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Chapitre I
L’individu
conçu comme dynamo-psychisme essentiel et comme représentation
1° Les bases scientifiques de cette conception[1]
La distinction, dans l'individu, d'un dynamo-psychisme essentiel et réel
et de représentations apparentes a été bien démontrée
par tous les faits connus, dans notre étude sur l'individu physiologique.
Nous avons établi, de par ces faits mêmes, le néant des
apparences sur lesquelles est basée la conception générale
de la physiologie classique : conception de l'Etre simple complexus cellulaire,
s'organisant de lui-même en tissus spécifiquement distincts et
ayant en lui seul sa raison; d'être, son origine et ses fins, la raison
de sa forme, de son mécanisme, de son fonctionnement ; toutes propriétés
provenant uniquement, par hérédité, des cellules génératrices.
A l'encontre de cette conception, nous avons montré qu'il n'était
pas possible de trouver, dans l'organisme même et dans l'associationnisme
cellulaire, les raisons de la forme spécifique, ni l'origine, la cause
essentielle ou les fins de ses différents modes d'activité.
Nous avons été forcés de comprendre que la forme corporelle
n'est qu'une illusion temporaire ; que les organes et tissus n'ont pas de véritables
déterminations spécifiques ; que tous ces organes et tissus, de
même qu'ils sont nés d'une substance primordiale unique, celle
de la cellule oeuf, peuvent être, dans le cours même de la vie,
ramenés a cette substance primordiale unique ; laquelle peut elle-même,
ensuite, s'organiser sous des formes nouvelles et constituer, temporairement,
des organes ou tissus différents et distincts.
En un mot, nous avons dû nous rendre à l'évidence : le complexus
organique, le corps, n'a ni qualités définitive ? Et absolues,
ni spécificité propre. Par son origine, par son développement,
par ses métamorphoses embryonnaires et postembryonnaires, par son fonctionnement
normal comme par ses possibilités dites supra normales, par le maintien
de la forme habituelle comme par les dématérialisations et rematérialisations
métapsychiques, cet organisme se résout dans un dynamisme supérieur
qui le conditionne.
Il apparaît non plus comme tout l'individu, mais simplement comme un produit
idéoplastique de ce qu'il y a d'essentiel dans l’individu, un dynamo-psychisme
qui conditionne tout, qui est tout.
En termes philosophiques, l'organisme n'est pas l'individu : il n'en est que
la représentation.
Avec cette conception, on comprend immédiatement toute la physiologie,
toutes les capacités normales ou dites supra normales de l'Etre physique,
tandis qu'en dehors d'elle tout est mystère, aussi bien pour les phénomènes
les plus familiers du fonctionnement organique que pour les phénomènes
les plus inattendus du médiumnisme.
Il n'y a, en réalité, ni physiologie normale ni physiologie supra
normale. Tout se borne à des représentations : les unes accoutumées,
les autres exceptionnelles ; mais également conditionnées par
le dynamo-psychisme essentiel et seul réel. Si les métamorphoses
embryonnaires et l'histolyse de l'insecte nous paraissent mystérieuses
; si l'interpénétration de la matière solide par la matière
solide, les matérialisations et dématérialisations organiques
nous paraissent impossibles, c'est parce que nous attribuons une réalité
aux caractères et propriétés par lesquels nous nous représentons
la matière. Si, au contraire, nous comprenons que ces caractères
et propriétés sont factices et irréels, alors le mystère
et l'impossibilité disparaissent ; ou du moins ne sont plus que relatifs,
simple fonction de notre ignorance ou de notre débilité. Les changements
que nous offre la physiologie normale comme la physiologie supra normale n'ont
pas d'autre importance philosophique que des changements dans les apparences.
Leur causalité et leur explication ne sont pas dans ces apparences, elles
sont entièrement dans le dynamo-psychisme essentiel qui les conditionne.
Ce qui est vrai en ce qui concerne la physiologie l'est, à plus forte
raison encore, en ce qui concerne la psychologie : le supra normal ne devient
compréhensible que lorsqu'on a appris à distinguer le dynamo-psychisme
essentiel de ses représentations. Pour concevoir la possibilité
des actions mentomentales, il faut commencer par admettre la réalité
d'un psychisme supérieur, dégagé des contingences habituelles
aux représentations psychologiques.
Pour que la vision à distance, hors de la portée des sens ou la
lucidité dans le passé, le présent ou l'avenir perdent
leur apparence d'incroyables miracles, il est indispensable de comprendre tout
d'abord que le temps et l'espace ne sont que « les cadres de nos représentations
» ; aussi factices, aussi illusoires que les représentations mêmes.
Ainsi, la conception qui a trouvé son expression la plus forte dans l'oeuvre
de Schopenhauer[2]
doit sortir désormais du domaine de la métaphysique pour entrer
dans celui de la science.
La distinction, dans l'individu, de ce qu'il a de réel et de permanent,
que Schopenhauer appelait la volonté et que nous désignons sous
le nom de dynamopsychisme essentiel, d'avec les représentations temporaires
est établie sur les faits. Tout se passe, du moins, comme si les choses
étaient ainsi.
Nous pouvons, maintenant, faire un pas de plus dans la recherche de la vérité
et, toujours en nous basant sur les faits, étudier et chercher à
comprendre, dans la mesure du possible, ce qui est, dans l'individu, représentations
et ce qui est dynamo-psychisme essentiel.
2° L'individu considéré comme représentations
Pour Schopenhauer, faisant siennes, à ce point de vue, les idées
courantes sur la biologie, la conception de la représentation individuelle
était très simpliste.
Théorie métaphysique à part, elle concordait avec la thèse
matérialiste. Alors que cette dernière enseignait : l'individu,
c'est l'organisme, la philosophie de Schopenhauer ajoutait simplement : l'individu,
c'est la volonté objectivée en organisme. Mais l'organisme est
l'unique représentation individuelle de la volonté. Pour Schopenhauer,
comme pour le physiologiste matérialiste, cette représentation
unique, l'organisme, renferme en elle toutes les manifestations de l'activité
individuelle, lesquelles tiennent étroitement dans les limites de temps
et d'espace qui sont celles du corps. Elles naissent et disparaissent avec lui
et ne sauraient dépasser la portée de ses capacités physiques
ou sensorielles. Son psychisme est purement et simplement le produit de l'activité
des centres nerveux. Sa conscience propre est fonction de cette activité.
Tous les attributs de l'individu sont des attributs passagers et éphémères
créés par l'objectivation de la volonté en un Etre organisé.
Cette conception de Schopenhauer était d'accord avec les connaissances
biologiques de son temps. Elle ne l'est plus avec nos connaissances actuelles.
Les faits connus aujourd'hui démentent cette vue simpliste de l'individu.
Les faits prouvent que les manifestations de l’activité individuelle
dépassent les limites et le cadre de l'organisme.
Ils prouvent, en termes philosophiques, qu'il y a dans l'individu, des «
représentations » du dynamo-psychisme créateur différentes
de l'organisme même, représentations supérieures à
l'organisme et qui le conditionnent au lieu d'être conditionnées
par lui.
Tout se passe, en réalité, nous allons le démontrer, comme
si le dynamopsychisme essentiel s'objectivait, pour créer l'individu,
non pas en une représentation unique, l'organisme, mais en une série
de représentations hiérarchisées se conditionnant les unes
les autres.
Nous avons vu, en physiologie, l'organisme étroitement et absolument
conditionné par le dynamisme vital, dynamisme organisateur, directeur,
centralisateur, capable de le séparer de l'organisme même, d'agir
en dehors de lui, de le désagréger et de le reconstituer en formes
nouvelles et distinctes. Nous pouvons et devons donc conclure que la représentation
« organisme » est conditionnée par une représentation
plus élevée, la représentation a dynamisme vital[3]
».
La physiologie ne comporte pas, à elle seule, d'autre renseignement ni
d'autres inductions.
Mais l'étude de l'individu psychologique nous a permis, par contre, d'arriver
à des notions nouvelles et capitales. Ces notions, en résumé,
sont les suivantes : l'apparence d'après laquelle la somme des consciences
des neurones et le psychisme cérébral constituent toute l'individualité
psychologique est fausse.
En réalité, comme l'organisme lui-même, le psychisme cérébral
a son origine, ses fins, toutes ses conditions intimes de fonctionnement dans
un dynamopsychisme supérieur, en majeure partie subconscient. Il y a,
nous l'avons démontré, dans l'individualité psychologique,
un psychisme supérieur, indépendant du fonctionnement des centres
nerveux, soustrait à toutes les contingences organiques, et ce psychisme
supérieur forme le fond même de l'Etre, joue le rôle centralisateur
et directeur de la synthèse psychique, relie tous les états de
conscience dans le présent par son activité toujours immanente,
quoique en majeure partie latente, et du présent au passé par
sa cryptomnésie ; possède enfin les facultés dites supra
normales. Si nous voulons exprimer en termes philosophiques la nouvelle conception
psychophysiologique imposée par les faits, nous dirons : La représentation
« organisme » loin de constituer tout l'individu, n'est que l'objectivation
inférieure, la plus grossière, du dynamopsychisme essentiel de
cet individu. Au-dessus de la représentation « organisme »
et la conditionnant, est une représentation supérieure «
le dynamisme vital ».
Au-dessus des représentations « organisme » et « dynamisme
vital » et les conditionnant, est une troisième représentation,
plus élevée et d'ordre mental.
Ces conceptions ne sont pas nouvelles. On sait que Pythagore et Aristote distinguaient
du corps le dynamisme vital, qu'ils appelaient « Psyché »
et de la Psyché le dynamo-psychisme mental qu'ils appelaient «
Nous ».
De même les vitalistes, les spiritualistes de la vieille école
et les animistes admettaient des catégories analogues. Mais la différence
est grande, cependant, entre les idées anciennes et l'idée nouvelle.
D'abord, l'idée nouvelle est basée sur des faits, démontrée
par les faits. Elle repose, nous le verrons mieux encore dans la suite, sur
le raisonnement : « tout se passe comme si les choses étaient ainsi.
»
Puis, aussi, l'idée nouvelle ne fait pas appel à des différenciations
d'essence entre le corps, le dynamisme vital, le dynamo-psychisme mental. Les
uns et les autres, pour elle, sont simplement des représentations hiérarchisées
d'un même principe essentiel. Leur différence est simple question
d'évolution, d'activité, de réalisation.
Mais cela ne peut être bien compris avant d'avoir complété
notre étude du moi.
Réservons donc momentanément la suite de notre analyse des représentations
et passons à l'examen du moi considéré comme dynamo-psychisme
essentiel.
3° Le moi considéré comme dynamo-psychisme
essentiel
Le moi est-il distinct de ses représentations ? Qu'est le moi en dehors
de ses représentations ? Jusqu'à présent, la réponse
à ces questions était d'ordre purement métaphysique.
Consultons les faits et cherchons, dans cet examen seul, ce qu'il en est.
Vis-à-vis des faits, la question se pose ainsi : le moi est-il, comme
l'enseigne la psychologie classique, la somme des états de conscience
ou bien est-il séparable, est-il concevable séparément
des états de conscience ?
Nous verrons que la réponse n'est pas douteuse, que le moi ne se confond
pas avec les états de conscience. Mais, pour le comprendre, un certain
effort est nécessaire. Nous admettons, sans trop de difficulté,
que le moi ne s'identifie pas avec le corps matériel, mais beaucoup plus
malaisément qu'il ne s'identifie pas avec le « mental ».
On se distingue moins aisément soi-même de la représentation
mentale que de la représentation organique. Il faut modifier des habitudes
intellectuelles invétérées et faire appel à toute
la rigueur du raisonnement pour aller au-delà du « je pense, donc
je suis » ; pour admettre : « je suis, même en dehors de mes
pensées. Elles me représentent, mais mes représentations
mentales ne sont pas tout moi ». Cependant, en se basant sur les faits,
rien n'est plus certain. Le raisonnement est précis : si le moi n'était
que la somme des états de conscience, on ne pourrait comprendre comment,
ces états de conscience étant intacts, le moi, qui ne serait que
leur synthèse, pourrait perdre ce qu'il a de plus important, d'essentiel,
la notion de son unité et la possibilité de son contrôle
sur la synthèse psychique. Or c'est là précisément
un fait banal que cette intégrité des états de conscience
coexistant avec la disparition de l'unité synthétique et de la
direction centralisatrice.
La diminution ou la disparition du contrôle du moi est la base de toute
la psychologie anormale, de toutes les anomalies psychologiques coexistant avec
l'intégrité anatomo-physiologique des centres nerveux.
Qu'il s'agisse de névrose pure comme l'hystérie, de folie essentielle,
d'hypnose, de dédoublement de la personnalité, de médiumnisme,
toujours et avant tout on constate, comme phénomène primitif,
la disparition du contrôle et de la direction centralisatrice du moi.
Dans les troubles hystériformes, dans la folie essentielle, les états
de conscience sont et restent longtemps intacts. Les facultés prises
isolément ne sont pas atteintes ; la mémoire, l'imagination, le
sentiment, etc., sont les mêmes : mais la direction centrale a fait place
à l'anarchie ou à la polyarchie.
Dans l'hypnose, le dédoublement de la personnalité, le médiumnisme,
les facultés et connaissances, les états de conscience les plus
variés, les processus mentaux conscients ou subconscients persistent
intégralement. Mais là encore, la direction centrale habituelle
du moi a disparu, pour faire place à une direction hétérogène.
En un mot, les états de conscience, les facultés, les capacités,
les connaissances peuvent être dissociés, séparés
de ce qu'il y a d'essentiel dans le moi : la conscience de son unité
et de sa réalité.
Donc, le moi est distinct des états constitutifs qui nous le représentent.
Le phénomène le plus typique au point de vue de notre démonstration,
est celui des altérations de la personnalité.
Les modifications de la personnalité prouvent deux choses :
1° L'existence dans le « mental » de « groupements de
strates », comme dit Jastrow[4], constituant autant de formations subconscientes.
2° L'existence d'une direction psychique, centralisatrice et directrice
de ces groupements mentaux, puisque c'est précisément la défaillance,
la mise en défaut de cette direction centrale qui est la base et la condition
sine qua non des altérations de la personnalité et de l'apparition
d'états seconds. « Lorsque, dit Jastrow, le moi dominant abandonne
une part quelque peu considérable de sa souveraineté, il peut
se faire que des activités organisées s'émancipent... »
On voit alors : « le moi altéré entretenir des relations
si particulières, si incomplètes, si détournées
avec le moi normal que l'on est forcé d'admettre que l'esprit est dissocié.
On voit encore l'autocratie psychique renversée faire place à
un gouvernement affaibli exerçant son pouvoir sur un territoire réduit.
»
En résumé, le moi réel conditionne et dirige le dynamo-psychisme
mental.
Ce qu'il y a d'essentiel dans le moi ne peut donc pas être confondu avec
les états de conscience subordonnés et secondaires.
Dans le mental comme dans l'organisme, il faut distinguer l'essence permanente
et les « représentations » temporaires. Les états
de conscience ne sont que des représentations du moi. Mais le moi, parcelle
individualisée du dynamo-psychisme universel, ne saurait se confondre
avec ses représentations.
Du reste, cette assertion a, en sa faveur, une autre preuve encore : les faits
démontrent qu'il y a, dans le moi, des capacités qui dépassent
les limites des états de conscience et dominent toutes les représentations.
L'intuition, le génie créateur dépassent largement le cadre
des facultés intellectuelles.
Il n'y a, dans l'intuition et dans le génie, rien de ce qui caractérise
les enchaînements de la logique. Ce sont là des facultés
supérieures, tenant évidemment de l'essence divine du moi.
A plus forte raison, les facultés psychiques supra normales et spécialement
la lucidité, indépendante de toutes les contingences, ne peuvent-elles
se rattacher à l'intellect.
Ainsi, encore une fois, le moi, le moi essentiel, le moi réel, est distinct
des états de conscience et des processus mentaux qui le représentent
momentanément.
Soit, dira-t-on. Mais que faut-il entendre exactement par le moi réel,
distinct des représentations ?
Est-ce l'essence créatrice, volonté, inconscient, dynamo psychisme
essentiel... Peu importe le nom, mais essence créatrice dépourvue
en elle-même de toute individualisation, n'acquérant celte individualisation
que dans et par les représentations, et la perdant quand cessent les
représentations ?
Est-ce une parcelle du dynamo-psychisme essentiel gardant l’individualisation,
le souvenir, la conscience de soi en dehors même des représentations
traversées par elle ?
Pour répondre à cette question, considérons la 2e partie
de notre démonstration : le dynamo-psychisme essentiel passe, par l'évolution
individuelle, de l'inconscient au conscient.
[1] Tout ce chapitre et les suivants sont étroitement reliés aux démonstrations physiologiques et psychologiques du livre 1er de cet ouvrage. Ils seraient peu compréhensibles isolément..
[2] Schopenhauer avait déjà eu l'intuition de l'importance des faits dits supra normaux pour appuyer sa métaphysique - Parerga et Parallipomena.
[3] Schopenhauer admettait l'existence d'une « force vitale » mais n'en faisait pas une objectivation distincte et supérieure
[4] Jastrow : « La subconscience »
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