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DEUXIEME PARTIE
L'évolution universelle
Chapitre I
Le passage de l’inconscient au conscient dans l’univers
Si l'évolution, considérée dans son ensemble,
constitue aujourd'hui l’une des grandes hypothèses scientifiques
les mieux établies, elle présente encore néanmoins, dans
sa systématisation et dans sa philosophie, de sérieuses difficultés.
Le principe même de l'évolutionnisme, basé sur les preuves
capitales tirées des sciences naturelles, défie toute réfutation
tentée de bonne foi.
Par contre il est, dans la doctrine transformiste, telle qu'elle a été
enseignée jusqu'à présent, des points faibles, de graves
lacunes sur lesquelles spéculent ses adversaires. Ne pouvant plus ou
n'osant plus attaquer l'évolutionnisme de front, ils gardent ainsi l'espoir
d'en venir à bout par des voies détournées.
Il ne serait donc pas seulement puéril, il serait dangereux, au point
de vue philosophique, de nier ou de dissimuler ces points faibles ou ces lacunes.
Il importe, au contraire, en les mettant en pleine lumière, de chercher
leur raison d'être et leur explication.
Les objections faites à l'évolutionnisme ne sont pas, je le répète,
des objections de principe. Elles ne visent pas le fait même de révolution.
Elles sont néanmoins redoutables, parce qu'elles ébranlent les
deux piliers sur lesquels on avait basé le transformisme, c'est-à-dire
ses notions classiques de causalité et de modalité.
C'est tout le mécanisme de l'évolution qui se trouve être
maintenant sujet à révision. Ce mécanisme, on le sait,
relevait de deux grandes hypothèses : l'hypothèse darwinienne
et l'hypothèse lamarckienne.
L'hypothèse darwinienne attribuait un rôle essentiel à la
sélection naturelle, c'est-à-dire à la survivance des plus
aptes dans la lutte pour la vie ; les plus aptes étant ceux qui se distinguent
de leurs congénères par un avantage physique ou psychologique
relativement aux nécessités vitales ambiantes, et cet avantage
étant apparu par hasard.
L'hypothèse lamarckienne accordait un rôle capital à l’influence
du milieu, à l'usage ou au non-usage des organes ; au besoin, créateur
de nouvelles fonctions et de nouveaux organes.
Ces deux causes classiques, parfaitement conciliables ou même complémentaires
l'une de l'autre, impliquaient nécessairement la notion de modifications
lentes, insensibles et innombrables, pour la formation progressive des diverses
espèces, depuis la ou les formes primitives et élémentaires
jusqu'à l'homme.
A ces deux hypothèses générales sont venues s'ajouter,
de nos jours, d'innombrables théories secondaires, destinées soit
à établir des lois particulières, telles que celles de
l'hérédité ; soit à combattre les objections, sans
cesse renaissantes et multipliées, que l'analyse rigoureuse des faits
apportait à la conception classique du transformisme. Parmi ces théories,
les unes se rattachent au darwinisme, les autres au lamarckisme, les autres
éclectiquement aux deux systèmes. Les unes ne comportent que des
explications purement mécaniques : les autres s'élèvent
aux conceptions dynamiques ; quelques-unes enfin empiètent sur le domaine
métaphysique[1].
Sur toutes, on peut porter le même jugement d'ensemble : elles font preuve
d'une ingéniosité prodigieuse et d'une impuissance plus prodigieuse
encore.
Je ne discuterai ni ces théories, ni leurs explications prétendues
des difficultés du transformisme.
Les arguments innombrables, pour ou contre le transformisme, pour ou contre
le naturalisme classique, qu'on a invoqués çà et là,
ne sauraient comporter, tant qu'ils restent d'ordre secondaire, de conviction,
ni de conclusion.
Fidèle à la méthode que j'ai exposée ci-dessus,
je négligerai ces arguments de détails et considérerai
seules, immédiatement et directement, les difficultés essentielles
et primordiales, c'est-à-dire les seules difficultés réelles
du transformisme. Peu importent les imperfections secondaires de l'édifice
naturaliste ; il s'agit de voir si le corps même de cet édifice,
sa charpente et ses clés de voûte, sont solides ou débiles.
Les difficultés capitales du transformisme classique sont au nombre de
cinq.
En voici l'énumération :
1° Les facteurs classiques sont impuissants à faire comprendre l'origine
même des espèces.
2° Les facteurs classiques sont impuissants à faire comprendre l’origine
des instincts.
3° Les facteurs classiques sont incapables d'expliquer les transformations
brusques créatrices de nouvelles espèces.
4° Les facteurs classiques sont incapables d'expliquer « la cristallisation
» immédiate et définitive des caractères essentiels
des nouvelles espèces ou des nouveaux instincts ; le fait que ces caractères,
dans leurs grandes signes, sont acquis très rapidement et, une fois acquis,
restent immuables.
5° Les facteurs classiques sont impuissants à résoudre la
difficulté générale d'ordre philosophique relative à
révolution qui, du simple fait sortir le complexe et du moins fait sortir
le plus.
Etudions successivement ces cinq difficultés essentielles.
[1] Consulter surtout Delage et Goldsmith : Les théories de l'Evolution (Flammarion, éditeur). — Deperret : Les transformations du monde animal.
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