Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


LIVRE II

DE L INCONSCIENT AU CONSCIENT


PREMIERE PARTIE
Esquisse d’une philosophie rationnelle de l’évolution et de l’individu

Avant-propos

Nous pouvons maintenant tenter une théorie explicative générale de l'évolution et de l'individu, basée sur l'examen de tous les faits connus, d'ordre naturaliste et d'ordre psychologique, sur les déductions qu'ils comportent et aussi sur quelques inductions, mais sur des inductions strictement rationnelles.
Nous laisserons de côté, systématiquement, tout ce qui est pure métaphysique : la question de Dieu, de l'infini, de l'absolu, du commencement et de la fin, de la nature essentielle des choses.
Nous n'envisagerons que ce qu'il est permis de savoir et de comprendre, sur la destinée du monde et, sur la destinée individuelle, d'après le degré de capacité à la fois intuitive et intellectuelle que comporte la réalisation évolutive actuelle.
C'est peu, relativement. C'est cependant beaucoup plus que ne l'enseigne la philosophie naturaliste classique.
Il est possible, dès maintenant, de connaître le mécanisme et « le sens » de l'évolution collective et individuelle, le degré de dépendance et le degré d'indépendance de la conscience individuelle vis-à-vis de l'organisme matériel, le pourquoi de la vie.
Ces notions bien établies comportent un enseignement nettement idéaliste, non plus vague mais précis, non plus basé sur un acte de foi ou de prétendue « intuition », mais sur un calcul de probabilité.
La limitation préalable que nous nous imposons n'est pas fondée sur l'antique et caduque distinction entre « le connaissable et l'inconnaissable » ; mais simplement sur la constatation de l'incapacité relative de nos facultés actuelles de savoir et de comprendre.
Il n'y a pas, à proprement parler, d'inconnaissable. Ce qu'on appelle le domaine de l'inconnaissable se réduit incessamment dans le cours de l'évolution. Les phénomènes météorologiques les plus simples étaient de l'inconnaissable pour nos ancêtres des cavernes ; les lois de la gravitation, la constitution physique des astres, l'origine des espèces animales étaient de l'inconnaissable jusqu'à la période scientifique contemporaine ; ils sont aujourd'hui du domaine de la science. Il doit en être de même, désormais, pour les grandes lois de la vie et de la destinée, de l'univers et de l'individu.
Quant aux problèmes qui, fatalement, échappent encore à toute tentative d'interprétation, ils peuvent être résolument et systématiquement écartés ; ils constitueront la philosophie des humanités futures, idéalement évoluées. Le sacrifice que s'impose la philosophie scientifique moderne, en limitant ainsi rationnellement ses visées, présente d'ailleurs d'immenses avantages : tout d'abord, ce sacrifice, une fois résolument et courageusement accepté, nous éloigne également de ces deux formidables pierres d'achoppement de l'idéalisme : le mysticisme et le découragement.
Le penseur évitera le mysticisme, car il saura désormais se soustraire au dévergondage de l'imagination personnelle, particulièrement luxuriante quand il s'agit de l'imagination subliminale ; comme au dogmatisme ancien ou nouveau ; au messianisme et au « magisme » ; à l'attrait orgueilleux et puéril des prétendues initiations et du néo-prophétisme.
Il évitera le découragement et il ne sera plus porté à dire, comme Herbert Spencer, paraphrasant et développant lui-même une pensée célèbre de Pascal : « Puis vient l'idée de cette matrice universelle, antérieure à toute création comme à toute évolution et dépassant infiniment l'une et l'autre en étendue comme en durée ; puisque l'une et l'autre, pour être intelligibles, doivent être conçues comme ayant eu un commencement, tandis que l'espace n'a pas de commencement. L'idée de cette forme d'existence, qui, parcourue en tous sens, si loin que puisse porter l'imagination, contient toujours, au delà, des régions inexplorées, en comparaison desquelles la portion traversée par l'esprit est infinitésimale ; la représentation d'un espace où notre immense système solaire se réduit à un point est trop écrasante pour que l'esprit s'y puisse appesantir. A mesure que j'avance en âge, la conscience que, sans origine ni cause, l'espace infini a toujours existé et doit exister toujours, produit en moi une émotion qui me fait reculer d'effroi[1] ! »
Le vertige de l'infini et de l'absolu n'existe plus pour le philosophe qui a compris et admis les limitations actuelles de la philosophie. Il trouve, au contraire, une grande sérénité dans l'affirmation résignée de ces limitations et dans la discipline féconde qu'elle lui impose.
Puis et surtout, ce sacrifice permet d'éviter toutes les vaines et prétentieuses discussions spéculatives, toutes les formules stériles, tous les systèmes contradictoires où se sont enlisées tour à tour les plus hautes intelligences et qui n'ont plus qu'un intérêt historique ou artistique.
De même, il permet de se passer définitivement des entités métaphysiques « la chose en soi », le « non être », la « volonté », l’« inconscient », « la durée », etc.. qui, au fond, ne sont que de vaines formules. A ces entités factices, abstractions pures, nous proposons de substituer quelque chose de concret : la notion d'un dynamo-psychisme essentiel, que l'on constate comme une réalité, alors même que l'on ne peut encore en pénétrer la nature métaphysique et qu'il convient même de s'abstenir de cette recherche.
Mais, ici, se dresse immédiatement une objection : « le dynamo-psychisme essentiel », par cela même qu'il est quelque chose de concret ou de concevable comme tel et que nous pouvons, en quelque mesure, nous le représenter, n'est plus la chose en soi, soustraite, par définition, à toute représentation et parfaitement inconcevable, comme Kant l'avait établi.
A cela, nous répondrons que la même objection peut être adressée à tous les systèmes basés sur la distinction de l'essence divine de l'univers d'avec les manifestations phénoménales. Schopenhauer avait cru esquiver la difficulté en faisant de la chose en soi la volonté inconsciente d'elle-même, n'ayant ni substratum, ni cause, ni but, parce qu'elle est « hors du domaine où règne le principe de raison ». Ainsi privée de tous ses attributs, la volonté qui ne sait ni ce qu'elle veut, ni comment elle veut, ni pourquoi elle veut, ni même si elle veut, n'est plus qu'une abstraction aussi inconcevable que la chose en soi.
L'inconscient de Hartmann se conçoit mieux, simplement parce que notre entendement attribue naturellement, spontanément et nécessairement à l'inconscient un substratum concret, et en fait justement ce que nous proposons ici sans équivoque : le dynamo-psychisme inconscient.
Evidemment, c'est là, si l'on veut, une représentation », mais c'est la seule manière qui s'offre à nous de comprendre « la nature des choses ». Tenter de comprendre l'absolu, il ne faut pas l'oublier, c'est avant tout, de la part de l'intelligence relative, limiter l'absolu.
Qu'importe donc que « la chose en soi » nous soit, en elle-même, inaccessible ? Nous pouvons du moins l'atteindre dans une première limitation. Nous constatons alors, sous l'immense variété des apparences phénoménales, transitoires et passagères, qui constituent l'univers physique, dynamique et intellectuel, un dynamo-psychisme essentiel, permanent et réel. Ce dynamopsychisme et son activité immanente se révèlent à nous dans l'immense série d'expériences que représente révolution ; — et l'évolution, elle-même, nous le verrons, n'est autre chose que son passage de l'inconscient au conscient. Les deux bases, les deux postulats primordiaux de la philosophie que nous allons exposer et soutenir sont donc les suivants :
I. Ce qu'il y a d'essentiel dans l'univers et dans l'individu, c'est un dynamopsychisme unique, primitivement inconscient mais ayant en lui toutes les potentialités, les apparences diverses et innombrables des choses n'étant jamais que ses représentations.
II. Le dynamo-psychisme essentiel et créateur passe, par l’évolution de l’inconscient au conscient.
Ces deux propositions reposent sur des faits. Elles peuvent aujourd'hui faire l'objet d'une démonstration précise, dans l'individu d'abord ; puis par une vaste induction, être reportées à l'univers.

[1] Herbert Spencer : « Acts and Coments ».

 

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