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Chapitre
IV
L’interprétation de la psychologie d’après les notions
nouvelles
Il nous reste à adapter les notions précédentes
à l'interprétation intégrale de la psychologie.
Nous allons trouver une preuve magnifique et concluante de leur véracité
dans l'aisance et la limpidité de cette interprétation, faisant
place à la lamentable impuissance de la psychologie classique.
Pour la psychologie classique, en effet, tous les états, tous les faits
que nous allons envisager sont encore de purs mystères.
1° La Psychologie dite normale
Supposons, chez un individu quelconque, la synthèse bien établie
entre ses divers principes constitutifs. Ils sont liés par une affinité
suffisante et il n'y a aucun sujet de désharmonie.
La centralisation est forte et l'homogénéité évidente.
La monade centrale, le moi, dirige le dynamo-psychisme mental et a le contrôle
complet sur tous ses éléments. Par le dynamo-psychisme mental,
il dirige le dynamisme vital et l'organisme, dans les limites seules que comporte
son niveau évolutif[1].
L'individu, ainsi constitué, est bien équilibré. Sa santé
psychique est parfaite.
Mais en même temps, il se trouve très limité par les contingences
organiques. La solidarité de son psychisme supérieur et de son
psychisme cérébral étant absolue, toute l'activité
du premier est bornée par l'étendue du second et restreinte
à ses contingences.
Cet individu n'a pas, ne peut pas avoir conscience de ses capacités
latentes ni de rien de ce qui concerne le psychisme supérieur. Chez
lui, les produits de l'inspiration supérieure et du travail cérébral,
étroitement amalgamés, forment un tout harmonieux. Sa psychologie
est la psychologie normale, typique, marquée par l'équilibre
des facultés et leur rendement régulier, mais aussi par leur
étroite limitation.
Les êtres bien équilibrés peuvent être d'un niveau
évolutif très variable. Il y a, parmi eux, beaucoup de médiocres,
mais aussi des hommes fort intelligents.
Leurs productions intellectuelles sont régulières et sans à
coup. Ils ne s'aperçoivent jamais du rendement subconscient, qui se
confond étroitement chez eux avec le résultat du travail volontaire.
Ils ne connaissent guère l'intuition. Ils ne sont pas originaux. S'ils
comprennent l'art, ils ne sont jamais des artistes, dans le beau sens du terme
; encore moins des inventeurs ni des créateurs. Ils n'ont jamais de
vue géniale ni d'inspiration supérieure.
Les êtres bien équilibrés jouent un rôle scientifique
ou social utile par leur pondération et la justesse de leur raisonnement
à l'égard des contingences ; et en même temps nuisible
par leur misonéisme et leur esprit de stabilité.
Leurs opinions sont généralement celles de leur milieu. Ils
ne cherchent pas à innover et sont portés à accepter
ce qui est idée régnante, celle-ci leur semblant établie
comme juste par le seul fait qu'elle est régnante.
Ils sont réfractaires à la philosophie, ou bien se contentent
d'une philosophie banale, terne, conforme aux idées établies.
Ils ont une forte tendance au matérialisme : car la fusion étroite
des principes constitutifs et leur limitation par la matière ne leur
permet pas de voir au-delà de la matière. Ce qui, en eux, est
au-dessus de cette limitation matérielle leur est tout à fait
inconnu. Ils n'ont d'ailleurs guère de curiosité philosophique
réelle. Pour eux, tout est relativement simple, parce qu'ils évitent
d'aller au fond des choses.
2° Psychologie anormale
Supposons maintenant, au lieu de la synthèse harmonieuse bien établie
et de l'amalgame parfait, hiérarchisé et fondu des divers principes
constitutifs du moi, une synthèse instable, un manque d'union ou d'affinité
entre les « cadres », une désharmonie : toute la psychologie
anormale en sera le résultat.
Qu'il y ait rupture d'équilibre ou manque d'harmonie entre le corps
et le dynamisme vital qui le dirige et le conditionne, nous avons là
l'origine de toutes les manifestations hystériformes d'ordre physiologique.
Qu'il y ait rupture d’équilibre ou manque d'harmonie entre l'organisme
et le dynamisme vital d'une part, et le dynamo-psychisme mental, d'autre part,
nous avons là l'origine de toutes les manifestations hystériformes
d'ordre psychologique.
Qu'il y ait déséquilibre entre le mental et le moi, nous avons
là la source de toutes les manifestations de déséquilibre
mental depuis la névrose simple jusqu'à la désintégration
en personnalités multiples et jusqu'à la folie.
Théoriquement, le déséquilibre pourrait n'exister qu'entre
deux des principes constitutifs du moi ; mais en réalité, il
n'y a jamais de déséquilibre exclusivement partiel. Par suite
de la solidarité essentielle du groupement individuel, toute cause
de désharmonie entre deux « cadres » retentit sur tout
le groupement. C'est pourquoi il n'y a pas de troubles hystérico-physiologiques
sans troubles mentaux et pas de trouble dans le mental sans répercussions
hystériformes.
La même cause productrice de la psychologie anormale, le manque d'équilibre
parfait entre les principes constitutifs du groupement individuel, permet
aussi la manifestation isolée de l'un ou l'autre de ces principes ;
sa « sécession » ou même son « extériorisation
».
Elle a enfin un résultat heureux : celui de diminuer la limitation
du psychisme supérieur.
Ainsi, le même facteur est la source de la morbidité psychologique
et des manifestations psychiques élevées ; ouvre la porte à
la fois au désordre mental et aux productions cryptopsychiques, cryptomnésiques,
intuitives, géniales ou supra normales ; permet à l'Etre la
vision, par éclairs, de son état réel et de sa destinée.
Ces notions générales acquises, nous pouvons entrer dans la
voie des détails. Nous considérerons successivement :
— Les états névropathiques ;
— La neurasthénie ;
— L'hystérie et l'hypnotisme ;
— La folie ;
— Les altérations de la personnalité ;
— Le travail intellectuel dans le psychisme subconscient supérieur
et le génie ;
— La cryptosychie et la cryptomnésie ;
— Le supra normal ;
— Le médiumnisme.
Tous ces états psychologiques anormaux ont des points de contact inévitables
et des rapports réciproques, tant par leur nature originelle que par
leur conditionnement. Ils s'interpénètrent fréquemment.
3° Les états névropathiques
A la base de tout état névropathique, il y a instabilité
d'équilibre dans le groupement individuel, avec désordres relatifs
partiels, fragmentaires, causes de toutes les manifestations de souffrance
nerveuse.
Au contraire de ce que nous avons constaté dans l'Etre bien équilibré,
nous voyons un manque d'homogénéité, d'affinité,
de dépendance entre les divers principes constitutifs. La direction
centralisatrice est imparfaite : il n'y a plus de fusion harmonieuse entre
le moi et le mental, entre le mental et le dynamisme vital, entre ce dernier
et l'organisme.
Cet état d'équilibre instable permet des décentralisations
momentanées et partielles, sources de désordres mais aussi conditions
d'une moindre limitation par l'organisme et de l'apparition, de la mise au
jour possible de tout ce qui, dans l'Etre psychique normal, est cryptoïde
ou occulte, comme facultés et comme connaissances. Mais cette mise
au jour ne se manifeste jamais par un rendement régulier : La production
intellectuelle se fait par à coups. Elle nécessite une collaboration
consciente-subconsciente dont nous connaissons les modalités et les
difficultés.
Les êtres ainsi constitués, sont, comme les êtres bien
équilibrés, d'un niveau évolutif très variable
: il est parmi eux des médiocres, dont un grain d'originalité
corrige cependant la monotonie psychologique.
Il est des névropathes inférieurs, qui traînent une existence
morbide de demi-fous ou de demi-imbéciles, avec les tares physiques
et mentales dites de dégénérescence.
Il y a enfin les névropathes supérieurs dont le talent ou le
génie, de par sa nature originelle, est inséparable des mêmes
tares.
Le névropathe supérieur souffre infiniment de ces tares : il
a peine à bien conduire son groupement, à diriger son organisme
et même son mental. Souvent ce mental lui échappe plus ou moins
et il lui arrive, alors, de frôler le déséquilibre total
ou la folie. En dehors des tares psychophysiologiques, le névropathe
supérieur sent aussi obscurément la limitation imposée
par les sens et le cerveau, et c'est là, pour lui, sans même
qu'il l'analyse bien, sa plus grande souffrance.
Quelle peine, en effet, dans cette limitation : dans la perception intuitive
des facultés supérieures réelles mais échappant
néanmoins à la libre disposition ; dans le besoin de ramener
à un travail analytique concret de vastes pensées abstraites
; dans l'effort pour exprimer par des mots ce qui se conçoit si bien
sans les mots ; dans la nécessité, de soumettre à ce
qu'il y a de plus inférieur, le mécanisme organique, ce qu'il
y a de plus élevé, le moi conscient !
Guyau a magnifiquement fait ressortir ce point de vue : « Nous souffrons,
écrit-il, d'une sorte d'hypertrophie de l'intelligence. Tous ceux qui
travaillent de la pensée, tous ceux qui méditent sur la vie
et la mort, tous ceux qui philosophent finissent par éprouver cette
souffrance. Et il en est de même des vrais artistes, qui passent leur
vie à essayer la réalisation d'un idéal plus ou moins
inaccessible. On est attiré à la fois de tous les côtés,
par toutes les sciences, par tous les arts ; on voudrait se donner à
tous ; on est forcé de se retenir, de se partager. Il faut sentir son
cerveau avide attirer à lui la sève de tout l'organisme, être
forcé de le dompter, se résigner à végéter
au lieu de vivre ! On ne s'y résigne pas, on aime mieux s'abandonner
à la flamme intérieure qui consume. La pensée affaiblit
graduellement, exagère le système nerveux, rend femme ; elle
n'ôte pourtant rien à la volonté, qui reste virile, toujours
tendue, inassouvie. De là des luttes longues, un malaise sans fin,
une guerre de soi contre soi. Il faudrait choisir : avoir des muscles ou des
nerfs, être homme ou femme : le penseur, l'artiste n'est ni l'un ni
l'autre.
« Ah ! Si, en une seule fois et d'un seul effort immense, nous pouvions
arracher de nous-mêmes et mettre au jour le monde de pensées
ou de sentiments que nous portons, comme on le ferait avec joie, avec volupté,
dût notre organisme tout entier se briser dans ce déchirement
d'une création ! Mais non, il faut se donner par petites fractions,
se répandre goutte à goutte, subir toutes les interruptions
de la vie. Peu à peu l'organisme s'épuise dans cette lutte de
l'idée avec le corps, puis l'intelligence elle-même se trouble,
pâlit, comme une lumière vivante et souffrante qui tremble à
un vent toujours plus âpre, jusqu'à ce que l'esprit vaincu s'affaisse
sur lui-même. »
La coexistence des troubles névropathiques ou même de la folie
avec l'inspiration géniale ne prouve donc pas que cette dernière
dérive de ceux-là. Elle prouve simplement que le déséquilibre
dans le groupement individuel, condition première de ses manifestations
décentralisatrices, est à la base du génie. De fait,
la décentralisation psychologique est parfois poussée à
tel point chez l'homme de génie, qu'il lui arrive de se comporter comme
un visionnaire ; d'extérioriser ses inspirations, de les objectiver
jusqu'à l'hallucination.
Un type de névropathe non moins curieux que l'homme de génie
est le médium.
Ce qui caractérise essentiellement le type médium, c'est l'excessive
tendance à la décentralisation dans son groupement individuel.
C'est grâce à cette tendance que les phénomènes
d'extériorisation ou d'action isolée des éléments
constitutifs, la mise en jeu des réserves cryptoïdes et l'irruption
du supra normal sont possibles.
La tendance décentralisatrice est l'origine des tares névropathiques
habituelles ; mais de plus elle soustrait d'une manière anormale, plus
forte que chez les autres névropathes, le groupement individuel à
l'action directrice du moi. Le médium n'est pas maître chez lui
: de là, au point de vue psychologique, une triple caractéristique
:
— Il présente une grande impressionnabilité ;
— Il est très suggestible ;
— Il offre une instabilité extrême d'humeur et d'idées.
Cette caractéristique se retrouve, plus ou moins, chez tous les médiums,
quelle que soit leur valeur intellectuelle.
L'instabilité psychologique des médiums n'empêche d'ailleurs
ni la volonté d'être forte ni l'esprit de suite d'être
remarquable, chez les médiums supérieurs du moins, mais l'un
et l'autre ne sont tels que lorsqu'ils s'appuient sur une suggestion ou une
auto suggestion.
En dehors de ces circonstances, d'étranges défaillances peuvent
se manifester : les opinions du médium sont instables, éminemment
accessibles aux influences ambiantes, quand il n'est pas sur ses gardes. On
le voit, d'un jour à l'autre, de la meilleure foi du monde et avec
une ardeur toujours nouvelle, soutenir des idées diamétralement
opposées. Il lui arrive, d'ailleurs, dans un court espace de temps,
de passer par des alternatives extrêmes dans l'expression de sentiments
contradictoires.
L'impuissance régulatrice du moi sur le mental se manifeste par une
grande tendance aux disjonctions dans ce dernier. Ces disjonctions aboutissent
parfois à la formation de personnalités secondes, suivant un
processus que nous étudierons plus loin ; plus fréquemment à
des ébauches de dédoublement, grâce auxquelles le médium
apparaît essentiellement complexe, difficile à juger, capable
des actes et pensées les plus divers et les plus contradictoires.
Dans la vie de tous les jours, on observe constamment la prédominance
brusque et dominatrice d'une idée, d'une impression, d'un sentiment.
Aussitôt, toutes les forces psychologiques, échappant au contrôle
du moi, se groupent autour de l'idée usurpatrice et lui donnent une
force inattendue. C'est pour cette raison que les médiums font de très
bons comédiens.
Cette toute puissance d'une idée peut avoir des résultats féconds
; mais en général, la pseudo centralisation autour de l'idée
dure peu. Une idée nouvelle prend la place de l'idée usurpatrice
et détermine un nouveau groupement et une nouvelle impulsion. A la
merci de l'impression du moment, le médium est en proie au déclenchement
subit, disproportionné, des forces psychiques dans le sens donné
par l'impression. Il échappe alors à toute influence extérieure
comme à tout raisonnement. Dans ces moments, une contradiction extérieure
n'est jamais accueillie.
La concentration des forces psychologiques autour d'idées incessamment
renouvelées et immédiatement renforcées par cette concentration
fait que les médiums, quand ils sont intellectuellement supérieurs,
font de brillants causeurs et des improvisateurs hors ligne ; mais le fonds
même de leurs productions intellectuelles est extrêmement variable
: il varie de l'inspiration supérieure à la fluence banale,
véritable incontinence de la pensée.
De même que les tares névropathiques des hommes de génie
n'expliquent pas le génie, de même les caractères ou défauts
psychologiques des médiums n'expliquent pas le médiumnisme.
Elles en sont, simplement, l'accompagnement inévitable.
4° La neurasthénie
Il peut sembler bizarre de faire de la neurasthénie un état
relevant du déséquilibre dans le groupement individuel.
Rien n'est plus vrai cependant.
La neurasthénie est essentiellement due à un rapport défectueux
entre le dynamisme vital et l'organisme.
Le trouble ne saurait exister sans une prédisposition congénitale
; mais il est généralement déclenché par une cause
quelconque, une infection ou intoxication légère, un défaut
de sécrétion glandulaire, une petite tare organique, un élément
réflexe. Quelle que soit « l'épine » causale, il
n'y a aucune proportion entre les symptômes et l'élément
originel.
La défectuosité d'action du dynamisme vital se traduit, avant
tout, par une impression de fatigue. Les fonctions vitales, l'usage régulier
des organes, tout ce qui dans l'action physiologique, s'exécute généralement
sans attention et sans peine, nécessite un effort douloureux chez le
neurasthénique.
Le sommeil est troublé. Il y a toujours insomnie ou hypo-somnie n'interrompant
pas complètement l'activité du cerveau. Aussi le sommeil n'est
plus réparateur et le réveil est marqué par une grande
fatigue. Dans le jour, le travail cérébral est lent, difficile,
marqué par la difficulté d'associer les idées et de concentrer
l'attention.
Le déséquilibre entre l'organisme et le dynamisme vital se répercute
plus ou moins dans tout le groupement.
Ainsi, la neurasthénie n'est pas la conséquence de l'épuisement
nerveux, qui est secondaire ; mais d'un trouble dans l'action du dynamisme
vital sur le corps.
Pour guérir la neurasthénie, il ne s'agit pas de donner des
« toniques ». Il faut avant tout, régulariser les rapports
de l'organisme avec le dynamisme vital, et en même temps supprimer le
trouble organique causal.
Ce dernier point est actuellement accessible à la science médicale
; et en fait on améliore toujours la neurasthénie lorsqu'on
arrive à connaître et à supprimer la cause originelle.
Le premier point, le plus important, la régulation du dynamisme vital
dans ses rapports avec l'organisme, devra être étudié
et découvert en se basant sur les notions nouvelles et la connaissance
précise de ce dynamisme vital. On devra essayer probablement les agents
physiques dont le dynamisme est si puissant, Déjà, l'héliothérapie,
la vie au grand air, jouent un rôle appréciable. Il y a là
tout un vaste champ d'explorations.
La médiumnité curative mérite d'être sérieusement
étudiée. Certains sujets semblent capables d'extérioriser
partie de leur propre dynamisme vital pour renforcer le dynamisme vital défaillant
de malades.
De là des cures surprenantes et qui dépassent même, peut-être,
le cadre des maladies nerveuses.
5° L'Hystérie
L'hystérie est conditionnée par la désharmonie entre
les principes constitutifs du groupement individuel et l'absence de subordination
à la direction centrale du moi.
Au point de vue physique et physiologique, la désharmonie, l'absence
d'affinité et de concordance entre les organes et le dynamisme vital
expliquent toutes les tares polymorphes, toutes les localisations morbides
: anesthésies, hyperesthésies, contractures, paralysies, troubles
trophiques.
Les manifestations de la névrose seront instables et changeantes, précisément
parce qu'elles ne sont pas des manifestations organiques mais des produits
de l'insuffisance régulatrice du dynamisme vital.
Au point de vue psychologique, la désharmonie entre le mental et le
moi et l'impuissance directrice de ce dernier expliquent toutes les tares
psychiques si connues et si banales. L'hystérique est généralement
un névropathe inférieur, incapable de s'acquitter de sa tâche
: c'est un mécanicien qui ne sait pas conduire sa machine.
La suggestibilité, le pithiatisme, sont corollaires de la débilité
de la direction du moi. Ils ne sont pas la cause mais la conséquence
de l'état hystérique.
6° La Folie
Faisons un pas de plus : supposons un déséquilibre non plus
relatif, mais absolu ou à peu près absolu ; un manque de direction
non plus incomplet, mais total, ou à peu près total : nous avons
la folie.
La folie c'est, avant tout, l'anarchie des éléments mentaux,
sur lesquels le moi n'a plus d'action ; pas même le contrôle limité,
caduc et intermittent qu'il garde encore dans l'hystérie.
L'anarchie mentale, par suppression du contrôle du moi, étant
établie, que va-t-il se passer ?
Les fonctions psychiques, les facultés, les connaissances sont intactes,
mais privées de direction. Elles peuvent n'accuser que de l'incohérence
; mais plus souvent la prédominance d'une idée, d'un sentiment,
d'un groupement psychique élémentaire s'établit tant
bien que mal et tend à s'imposer. De là, les troubles monoïdéiques
et les délires systématisés.
Le déséquilibre mental n'est pas isolé : il s'accompagne
toujours d'un déséquilibre total du groupement individuel, par
suite de la solidarité fondamentale des principes constitutifs. La
folie peut d'ailleurs être ascendante ou descendante, provenir du mental
ou y aboutir. Très souvent, on le sait, elle est déclenchée
par un trouble d'origine physiologique : toxique, infectieux ou réflexe
atteignant le cerveau. Dans ces cas elle se traduira fréquemment par
la confusion mentale ou par des phénomènes d'excitation maniaque
ou de dépression mélancolique, alternant parfois dans le délire
circulaire. L'hérédité habituelle de la folie prouve
l'importance du facteur physiologique dans sa genèse. D'autres fois,
elle est d'origine purement mentale : dans ces cas elle est souvent incomplète.
Il persiste alors un certain degré de contrôle du moi, insuffisant
pour éviter la tendance au délire et la systématisation
anormale autour d'une idée prédominante, mais suffisant pour
laisser une apparence de raison et permettre la continuation de la vie psychique.
Il y a tous les degrés dans la folie d'origine mentale ; toutes les
transitions entre le détraquement ébauché et la démence
complète. Il n'y a pas seulement des demi-fous » il y a des «
quarts et des dixièmes de fous. »
Le contrôle du moi sur son mental, dans la phase évolutive actuelle
de l'humanité, est établi sur des bases si fragiles, qu'il s'affirme
rarement avec régularité. En ce sens il n'est pas d'homme qui
échappe complètement au déséquilibre mental. La
folie ébauchée est presque la règle, et la santé
psychique parfaite l'exception.
Qu'elle soit d'origine organique ou d'origine mentale, la folie essentielle
n'est pas à proprement parler une maladie du cerveau. Elle est simplement
le contrôle insuffisant ou nul du moi sur son mental. Les groupes élémentaires
de ce dernier sont intacts et restent longtemps intacts. Toutefois, si le
contrôle supérieur ne se rétablit pas, la désorganisation
prolongée se répercute sur la fonction cérébrale
et finit par s'y traduire par des lésions dégénératrices.
7° L'Hypnotisme
L’hypnotisme et ses modalités sont d'une interprétation
extrêmement simple.
Ses manifestations sont analogues à celles de l'hystérie, avec
la différence qu'elles sont artificielles et généralement
amplifiées.
L’hypnose exige un certain état de prédisposition à
la décentralisation, comme le médiumnisme.
Elle se réalise par une rupture factice dans l'équilibre du
groupement individuel.
La cause réelle et vraie, la condition primordiale, c'est la décentralisation
du groupement individuel.
Tous les phénomènes habituels se comprennent alors immédiatement
: l'automatisme, la suggestibilité, les modifications de la personnalité,
la substitution à la direction centrale d'une direction usurpatrice
intrinsèque ou extrinsèque, le monoïdéisme, etc..
Le psychisme cérébral, isolé, sera surtout remarquable
par son automatisme et son extrême suggestibilité. Il constituera,
dans ses manifestations, comme une sorte de subconscience inférieure,
passive, incapable d'aller au-delà de l'acquis et de l'habitude.
Le psychisme extra-cérébral se manifestera par la cryptomnésie
et la cryptopsychie, par sa complexité extrême, par son groupement
en personnalités d'ordre très variable. Parfois enfin, il se
révélera par ses capacités supérieures et par
des éclairs supra normaux dus à la décentralisation et
par suite à la diminution relative et momentanée de la limitation
organique : l'hypnotisme est comme une porte entrouverte sur la portion cryptoïde
du moi.
Quel rôle est dévolu à la suggestion dans la genèse
de l'hypnose ? Simplement celui d'un facteur fréquent, commode mais
nullement indispensable. La suggestion, par elle-même, n'explique rien.
Elle n'agit d'ailleurs que secondairement, par suite de la diminution ou de
la suppression de la direction supérieure du moi sur le groupement
individuel décentralisé. Elle peut agir, exceptionnellement,
sur les éléments mentaux mais elle agit surtout, est-il besoin
de le faire remarquer ? sur le psychisme cérébral.
L'état d'hypnose banal, celui qui est classique, est dû, avant
tout, à la sécession du bloc inférieur (dynamisme vital
et organisme) d'avec le bloc supérieur (mental et moi). Ce bloc inférieur
agit ou comme un automate ou comme un esclave sous la suggestion du magnétiseur.
Automatisme et toute puissance de la suggestion se comprennent ainsi sans
peine.
L'automatisme dans l'hypnose et le somnambulisme est remarquable par la perfection
des actes accomplis.
Dans « l'être subconscient » j'avais expliqué cette
perfection par le fait que toutes les forces vitales, groupées autour
d'une seule idée, sans réflexion et sans distraction, lui donnent
une grande puissance et une grande sûreté. Cela est vrai, sans
doute, mais il y a autre chose ; il y a comme une singulière régression
de l'humanité à l'animalité : Le bloc inférieur,
privé de la direction consciente, semble recouvrer alors, pour un temps,
la sûreté caractéristique de l'instinct animal.
8° Les altérations de la personnalité
Rien ne fait mieux ressortir la vérité de notre conception de
l'individu que l'aisance avec laquelle elle va nous permettre de comprendre
les altérations de la personnalité.
Ces manifestations ont été, jusqu'à présent, ou
bien de pures énigmes, ou bien l'origine de pseudo-interprétations,
les plus grossières ou les plus insensées, quand toutefois ces
pseudo-interprétations n'aboutissaient pas simplement à un verbalisme
imbécile, distinguant la subconscience de l'infraconscience, de la
super conscience ou de la cocon-science !
A la base du phénomène et comme cause originelle, on note la
mise à l'écart de la direction centrale du moi : les personnalités
factices sont dues à des manifestations isolées dans le groupement
psychologique séparé du moi.
L'activité isolée du psychisme cérébral se traduira
soit par l'automatisme, soit par des pseudo personnalités d'origine
suggestive, pseudo personnalités banales, d'ordre inférieur,
sans originalité.
L'activité isolée des éléments mentaux du psychisme
extra cérébral sera la source de la multiplication des personnalités
dans ses modalités élevées et complexes.
Le phénomène de dissociation mentale ébauchée,
de tendance au dédoublement est fréquent dans la vie normale,
par suite de la complexité du mental, de la prédominance alternative
de certains groupements, parfois rivaux ou antagonistes et de l'impuissance
relative du moi à les mettre d'accord. Mais dans les états anormaux
et chez certains prédisposés, le dédoublement de la personnalité
acquiert une puissance inattendue.
Pour que de véritables personnalités multiples apparaissent,
deux conditions essentielles doivent se présenter :
— D'abord la faculté de décentralisation et l'instabilité
de la direction centrale, l'impuissance de « l'autocratisme »
individuel.
— Puis le défaut d'assimilation des éléments mentaux
par le moi.
Cette seconde condition est capitale. Sans ce défaut d'assimilation,
il pourra y avoir décentralisation : il n'y aura pas apparition d'une
« personnalité » digne de ce nom.
Nous avons vu que le moi garde en lui la notion intégrale des états
de conscience et se les assimile. Si l'assimilation est imparfaite, les états
de conscience conservent, avec leur autonomie, leur activité excentrique
et centrifuge, avec tendance aux manifestations isolées et distinctes.
La genèse d'une personnalité seconde est alors facile à
se représenter : tout d'abord, il y a activité anormale, «
bourgeonnement parasitaire » dans le mental. Un groupement mal assimilé
se constituera autour d'une pensée, particulièrement active,
d'une émotion, d'une tendance, d'une impression, d'une suggestion ou
d'une auto-suggestion. Ce groupement primaire, échappant en partie
au contrôle directeur et centralisateur, attire autour de lui, par affinité,
des éléments mentaux secondaires plus faibles.
Dès lors s'élaborera, dans les profondeurs du mental, une lutte
latente et sourde entre le moi et la personnalité parasitaire. Le plus
souvent, cette dernière, vaincue, se désagrège et s'assimile
au moi. Mais parfois, par suite de l'impuissance directrice de ce dernier,
soit qu'il soit faible par son niveau évolutif, soit que son action
se trouve gênée par un manque d'affinité originel ou acquis
ou
par la tendance congénitale du groupement à la décentralisation,
la personnalité parasitaire prospère et se développe.
Elle groupe autour d'elle une part de plus en plus vaste des activités
mentales, s'adjoint des éléments imaginatifs, se fortifie par
un exercice journalier et bientôt, une rupture sera possible : une confédération
nouvelle se sera formée dans le mental ; une sécession d'avec
le moi.
Dès lors, une lutte ouverte s'établira, avec résultats
variables, retours de fortune, entre le moi et la ou les personnalités
factices, pour la possession du pouvoir, pour l'intégrité ou
les désagrégations partielles, pour la domination sur le champ
psychologique.
Il n'est aucun cas connu de personnalités secondes qui ne soit explicable
par ce processus.
On pourrait peut-être aller plus loin encore ; supposer un défaut
d'assimilation des éléments mentaux par le moi, non seulement
dans la période comprise depuis la naissance du groupement vital actuel,
mais jusqu'en deçà de ce groupement, dans un groupement antérieur
: dans cette hypothèse, qui aurait besoin d'être établie
sur des faits, on reculerait encore, on élargirait formidablement la
genèse possible des personnalités secondes.
Telle ou telle de ces personnalités secondes pourrait ainsi n'être
que la « représentation » mal assimilée et restée
autonome, du moi dans une vie précédente...
Parmi les personnalités secondes, une part toute spéciale doit
être faite aux personnalités médiumniques. Par leur caractère
d'autonomie, leur originalité, leur permanence, par leurs affirmations
très spéciales aussi sur leur origine ; enfin par les facultés
supra normales dont elles font preuve parfois, elles doivent faire l'objet
d'une étude séparée. Nous les considérerons en
dernier lieu.
9° Le travail intellectuel et ses modalités.
Le génie
Le travail intellectuel ordinaire est dû essentiellement à une
collaboration étroite du psychisme cérébral et du psychisme
supérieur.
Pendant l'état de veille, chez l'homme normal, il y a fusion, union,
homogénéité des deux psychismes, d'où productions
régulières mais qualitativement limitées par les capacités
cérébrales. Les facultés supérieures ne se manifestent
guère que par les tendances innées, les capacités générales
et le caractère de l'individu. Pendant le repos du cerveau, l'activité
psychique supérieure persiste, mais n'est guère perçue
ou reste totalement latente. Son action se manifeste néanmoins dans
le mécanisme si connu de l'élaboration subconsciente, qu'on
attribuait à tort, nous l'avons vu, à l'automatisme du cerveau.
L'automatisme du cerveau n'apparaît que dans les rêves ordinaires,
incohérents, futiles, d'ordre banal.
Les rêves logiques, cohérents ou géniaux sont dus à
une répercussion accidentelle du psychisme supérieur, toujours
actif bien qu'inaperçu, dans le psychisme cérébral.
A côté du rêve, se place la rêverie. La rêverie
est due au relâchement de l'effort intellectuel et du contrôle
précis du moi. Les idées se déroulent suivant des associations
ou des affinités habituelles et le moi assiste à leur défilé
comme à un spectacle. Il n'intervient guère, sinon de temps
en temps pour écarter une idée pénible, orienter les
idées dans le sens désiré ou lâcher la bride à
des broderies imaginatives.
Le travail intellectuel, pour donner tout son rendement, pour assurer à
la collaboration et la direction du psychisme supérieur extra cérébral
toute son activité, nécessite une diminution, un relâchement
de la centralisation du groupement individuel.
C'est pour cela que l'étendue de l'élaboration subconsciente
et l'apparition de l'inspiration sont presque toujours associées aux
états anormaux et névropathiques que conditionne cette décentralisation
relative et momentanée.
Il semble par moments, que la limitation de l'Etre par la cérébration
soit comme brisée : alors apparaissent les facultés supérieures,
qui n'en resteront pas moins toujours gênées ou même déviées,
par les alternatives d'effort, c'est-à-dire d'action centralisée,
et de relâchement de la synthèse, seule capable de diminuer la
limitation cérébrale.
La cryptopsychie et la cryptomnésie, incompréhensibles par le
fait des facultés cérébrales, s'expliquent très
aisément par le fait du psychisme subconscient supérieur. Non
accessibles, directement, à la volonté et à la connaissance
de l'Etre borné normalement par ses limitations cérébrales,
elles n'en contribuent pas moins largement, quoique d'une façon occulte,
à élargir le champ de son activité psychique, dont elles
constituent la meilleure part.
L’innéité, les capacités non héréditaires,
l'inspiration, le talent ou le génie, se manifestant en dehors du travail
volontaire, s'expliquent par la nature essentielle du psychisme subconscient
et par son rôle dans l'origine, le développement et le fonctionnement
de l'Etre normal.
L'inspiration est le produit de l'activité, libérée et
accrue par cette libération, du psychisme supérieur extra cérébral.
Mais cette activité, par la même cause qui la libère,
la décentralisation, ne se répercute dans la conscience normale
que par éclairs, par intervalles ou par fragments, avec inconstance
et irrégularité. Ce qu'on appelle « travail inconscient
» est d'ailleurs rarement inspiration pure. C'est le plus souvent, nous
le répétons, le résultat d'une sorte de collaboration
du psychisme dit conscient et du psychisme subconscient supérieur.
Le conscient élabore ou amorce le travail ; mais la limitation des
capacités cérébrales ne lui permet pas, en dépit
de tous les efforts, de le mener à bien. Alors, la collaboration avec
le subconscient s'établit, d'une manière latente. Elle se poursuit
même et surtout pendant le repos du cerveau ; car le subconscient est
dégagé des contingences physiologiques de cet organe et au-dessus
de ses limitations. Le caractère inaperçu de cette collaboration
fait que leur résultat prend parfois l'apparence d'une révélation.
Le génie tient de l'essence même du moi son pouvoir créateur.
Il est bon de remarquer que, théoriquement, le génie n'implique
pas forcément, pour ses manifestations, une évolution mentale
supérieure. Il peut apparaître par éclairs et il s'observe,
en réalité, à tous les degrés de l'échelle
évolutive. Mais, pratiquement, pour donner une création durable,
le génie nécessite des connaissances étendues des rapports
des choses entre elles, connaissances conscientes ou subconscientes qui impliquent
une haute évolution antérieure. Il faut remarquer aussi que
le génie n'implique pas la perfection. Le génie, dans ses diverses
manifestations, scientifiques, philosophiques, artistiques, religieuses, etc..
n'est pas à l'abri des désharmonies et des erreurs. Le contrôle
réfléchi lui est indispensable, comme nous l'avons montré
plus haut. C'est pour cela qu'un homme de génie ne peut rien apporter
d'utile à l'humanité s'il n'est pas, en même temps, un
homme hautement évolué.
10° Le Supra normal
Il en est de l'apparition du supra normal comme de celle de l’inspiration
créatrice ou du génie : elle est conditionnée par un
degré de décentralisation suffisant pour briser momentanément
la limitation cérébrale de l'Etre.
De la profondeur de la conscience subliminale jailliront alors parfois, comme
d'une fenêtre brusquement ouverte dans le cadre opaque de cette limitation,
des éclairs éblouissants, quoique éphémères,
de divination ; apparaîtront les capacités d'action mento-mentale,
où se feront jour des pouvoirs supérieurs à la matière
et dégagés des contingences de temps et d'espace.
Ces capacités lucides, ces pouvoirs en apparence illimités,
n'ont en réalité rien de merveilleux ou, du moins, ils ne sont
ni plus ni moins merveilleux que tous les phénomènes de la vie
et de la pensée.
Entre le normal et le supra normal, il n’y a pas de ligne de démarcation,
de frontière séparative ; l'un et l'autre relèvent des
processus vitaux et leur seule différence vient de ce que le premier
nous est familier, ce qui nous donne l'illusion de l'avoir compris ; tandis
que le second tient son caractère occulte de ce qu'il était
ignoré.
Le supra normal physiologique présente exactement le même mystère
que le normal physiologique : la formation normale d'un organisme vivant n'est
ni plus ni moins merveilleuse, ni plus ni moins compréhensible que
la formation anormale du médiumnisme. C'est, nous le répétons,
le même miracle idéoplastique qui forme, aux dépens du
corps maternel, les mains, le visage, tous les tissus, l'organisme entier
de l'enfant ; ou, aux dépens du corps du médium, les mains,
le visage ou l'organisme entier d'une « matérialisation ».
Le supra normal psychologique lui-même n'est qu'une face, la face cachée,
du conditionnement normal de l'Etre dont sa conscience apparente n'est que
le reflet limité de sa conscience totale. Il y a le même mystère
dans la création géniale et dans la lucidité, la même
indépendance des contingences, le même reflet divin. Dans l'ensemble
des phénomènes de la vie, de la conscience, de l'évolution
de l’Etre, on ne comprend rien ou bien l’on comprend tout On ne
comprend rien, si on veut ramener tout l'Etre à l'un de ses principes,
surtout au plus grossier, l'organisme matériel ; on comprend tout lorsqu'on
envisage le moi divin et permanent dans ses objectivations passagères
et diverses.
En somme, il n'y a pas de supra normal ; comme il n'y a pas de miracles !
Le supra normal n'est que la manifestation inhabituelle, élargie par
la décentralisation, du moi se révélant dans toutes ses
capacités, même les plus supérieures et les plus latentes
; tandis que la vie psychique normale ne comporte que ses manifestations étroites,
strictement rétrécies au champ matériel, aux représentations.
La connaissance du « supra normal » prouve simplement qu'il y
a, dans le moi, des capacités supérieures inutilisées
et inutilisables pendant l'objectivation terrestre, facultés d'action
mento-mentale, facultés extra-sensorielles, facultés de divination
synthétique et de clairvoyance, enfin facultés dominatrices
sur la matière.
On peut admettre, avec Myers, que ces facultés supérieures,
qui échappent entièrement à notre volonté pendant
la vie terrestre, qui nous sont accessibles d'une manière relative
et fragmentaire, à mesure que diminue dans la décentralisation
anormale la limitation organique, nous sont accessibles d'une manière
plus complète, après la rupture finale de cette limitation par
la mort. De plus et surtout, il semble évident que ces facultés,
en voie de culture, seront un jour pleinement soumises au moi. Leur usage
régulier et normal marquera la vie supérieure, idéalement
évoluée, ou la conscience aura établi son triomphe complet
sur l'inconscience originelle. Alors, il n'y aura plus de « limitation
» du moi par le groupement individuel qu'il dirige. Le moi connaîtra
tout et pourra tout : il aura vraiment réalisé ses potentialités
diverses et infinies.
11° Le Médiumnisme
Le médiumnisme pose de grands problèmes ; mais ces l'interprétation
de la psychologie problèmes sont relativement simples si nous nous
reportons aux notions précédentes :
Le mécanisme de l'action médiumnique peut se résumer
ainsi : décentralisation dans le groupement individuel du médium
et manifestations isolées des portions décentralisées.
Tantôt ces manifestations isolées s'exécutent dans le
groupement même, intrinsèquement ; tantôt elles s'exécutent
extrinsèquement, par une véritable extériorisation.
On voit quel champ immense est capable d'embrasser l'action médiumnique
:
— Extériorisations motrices, sensorielles, dynamiques, intellectuelles
;
— Automatismes divers :
— Manifestations d'ordre psychologique d'une immense variété
;
— Action isolée du psychisme cérébral ; disjonctions
dans le mental avec personnifications de nature et de niveau variable ; manifestations
pithiatiques ou suggestives ; manifestations cryptospychiques, et cryptomnésiqués
; manifestations dites supra normales.
Ainsi compris, le médiumnisme est un monde ; monde défiant toute
exploration partielle et fragmentaire, se dérobant à toute vision
de détail, mais se révélant, dans la majestueuse constitution
complexe de l'Etre, à la haute et claire vision d'ensemble.
Vouloir expliquer le médiumnisme par des séries d'hypothèses
fragmentaires, adaptées seulement à quelques-uns de ses casiers,
comme le font certains psychistes, est une entreprise insensée. Aucune
des explications partielles ou de détail n'a, ne peut avoir la moindre
valeur. On ne peut comprendre le médiumnisme, dans sa prodigieuse diversité,
que par la connaissance de ce qu'est l'individu, de ce qu'est son groupement
individuel, avec ses possibilités de dissociation relative et momentanée
; par la notion surtout de son essence métaphysique, du dynamo-psychisme
créateur objectivé en lui. Si l'on part de cette conception
nouvelle du moi et dans ce cas seulement, il devient aisé de comprendre,
dans son infinie diversité, l'action médiumnique.
Cependant, à propos du médiumnisme, il reste et restera toujours
des questions sujettes à controverses, même si l'on part des
notions précises, ci-dessus exposées, sur la constitution de
l'Etre.
Parmi ces questions réservées, deux surtout prêtent à
discussion : celle des personnalités médiumniques et celle des
enseignements donnés par ces personnalités.
1. Personnalités médiumniques. — Dans toute manifestation
d'ordre médiumnique, s'observe une tendance extrêmement marquée
à la « personnification ». Les disjonctions mentales, les
extériorisations, les phénomènes cryptomnésiques
ou cryptopsychiques, les pouvoirs supérieurs sur la matière
ne sont généralement pas incohérents ou anarchiques ;
ils dénotent un but, ils révèlent une direction. Cette
direction est celle d'une personnalité seconde, en apparence distincte
du moi.
Souvent la personnalité médiumnique est insignifiante et éphémère.
De même que la menue monnaie du médiumnisme[2]
sont choses courantes dans l'existence, même normale, des médiums,
ainsi la tendance aux disjonctions mentales et aux personnifications autonomes
apparaît comme un phénomène banal et sans intérêt.
Mais, dans l'atmosphère favorable créée par les séances
spiritiques ou à la suite d'entraînement et d'exercice, ou spontanément
parfois, les manifestations se précisent et s'accentuent, et la personnification
directrice acquiert alors une puissance parfois extrêmement remarquable
et digne de la plus grande attention. Quelle est l'origine et la nature des
personnalités médiumniques ? Dans les disjonctions ordinaires,
les personnalités secondes, que nous avons vu apparaître par
la décentralisation mentale, se comportent généralement
comme des personnalités usurpatrices dans le moi. Elles semblent aspirer
à remplacer l'autocratie légitime. Elles déclarent être
le vrai moi. Dans le médiumnisme, leur allure est différente
: elles déclarent être étrangères au moi ; elles
se donnent comme des entités distinctes : généralement,
du moins de nos jours et en occident, comme les « esprits » des
morts, et disent n'emprunter au médium que le dynamisme vital et les
éléments organiques qui leur manquent pour agir sur le plan
matériel.
Les preuves données par les personnalités médiumniques,
à l'appui de leur dire, sont le plus souvent très vagues et
ne résistent pas à l'examen ; mais parfois elles sont singulièrement
nettes. Il s'agit du rappel de la caractéristique du défunt,
de souvenirs personnels dans des détails ignorés et minutieux,
de sa langue maternelle, de ses traits en cas de téléplastie,
de sa signature, etc..
Que penser de cette affirmation ? Est-elle toujours fausse ? Le médiumnisme
n'est-il que le domaine du mensonge et de l'illusion ? C'est ce que ne craignent
pas d'affirmer nombre de psychistes. Ecoutons leur argumentation : «
Les personnalités médiumniques, disent-ils, peuvent parfaitement
n'être, en dépit de leurs affirmations, que des personnalités
secondes : Leur genèse, analogue à celle de ces dernières,
débutant par une suggestion ou une auto suggestion, consciente ou subconsciente,
leur développement, leur enrichissement obéirait au même
mécanisme.
« Aucune des preuves d'autonomie et d'indépendance ne saurait
être formelle : la différence psychologique de facultés
et connaissances avec celles du médium peut s'expliquer simplement
par la complexité du mental et l'étendue de la cryptopsychie
; les contradictions d'idées, de caractère, de volonté,
peuvent représenter simplement des tendances intimes refoulées
par la vie journalière, et se faisant jour avec violence par la soupape
du médiumnisme ; le supra normal peut appartenir au subconscient médiumnique.
Aucune des preuves d'identité ne saurait être pleinement convaincante
: l'origine de toutes les connaissances, même les plus inattendues et
les plus secrètes, même celle d'une langue ignorée du
médium peut être dans la cryptomnésie, l'action mento-mentale
ou la clairvoyance.
Les preuves nouvelles inventées par les chercheurs anglo-américains[3]
sont évidemment, au premier abord, déconcertantes et redoutables
à notre thèse. Il est clair que des faits aussi précis
et extraordinaires que ceux observés, par exemple, par Mme de W[4]
semblent indiquer une volonté directrice bien indépendante et
autonome. Mais n'est-ce pas là encore une illusion ? Qui sait si la
personnalité n'arrive pas à acquérir, par la culture
médiumnique, en plus d'une grande autonomie, un dynamisme passager,
au moins pendant la durée de l'expérience, dynamisme emprunté
au médium même et lui permettant alors une action à distance
sur des médiums différents ?…»
Tout est possible, en effet. Mais il ne faut jamais oublier, quand on raisonne
sur le médiumnisme, de tenir compte de toutes les notions que nous
avons établies sur la nature et la constitution individuelle. Ces notions
qui, acceptées intégralement, nous ont permis de sortir de l'abîme
obscur, du chaos de la psychophysiologie classique, de comprendre enfin le
sens et la nature de l'Etre et de l'Univers, permettent en outre d’affirmer
la survivance du moi et son éternelle évolution de l'Inconscient
au Conscient.
Que le moi préexiste et survive au groupement qu'il dirige pendant
la durée d'une vie terrestre ; qu'il survive spécialement à
l'organisme, son objectivation inférieure pendant cette vie, cela ne
saurait faire de doute ; cela doit au moins être admis, sinon comme
une certitude mathématique, du moins comme le résultat d'un
calcul de forte probabilité.
La manifestation, sur le plan matériel, à l'aide d'éléments
dynamiques et organiques empruntés au médium, d'un « esprit
désincarné » apparaît dès lors comme une
indéniable possibilité.
En présence donc d'un fait d'apparence spiritique, une seule attitude
s'impose au psychiste instruit : celle de prendre pour guide le bon sens.
C'est au bon sens, au sain jugement, d'apprécier les affirmations du
communicateur. C'est au nom du bon sens, que les psychistes anglo-américains,
au courant de toutes les subtilités déconcertantes des interprétations
du médiumnisme intellectuel, ont fini, de guerre lasse, et avec un
ensemble impressionnant, par accepter les affirmations catégoriques
et répétées des communicateurs.
Après Hodgson, parti d'un scepticisme absolu et déclarant, après
12 ans d'études, qu'il n'y avait plus place, dans son esprit, même
pour la possibilité d'un doute sur la survivance et sur la réalité
des communications entre vivants et morts ; Hyslop, Myers et récemment
O. Lodge ont proclamé très haut la même conviction.
Je laisse au lecteur, désireux de se faire une opinion réfléchie,
le soin de lire les publications de ces psychologues et d'apprécier
la valeur de leur argumentation[5]. S'il m'était permis de donner une impression personnelle sur ce que
j'ai observé dans le domaine du médiumnisme, je dirais : alors
même qu'on ne saurait, dans un cas donné, affirmer la certitude
scientifique d'une intervention spiritique, on se trouve obligé, bon
gré mal gré, de reconnaître en bloc, la possibilité
de cette intervention. Pour moi je considère comme probable l'action,
dans le médiumnisme, d'entités intelligentes distinctes du médium.
Je me base pour cela, non seulement sur les preuves prétendues d'identité
données par les communicateurs, preuves sujettes à controverse
; mais sur la nature même des phénomènes élevés
et complexes du médiumnisme. Ces phénomènes élevés
et complexes démontrent, souvent, une direction, une intention qu'on
ne peut, sans induction arbitraire, rapporter au médium ou aux expérimentateurs.
Nous n'arrivons à en trouver l'origine ni dans la conscience normale:
du sujet, ni dans sa conscience somnambulique ni dans ses impressions, ses
désirs ou ses craintes, directs ou indirects, suggérés
ou volontaires. Nous ne pouvons ni provoquer les phénomènes,
ni les modifier. Tout se passe réellement comme si l'intelligence directrice
était indépendante et autonome. Ce n'est pas tout : cette intelligence
directrice, elle, semble souvent connaître, dans une mesure profonde,
ce que nous ignorons ; savoir distinguer ce qui est essence des choses et
représentations ; le savoir assez pour être capable de modifier
les rapports régissant normalement les représentations, et cela,
à son gré, dans l'espace et le temps. En un mot, les phénomènes
élevés du médiumnisme paraissent indiquer, nécessiter,
proclamer une direction, une connaissance, une puissance dépassant
les facultés, mêmes subconscientes, des médiums.
Telle est du moins l'impression profonde que je garde de mes expériences
comme du récit de certaines expériences d'autres métapsychistes.
On comprendrait alors, si mon impression est juste, pourquoi certaines séries
d'expériences célèbres, telles que celles de Crookes
ou de Richet, semblent n'avoir eu qu'un but : apporter à des savants
éminents une conviction inattendue, par les procédés
susceptibles de les frapper davantage.
2. En ce qui concerne les « enseignements » donnés par
les communicateurs, les difficultés d'appréciation ne sont pas
moindres.
Ces enseignements sont de nature et de valeur trop variables pour servir de
base à des convictions rationnelles. Leurs contradictions, que M. Maxwell[6]
s'est efforcé de faire ressortir, sont déconcertantes pour qui
voudrait se baser uniquement sur elles. Mais ce qui n'est pas moins évident,
c'est que ces contradictions sont naturelles et inévitables.
En effet, en tenant compte, toujours, des notions précédentes,
on peut concevoir, à une communication médiumnique, deux origines
:
A) La communication peut provenir exclusivement du médium : elle peut
être due soit à l'automatisme cérébral, soit à
une disjonction mentale et à une personnification factice, soit à
une manifestation cryptomnésique ou cryptopsychique... On comprend
alors combien sa valeur peut être variable. Le médiumnisme intellectuel
sera tantôt la source de divinations ou de révélations
merveilleuses, tantôt et plus souvent de banalités, de mensonges
et d'erreurs. Il pourra révéler une inspiration supérieure
; il pourra aussi étaler une déconcertante et niaise incohérence.
Il y a tous les degrés, toutes les catégories dans les produits
de la disjonction du mental : seuls les ignorants pourront désormais
s'en étonner et s'en émouvoir.
« Nous sommes dans notre corps, écrit poétiquement Maeterlinck[7], des prisonniers, profondément ensevelis avec lesquels il (le moi
réel, l'hôte inconnu) ne communique pas quand il veut. Il rode
autour des murs, il crie, il avertit, il frappe à toutes les portes
; mais rien ne nous parvient qu'une inquiétude vague, un murmure indistinct
que nous traduit parfois un geôlier mal éveillé et d'ailleurs,
comme nous, captif jusqu'à la mort... En d'autres termes, et pour parler
sans métaphores, c'est le médium qui tire, de son langage habituel
et de celui que lui suggère l'assistance, de quoi revêtir et
identifier les pressentiments, les visions aux formes insolites qui sortent
il ne sait d'où. »
Cet hôte inconnu, cet Etre subconscient, n'est pas en réalité
un être homogène et un. Il faudrait plutôt l'appeler «
le complexus subconscient », capable de se révéler à
nous dans les formes et avec les attributs les plus divers. L'unité
n'appartient qu'au moi réel, distinct des processus mentaux autant
que du revêtement organique, mais gardant en lui la totalité
mnésique des représentations. Pour que le moi, soustrait à
la limitation organique, arrive à se révéler dans ses
capacités supérieures, et dans l'immensité de ses acquisitions
conscientielles latentes, il faut qu'il se rende suffisamment maître
de son mental décentralisé.
Une pareille condition est rarement réalisée et c'est pourquoi,
le plus souvent, les manifestations cryptopsychiques sont fragmentaires et
déviées.
B) Si la communication provient d'une intelligence distincte du médium,
elle ne pourra être elle-même, le plus souvent et dans une mesure
très variable, que fragmentaire et faussée. En passant par le
canal médiumnique, elle sera forcément limitée par le
mental et la cérébration du médium. Alors que l'inspiration
subconsciente intrinsèque elle-même a déjà tant
de peine à se répercuter intacte dans le cerveau, à plus
forte raison une inspiration extrinsèque sera-t-elle bornée,
diminuée ou déformée. Ce n'est pas tout : par le seul
fait de se communiquer, le communicateur subit un trouble psychique expressément
noté par tous les chercheurs, spécialement par les Anglo-américains.
En empruntant la substance du médium, l'Etre se limite, comme il se
limite, à la naissance, en se formant un corps avec la substance maternelle.
Il subit, par le fait de la communication sur le plan matériel, une
sorte de réincarnation relative et momentanée, accompagnée,
dans une certaine mesure, comme la réincarnation normale, de l'oubli
de sa situation réelle et de la mise en réserve de la majeure
partie de ses acquisitions conscientielles.
Si l'on admet la manifestation spiritique, on est obligé de penser
que, pendant le cours de sa manifestation par l'intermédiaire du médium,
l'Etre se trouve irrésistiblement ramené aux conditions qui
le caractérisaient de son vivant. C'est pour ces raisons, en vertu
de ces difficultés primordiales, que les communicateurs peuvent abonder
en détails sur leur identité et si difficilement donner des
notions précises sur leur situation réelle.
Ces notions, si elles étaient exactes, tendraient à établir
l'existence d'un « au-delà » assez peu dissemblable de
« l'en deçà ». La « représentation
» que s'en ferait l'esprit désincarné rappellerait du
moins, sur des « plans » plus subtils et rapportables à
ce que nous avons vu de la constitution individuelle, la « représentation
» que se fait le moi incarné du monde matériel.
Les renseignements relatifs à l'évolution, au passage de «
l'inconscient au conscient » sont plus précis.
Si l’on ne tient compte, comme il est logique, que des messages portant
la marque d'une inspiration élevée et d'une volonté supérieure,
on voit s'évanouir la plupart des contradictions.
Toutes les communications élevées, toutes, sans exceptions,
affirment la survivance de ce qu'il y a d'essentiel dans le moi, et l'évolution
indéfinie vers plus de conscience et plus de perfection. Toutes placent
l'idéal et la fin de l'humanité au-dessus de tous les dogmatismes.
Toutes proclament une morale supérieure de bonté et de justice.
L'évolution progressive de l'inconscient au conscient, n'est pas toujours,
cependant, rapportée à la palingénésie. La pluralité
des existences n'est jamais niée, dans les communications élevées,
mais elle est souvent sous-entendue. Ainsi en est-il dans les admirables messages
reçus par Stainton Moses[8].
Peu importe d'ailleurs. Il est évidemment prudent de ne tenir compte,
dans la philosophie de l'évolution individuelle, que des faits et des
inductions rationnelles. C'est sur eux que doit reposer la souveraine beauté
et l'éclatante vérité de l'évolution palingénésique.
Il n'est nul besoin d'autre révélation.
[1] on sait que le niveau actuel d'évolution humaine ne donne pas la connaissance du mécanisme vital ni la possibilité d'agir sur les grandes fonctions — le dynamisme vital gardant une large autonomie.
[2]Phénomènes élémentaires d'extériorisation ou ébauches d'action mento-mentale ou de clairvoyance.
[3] Correspondances croisées, communications de la même entité à divers médiums isolés et sans rapports.
[4] Annales des sciences psychiques : Contribution à l’étude des correspondances croisées.
[5] Consulter surtout les « Proceedings » des sociétés anglo-américaines d'études psychiques et le livre récent d'Oliver Lodge : « Raymond ».
[6] Maxwell : « Les phénomènes psychiques.
[7] Maeterlinck : « L'hôte inconnu ».
[8] Enseignements spiritualistes.
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