Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


XI. APPLICATION MORALE ET FRUITS DU SPIRITISME.


En terminant la première partie de cet ouvrage, il ne sera pas inutile de rechercher quelles ont été les conséquences du phénomène spirite sur l’état d’esprit de notre époque.

A première vue, les résultats ne paraîtront pas très considérables. Ne faut-il pas l’action du temps, la lente incubation des siècles, pour qu’une idée produise tous ses fruits ?

Et cependant, en considérant les choses de près, on reconnaîtra bien vite, que le spiritisme a déjà exercé une influence énorme sur l’état d’esprit de nos contemporains. Non seulement il a ouvert à la science tout un domaine inconnu ; il l’a forcée de constater la réalité de faits : suggestion, extériorisation, télépathie, qu’elle avait longtemps nié ou rejeté ; mais, encore, il a tourné les pensées vers l’Au-delà ; il a réveillé dans les consciences brumeuses et endormies de notre temps le sentiment de l’immortalité ; il a, rendu plus vivante, plus réelle, plus tangible, la croyance à la survivance des disparus. Là où il n’y avait que des espérances et des croyances, il a apporté des certitudes.

Sous l’écorce du phénomène, toute une révélation se cachait. Une doctrine est née de la communion des âmes. Et, par elle, le problème de la Destinée, tourment éternel de l’humanité, a revêtu un aspect nouveau. Avec les éléments d’une solution définitive, elle lui apporte, des moyens de vérification et de contrôle, qui avaient complètement manqué jusqu’ici.

Les révélations d’outre-tombe concordent sur un point capital. Par delà la mort, comme dans le vaste enchaînement de nos existences, tout est réglé par une suprême loi. La destinée, heureuse, ou malheureuse est la conséquence de nos actes. L’âme crée elle-même son avenir. Par ses propres efforts, elle se dégage des basses matérialités, progresse et s’élève vers la lumière divine, s’unissant toujours, plus étroitement aux sociétés radieuses de l’espace et participant par une collaboration grandissante à l’œuvre universelle.

Le spiritisme présente cet avantage inappréciable de satisfaire à la fois la raison et le sentiment. Jusqu’ici, ces deux puissances de l’âme ont été en lutte, en perpétuel conflit. De là, une cause profonde de souffrance et de désordre pour les sociétés humaines. La religion, en, faisant appel au sentiment et en écartant la raison, tombait souvent dans le fanatisme, dans l’égarement. La science, en procédant dans le sens contraire, restait, sèche et froide, impuissante à régir les mœurs.

Quelle ne sera pas la supériorité d’une doctrine qui vient rétablir l’équilibre et l’harmonie, entre ces deux forces, les unir, leur imprimer une impulsion commune vers le bien ? Il y a, là, on le comprendra, le principe d’une immense révolution. Par cette conciliation du sentiment et de la raison, le spiritisme devient la religion scientifique de l’avenir. L’homme, affranchi des dogmes qui contraignent et des infaillibilités qui oppriment, recouvre son indépendance et l’usage de ses facultés. Il examine, juge librement et n’accepte que ce qui lui paraît bon.

Le spiritisme élargit la notion de fraternité. Il établit par des faits qu’elle n’est pas seulement un pur concept, mais une loi fondamentale de la nature, loi dont l’action s’exerce sur tous les plans de l’évolution humaine, aussi bien au point de vue physique que spirituel, dans le visible comme dans l’invisible. Par leur origine, par les fins qui leur sont assignées, toutes les âmes sont sœurs.

Ainsi, cette fraternité, que les messies ont proclamée à toutes les grandes époques de l’histoire, trouve dans l’enseignement des Esprits une base nouvelle et une sanction. Ce n’est plus la froide et banale affirmation inscrite au fronton de nos monuments ; c’est la fraternité vivante des âmes, qui, ensemble, émergent des obscurités de l’abîme et gravissent le calvaire des existences douloureuses ; c’est l’initiation commune par la souffrance ; c’est la réunion finale dans la lumière.

Avec le spiritisme, cœur et raison, tout a sa part. Le cercle des affections s’étend. Nous nous sentons mieux soutenus dans l’épreuve, car ceux qui nous aimaient durant la vie, nous aiment encore par delà la tombe et nous aident à porter le fardeau des terrestres misères. Nous ne sommes séparés d’eux qu’en apparence. En réalité, les humains et les invisibles cheminent souvent côte à côte à travers les joies et les larmes, les succès et les revers. L’amour de nos bien-aimés nous enveloppe, nous console, nous réchauffe. Les terreurs de la mort ont cessé de peser sur nous.

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Le spiritisme, sagement pratiqué, n’est pas seulement une source d’enseignement ; c’est aussi un moyen d’entraînement moral. Les avis, les conseils des Esprits, leurs descriptions de la vie de l’Au-delà influent sur nos pensées et sur nos actes ; ils amènent une lente modification de notre caractère et de notre manière de vivre.

Rien n’est plus impressionnant que d’entendre, au cours des séances d’évocations, le récit, l’aveu des angoisses éprouvées par l’Esprit qui a mal employé sa vie terrestre ; de l’égoïste, qui ne trouve que l’indifférence et le vide autour de lui ; de l’envieux, qui est plongé dans une sorte de nuit produite par l’accumulation de ses mauvaises pensées, de ses propos méchants.

Parmi de nombreux faits, nous citerons celui-ci, qui s’est produit dans notre groupe d’études : l’esprit d’une ancienne marchande de légumes d’Amiens aimait à nous rappeler son anxiété et son trouble lorsque, après décès, elle se trouva au milieu d’épaisses ténèbres, effet des médisances et des disputes auxquelles elle s’était livrée fréquemment. Longue et pénible fut son attente. Enfin, après des années d’incertitude, de morne isolement, elle entendit des voix : « Prie, Sophie ; prie et repens-toi », lui disait-on, Sophie pria. Et sa prière fervente, comme une pâle lueur, éclairait la nuit fluidique qui l’enveloppait. Suivant son expression, « le noir devenait gris », d’un gris qui allait s’atténuant de plus en plus, jusqu’à ce qu’elle eût recouvré la liberté relative des Esprits peu avancés.

N’y a-t-il pas là un exemple à retenir ? Remarquons surtout que la descente de l’Esprit dans le mal entraîne fatalement une diminution proportionnelle de liberté. Les pensées et les actes créent autour de l’âme coupable une sombre atmosphère fluidique, qui se condense, se resserre peu à peu et l’enferme comme dans une prison.

Nous voyons sur terre une application de cette loi d’équilibre moral et de justice dans les infirmités cruelles, la privation des sens, les paralysies prolongées, qui, souvent, sont les conséquences du passé, la répercussion lointaine des fautes commises.

Revenons à Sophie. Durant cinq années, cet Esprit a participé à nos travaux et, quoique peu avancé, ses communications et ses jugements n’étaient pas dénués d’intérêt. Longtemps à l’avance, elle nous annonça sa réincarnation dans la ville qu’elle avait déjà habitée. Aujourd’hui, elle a repris un corps terrestre, elle est devenue le premier enfant de pauvres artisans, l’aînée de toute une suite de petits êtres dont elle a prédit la venue, se préparant ainsi une existence obscure et laborieuse, qui facilitera son avancement et dont les vicissitudes seront tempérées par la possession d’une belle faculté médianimique.

Bien souvent, au cours de nos séances, des orgueilleux venaient nous exprimer leur dépit, leur humiliation de se retrouver, dans l’espace, au-dessous, de ceux qu’ils avaient méprisés. Des avares se désolaient de la dispersion de leurs biens. Des sensuels regrettaient amèrement d’être privés de tout ce qui les avait charmés ici-bas.

Des suicidés nous exposaient leurs tourments. Ils éprouvaient depuis bien longtemps la sensation, du genre de mort qu’ils avaient choisi. L’un d’eux entendait la détonation continuelle d’un coup de pistolet. Un autre subissait les affres de l’asphyxie. Tous étaient plongés, dans un abattement profond. Ils comprenaient tardivement que l’épreuve qu’ils avaient cru éviter, c’était la réparation due, le rachat du passé, et qu’il faudrait l’affronter de nouveau, dans des conditions plus dures, par le retour dans la chair.

Plus désolée encore est la condition de ceux qui ont entaché leur existence de meurtres, de spoliations, qui ont fait de la vie, des biens, de l’honneur, de la dignité des autres, le marchepied de leur gloire passagère et de leur fortune. Ils se retrouvent sans cesse en présence de ce tableau accusateur, avec la perspective de la répercussion des actes sur les vies à venir et les nombreuses existences d’effacement et de douleur qu’il faudra subir pour les réparer.

Mais, au-dessus de ces plaintes, de ces aveux troublants, à l’issue de chaque séance, s’élevait la voix de Jérôme, notre guide, qui dégageait les conséquences de ces révélations, faisait ressortir, les grandes lois de la destinée, et montrait les voies du repentir et de la réparation ouvertes à tous. Tous, après les fautes et les chutes, retrouveront, par l’épreuve et le travail, la paix de la conscience et la réhabilitation.

Ces enseignements, ces descriptions des récompenses ou des peines exercent à la longue une influence sensible sur l’état d’esprit des expérimentateurs. Ils les amènent à considérer la vie et ses responsabilités sous un aspect plus grave, à soumettre plus étroitement leurs actes à la règle austère du devoir.

Souvent ce sont nos proches : un père, une mère, un frère aîné, qui viennent de l’Au-delà nous guider, nous consoler, appeler notre attention sur les imperfections de notre nature, nous faire sentir la nécessité de nous réformer. A côté des exhortations touchantes de ceux qui nous furent chers, ils paraissent bien froids, les enseignements de la sagesse humaine !

Notre groupe était placé sous la protection de deux Esprits élevés, l’un Jérôme, notre guide habituel, dont j’ai parlé plus haut ; l’autre, Esprit féminin, dont la personnalité se dissimulait sous un vague pseudonyme, l’ « Esprit bleu[1] », était doué d’une pénétration merveilleuse. Il lisait au fond des cœurs, en scrutait les replis les plus cachés et, avec un tact parfait, d’une voix douce et pénétrante, par le médium entrancé, il nous apprenait à nous mieux connaître et nous indiquait les moyens de nous perfectionner.

Chaque membre du groupe était, à tour de rôle, au cours des séances, l’objet de son attention, de sa sollicitude et recevait ses conseils maternels. Quand l’ « Esprit bleu » s’incorporait, nous le reconnaissions aux premiers mots prononcés, aux suaves inflexions de sa voix ; nous attendions ses paroles et ses jugements avec une réelle avidité. Son départ nous laissait sous une impression profonde, comme si une âme angélique eût plané sur nous et nous eût pénétrés de ses effluves. Cette action éducatrice et moralisatrice dura des années, et ses résultats furent sensibles.

Il faut remarquer que la plupart des hommes sont inconscients de leurs défauts. Ils s’ignorent eux-mêmes et accumulent fautes sur fautes sans s’en apercevoir. A ce point de vue, les indications de nos guides spirituels sont précieuses. Celles de l’Esprit bleu amenèrent, chez la plupart d’entre nous, de sérieuses modifications, et je puis dire que j’en bénéficiai moi-même largement.

Comme tant d’autres de mes semblables, certains côtés fâcheux de mon caractère m’avaient échappé. Parfois, la force de la pensée jaillissait, chez moi, en brusques sorties, en jets rapides, en expressions vives, exagérées, qui me causèrent beaucoup d’ennuis. Mes guides attirèrent sur ce point mon attention, et, par leurs conseils, ils m’apprirent à me dominer, à imposer silence aux fougueux élans de ma nature.

C’est ainsi que, par la pratique du spiritisme et les instructions des Esprits élevés, l’homme peut acquérir cette science précieuse de la vie : la maîtrise des émotions et des sensations, la domination de soi-même, cet art profond de s’observer, puis de commander aux sourdes impulsions de son être.

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Le nouveau spiritualisme relie déjà entre eux des adeptes de tous rangs et de tous pays ; il reliera un jour toutes les religions, toutes les sociétés humaines.

Jusqu’ici, la diversité des races et des croyances a été un élément essentiel du développement de l’humanité. Les divergences et les oppositions étaient nécessaires pour créer la magnifique variété des formes et des groupements. Chaque homme, comme chaque peuple, a dû s’isoler tout d’abord pour devenir lui-même, pour constituer son moi distinct, pour acquérir son autonomie libre et consciente. Dans la succession des temps, le principe d’individualité, en ses applications, devait précéder la vie collective et solidaire, sans quoi tous les éléments vitaux se seraient confondus, neutralisés.

Peu à peu, le cercle de la vie collective s’est élargi ; des groupements se sont constitués qui sont entrés en conflit. Les guerres se sont succédées. C’est à travers des luttes perpétuelles, luttes des races, des religions et des idées, que se poursuit la marche douloureuse et que s’éveille la conscience de l’humanité.

Chaque religion, chaque société, chaque nation, apporte son contingent d’idées ; elle donne naissance à des formes spéciales, à des manifestations particulières de l’art et de la pensée. Dans le grand concert de l’histoire, chaque peuple fournit sa note personnelle, l’appoint de son génie. De la lutte, de la concurrence vitale est née l’émulation ; des œuvres fortes sont sorties des chocs et des conflits.

Et maintenant une grande idée s’ébauche. Lentement, de la pénombre des siècles, se dégage une autre conception de la vie universelle. A travers la confusion apparente, parmi le chaos des événements, d’autres formes sociales et religieuses s’élaborent. De l’état de diversité, et de séparation, on s’achemine vers la solidarité, vers l’harmonie.

En dépit des passions et des haines, peu à peu les barrières s’abaissent entre les peuples ; les rapports se multiplient en devenant plus faciles ; les idées s’échangent, les civilisations se pénètrent et se fécondent. La notion d’humanité s’édifie ; on parle, on rêve de paix, de langue, de religion universelles.

Mais, pour satisfaire ces aspirations encore vagues, pour transformer le rêve en réalité, pour faire des croyances diverses une foi commune, il fallait qu’une révélation puissante vint illuminer les intelligences, rapprocher les cœurs, faire converger toutes les forces vives de l’âme humaine vers un même but, vers une même conception de la vie et de la destinée.

Le nouveau spiritualisme, appuyé sur la science, nous apporte cette conception, cette révélation, en laquelle fusionnent et revivent, sous des formes plus simples et plus hautes, les grandes conceptions du passé, les enseignements, des messies envoyés par le ciel à la terre. Et ce sera là un nouvel élément de vie et de régénération pour toutes les religions du globe.

Toute croyance doit être appuyée sur des faits. C’est aux manifestations des âmes affranchies de la chair, et non à des textes obscurs et vieillis, qu’il faut demander le secret des lois qui régissent la vie future et l’ascension des êtres.

Les religions de l’avenir auront pour base la communion des vivants et des morts, l’enseignement mutuel de deux humanités. Malgré les difficultés que présente encore la communication avec l’invisible - et il est probable qu’elles s’aplaniront avec l’expérience des temps - on peut voir dès maintenant qu’il y a là une base autrement large que toutes celles où s’appuie l’idée religieuse. Ce sera un des plus grands mérites du spiritisme de l’avoir procurée au monde. Par là, il aura préparé, facilité l’unité religieuse et morale. La solidarité qui unit les vivants de la terre à ceux du ciel s’étendra peu à peu à tous les habitants de notre globe, et tous communieront, un jour, dans une même croyance, dans un même idéal réalisé.

L’âme humaine apprendra à se connaître dans sa nature immortelle, dans son avenir sans fin. Esprits de passage sur cette terre, nous comprendrons que notre destinée est de vivre et de progresser sans cesse, à travers l’infini des espaces et des temps, pour nous initier toujours davantage aux merveilles de l’univers, pour coopérer toujours plus étroitement à l’œuvre divine.

Pénétrés de ces vues, nous saurons nous détacher des choses matérielles et porter bien haut nos aspirations. Nous nous sentirons reliés à nos compagnons de route dans le grand voyage éternel, reliés à toutes les âmes par la chaîne d’attraction et d’amour qui se rattache à Dieu et nous maintient tous dans l’unité de la vie universelle.

Dès lors, plus de préjugés étroits, plus de rivalités mesquines. Toutes les réformes, toutes les œuvres de solidarité recevront une vigoureuse impulsion. Au-dessus des petites patries terrestres, nous verrons se déployer la grande patrie commune : le ciel sans limites.

De là, les Esprits supérieurs nous tendent les bras. Nous montons tous, à travers les épreuves et les larmes, depuis les régions obscures jusqu’à la lumière divine. La voie de la miséricorde et du pardon est toujours ouverte aux coupables. Les plus déchus peuvent se relever par le travail et le repentir, car Dieu est justice, Dieu est amour !

Ainsi la révélation des Esprits dissipe les brumes de haine, les incertitudes et les erreurs qui nous enveloppent. Elle fait luire sur le monde le grand soleil de la bonté, de la concorde, de la vérité !...

 

[1] Nous le nommions ainsi parce que nos médiums le voyaient revêtu d'un voile bleu.

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