Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec

Chapitre IV
L’interprétation de la psychologie d’après les notions nouvelles

Il nous reste à adapter les notions précédentes à l'interprétation intégrale de la psychologie.
Nous allons trouver une preuve magnifique et concluante de leur véracité dans l'aisance et la limpidité de cette interprétation, faisant place à la lamentable impuissance de la psychologie classique.
Pour la psychologie classique, en effet, tous les états, tous les faits que nous allons envisager sont encore de purs mystères.

1° La Psychologie dite normale
Supposons, chez un individu quelconque, la synthèse bien établie entre ses divers principes constitutifs. Ils sont liés par une affinité suffisante et il n'y a aucun sujet de désharmonie.
La centralisation est forte et l'homogénéité évidente.
La monade centrale, le moi, dirige le dynamo-psychisme mental et a le contrôle complet sur tous ses éléments. Par le dynamo-psychisme mental, il dirige le dynamisme vital et l'organisme, dans les limites seules que comporte son niveau évolutif[1].
L'individu, ainsi constitué, est bien équilibré. Sa santé psychique est parfaite.
Mais en même temps, il se trouve très limité par les contingences organiques. La solidarité de son psychisme supérieur et de son psychisme cérébral étant absolue, toute l'activité du premier est bornée par l'étendue du second et restreinte à ses contingences.
Cet individu n'a pas, ne peut pas avoir conscience de ses capacités latentes ni de rien de ce qui concerne le psychisme supérieur. Chez lui, les produits de l'inspiration supérieure et du travail cérébral, étroitement amalgamés, forment un tout harmonieux. Sa psychologie est la psychologie normale, typique, marquée par l'équilibre des facultés et leur rendement régulier, mais aussi par leur étroite limitation.
Les êtres bien équilibrés peuvent être d'un niveau évolutif très variable. Il y a, parmi eux, beaucoup de médiocres, mais aussi des hommes fort intelligents.
Leurs productions intellectuelles sont régulières et sans à coup. Ils ne s'aperçoivent jamais du rendement subconscient, qui se confond étroitement chez eux avec le résultat du travail volontaire.
Ils ne connaissent guère l'intuition. Ils ne sont pas originaux. S'ils comprennent l'art, ils ne sont jamais des artistes, dans le beau sens du terme ; encore moins des inventeurs ni des créateurs. Ils n'ont jamais de vue géniale ni d'inspiration supérieure.
Les êtres bien équilibrés jouent un rôle scientifique ou social utile par leur pondération et la justesse de leur raisonnement à l'égard des contingences ; et en même temps nuisible par leur misonéisme et leur esprit de stabilité.
Leurs opinions sont généralement celles de leur milieu. Ils ne cherchent pas à innover et sont portés à accepter ce qui est idée régnante, celle-ci leur semblant établie comme juste par le seul fait qu'elle est régnante.
Ils sont réfractaires à la philosophie, ou bien se contentent d'une philosophie banale, terne, conforme aux idées établies. Ils ont une forte tendance au matérialisme : car la fusion étroite des principes constitutifs et leur limitation par la matière ne leur permet pas de voir au-delà de la matière. Ce qui, en eux, est au-dessus de cette limitation matérielle leur est tout à fait inconnu. Ils n'ont d'ailleurs guère de curiosité philosophique réelle. Pour eux, tout est relativement simple, parce qu'ils évitent d'aller au fond des choses.

2° Psychologie anormale
Supposons maintenant, au lieu de la synthèse harmonieuse bien établie et de l'amalgame parfait, hiérarchisé et fondu des divers principes constitutifs du moi, une synthèse instable, un manque d'union ou d'affinité entre les « cadres », une désharmonie : toute la psychologie anormale en sera le résultat.
Qu'il y ait rupture d'équilibre ou manque d'harmonie entre le corps et le dynamisme vital qui le dirige et le conditionne, nous avons là l'origine de toutes les manifestations hystériformes d'ordre physiologique.
Qu'il y ait rupture d’équilibre ou manque d'harmonie entre l'organisme et le dynamisme vital d'une part, et le dynamo-psychisme mental, d'autre part, nous avons là l'origine de toutes les manifestations hystériformes d'ordre psychologique.
Qu'il y ait déséquilibre entre le mental et le moi, nous avons là la source de toutes les manifestations de déséquilibre mental depuis la névrose simple jusqu'à la désintégration en personnalités multiples et jusqu'à la folie.
Théoriquement, le déséquilibre pourrait n'exister qu'entre deux des principes constitutifs du moi ; mais en réalité, il n'y a jamais de déséquilibre exclusivement partiel. Par suite de la solidarité essentielle du groupement individuel, toute cause de désharmonie entre deux « cadres » retentit sur tout le groupement. C'est pourquoi il n'y a pas de troubles hystérico-physiologiques sans troubles mentaux et pas de trouble dans le mental sans répercussions hystériformes.
La même cause productrice de la psychologie anormale, le manque d'équilibre parfait entre les principes constitutifs du groupement individuel, permet aussi la manifestation isolée de l'un ou l'autre de ces principes ; sa « sécession » ou même son « extériorisation ».
Elle a enfin un résultat heureux : celui de diminuer la limitation du psychisme supérieur.
Ainsi, le même facteur est la source de la morbidité psychologique et des manifestations psychiques élevées ; ouvre la porte à la fois au désordre mental et aux productions cryptopsychiques, cryptomnésiques, intuitives, géniales ou supra normales ; permet à l'Etre la vision, par éclairs, de son état réel et de sa destinée. Ces notions générales acquises, nous pouvons entrer dans la voie des détails. Nous considérerons successivement :
— Les états névropathiques ;
— La neurasthénie ;
— L'hystérie et l'hypnotisme ;
— La folie ;
— Les altérations de la personnalité ;
— Le travail intellectuel dans le psychisme subconscient supérieur et le génie ;
— La cryptosychie et la cryptomnésie ;
— Le supra normal ;
— Le médiumnisme.
Tous ces états psychologiques anormaux ont des points de contact inévitables et des rapports réciproques, tant par leur nature originelle que par leur conditionnement. Ils s'interpénètrent fréquemment.

3° Les états névropathiques
A la base de tout état névropathique, il y a instabilité d'équilibre dans le groupement individuel, avec désordres relatifs partiels, fragmentaires, causes de toutes les manifestations de souffrance nerveuse.
Au contraire de ce que nous avons constaté dans l'Etre bien équilibré, nous voyons un manque d'homogénéité, d'affinité, de dépendance entre les divers principes constitutifs. La direction centralisatrice est imparfaite : il n'y a plus de fusion harmonieuse entre le moi et le mental, entre le mental et le dynamisme vital, entre ce dernier et l'organisme.
Cet état d'équilibre instable permet des décentralisations momentanées et partielles, sources de désordres mais aussi conditions d'une moindre limitation par l'organisme et de l'apparition, de la mise au jour possible de tout ce qui, dans l'Etre psychique normal, est cryptoïde ou occulte, comme facultés et comme connaissances. Mais cette mise au jour ne se manifeste jamais par un rendement régulier : La production intellectuelle se fait par à coups. Elle nécessite une collaboration consciente-subconsciente dont nous connaissons les modalités et les difficultés.
Les êtres ainsi constitués, sont, comme les êtres bien équilibrés, d'un niveau évolutif très variable : il est parmi eux des médiocres, dont un grain d'originalité corrige cependant la monotonie psychologique.
Il est des névropathes inférieurs, qui traînent une existence morbide de demi-fous ou de demi-imbéciles, avec les tares physiques et mentales dites de dégénérescence.
Il y a enfin les névropathes supérieurs dont le talent ou le génie, de par sa nature originelle, est inséparable des mêmes tares.
Le névropathe supérieur souffre infiniment de ces tares : il a peine à bien conduire son groupement, à diriger son organisme et même son mental. Souvent ce mental lui échappe plus ou moins et il lui arrive, alors, de frôler le déséquilibre total ou la folie. En dehors des tares psychophysiologiques, le névropathe supérieur sent aussi obscurément la limitation imposée par les sens et le cerveau, et c'est là, pour lui, sans même qu'il l'analyse bien, sa plus grande souffrance.
Quelle peine, en effet, dans cette limitation : dans la perception intuitive des facultés supérieures réelles mais échappant néanmoins à la libre disposition ; dans le besoin de ramener à un travail analytique concret de vastes pensées abstraites ; dans l'effort pour exprimer par des mots ce qui se conçoit si bien sans les mots ; dans la nécessité, de soumettre à ce qu'il y a de plus inférieur, le mécanisme organique, ce qu'il y a de plus élevé, le moi conscient !
Guyau a magnifiquement fait ressortir ce point de vue : « Nous souffrons, écrit-il, d'une sorte d'hypertrophie de l'intelligence. Tous ceux qui travaillent de la pensée, tous ceux qui méditent sur la vie et la mort, tous ceux qui philosophent finissent par éprouver cette souffrance. Et il en est de même des vrais artistes, qui passent leur vie à essayer la réalisation d'un idéal plus ou moins inaccessible. On est attiré à la fois de tous les côtés, par toutes les sciences, par tous les arts ; on voudrait se donner à tous ; on est forcé de se retenir, de se partager. Il faut sentir son cerveau avide attirer à lui la sève de tout l'organisme, être forcé de le dompter, se résigner à végéter au lieu de vivre ! On ne s'y résigne pas, on aime mieux s'abandonner à la flamme intérieure qui consume. La pensée affaiblit graduellement, exagère le système nerveux, rend femme ; elle n'ôte pourtant rien à la volonté, qui reste virile, toujours tendue, inassouvie. De là des luttes longues, un malaise sans fin, une guerre de soi contre soi. Il faudrait choisir : avoir des muscles ou des nerfs, être homme ou femme : le penseur, l'artiste n'est ni l'un ni l'autre.
« Ah ! Si, en une seule fois et d'un seul effort immense, nous pouvions arracher de nous-mêmes et mettre au jour le monde de pensées ou de sentiments que nous portons, comme on le ferait avec joie, avec volupté, dût notre organisme tout entier se briser dans ce déchirement d'une création ! Mais non, il faut se donner par petites fractions, se répandre goutte à goutte, subir toutes les interruptions de la vie. Peu à peu l'organisme s'épuise dans cette lutte de l'idée avec le corps, puis l'intelligence elle-même se trouble, pâlit, comme une lumière vivante et souffrante qui tremble à un vent toujours plus âpre, jusqu'à ce que l'esprit vaincu s'affaisse sur lui-même. »
La coexistence des troubles névropathiques ou même de la folie avec l'inspiration géniale ne prouve donc pas que cette dernière dérive de ceux-là. Elle prouve simplement que le déséquilibre dans le groupement individuel, condition première de ses manifestations décentralisatrices, est à la base du génie. De fait, la décentralisation psychologique est parfois poussée à tel point chez l'homme de génie, qu'il lui arrive de se comporter comme un visionnaire ; d'extérioriser ses inspirations, de les objectiver jusqu'à l'hallucination.
Un type de névropathe non moins curieux que l'homme de génie est le médium.
Ce qui caractérise essentiellement le type médium, c'est l'excessive tendance à la décentralisation dans son groupement individuel. C'est grâce à cette tendance que les phénomènes d'extériorisation ou d'action isolée des éléments constitutifs, la mise en jeu des réserves cryptoïdes et l'irruption du supra normal sont possibles.
La tendance décentralisatrice est l'origine des tares névropathiques habituelles ; mais de plus elle soustrait d'une manière anormale, plus forte que chez les autres névropathes, le groupement individuel à l'action directrice du moi. Le médium n'est pas maître chez lui : de là, au point de vue psychologique, une triple caractéristique :
— Il présente une grande impressionnabilité ;
— Il est très suggestible ;
— Il offre une instabilité extrême d'humeur et d'idées.
Cette caractéristique se retrouve, plus ou moins, chez tous les médiums, quelle que soit leur valeur intellectuelle.
L'instabilité psychologique des médiums n'empêche d'ailleurs ni la volonté d'être forte ni l'esprit de suite d'être remarquable, chez les médiums supérieurs du moins, mais l'un et l'autre ne sont tels que lorsqu'ils s'appuient sur une suggestion ou une auto suggestion.
En dehors de ces circonstances, d'étranges défaillances peuvent se manifester : les opinions du médium sont instables, éminemment accessibles aux influences ambiantes, quand il n'est pas sur ses gardes. On le voit, d'un jour à l'autre, de la meilleure foi du monde et avec une ardeur toujours nouvelle, soutenir des idées diamétralement opposées. Il lui arrive, d'ailleurs, dans un court espace de temps, de passer par des alternatives extrêmes dans l'expression de sentiments contradictoires.
L'impuissance régulatrice du moi sur le mental se manifeste par une grande tendance aux disjonctions dans ce dernier. Ces disjonctions aboutissent parfois à la formation de personnalités secondes, suivant un processus que nous étudierons plus loin ; plus fréquemment à des ébauches de dédoublement, grâce auxquelles le médium apparaît essentiellement complexe, difficile à juger, capable des actes et pensées les plus divers et les plus contradictoires.
Dans la vie de tous les jours, on observe constamment la prédominance brusque et dominatrice d'une idée, d'une impression, d'un sentiment. Aussitôt, toutes les forces psychologiques, échappant au contrôle du moi, se groupent autour de l'idée usurpatrice et lui donnent une force inattendue. C'est pour cette raison que les médiums font de très bons comédiens.
Cette toute puissance d'une idée peut avoir des résultats féconds ; mais en général, la pseudo centralisation autour de l'idée dure peu. Une idée nouvelle prend la place de l'idée usurpatrice et détermine un nouveau groupement et une nouvelle impulsion. A la merci de l'impression du moment, le médium est en proie au déclenchement subit, disproportionné, des forces psychiques dans le sens donné par l'impression. Il échappe alors à toute influence extérieure comme à tout raisonnement. Dans ces moments, une contradiction extérieure n'est jamais accueillie.
La concentration des forces psychologiques autour d'idées incessamment renouvelées et immédiatement renforcées par cette concentration fait que les médiums, quand ils sont intellectuellement supérieurs, font de brillants causeurs et des improvisateurs hors ligne ; mais le fonds même de leurs productions intellectuelles est extrêmement variable : il varie de l'inspiration supérieure à la fluence banale, véritable incontinence de la pensée.
De même que les tares névropathiques des hommes de génie n'expliquent pas le génie, de même les caractères ou défauts psychologiques des médiums n'expliquent pas le médiumnisme. Elles en sont, simplement, l'accompagnement inévitable.

4° La neurasthénie
Il peut sembler bizarre de faire de la neurasthénie un état relevant du déséquilibre dans le groupement individuel.
Rien n'est plus vrai cependant.
La neurasthénie est essentiellement due à un rapport défectueux entre le dynamisme vital et l'organisme.
Le trouble ne saurait exister sans une prédisposition congénitale ; mais il est généralement déclenché par une cause quelconque, une infection ou intoxication légère, un défaut de sécrétion glandulaire, une petite tare organique, un élément réflexe. Quelle que soit « l'épine » causale, il n'y a aucune proportion entre les symptômes et l'élément originel.
La défectuosité d'action du dynamisme vital se traduit, avant tout, par une impression de fatigue. Les fonctions vitales, l'usage régulier des organes, tout ce qui dans l'action physiologique, s'exécute généralement sans attention et sans peine, nécessite un effort douloureux chez le neurasthénique.
Le sommeil est troublé. Il y a toujours insomnie ou hypo-somnie n'interrompant pas complètement l'activité du cerveau. Aussi le sommeil n'est plus réparateur et le réveil est marqué par une grande fatigue. Dans le jour, le travail cérébral est lent, difficile, marqué par la difficulté d'associer les idées et de concentrer l'attention.
Le déséquilibre entre l'organisme et le dynamisme vital se répercute plus ou moins dans tout le groupement.
Ainsi, la neurasthénie n'est pas la conséquence de l'épuisement nerveux, qui est secondaire ; mais d'un trouble dans l'action du dynamisme vital sur le corps.
Pour guérir la neurasthénie, il ne s'agit pas de donner des « toniques ». Il faut avant tout, régulariser les rapports de l'organisme avec le dynamisme vital, et en même temps supprimer le trouble organique causal.
Ce dernier point est actuellement accessible à la science médicale ; et en fait on améliore toujours la neurasthénie lorsqu'on arrive à connaître et à supprimer la cause originelle.
Le premier point, le plus important, la régulation du dynamisme vital dans ses rapports avec l'organisme, devra être étudié et découvert en se basant sur les notions nouvelles et la connaissance précise de ce dynamisme vital. On devra essayer probablement les agents physiques dont le dynamisme est si puissant, Déjà, l'héliothérapie, la vie au grand air, jouent un rôle appréciable. Il y a là tout un vaste champ d'explorations.
La médiumnité curative mérite d'être sérieusement étudiée. Certains sujets semblent capables d'extérioriser partie de leur propre dynamisme vital pour renforcer le dynamisme vital défaillant de malades.
De là des cures surprenantes et qui dépassent même, peut-être, le cadre des maladies nerveuses.

5° L'Hystérie
L'hystérie est conditionnée par la désharmonie entre les principes constitutifs du groupement individuel et l'absence de subordination à la direction centrale du moi.
Au point de vue physique et physiologique, la désharmonie, l'absence d'affinité et de concordance entre les organes et le dynamisme vital expliquent toutes les tares polymorphes, toutes les localisations morbides : anesthésies, hyperesthésies, contractures, paralysies, troubles trophiques.
Les manifestations de la névrose seront instables et changeantes, précisément parce qu'elles ne sont pas des manifestations organiques mais des produits de l'insuffisance régulatrice du dynamisme vital.
Au point de vue psychologique, la désharmonie entre le mental et le moi et l'impuissance directrice de ce dernier expliquent toutes les tares psychiques si connues et si banales. L'hystérique est généralement un névropathe inférieur, incapable de s'acquitter de sa tâche : c'est un mécanicien qui ne sait pas conduire sa machine.
La suggestibilité, le pithiatisme, sont corollaires de la débilité de la direction du moi. Ils ne sont pas la cause mais la conséquence de l'état hystérique.

6° La Folie
Faisons un pas de plus : supposons un déséquilibre non plus relatif, mais absolu ou à peu près absolu ; un manque de direction non plus incomplet, mais total, ou à peu près total : nous avons la folie.
La folie c'est, avant tout, l'anarchie des éléments mentaux, sur lesquels le moi n'a plus d'action ; pas même le contrôle limité, caduc et intermittent qu'il garde encore dans l'hystérie.
L'anarchie mentale, par suppression du contrôle du moi, étant établie, que va-t-il se passer ?
Les fonctions psychiques, les facultés, les connaissances sont intactes, mais privées de direction. Elles peuvent n'accuser que de l'incohérence ; mais plus souvent la prédominance d'une idée, d'un sentiment, d'un groupement psychique élémentaire s'établit tant bien que mal et tend à s'imposer. De là, les troubles monoïdéiques et les délires systématisés.
Le déséquilibre mental n'est pas isolé : il s'accompagne toujours d'un déséquilibre total du groupement individuel, par suite de la solidarité fondamentale des principes constitutifs. La folie peut d'ailleurs être ascendante ou descendante, provenir du mental ou y aboutir. Très souvent, on le sait, elle est déclenchée par un trouble d'origine physiologique : toxique, infectieux ou réflexe atteignant le cerveau. Dans ces cas elle se traduira fréquemment par la confusion mentale ou par des phénomènes d'excitation maniaque ou de dépression mélancolique, alternant parfois dans le délire circulaire. L'hérédité habituelle de la folie prouve l'importance du facteur physiologique dans sa genèse. D'autres fois, elle est d'origine purement mentale : dans ces cas elle est souvent incomplète. Il persiste alors un certain degré de contrôle du moi, insuffisant pour éviter la tendance au délire et la systématisation anormale autour d'une idée prédominante, mais suffisant pour laisser une apparence de raison et permettre la continuation de la vie psychique.
Il y a tous les degrés dans la folie d'origine mentale ; toutes les transitions entre le détraquement ébauché et la démence complète. Il n'y a pas seulement des demi-fous » il y a des « quarts et des dixièmes de fous. »
Le contrôle du moi sur son mental, dans la phase évolutive actuelle de l'humanité, est établi sur des bases si fragiles, qu'il s'affirme rarement avec régularité. En ce sens il n'est pas d'homme qui échappe complètement au déséquilibre mental. La folie ébauchée est presque la règle, et la santé psychique parfaite l'exception.
Qu'elle soit d'origine organique ou d'origine mentale, la folie essentielle n'est pas à proprement parler une maladie du cerveau. Elle est simplement le contrôle insuffisant ou nul du moi sur son mental. Les groupes élémentaires de ce dernier sont intacts et restent longtemps intacts. Toutefois, si le contrôle supérieur ne se rétablit pas, la désorganisation prolongée se répercute sur la fonction cérébrale et finit par s'y traduire par des lésions dégénératrices.

7° L'Hypnotisme
L’hypnotisme et ses modalités sont d'une interprétation extrêmement simple.
Ses manifestations sont analogues à celles de l'hystérie, avec la différence qu'elles sont artificielles et généralement amplifiées.
L’hypnose exige un certain état de prédisposition à la décentralisation, comme le médiumnisme.
Elle se réalise par une rupture factice dans l'équilibre du groupement individuel.
La cause réelle et vraie, la condition primordiale, c'est la décentralisation du groupement individuel.
Tous les phénomènes habituels se comprennent alors immédiatement : l'automatisme, la suggestibilité, les modifications de la personnalité, la substitution à la direction centrale d'une direction usurpatrice intrinsèque ou extrinsèque, le monoïdéisme, etc..
Le psychisme cérébral, isolé, sera surtout remarquable par son automatisme et son extrême suggestibilité. Il constituera, dans ses manifestations, comme une sorte de subconscience inférieure, passive, incapable d'aller au-delà de l'acquis et de l'habitude.
Le psychisme extra-cérébral se manifestera par la cryptomnésie et la cryptopsychie, par sa complexité extrême, par son groupement en personnalités d'ordre très variable. Parfois enfin, il se révélera par ses capacités supérieures et par des éclairs supra normaux dus à la décentralisation et par suite à la diminution relative et momentanée de la limitation organique : l'hypnotisme est comme une porte entrouverte sur la portion cryptoïde du moi.
Quel rôle est dévolu à la suggestion dans la genèse de l'hypnose ? Simplement celui d'un facteur fréquent, commode mais nullement indispensable. La suggestion, par elle-même, n'explique rien. Elle n'agit d'ailleurs que secondairement, par suite de la diminution ou de la suppression de la direction supérieure du moi sur le groupement individuel décentralisé. Elle peut agir, exceptionnellement, sur les éléments mentaux mais elle agit surtout, est-il besoin de le faire remarquer ? sur le psychisme cérébral.
L'état d'hypnose banal, celui qui est classique, est dû, avant tout, à la sécession du bloc inférieur (dynamisme vital et organisme) d'avec le bloc supérieur (mental et moi). Ce bloc inférieur agit ou comme un automate ou comme un esclave sous la suggestion du magnétiseur.
Automatisme et toute puissance de la suggestion se comprennent ainsi sans peine.
L'automatisme dans l'hypnose et le somnambulisme est remarquable par la perfection des actes accomplis.
Dans « l'être subconscient » j'avais expliqué cette perfection par le fait que toutes les forces vitales, groupées autour d'une seule idée, sans réflexion et sans distraction, lui donnent une grande puissance et une grande sûreté. Cela est vrai, sans doute, mais il y a autre chose ; il y a comme une singulière régression de l'humanité à l'animalité : Le bloc inférieur, privé de la direction consciente, semble recouvrer alors, pour un temps, la sûreté caractéristique de l'instinct animal.

8° Les altérations de la personnalité
Rien ne fait mieux ressortir la vérité de notre conception de l'individu que l'aisance avec laquelle elle va nous permettre de comprendre les altérations de la personnalité.
Ces manifestations ont été, jusqu'à présent, ou bien de pures énigmes, ou bien l'origine de pseudo-interprétations, les plus grossières ou les plus insensées, quand toutefois ces pseudo-interprétations n'aboutissaient pas simplement à un verbalisme imbécile, distinguant la subconscience de l'infraconscience, de la super conscience ou de la cocon-science !
A la base du phénomène et comme cause originelle, on note la mise à l'écart de la direction centrale du moi : les personnalités factices sont dues à des manifestations isolées dans le groupement psychologique séparé du moi.
L'activité isolée du psychisme cérébral se traduira soit par l'automatisme, soit par des pseudo personnalités d'origine suggestive, pseudo personnalités banales, d'ordre inférieur, sans originalité.
L'activité isolée des éléments mentaux du psychisme extra cérébral sera la source de la multiplication des personnalités dans ses modalités élevées et complexes.
Le phénomène de dissociation mentale ébauchée, de tendance au dédoublement est fréquent dans la vie normale, par suite de la complexité du mental, de la prédominance alternative de certains groupements, parfois rivaux ou antagonistes et de l'impuissance relative du moi à les mettre d'accord. Mais dans les états anormaux et chez certains prédisposés, le dédoublement de la personnalité acquiert une puissance inattendue.
Pour que de véritables personnalités multiples apparaissent, deux conditions essentielles doivent se présenter :
— D'abord la faculté de décentralisation et l'instabilité de la direction centrale, l'impuissance de « l'autocratisme » individuel.
— Puis le défaut d'assimilation des éléments mentaux par le moi.
Cette seconde condition est capitale. Sans ce défaut d'assimilation, il pourra y avoir décentralisation : il n'y aura pas apparition d'une « personnalité » digne de ce nom.
Nous avons vu que le moi garde en lui la notion intégrale des états de conscience et se les assimile. Si l'assimilation est imparfaite, les états de conscience conservent, avec leur autonomie, leur activité excentrique et centrifuge, avec tendance aux manifestations isolées et distinctes.
La genèse d'une personnalité seconde est alors facile à se représenter : tout d'abord, il y a activité anormale, « bourgeonnement parasitaire » dans le mental. Un groupement mal assimilé se constituera autour d'une pensée, particulièrement active, d'une émotion, d'une tendance, d'une impression, d'une suggestion ou d'une auto-suggestion. Ce groupement primaire, échappant en partie au contrôle directeur et centralisateur, attire autour de lui, par affinité, des éléments mentaux secondaires plus faibles.
Dès lors s'élaborera, dans les profondeurs du mental, une lutte latente et sourde entre le moi et la personnalité parasitaire. Le plus souvent, cette dernière, vaincue, se désagrège et s'assimile au moi. Mais parfois, par suite de l'impuissance directrice de ce dernier, soit qu'il soit faible par son niveau évolutif, soit que son action se trouve gênée par un manque d'affinité originel ou acquis ou
par la tendance congénitale du groupement à la décentralisation, la personnalité parasitaire prospère et se développe.
Elle groupe autour d'elle une part de plus en plus vaste des activités mentales, s'adjoint des éléments imaginatifs, se fortifie par un exercice journalier et bientôt, une rupture sera possible : une confédération nouvelle se sera formée dans le mental ; une sécession d'avec le moi.
Dès lors, une lutte ouverte s'établira, avec résultats variables, retours de fortune, entre le moi et la ou les personnalités factices, pour la possession du pouvoir, pour l'intégrité ou les désagrégations partielles, pour la domination sur le champ psychologique.
Il n'est aucun cas connu de personnalités secondes qui ne soit explicable par ce processus.
On pourrait peut-être aller plus loin encore ; supposer un défaut d'assimilation des éléments mentaux par le moi, non seulement dans la période comprise depuis la naissance du groupement vital actuel, mais jusqu'en deçà de ce groupement, dans un groupement antérieur : dans cette hypothèse, qui aurait besoin d'être établie sur des faits, on reculerait encore, on élargirait formidablement la genèse possible des personnalités secondes.
Telle ou telle de ces personnalités secondes pourrait ainsi n'être que la « représentation » mal assimilée et restée autonome, du moi dans une vie précédente...
Parmi les personnalités secondes, une part toute spéciale doit être faite aux personnalités médiumniques. Par leur caractère d'autonomie, leur originalité, leur permanence, par leurs affirmations très spéciales aussi sur leur origine ; enfin par les facultés supra normales dont elles font preuve parfois, elles doivent faire l'objet d'une étude séparée. Nous les considérerons en dernier lieu.

9° Le travail intellectuel et ses modalités. Le génie
Le travail intellectuel ordinaire est dû essentiellement à une collaboration étroite du psychisme cérébral et du psychisme supérieur.
Pendant l'état de veille, chez l'homme normal, il y a fusion, union, homogénéité des deux psychismes, d'où productions régulières mais qualitativement limitées par les capacités cérébrales. Les facultés supérieures ne se manifestent guère que par les tendances innées, les capacités générales et le caractère de l'individu. Pendant le repos du cerveau, l'activité psychique supérieure persiste, mais n'est guère perçue ou reste totalement latente. Son action se manifeste néanmoins dans le mécanisme si connu de l'élaboration subconsciente, qu'on attribuait à tort, nous l'avons vu, à l'automatisme du cerveau.
L'automatisme du cerveau n'apparaît que dans les rêves ordinaires, incohérents, futiles, d'ordre banal.
Les rêves logiques, cohérents ou géniaux sont dus à une répercussion accidentelle du psychisme supérieur, toujours actif bien qu'inaperçu, dans le psychisme cérébral.
A côté du rêve, se place la rêverie. La rêverie est due au relâchement de l'effort intellectuel et du contrôle précis du moi. Les idées se déroulent suivant des associations ou des affinités habituelles et le moi assiste à leur défilé comme à un spectacle. Il n'intervient guère, sinon de temps en temps pour écarter une idée pénible, orienter les idées dans le sens désiré ou lâcher la bride à des broderies imaginatives.
Le travail intellectuel, pour donner tout son rendement, pour assurer à la collaboration et la direction du psychisme supérieur extra cérébral toute son activité, nécessite une diminution, un relâchement de la centralisation du groupement individuel.
C'est pour cela que l'étendue de l'élaboration subconsciente et l'apparition de l'inspiration sont presque toujours associées aux états anormaux et névropathiques que conditionne cette décentralisation relative et momentanée.
Il semble par moments, que la limitation de l'Etre par la cérébration soit comme brisée : alors apparaissent les facultés supérieures, qui n'en resteront pas moins toujours gênées ou même déviées, par les alternatives d'effort, c'est-à-dire d'action centralisée, et de relâchement de la synthèse, seule capable de diminuer la limitation cérébrale.
La cryptopsychie et la cryptomnésie, incompréhensibles par le fait des facultés cérébrales, s'expliquent très aisément par le fait du psychisme subconscient supérieur. Non accessibles, directement, à la volonté et à la connaissance de l'Etre borné normalement par ses limitations cérébrales, elles n'en contribuent pas moins largement, quoique d'une façon occulte, à élargir le champ de son activité psychique, dont elles constituent la meilleure part.
L’innéité, les capacités non héréditaires, l'inspiration, le talent ou le génie, se manifestant en dehors du travail volontaire, s'expliquent par la nature essentielle du psychisme subconscient et par son rôle dans l'origine, le développement et le fonctionnement de l'Etre normal.
L'inspiration est le produit de l'activité, libérée et accrue par cette libération, du psychisme supérieur extra cérébral. Mais cette activité, par la même cause qui la libère, la décentralisation, ne se répercute dans la conscience normale que par éclairs, par intervalles ou par fragments, avec inconstance et irrégularité. Ce qu'on appelle « travail inconscient » est d'ailleurs rarement inspiration pure. C'est le plus souvent, nous le répétons, le résultat d'une sorte de collaboration du psychisme dit conscient et du psychisme subconscient supérieur.
Le conscient élabore ou amorce le travail ; mais la limitation des capacités cérébrales ne lui permet pas, en dépit de tous les efforts, de le mener à bien. Alors, la collaboration avec le subconscient s'établit, d'une manière latente. Elle se poursuit même et surtout pendant le repos du cerveau ; car le subconscient est dégagé des contingences physiologiques de cet organe et au-dessus de ses limitations. Le caractère inaperçu de cette collaboration fait que leur résultat prend parfois l'apparence d'une révélation.
Le génie tient de l'essence même du moi son pouvoir créateur. Il est bon de remarquer que, théoriquement, le génie n'implique pas forcément, pour ses manifestations, une évolution mentale supérieure. Il peut apparaître par éclairs et il s'observe, en réalité, à tous les degrés de l'échelle évolutive. Mais, pratiquement, pour donner une création durable, le génie nécessite des connaissances étendues des rapports des choses entre elles, connaissances conscientes ou subconscientes qui impliquent une haute évolution antérieure. Il faut remarquer aussi que le génie n'implique pas la perfection. Le génie, dans ses diverses manifestations, scientifiques, philosophiques, artistiques, religieuses, etc.. n'est pas à l'abri des désharmonies et des erreurs. Le contrôle réfléchi lui est indispensable, comme nous l'avons montré plus haut. C'est pour cela qu'un homme de génie ne peut rien apporter d'utile à l'humanité s'il n'est pas, en même temps, un homme hautement évolué.

10° Le Supra normal
Il en est de l'apparition du supra normal comme de celle de l’inspiration créatrice ou du génie : elle est conditionnée par un degré de décentralisation suffisant pour briser momentanément la limitation cérébrale de l'Etre.
De la profondeur de la conscience subliminale jailliront alors parfois, comme d'une fenêtre brusquement ouverte dans le cadre opaque de cette limitation, des éclairs éblouissants, quoique éphémères, de divination ; apparaîtront les capacités d'action mento-mentale, où se feront jour des pouvoirs supérieurs à la matière et dégagés des contingences de temps et d'espace.
Ces capacités lucides, ces pouvoirs en apparence illimités, n'ont en réalité rien de merveilleux ou, du moins, ils ne sont ni plus ni moins merveilleux que tous les phénomènes de la vie et de la pensée.
Entre le normal et le supra normal, il n’y a pas de ligne de démarcation, de frontière séparative ; l'un et l'autre relèvent des processus vitaux et leur seule différence vient de ce que le premier nous est familier, ce qui nous donne l'illusion de l'avoir compris ; tandis que le second tient son caractère occulte de ce qu'il était ignoré.
Le supra normal physiologique présente exactement le même mystère que le normal physiologique : la formation normale d'un organisme vivant n'est ni plus ni moins merveilleuse, ni plus ni moins compréhensible que la formation anormale du médiumnisme. C'est, nous le répétons, le même miracle idéoplastique qui forme, aux dépens du corps maternel, les mains, le visage, tous les tissus, l'organisme entier de l'enfant ; ou, aux dépens du corps du médium, les mains, le visage ou l'organisme entier d'une « matérialisation ».
Le supra normal psychologique lui-même n'est qu'une face, la face cachée, du conditionnement normal de l'Etre dont sa conscience apparente n'est que le reflet limité de sa conscience totale. Il y a le même mystère dans la création géniale et dans la lucidité, la même indépendance des contingences, le même reflet divin. Dans l'ensemble des phénomènes de la vie, de la conscience, de l'évolution de l’Etre, on ne comprend rien ou bien l’on comprend tout On ne comprend rien, si on veut ramener tout l'Etre à l'un de ses principes, surtout au plus grossier, l'organisme matériel ; on comprend tout lorsqu'on envisage le moi divin et permanent dans ses objectivations passagères et diverses.
En somme, il n'y a pas de supra normal ; comme il n'y a pas de miracles ! Le supra normal n'est que la manifestation inhabituelle, élargie par la décentralisation, du moi se révélant dans toutes ses capacités, même les plus supérieures et les plus latentes ; tandis que la vie psychique normale ne comporte que ses manifestations étroites, strictement rétrécies au champ matériel, aux représentations.
La connaissance du « supra normal » prouve simplement qu'il y a, dans le moi, des capacités supérieures inutilisées et inutilisables pendant l'objectivation terrestre, facultés d'action mento-mentale, facultés extra-sensorielles, facultés de divination synthétique et de clairvoyance, enfin facultés dominatrices sur la matière.
On peut admettre, avec Myers, que ces facultés supérieures, qui échappent entièrement à notre volonté pendant la vie terrestre, qui nous sont accessibles d'une manière relative et fragmentaire, à mesure que diminue dans la décentralisation anormale la limitation organique, nous sont accessibles d'une manière plus complète, après la rupture finale de cette limitation par la mort. De plus et surtout, il semble évident que ces facultés, en voie de culture, seront un jour pleinement soumises au moi. Leur usage régulier et normal marquera la vie supérieure, idéalement évoluée, ou la conscience aura établi son triomphe complet sur l'inconscience originelle. Alors, il n'y aura plus de « limitation » du moi par le groupement individuel qu'il dirige. Le moi connaîtra tout et pourra tout : il aura vraiment réalisé ses potentialités diverses et infinies.

11° Le Médiumnisme
Le médiumnisme pose de grands problèmes ; mais ces l'interprétation de la psychologie problèmes sont relativement simples si nous nous reportons aux notions précédentes :
Le mécanisme de l'action médiumnique peut se résumer ainsi : décentralisation dans le groupement individuel du médium et manifestations isolées des portions décentralisées.
Tantôt ces manifestations isolées s'exécutent dans le groupement même, intrinsèquement ; tantôt elles s'exécutent extrinsèquement, par une véritable extériorisation.
On voit quel champ immense est capable d'embrasser l'action médiumnique :
— Extériorisations motrices, sensorielles, dynamiques, intellectuelles ;
— Automatismes divers :
— Manifestations d'ordre psychologique d'une immense variété ;
— Action isolée du psychisme cérébral ; disjonctions dans le mental avec personnifications de nature et de niveau variable ; manifestations pithiatiques ou suggestives ; manifestations cryptospychiques, et cryptomnésiqués ; manifestations dites supra normales.
Ainsi compris, le médiumnisme est un monde ; monde défiant toute exploration partielle et fragmentaire, se dérobant à toute vision de détail, mais se révélant, dans la majestueuse constitution complexe de l'Etre, à la haute et claire vision d'ensemble.
Vouloir expliquer le médiumnisme par des séries d'hypothèses fragmentaires, adaptées seulement à quelques-uns de ses casiers, comme le font certains psychistes, est une entreprise insensée. Aucune des explications partielles ou de détail n'a, ne peut avoir la moindre valeur. On ne peut comprendre le médiumnisme, dans sa prodigieuse diversité, que par la connaissance de ce qu'est l'individu, de ce qu'est son groupement individuel, avec ses possibilités de dissociation relative et momentanée ; par la notion surtout de son essence métaphysique, du dynamo-psychisme créateur objectivé en lui. Si l'on part de cette conception nouvelle du moi et dans ce cas seulement, il devient aisé de comprendre, dans son infinie diversité, l'action médiumnique.
Cependant, à propos du médiumnisme, il reste et restera toujours des questions sujettes à controverses, même si l'on part des notions précises, ci-dessus exposées, sur la constitution de l'Etre.
Parmi ces questions réservées, deux surtout prêtent à discussion : celle des personnalités médiumniques et celle des enseignements donnés par ces personnalités.
1. Personnalités médiumniques. — Dans toute manifestation d'ordre médiumnique, s'observe une tendance extrêmement marquée à la « personnification ». Les disjonctions mentales, les extériorisations, les phénomènes cryptomnésiques ou cryptopsychiques, les pouvoirs supérieurs sur la matière ne sont généralement pas incohérents ou anarchiques ; ils dénotent un but, ils révèlent une direction. Cette direction est celle d'une personnalité seconde, en apparence distincte du moi.
Souvent la personnalité médiumnique est insignifiante et éphémère.
De même que la menue monnaie du médiumnisme[2] sont choses courantes dans l'existence, même normale, des médiums, ainsi la tendance aux disjonctions mentales et aux personnifications autonomes apparaît comme un phénomène banal et sans intérêt.
Mais, dans l'atmosphère favorable créée par les séances spiritiques ou à la suite d'entraînement et d'exercice, ou spontanément parfois, les manifestations se précisent et s'accentuent, et la personnification directrice acquiert alors une puissance parfois extrêmement remarquable et digne de la plus grande attention. Quelle est l'origine et la nature des personnalités médiumniques ? Dans les disjonctions ordinaires, les personnalités secondes, que nous avons vu apparaître par la décentralisation mentale, se comportent généralement comme des personnalités usurpatrices dans le moi. Elles semblent aspirer à remplacer l'autocratie légitime. Elles déclarent être le vrai moi. Dans le médiumnisme, leur allure est différente : elles déclarent être étrangères au moi ; elles se donnent comme des entités distinctes : généralement, du moins de nos jours et en occident, comme les « esprits » des morts, et disent n'emprunter au médium que le dynamisme vital et les éléments organiques qui leur manquent pour agir sur le plan matériel.
Les preuves données par les personnalités médiumniques, à l'appui de leur dire, sont le plus souvent très vagues et ne résistent pas à l'examen ; mais parfois elles sont singulièrement nettes. Il s'agit du rappel de la caractéristique du défunt, de souvenirs personnels dans des détails ignorés et minutieux, de sa langue maternelle, de ses traits en cas de téléplastie, de sa signature, etc..
Que penser de cette affirmation ? Est-elle toujours fausse ? Le médiumnisme n'est-il que le domaine du mensonge et de l'illusion ? C'est ce que ne craignent pas d'affirmer nombre de psychistes. Ecoutons leur argumentation : « Les personnalités médiumniques, disent-ils, peuvent parfaitement n'être, en dépit de leurs affirmations, que des personnalités secondes : Leur genèse, analogue à celle de ces dernières, débutant par une suggestion ou une auto suggestion, consciente ou subconsciente, leur développement, leur enrichissement obéirait au même mécanisme.
« Aucune des preuves d'autonomie et d'indépendance ne saurait être formelle : la différence psychologique de facultés et connaissances avec celles du médium peut s'expliquer simplement par la complexité du mental et l'étendue de la cryptopsychie ; les contradictions d'idées, de caractère, de volonté, peuvent représenter simplement des tendances intimes refoulées par la vie journalière, et se faisant jour avec violence par la soupape du médiumnisme ; le supra normal peut appartenir au subconscient médiumnique.
Aucune des preuves d'identité ne saurait être pleinement convaincante : l'origine de toutes les connaissances, même les plus inattendues et les plus secrètes, même celle d'une langue ignorée du médium peut être dans la cryptomnésie, l'action mento-mentale ou la clairvoyance.
Les preuves nouvelles inventées par les chercheurs anglo-américains[3] sont évidemment, au premier abord, déconcertantes et redoutables à notre thèse. Il est clair que des faits aussi précis et extraordinaires que ceux observés, par exemple, par Mme de W[4] semblent indiquer une volonté directrice bien indépendante et autonome. Mais n'est-ce pas là encore une illusion ? Qui sait si la personnalité n'arrive pas à acquérir, par la culture médiumnique, en plus d'une grande autonomie, un dynamisme passager, au moins pendant la durée de l'expérience, dynamisme emprunté au médium même et lui permettant alors une action à distance sur des médiums différents ?…»
Tout est possible, en effet. Mais il ne faut jamais oublier, quand on raisonne sur le médiumnisme, de tenir compte de toutes les notions que nous avons établies sur la nature et la constitution individuelle. Ces notions qui, acceptées intégralement, nous ont permis de sortir de l'abîme obscur, du chaos de la psychophysiologie classique, de comprendre enfin le sens et la nature de l'Etre et de l'Univers, permettent en outre d’affirmer la survivance du moi et son éternelle évolution de l'Inconscient au Conscient.
Que le moi préexiste et survive au groupement qu'il dirige pendant la durée d'une vie terrestre ; qu'il survive spécialement à l'organisme, son objectivation inférieure pendant cette vie, cela ne saurait faire de doute ; cela doit au moins être admis, sinon comme une certitude mathématique, du moins comme le résultat d'un calcul de forte probabilité.
La manifestation, sur le plan matériel, à l'aide d'éléments dynamiques et organiques empruntés au médium, d'un « esprit désincarné » apparaît dès lors comme une indéniable possibilité.
En présence donc d'un fait d'apparence spiritique, une seule attitude s'impose au psychiste instruit : celle de prendre pour guide le bon sens. C'est au bon sens, au sain jugement, d'apprécier les affirmations du communicateur. C'est au nom du bon sens, que les psychistes anglo-américains, au courant de toutes les subtilités déconcertantes des interprétations du médiumnisme intellectuel, ont fini, de guerre lasse, et avec un ensemble impressionnant, par accepter les affirmations catégoriques et répétées des communicateurs.
Après Hodgson, parti d'un scepticisme absolu et déclarant, après 12 ans d'études, qu'il n'y avait plus place, dans son esprit, même pour la possibilité d'un doute sur la survivance et sur la réalité des communications entre vivants et morts ; Hyslop, Myers et récemment O. Lodge ont proclamé très haut la même conviction.
Je laisse au lecteur, désireux de se faire une opinion réfléchie, le soin de lire les publications de ces psychologues et d'apprécier la valeur de leur argumentation[5]. S'il m'était permis de donner une impression personnelle sur ce que j'ai observé dans le domaine du médiumnisme, je dirais : alors même qu'on ne saurait, dans un cas donné, affirmer la certitude scientifique d'une intervention spiritique, on se trouve obligé, bon gré mal gré, de reconnaître en bloc, la possibilité de cette intervention. Pour moi je considère comme probable l'action, dans le médiumnisme, d'entités intelligentes distinctes du médium. Je me base pour cela, non seulement sur les preuves prétendues d'identité données par les communicateurs, preuves sujettes à controverse ; mais sur la nature même des phénomènes élevés et complexes du médiumnisme. Ces phénomènes élevés et complexes démontrent, souvent, une direction, une intention qu'on ne peut, sans induction arbitraire, rapporter au médium ou aux expérimentateurs. Nous n'arrivons à en trouver l'origine ni dans la conscience normale: du sujet, ni dans sa conscience somnambulique ni dans ses impressions, ses désirs ou ses craintes, directs ou indirects, suggérés ou volontaires. Nous ne pouvons ni provoquer les phénomènes, ni les modifier. Tout se passe réellement comme si l'intelligence directrice était indépendante et autonome. Ce n'est pas tout : cette intelligence directrice, elle, semble souvent connaître, dans une mesure profonde, ce que nous ignorons ; savoir distinguer ce qui est essence des choses et représentations ; le savoir assez pour être capable de modifier les rapports régissant normalement les représentations, et cela, à son gré, dans l'espace et le temps. En un mot, les phénomènes élevés du médiumnisme paraissent indiquer, nécessiter, proclamer une direction, une connaissance, une puissance dépassant les facultés, mêmes subconscientes, des médiums.
Telle est du moins l'impression profonde que je garde de mes expériences comme du récit de certaines expériences d'autres métapsychistes. On comprendrait alors, si mon impression est juste, pourquoi certaines séries d'expériences célèbres, telles que celles de Crookes ou de Richet, semblent n'avoir eu qu'un but : apporter à des savants éminents une conviction inattendue, par les procédés susceptibles de les frapper davantage.
2. En ce qui concerne les « enseignements » donnés par les communicateurs, les difficultés d'appréciation ne sont pas moindres.
Ces enseignements sont de nature et de valeur trop variables pour servir de base à des convictions rationnelles. Leurs contradictions, que M. Maxwell[6] s'est efforcé de faire ressortir, sont déconcertantes pour qui voudrait se baser uniquement sur elles. Mais ce qui n'est pas moins évident, c'est que ces contradictions sont naturelles et inévitables.
En effet, en tenant compte, toujours, des notions précédentes, on peut concevoir, à une communication médiumnique, deux origines :
A) La communication peut provenir exclusivement du médium : elle peut être due soit à l'automatisme cérébral, soit à une disjonction mentale et à une personnification factice, soit à une manifestation cryptomnésique ou cryptopsychique... On comprend alors combien sa valeur peut être variable. Le médiumnisme intellectuel sera tantôt la source de divinations ou de révélations merveilleuses, tantôt et plus souvent de banalités, de mensonges et d'erreurs. Il pourra révéler une inspiration supérieure ; il pourra aussi étaler une déconcertante et niaise incohérence. Il y a tous les degrés, toutes les catégories dans les produits de la disjonction du mental : seuls les ignorants pourront désormais s'en étonner et s'en émouvoir.
« Nous sommes dans notre corps, écrit poétiquement Maeterlinck[7], des prisonniers, profondément ensevelis avec lesquels il (le moi réel, l'hôte inconnu) ne communique pas quand il veut. Il rode autour des murs, il crie, il avertit, il frappe à toutes les portes ; mais rien ne nous parvient qu'une inquiétude vague, un murmure indistinct que nous traduit parfois un geôlier mal éveillé et d'ailleurs, comme nous, captif jusqu'à la mort... En d'autres termes, et pour parler sans métaphores, c'est le médium qui tire, de son langage habituel et de celui que lui suggère l'assistance, de quoi revêtir et identifier les pressentiments, les visions aux formes insolites qui sortent il ne sait d'où. »
Cet hôte inconnu, cet Etre subconscient, n'est pas en réalité un être homogène et un. Il faudrait plutôt l'appeler « le complexus subconscient », capable de se révéler à nous dans les formes et avec les attributs les plus divers. L'unité n'appartient qu'au moi réel, distinct des processus mentaux autant que du revêtement organique, mais gardant en lui la totalité mnésique des représentations. Pour que le moi, soustrait à la limitation organique, arrive à se révéler dans ses capacités supérieures, et dans l'immensité de ses acquisitions conscientielles latentes, il faut qu'il se rende suffisamment maître de son mental décentralisé.
Une pareille condition est rarement réalisée et c'est pourquoi, le plus souvent, les manifestations cryptopsychiques sont fragmentaires et déviées.
B) Si la communication provient d'une intelligence distincte du médium, elle ne pourra être elle-même, le plus souvent et dans une mesure très variable, que fragmentaire et faussée. En passant par le canal médiumnique, elle sera forcément limitée par le mental et la cérébration du médium. Alors que l'inspiration subconsciente intrinsèque elle-même a déjà tant de peine à se répercuter intacte dans le cerveau, à plus forte raison une inspiration extrinsèque sera-t-elle bornée, diminuée ou déformée. Ce n'est pas tout : par le seul fait de se communiquer, le communicateur subit un trouble psychique expressément noté par tous les chercheurs, spécialement par les Anglo-américains. En empruntant la substance du médium, l'Etre se limite, comme il se limite, à la naissance, en se formant un corps avec la substance maternelle. Il subit, par le fait de la communication sur le plan matériel, une sorte de réincarnation relative et momentanée, accompagnée, dans une certaine mesure, comme la réincarnation normale, de l'oubli de sa situation réelle et de la mise en réserve de la majeure partie de ses acquisitions conscientielles.
Si l'on admet la manifestation spiritique, on est obligé de penser que, pendant le cours de sa manifestation par l'intermédiaire du médium, l'Etre se trouve irrésistiblement ramené aux conditions qui le caractérisaient de son vivant. C'est pour ces raisons, en vertu de ces difficultés primordiales, que les communicateurs peuvent abonder en détails sur leur identité et si difficilement donner des notions précises sur leur situation réelle.
Ces notions, si elles étaient exactes, tendraient à établir l'existence d'un « au-delà » assez peu dissemblable de « l'en deçà ». La « représentation » que s'en ferait l'esprit désincarné rappellerait du moins, sur des « plans » plus subtils et rapportables à ce que nous avons vu de la constitution individuelle, la « représentation » que se fait le moi incarné du monde matériel.
Les renseignements relatifs à l'évolution, au passage de « l'inconscient au conscient » sont plus précis.
Si l’on ne tient compte, comme il est logique, que des messages portant la marque d'une inspiration élevée et d'une volonté supérieure, on voit s'évanouir la plupart des contradictions.
Toutes les communications élevées, toutes, sans exceptions, affirment la survivance de ce qu'il y a d'essentiel dans le moi, et l'évolution indéfinie vers plus de conscience et plus de perfection. Toutes placent l'idéal et la fin de l'humanité au-dessus de tous les dogmatismes. Toutes proclament une morale supérieure de bonté et de justice.
L'évolution progressive de l'inconscient au conscient, n'est pas toujours, cependant, rapportée à la palingénésie. La pluralité des existences n'est jamais niée, dans les communications élevées, mais elle est souvent sous-entendue. Ainsi en est-il dans les admirables messages reçus par Stainton Moses[8].
Peu importe d'ailleurs. Il est évidemment prudent de ne tenir compte, dans la philosophie de l'évolution individuelle, que des faits et des inductions rationnelles. C'est sur eux que doit reposer la souveraine beauté et l'éclatante vérité de l'évolution palingénésique. Il n'est nul besoin d'autre révélation.

[1] on sait que le niveau actuel d'évolution humaine ne donne pas la connaissance du mécanisme vital ni la possibilité d'agir sur les grandes fonctions — le dynamisme vital gardant une large autonomie.

[2]Phénomènes élémentaires d'extériorisation ou ébauches d'action mento-mentale ou de clairvoyance.

[3] Correspondances croisées, communications de la même entité à divers médiums isolés et sans rapports.

[4] Annales des sciences psychiques : Contribution à l’étude des correspondances croisées.

[5] Consulter surtout les « Proceedings » des sociétés anglo-américaines d'études psychiques et le livre récent d'Oliver Lodge : « Raymond ».

[6] Maxwell : « Les phénomènes psychiques.

[7] Maeterlinck : « L'hôte inconnu ».

[8] Enseignements spiritualistes.

 

Chapitre suivant




Téléchargement | Bulletin
nous écrire | L’Agora Spirite