molière ayant dicté son nom, l’auteur de la Légende des Siècles prononce les vers suivants :

Victor Hugo à Molière.

Toi qui du vieux Shakespeare as ramassé le ceste,

Toi qui, près d’Othello, sculpta le sombre Alceste,

Astre qui resplendis sur un double horizon,

Poète au Louvre, archange au ciel, ô grand Molière !

Ta visite splendide honore ma maison.

Me tendras-tu là-haut ta main hospitalière ?

Que la fosse pour moi s’ouvre dans le gazon,

Je vois sans peur la tombe aux ombres éternelles,

Car je sais que le corps y trouve une prison,

Mais que l’âme y trouve des ailes !

« On attend. Molière ne répond pas. C’est encore l’Ombre du sépulcre, et, vraiment, nul ne peut lire cette réponse sans être frappé de son ironique grandeur :

L’Ombre du sépulcre à Victor Hugo.

Esprit qui veux savoir le secret des ténèbres,

Et qui, tenant en main le terrestre flambeau,

Viens, furtif, à tâtons, dans nos ombres funèbres

Crocheter l’immense tombeau !

Rentre dans ton silence et souffle tes chandelles !

Rentre dans cette nuit dont quelquefois tu sors.

L’œil vivant ne lit pas les choses éternelles

Par-dessus l’épaule des morts !

« La leçon était dure. Indigné de la conduite des Esprits, Victor Hugo jeta son cahier et quitta la salle. »

« Les communications dictées par la table de Jersey », conclut M. Flammarion, « sont d’une grande élévation de pensée et d’une langue superbe. L’auteur des Contemplations a toujours cru qu’il y avait là un être extérieur, indépendant de lui, parfois même hostile, discutant avec lui et le rivant à sa place. Et pourtant, en parcourant ces trois cahiers, on ne peut se défendre de l’idée que c’est là du Victor Hugo, parfois même du Victor Hugo sublime.

« Loin de moi la pensée d’accuser un seul instant, ni V. Hugo, ni Vacquerie, ni aucun des assistants d’avoir triché, d’avoir consciemment créé des phrases pour les reproduire par le mouvement de la table. A cet égard, pas de discussion. Il ne reste donc que deux hypothèses : ou une action inconsciente de l’esprit de V. Hugo, d’un ou de plusieurs assistants ; ou la présence d’un Esprit indépendant. »

Nous ne saurions partager l’hésitation de M. Flammarion devant ce problème. Les vers de l’Ombre du sépulcre ne sont pas l’œuvre de Victor Hugo, puisqu’il déclare à l’avance « ne pas savoir improviser », et qu’il s’irrite de la réponse hautaine et spontanée de l’Esprit. S’il n’est pas admissible qu’il ait voulu s’infliger une leçon à lui-même, le respect dont il était l’objet permet encore moins d’attribuer, cette pensée aux personnes de son entourage. D’ailleurs, on nous le dit, il n’était jamais à la table. Quant au langage, n’oublions pas que les Esprits n’en font pas usage entre eux, mais communiquent simplement par la pensée. Ils n’emploient le langage articulé que par rapport à nous et toujours dans la forme qui nous est habituelle. Quoi d’étonnant à ce qu’un Esprit d’une grande élévation, comme paraît être l’interlocuteur de Victor Hugo, ait voulu parler au poète dans son propre langage ? Tout autre style eût été au-dessous des circonstances et du milieu.

«

« «

Les phénomènes de la table ont amené des adhésions nombreuses au spiritisme. La table qui se dresse et bondit, avec ou sans contact, et dicte des mots imprévus, impressionne les sceptiques, ébranle les incrédules. Mais les convictions ne se fixent et ne se consolident que lorsque le phénomène revêt un caractère intelligent et fournit des preuves d’identité. Sans cela, l’impression première se dissipe vite, et on arrive à expliquer le fait par une tout autre cause que l’intervention des Esprits.

Les faits purement physiques sont impuissants à faire des convictions durables. Le professeur Charles Richet le reconnaît lui-même. Il a vu, à Milan, à Rome, à Paris, des manifestations très significatives ; il a signé des procès-verbaux concluants ; mais peu après, par la force de l’habitude, il retombe dans ses hésitations d’antan.

« Notre conviction », dit-il dans son discours prononcé, en 1899, à la Société anglaise des recherches psychiques[22], « celle des hommes qui ont vu, devrait servir à convaincre les autres ; mais, au contraire, c’est la conviction négative de ceux qui n’ont rien vu et ne devraient rien dire, qui affaiblit et arrive à détruire la nôtre. »

Nous venons de voir, dans les cas cités, que la table peut devenir l’instrument d’Esprits éminents. Ces cas sont assez rares. Le plus souvent, ce sont des âmes de faible intelligence qui se manifestent par ce procédé. Leurs communications sont généralement banales ou même grossières et sans valeur. Plus l’Esprit est inférieur, plus il lui est facile d’agir sur les objets matériels. Les Esprits avancés ne se servent de la table qu’exceptionnellement et à défaut d’un autre moyen. Le contact et la manipulation des fluides nécessaires aux manifestations de ce genre impose un certain malaise aux Esprits de nature subtile et délicate ; mais, bien souvent aussi, leur affection, leur sollicitude pour nous leur fait surmonter bien des difficultés.

Les manifestations de la table ne sont que le vestibule du spiritisme, un acheminement vers des phénomènes plus nobles et plus instructifs. Ne vous attardez pas aux expériences physiques ; mais, lorsque vous en aurez retiré ce qu’elles peuvent vous procurer de certitude, cherchez des modes de communication plus parfaits, susceptibles de vous conduire à la véritable connaissance de l’être et de ses destinées.

 

[1] RUSSEL WALLACE, le Moderne Spiritualisme, p. 226 ; W. CROOKES, Recherches sur le Spiritualisme, pp. 164 et 167.

[2] EUGÈNE NUS, Choses de l'autre monde, pp. 362, 393 ; ZOELLNER, Wissenschaftliche Abhandlungen.

[3] Pages 145, 146, 147.

[4] LOUIS GARDY, le Médium D. Home, p. 41.

[5] Life and Mission, p. 363. Traduit par L. GARDY, le Médium Home, p. 39.

[6] Voir Quarterly Journal of Science, janvier 1874, et W. CROOKES, loc. cit., P. 151.

[7] Docteur PAUL GIBIER, Spiritisme ou Fakirisme occidental, p. 326.

[8] Voir Après la mort, p. 206. Le professeur Lombroso, dans le procès-verbal, constate « qu'un buffet s'avançait seul au milieu de la salle comme un pachyderme ».

[9] Voir Revue des Études psychiques, janvier 1902, p . 13.

[10] VASSALLO, Nel Mondo degl' Invisibili. Rome, Voghera, édit.

[11]Voir Annales des Sciences psychiques, 1910, toute l'année.

[12] R. DALE OWEN, Territoire contesté, 25, séance.

[13] Voir W. CROOKES, loc. cit., pp. 149,150.

[14]Voir le rapport in extenso : EUGENE NUS, Choses de l'autre monde, p. 234.

[15] Voir EUGENE NUS, Choses de l'autre monde, pp. 2 à 218.

[16]Voir EUGENE NUS, Choses de l'autre monde, pp. 92 à 103.

[17] Certains critiques ont cru pouvoir expliquer les manifestations de la rue de Beaune par la théorie de l'inconscient ou subliminal des expérimentateurs. Si quelques-uns des phénomènes obtenus paraissent justifier cette explication, l'ensemble des faits y échappe absolument. Il y a contradiction fréquente entre les vues, les opinions, les connaissances du manifestant et celles des opérateurs.

[18]Voir AKSAKOF, Animisme et Spiritisme, pp. 437 à 440, la reproduction des procès-verbaux et de toutes les pièces se rapportant à ces deux cas d'identité. Voir aussi le cas de Louis Constant, cité par EUGENE NUS, dans son ouvrage, A la Recherche des destinées, p. 224.

[19] Voir AKSAKOF, Animisme et Spiritisme, pp. 437 à 440, la reproduction des procès-verbaux et de toutes les pièces se rapportant à ces deux cas d'identité.

[20]Voir Compte rendu du Congrès spirite et spiritualiste de 1900, pp. 104 à 109. On trouvera aussi, pp. 110, 120, 121, quatre cas d'identité obtenus par la table.

[21]Reproduit par le Journal du 20 juillet 1899.

[22] Revue scientifique et morale du Spiritisme, 1900, p. 517.

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