Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec

Chapitre I
L’individu conçu comme dynamo-psychisme essentiel et comme représentation


1° Les bases scientifiques de cette conception[1]
La distinction, dans l'individu, d'un dynamo-psychisme essentiel et réel et de représentations apparentes a été bien démontrée par tous les faits connus, dans notre étude sur l'individu physiologique.
Nous avons établi, de par ces faits mêmes, le néant des apparences sur lesquelles est basée la conception générale de la physiologie classique : conception de l'Etre simple complexus cellulaire, s'organisant de lui-même en tissus spécifiquement distincts et ayant en lui seul sa raison; d'être, son origine et ses fins, la raison de sa forme, de son mécanisme, de son fonctionnement ; toutes propriétés provenant uniquement, par hérédité, des cellules génératrices.
A l'encontre de cette conception, nous avons montré qu'il n'était pas possible de trouver, dans l'organisme même et dans l'associationnisme cellulaire, les raisons de la forme spécifique, ni l'origine, la cause essentielle ou les fins de ses différents modes d'activité.
Nous avons été forcés de comprendre que la forme corporelle n'est qu'une illusion temporaire ; que les organes et tissus n'ont pas de véritables déterminations spécifiques ; que tous ces organes et tissus, de même qu'ils sont nés d'une substance primordiale unique, celle de la cellule oeuf, peuvent être, dans le cours même de la vie, ramenés a cette substance primordiale unique ; laquelle peut elle-même, ensuite, s'organiser sous des formes nouvelles et constituer, temporairement, des organes ou tissus différents et distincts.
En un mot, nous avons dû nous rendre à l'évidence : le complexus organique, le corps, n'a ni qualités définitive ? Et absolues, ni spécificité propre. Par son origine, par son développement, par ses métamorphoses embryonnaires et postembryonnaires, par son fonctionnement normal comme par ses possibilités dites supra normales, par le maintien de la forme habituelle comme par les dématérialisations et rematérialisations métapsychiques, cet organisme se résout dans un dynamisme supérieur qui le conditionne.
Il apparaît non plus comme tout l'individu, mais simplement comme un produit idéoplastique de ce qu'il y a d'essentiel dans l’individu, un dynamo-psychisme qui conditionne tout, qui est tout.
En termes philosophiques, l'organisme n'est pas l'individu : il n'en est que la représentation.
Avec cette conception, on comprend immédiatement toute la physiologie, toutes les capacités normales ou dites supra normales de l'Etre physique, tandis qu'en dehors d'elle tout est mystère, aussi bien pour les phénomènes les plus familiers du fonctionnement organique que pour les phénomènes les plus inattendus du médiumnisme.
Il n'y a, en réalité, ni physiologie normale ni physiologie supra normale. Tout se borne à des représentations : les unes accoutumées, les autres exceptionnelles ; mais également conditionnées par le dynamo-psychisme essentiel et seul réel. Si les métamorphoses embryonnaires et l'histolyse de l'insecte nous paraissent mystérieuses ; si l'interpénétration de la matière solide par la matière solide, les matérialisations et dématérialisations organiques nous paraissent impossibles, c'est parce que nous attribuons une réalité aux caractères et propriétés par lesquels nous nous représentons la matière. Si, au contraire, nous comprenons que ces caractères et propriétés sont factices et irréels, alors le mystère et l'impossibilité disparaissent ; ou du moins ne sont plus que relatifs, simple fonction de notre ignorance ou de notre débilité. Les changements que nous offre la physiologie normale comme la physiologie supra normale n'ont pas d'autre importance philosophique que des changements dans les apparences. Leur causalité et leur explication ne sont pas dans ces apparences, elles sont entièrement dans le dynamo-psychisme essentiel qui les conditionne. Ce qui est vrai en ce qui concerne la physiologie l'est, à plus forte raison encore, en ce qui concerne la psychologie : le supra normal ne devient compréhensible que lorsqu'on a appris à distinguer le dynamo-psychisme essentiel de ses représentations. Pour concevoir la possibilité des actions mentomentales, il faut commencer par admettre la réalité d'un psychisme supérieur, dégagé des contingences habituelles aux représentations psychologiques.
Pour que la vision à distance, hors de la portée des sens ou la lucidité dans le passé, le présent ou l'avenir perdent leur apparence d'incroyables miracles, il est indispensable de comprendre tout d'abord que le temps et l'espace ne sont que « les cadres de nos représentations » ; aussi factices, aussi illusoires que les représentations mêmes.
Ainsi, la conception qui a trouvé son expression la plus forte dans l'oeuvre de Schopenhauer[2] doit sortir désormais du domaine de la métaphysique pour entrer dans celui de la science.
La distinction, dans l'individu, de ce qu'il a de réel et de permanent, que Schopenhauer appelait la volonté et que nous désignons sous le nom de dynamopsychisme essentiel, d'avec les représentations temporaires est établie sur les faits. Tout se passe, du moins, comme si les choses étaient ainsi.
Nous pouvons, maintenant, faire un pas de plus dans la recherche de la vérité et, toujours en nous basant sur les faits, étudier et chercher à comprendre, dans la mesure du possible, ce qui est, dans l'individu, représentations et ce qui est dynamo-psychisme essentiel.

2° L'individu considéré comme représentations
Pour Schopenhauer, faisant siennes, à ce point de vue, les idées courantes sur la biologie, la conception de la représentation individuelle était très simpliste.
Théorie métaphysique à part, elle concordait avec la thèse matérialiste. Alors que cette dernière enseignait : l'individu, c'est l'organisme, la philosophie de Schopenhauer ajoutait simplement : l'individu, c'est la volonté objectivée en organisme. Mais l'organisme est l'unique représentation individuelle de la volonté. Pour Schopenhauer, comme pour le physiologiste matérialiste, cette représentation unique, l'organisme, renferme en elle toutes les manifestations de l'activité individuelle, lesquelles tiennent étroitement dans les limites de temps et d'espace qui sont celles du corps. Elles naissent et disparaissent avec lui et ne sauraient dépasser la portée de ses capacités physiques ou sensorielles. Son psychisme est purement et simplement le produit de l'activité des centres nerveux. Sa conscience propre est fonction de cette activité. Tous les attributs de l'individu sont des attributs passagers et éphémères créés par l'objectivation de la volonté en un Etre organisé.
Cette conception de Schopenhauer était d'accord avec les connaissances biologiques de son temps. Elle ne l'est plus avec nos connaissances actuelles.
Les faits connus aujourd'hui démentent cette vue simpliste de l'individu. Les faits prouvent que les manifestations de l’activité individuelle dépassent les limites et le cadre de l'organisme.
Ils prouvent, en termes philosophiques, qu'il y a dans l'individu, des « représentations » du dynamo-psychisme créateur différentes de l'organisme même, représentations supérieures à l'organisme et qui le conditionnent au lieu d'être conditionnées par lui.
Tout se passe, en réalité, nous allons le démontrer, comme si le dynamopsychisme essentiel s'objectivait, pour créer l'individu, non pas en une représentation unique, l'organisme, mais en une série de représentations hiérarchisées se conditionnant les unes les autres.
Nous avons vu, en physiologie, l'organisme étroitement et absolument conditionné par le dynamisme vital, dynamisme organisateur, directeur, centralisateur, capable de le séparer de l'organisme même, d'agir en dehors de lui, de le désagréger et de le reconstituer en formes nouvelles et distinctes. Nous pouvons et devons donc conclure que la représentation « organisme » est conditionnée par une représentation plus élevée, la représentation a dynamisme vital[3] ».
La physiologie ne comporte pas, à elle seule, d'autre renseignement ni d'autres inductions.
Mais l'étude de l'individu psychologique nous a permis, par contre, d'arriver à des notions nouvelles et capitales. Ces notions, en résumé, sont les suivantes : l'apparence d'après laquelle la somme des consciences des neurones et le psychisme cérébral constituent toute l'individualité psychologique est fausse.
En réalité, comme l'organisme lui-même, le psychisme cérébral a son origine, ses fins, toutes ses conditions intimes de fonctionnement dans un dynamopsychisme supérieur, en majeure partie subconscient. Il y a, nous l'avons démontré, dans l'individualité psychologique, un psychisme supérieur, indépendant du fonctionnement des centres nerveux, soustrait à toutes les contingences organiques, et ce psychisme supérieur forme le fond même de l'Etre, joue le rôle centralisateur et directeur de la synthèse psychique, relie tous les états de conscience dans le présent par son activité toujours immanente, quoique en majeure partie latente, et du présent au passé par sa cryptomnésie ; possède enfin les facultés dites supra normales. Si nous voulons exprimer en termes philosophiques la nouvelle conception psychophysiologique imposée par les faits, nous dirons : La représentation « organisme » loin de constituer tout l'individu, n'est que l'objectivation inférieure, la plus grossière, du dynamopsychisme essentiel de cet individu. Au-dessus de la représentation « organisme » et la conditionnant, est une représentation supérieure « le dynamisme vital ».
Au-dessus des représentations « organisme » et « dynamisme vital » et les conditionnant, est une troisième représentation, plus élevée et d'ordre mental.
Ces conceptions ne sont pas nouvelles. On sait que Pythagore et Aristote distinguaient du corps le dynamisme vital, qu'ils appelaient « Psyché » et de la Psyché le dynamo-psychisme mental qu'ils appelaient « Nous ».
De même les vitalistes, les spiritualistes de la vieille école et les animistes admettaient des catégories analogues. Mais la différence est grande, cependant, entre les idées anciennes et l'idée nouvelle. D'abord, l'idée nouvelle est basée sur des faits, démontrée par les faits. Elle repose, nous le verrons mieux encore dans la suite, sur le raisonnement : « tout se passe comme si les choses étaient ainsi. »
Puis, aussi, l'idée nouvelle ne fait pas appel à des différenciations d'essence entre le corps, le dynamisme vital, le dynamo-psychisme mental. Les uns et les autres, pour elle, sont simplement des représentations hiérarchisées d'un même principe essentiel. Leur différence est simple question d'évolution, d'activité, de réalisation.
Mais cela ne peut être bien compris avant d'avoir complété notre étude du moi.
Réservons donc momentanément la suite de notre analyse des représentations et passons à l'examen du moi considéré comme dynamo-psychisme essentiel.

3° Le moi considéré comme dynamo-psychisme essentiel
Le moi est-il distinct de ses représentations ? Qu'est le moi en dehors de ses représentations ? Jusqu'à présent, la réponse à ces questions était d'ordre purement métaphysique.
Consultons les faits et cherchons, dans cet examen seul, ce qu'il en est.
Vis-à-vis des faits, la question se pose ainsi : le moi est-il, comme l'enseigne la psychologie classique, la somme des états de conscience ou bien est-il séparable, est-il concevable séparément des états de conscience ?
Nous verrons que la réponse n'est pas douteuse, que le moi ne se confond pas avec les états de conscience. Mais, pour le comprendre, un certain effort est nécessaire. Nous admettons, sans trop de difficulté, que le moi ne s'identifie pas avec le corps matériel, mais beaucoup plus malaisément qu'il ne s'identifie pas avec le « mental ». On se distingue moins aisément soi-même de la représentation mentale que de la représentation organique. Il faut modifier des habitudes intellectuelles invétérées et faire appel à toute la rigueur du raisonnement pour aller au-delà du « je pense, donc je suis » ; pour admettre : « je suis, même en dehors de mes pensées. Elles me représentent, mais mes représentations mentales ne sont pas tout moi ». Cependant, en se basant sur les faits, rien n'est plus certain. Le raisonnement est précis : si le moi n'était que la somme des états de conscience, on ne pourrait comprendre comment, ces états de conscience étant intacts, le moi, qui ne serait que leur synthèse, pourrait perdre ce qu'il a de plus important, d'essentiel, la notion de son unité et la possibilité de son contrôle sur la synthèse psychique. Or c'est là précisément un fait banal que cette intégrité des états de conscience coexistant avec la disparition de l'unité synthétique et de la direction centralisatrice.
La diminution ou la disparition du contrôle du moi est la base de toute la psychologie anormale, de toutes les anomalies psychologiques coexistant avec l'intégrité anatomo-physiologique des centres nerveux.
Qu'il s'agisse de névrose pure comme l'hystérie, de folie essentielle, d'hypnose, de dédoublement de la personnalité, de médiumnisme, toujours et avant tout on constate, comme phénomène primitif, la disparition du contrôle et de la direction centralisatrice du moi. Dans les troubles hystériformes, dans la folie essentielle, les états de conscience sont et restent longtemps intacts. Les facultés prises isolément ne sont pas atteintes ; la mémoire, l'imagination, le sentiment, etc., sont les mêmes : mais la direction centrale a fait place à l'anarchie ou à la polyarchie.
Dans l'hypnose, le dédoublement de la personnalité, le médiumnisme, les facultés et connaissances, les états de conscience les plus variés, les processus mentaux conscients ou subconscients persistent intégralement. Mais là encore, la direction centrale habituelle du moi a disparu, pour faire place à une direction hétérogène. En un mot, les états de conscience, les facultés, les capacités, les connaissances peuvent être dissociés, séparés de ce qu'il y a d'essentiel dans le moi : la conscience de son unité et de sa réalité.
Donc, le moi est distinct des états constitutifs qui nous le représentent.
Le phénomène le plus typique au point de vue de notre démonstration, est celui des altérations de la personnalité.
Les modifications de la personnalité prouvent deux choses :
1° L'existence dans le « mental » de « groupements de strates », comme dit Jastrow[4], constituant autant de formations subconscientes.
2° L'existence d'une direction psychique, centralisatrice et directrice de ces groupements mentaux, puisque c'est précisément la défaillance, la mise en défaut de cette direction centrale qui est la base et la condition sine qua non des altérations de la personnalité et de l'apparition d'états seconds. « Lorsque, dit Jastrow, le moi dominant abandonne une part quelque peu considérable de sa souveraineté, il peut se faire que des activités organisées s'émancipent... » On voit alors : « le moi altéré entretenir des relations si particulières, si incomplètes, si détournées avec le moi normal que l'on est forcé d'admettre que l'esprit est dissocié. On voit encore l'autocratie psychique renversée faire place à un gouvernement affaibli exerçant son pouvoir sur un territoire réduit. »
En résumé, le moi réel conditionne et dirige le dynamo-psychisme mental.
Ce qu'il y a d'essentiel dans le moi ne peut donc pas être confondu avec les états de conscience subordonnés et secondaires.
Dans le mental comme dans l'organisme, il faut distinguer l'essence permanente et les « représentations » temporaires. Les états de conscience ne sont que des représentations du moi. Mais le moi, parcelle individualisée du dynamo-psychisme universel, ne saurait se confondre avec ses représentations.
Du reste, cette assertion a, en sa faveur, une autre preuve encore : les faits démontrent qu'il y a, dans le moi, des capacités qui dépassent les limites des états de conscience et dominent toutes les représentations.
L'intuition, le génie créateur dépassent largement le cadre des facultés intellectuelles.
Il n'y a, dans l'intuition et dans le génie, rien de ce qui caractérise les enchaînements de la logique. Ce sont là des facultés supérieures, tenant évidemment de l'essence divine du moi.
A plus forte raison, les facultés psychiques supra normales et spécialement la lucidité, indépendante de toutes les contingences, ne peuvent-elles se rattacher à l'intellect.
Ainsi, encore une fois, le moi, le moi essentiel, le moi réel, est distinct des états de conscience et des processus mentaux qui le représentent momentanément.
Soit, dira-t-on. Mais que faut-il entendre exactement par le moi réel, distinct des représentations ?
Est-ce l'essence créatrice, volonté, inconscient, dynamo psychisme essentiel... Peu importe le nom, mais essence créatrice dépourvue en elle-même de toute individualisation, n'acquérant celte individualisation que dans et par les représentations, et la perdant quand cessent les représentations ?
Est-ce une parcelle du dynamo-psychisme essentiel gardant l’individualisation, le souvenir, la conscience de soi en dehors même des représentations traversées par elle ?
Pour répondre à cette question, considérons la 2e partie de notre démonstration : le dynamo-psychisme essentiel passe, par l'évolution individuelle, de l'inconscient au conscient.

[1] Tout ce chapitre et les suivants sont étroitement reliés aux démonstrations physiologiques et psychologiques du livre 1er de cet ouvrage. Ils seraient peu compréhensibles isolément..

[2] Schopenhauer avait déjà eu l'intuition de l'importance des faits dits supra normaux pour appuyer sa métaphysique - Parerga et Parallipomena.

[3] Schopenhauer admettait l'existence d'une « force vitale » mais n'en faisait pas une objectivation distincte et supérieure

[4] Jastrow : « La subconscience »

 

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