Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


Chapitre IV
La philosophie de l’inconscient

Nous venons de voir que la principale erreur de « l’Evolution créatrice » et en général de tout le système bergsonien, consiste dans la mise à l'écart de la psychologie dite inconsciente ou subconsciente.
Nous allons examiner maintenant la philosophie basée précisément, au contraire de celle de M. Bergson, sur l'Inconscient.
L'expression : « philosophie de l'Inconscient » a été inventée par de Hartmann ; mais la base de cette philosophie, la notion d'un Inconscient créateur, immanent et omniprésent, est de toutes les époques et de toutes les civilisations.
Les nombreuses conceptions métaphysiques de l'entendement humain sur la nature des choses se ramènent, somme toute, à deux, en apparence contradictoires, si la contradiction n'est pas due simplement à la limitation actuelle de nos facultés intellectuelles et intuitives.
Les unes admettent un créateur et une création, font de la création une œuvre raisonnée, l'effort d'une volonté souveraine et consciente. Elles se heurtent à des antinomies inconciliables, comme celles de l'idée providentielle et de l'universalité du mal ou de l'âme individuelle, immortelle, mais non éternelle, n'ayant pas de fin, mais ayant eu un commencement.
Les autres placent le divin dans l'univers même. De l'infinie variété et multiplicité des phénomènes, passagers et éphémères, elles s'efforcent de dégager l'essence divine, seule réelle et permanente. Pour elle l’univers matériel, dynamique et intellectuel est fait de « représentations » ou « d'objectivations », de l'immanence créatrice ; mais ces représentations ne procèdent pas nécessairement d'un effort réfléchi et voulu ; car la conscience n'apparaît pas comme un attribut primordial de l'Unité. L'Unique, le Réel, opposé au divers et à l'illusoire, c'est le principe divin des religions de l'Inde ou le principe unique des panthéistes et des monistes, c'est « l'Idée » de Platon, c'est « l'Intellect actif » d'Averrhoes, c'est la « Natura naturans », de Spinoza ; c'est « la Chose en soi » de Kant : c'est la « Volonté » de Schopenhauer et c'est « l'Inconscient » de de Hartmann.

1° La démonstration de Schopenhauer
Jusqu'à la période moderne, cette conception grandiose n'avait reposé que sur l'intuition. Elle était restée d'ordre purement métaphysique et, par suite, entourée d'obscurités ou de contradictions.
De nos jours seulement et de plus en plus, elle s'adapte aux faits ; elle entre dans le domaine de la philosophie scientifique. Elle s'y adapte si bien qu'elle est destinée, sans doute, à permettre la fusion, la condensation du génie oriental et du génie occidental ; à rendre accessibles les plus hautes vérités ; à constituer la base et la charpente de l'édifice à la fois philosophique et scientifique qui abritera désormais toutes les aspirations et tous les idéals.
C'est à Schopenhauer que revient le mérite premier de cette adaptation aux faits. Sans doute, son système comprend de graves erreurs ; erreurs explicables par l'insuffisance des notions naturalistes et psychologiques dont il partait ; mais, par sa clarté et sa précision, par sa profondeur géniale, il mérite d'être pris comme point de départ de toute étude moderne sur la nature des choses.
II est indispensable, pour bien comprendre la suite de ce travail, d'avoir, présente à l'esprit, la thèse de Schopenhauer. Or, « le monde comme volonté et comme représentation » ne peut pas être résumé. Il doit être étudié et médité tel quel. L'idée première, qui ramène les diverses, les innombrables apparences des choses à un principe unique, essentiel et permanent, ne saurait être isolée de sa démonstration intuitive et logique, des développements dictés par une inspiration souveraine, en un mot du cadre magique où l'a exposée le grand philosophe. Ce cadre est nécessaire pour en faire comprendre la puissance et pour mettre en valeur sa beauté.
Un exposé analytique est cependant indispensable ici et je m'en rends bien compte. Mais je prie du moins le lecteur instruit d'en pardonner l'insuffisance fatale, et je m'en excuse d'avance comme d'une profanation.
Le système de Schopenhauer ne prétend pas tout expliquer. Il proclame que certaines questions de haute métaphysique, celles du commencement et de la fin, ne sont pas susceptibles d'être totalement résolues. Il ne se demande donc pas d'où vient le monde ni comment il finira. Il recherche simplement ce qu'il est. Pour Schopenhauer, le monde est à la fois volonté et représentation ; volonté réelle, représentation illusoire et factice.
Pourquoi la désignation de volonté, appliquée à l'essence réelle des choses ? « C'est que la volonté est quelque chose d'immédiatement connu, et connu de telle sorte que nous savons et comprenons mieux ce qu'est la volonté que tout ce qu'on voudra... le concept de volonté est le seul, parmi tous les concepts possibles, qui n'ait pas son origine dans le phénomène, dans une simple représentation intuitive, mais vienne du fond même, de la conscience immédiate de l'individu, dans laquelle il se reconnaisse lui-même, dans son essence, immédiatement, sans aucune forme, même celle du sujet et de l'objet, attendu qu'ici le connaissant et le connu coïncident. »
La volonté est la seule chose qui soit réellement. C'est l'absolu divin. Elle est une, indestructible, éternelle, en dehors de l'espace et du temps. Elle ne comporte ni individualisation, ni commencement, ni fin, ni origine, ni anéantissement. La volonté, en s'objectivant, produit les diverses, les innombrables apparences des choses : « Dans la multiplicité des phénomènes qui remplissent le monde, où ils se juxtaposent ou se chassent réciproquement comme successions d'événements, c'est la volonté seule qui se manifeste : c'est elle dont tous ces phénomènes constituent la visibilité, l'objectivité ; c'est elle qui demeure immuable au milieu de toutes les variations. Elle seule est la chose en soi ; et tout objet est manifestation, phénomène, pour parler le langage de Kant[1]. »
La volonté est primitivement et essentiellement inconsciente. Elle n'a pas besoin de motifs pour agir. Nous la voyons, en effet, chez les animaux, se montrer active sans aucune espèce de connaissance, sous l'impulsion de l'instinct aveugle. Chez l'homme même, la volonté est inconsciente dans toutes les fonctions organiques, la digestion, les sécrétions, la croissance, la reproduction et dans tous les processus vitaux. « Ce ne sont pas seulement les actions du corps, c'est le corps entier lui-même qui est, nous l'avons vu, l'expression phénoménale de la volonté, la volonté objectivée, la volonté devenue concrète ; tout ce qui se passe en lui doit donc sortir de la volonté ; ici toutefois, cette volonté n'est plus guidée par la conscience, elle n'est plus réglée par des motifs ; elle agit aveuglément... »
La volonté se révèle comme inconsciente dans l'immense majorité de ses représentations : dans tout le monde inorganique, dans le monde végétal et dans presque tout le règne animal.
Ce que nous appelons la conscience n'a rien, en soi, d'essentiel. Elle ne tient pas à la volonté même. Elle n'en est qu'une réalisation temporaire, un produit éphémère et vain.
« La volonté, la volonté sans intelligence (en soi, elle n'est point autre), désir aveugle, irrésistible, telle que nous la voyons se montrer encore dans le monde brut, dans la nature végétale, et dans leurs lois, aussi bien que dans la partie végétative de notre propre corps, cette volonté, dis-je, grâce au monde représenté, qui vient s'offrir à elle et qui se développe pour la servir, arrive à savoir qu'elle veut, à savoir ce qu'est ce qu'elle veut ; c'est ce monde même, c'est la vie, telle justement qu'elle se réalise là. »
Mais cette conscience, si limitée, qu'acquiert ainsi la volonté est encore plus éphémère : elle ne dépasse pas les bornes temporaires de l'individualisation.
C'est seulement pendant la durée de l'individualisation qu'elle a un rôle et ce rôle consiste simplement à substituer, à l'entraînement irréfléchi et infini, une activité réfléchie et bornée.
Il importe donc de distinguer expressément la volonté inconsciente de sa représentation consciente. Ce qu'il y a dans l'homme de vraiment supérieur, l'essence éternelle, le génie, l'inspiration, le pouvoir créateur, tout cela est impersonnel ; tout cela appartient à la volonté inconsciente.
Le domaine de la conscience, créé par l'objectivation des attributs de la volonté, ne relève que du psychisme cérébral. La conscience est liée, chez les animaux supérieurs et l'homme, à leur représentation organique ; elle naît et disparaît avec elle.
La mort entraîne son anéantissement. Par contre, ce qui est l'essence de l'Etre, la volonté, n'est pas atteinte : « Quand par la mort, nous perdons l'intellect, nous sommes simplement transportés par-là dans notre état primitif dépourvu de connaissance, mais qui n'est pas absolument inconscient. C'est sans doute plutôt un état supérieur à cette forme là, où l'opposition du sujet et de l'objet disparaît...
La mort s'annonce ouvertement comme la fin de l'individu ; mais en cet individu réside le germe d'un nouvel, être. Donc, rien de ce qui meurt là ne meurt pour toujours ; mais rien de ce qui naît ne reçoit non plus une existence fondamentalement nouvelle. Ce qui meurt périt ; mais un germe subsiste, d'où sort une nouvelle vie, qui entre maintenant dans l'existence, sans savoir d'où elle vient et pourquoi elle est justement ce qu'elle est. Ceci est le mystère de la palingénésie.
On peut en conséquence considérer chaque être humain de deux points de vue opposés : du premier, il est un individu commençant et finissant dans le temps, passant d'une manière fugitive... De l'autre, il est l'être originel indestructible qui s'objective en tout être existant. Sans doute, un tel être pourrait faire quelque chose de mieux que de se manifester dans un monde comme celui-ci ; car c'est le monde fini de la souffrance et de la mort. Ce qui est en lui et ce qui sort de lui doit finir et mourir. Mais ce qui ne sort pas de lui et ne veut pas sortir de lui le traverse avec la toute puissance d'un éclair qui frappe en haut et ne connaît ensuite ni temps ni mort[2]. »
Ainsi donc la conscience individuelle, de même que l'univers n'a pas d'existence propre et réelle. Elle est fonction temporaire de la volonté. Elle naît du vouloir vivre.
Or, le vouloir vivre est la conséquence d'une illusion néfaste de la volonté.

2° Le Pessimisme de Schopenhauer
Le pessimisme de Schopenhauer, qui lui a inspiré des pages de la plus haute éloquence, découle avec une rigoureuse logique de ses prémisses.
Si l'individualisation et la conscience ne sont qu'illusions passagères, bientôt disparues, tous les efforts, les peines, les luttes et les souffrances n'aboutissent à rien. Les injustices subies le sont sans compensation. La vie n'a pas d'objet. Les espérances religieuses sont absurdes, puisque, sans même parler des difficultés dogmatiques qu'elles soulèvent, elles sont toutes basées sur cette conception insensée qu'une chose ayant eu un commencement, l’âme individuelle, n'aurait cependant pas de fin.
Il n'y a donc pas d'espoir, ni dans un monde futur, ni dans le monde présent.
Le vouloir vivre ne fait qu'engendrer l'effort sans but et la souffrance sans résultat : « Déjà, en considérant la nature brute, nous avons reconnu pour son essence intime l'effort, un effort continu, sans but, ni repos ; mais chez la bête et chez l'homme, la même vérité éclate bien plus évidemment. Or, tout vouloir a pour principe un besoin, un manque, donc une douleur : c'est par nature, nécessairement, qu'ils doivent devenir la proie de la douleur. Mais que la volonté vienne à manquer d'objet, qu'une prompte satisfaction vienne lui enlever tout motif de désirer, et les voilà tombés dans un vide épouvantable, dans l'ennui : leur nature, leur existence, leur pèse d'un poids intolérable. La vie oscille donc, comme une pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l'ennui : ce sont là les deux éléments dont elle est faite, en somme. De là ce fait bien significatif par son étrangeté même : les hommes, ayant placé toutes les douleurs, toutes les souffrances dans l'enfer, pour remplir le ciel n'ont plus trouvé que l'ennui !
« Or, cet effort incessant, qui constitue le fond même de toutes les formes visibles revêtues par la volonté, arrive enfin, dans les sommets de l'échelle de ses manifestations objectives, à trouver son principe vrai et le plus général : là, en effet, la volonté se révèle à elle-même en un corps vivant, qui lui impose une loi de fer, celle de le nourrir ; et ce qui donne vigueur à cette loi, c'est que ce corps c'est tout simplement la volonté même de vivre, mais incarnée... Ajoutez un second besoin, que le premier traîne à sa suite, celui de perpétuer l'espèce. En même temps, de tous côtés, viennent l'assiéger des périls variés à l'infini, auxquels il n'échappe qu'au prix d'une surveillance sans relâche...
Pour la plupart, la vie n'est qu'un combat perpétuel pour l'existence même, avec la certitude d'être enfin vaincus... La vie elle-même est une mer pleine d'écueils et de gouffres : l'homme, à force de prudence et de soin, les évite et sait pourtant que, vint-il à bout, par son énergie et son art, de se glisser entre eux, il ne fait que s'avancer peu à peu vers le grand, le total, l'inévitable et irrémédiable naufrage ; qu'il a le cap sur le lieu de sa perte, sur la mort. »
Efforts, souffrances, mort, c'est là tout ce que la volonté acquiert de la connaissance et c'est pour cela qu'après « s'être affirmée » elle en arrive à « se nier ». C'est le fruit même de l'existence individuelle.
« Quelle différence, s'écrie Schopenhauer, entre notre commencement et notre fin. Celui-là caractérisé par les illusions du désir et les transports de la volupté ; celle-ci, par la destruction de tous nos organes et l'odeur cadavérique ! La route qui les sépare, quant au bien-être et à la joie de la vie, va toujours aussi en pente descendante : l'enfance aux rêves joyeux, la gaie jeunesse, la virilité laborieuse, la vieillesse caduque et souvent lamentable, les tortures de la dernière maladie et enfin le combat de la mort ! »
Le pessimisme de Schopenhauer n'est pas seulement la conséquence logique de ses prémisses philosophiques ; il repose aussi sur la claire vision de la vie. Cette vision lui inspire une immense pitié : pitié pour les animaux qui, lorsqu'ils ne s'entredévorent pas eux-mêmes, souffrent toutes les misères « dans un enfer dont les hommes sont les démons ! »
Pitié pour les hommes, que le vouloir vivre conduit à des peines et des douleurs non compensées par quelques joies clairsemées et basées d'ailleurs en grande partie sur l'illusion.
Comment de plus, l'homme jouirait-il de ces courtes joies, quand il a acquis la conscience de son identité essentielle avec un monde où le mal règne en souverain ? Comment ne pas souffrir de l'immense douleur universelle ?
Comment ne pas comprendre que le vouloir vivre est néfaste et qu'il faut arriver à l'anéantir par l'abdication du désir et le renoncement aux motifs illusoires dont se berce l'intelligence, pour trouver à la vie une raison suffisante.
C'est seulement en atteignant cette conception que l'on comprend la raison de la vie et de la souffrance : pour les animaux, la souffrance s'explique « par le fait que la volonté de vivre, ne trouvant absolument rien en dehors d'elle dans le monde des phénomènes et étant une volonté affamée, doit dévorer sa propre chair. » Pour l'homme, plus conscient : « la valeur de la vie consiste précisément à lui apprendre à ne pas vouloir d'elle. » L'existence n'est autre chose qu'une sorte d'aberration, dont la connaissance exacte du monde doit nous guérir.

3° La Systématisation de de Hartmann
De Hartmann n'a fait que reprendre la thèse de Schopenhauer, en développant certaines données relatives aux sciences naturelles et à la psychologie.
Pour de Hartmann, à côté et au-dessus des causes admises par la conception mécanique de la nature, existe un principe supérieur qu'il appelle l'inconscient.
L'inconscient est ce qu'il y a d'essentiel, de divin dans l'univers. En lui sont en puissance la volonté et la représentation.
Tout ce qui est réalisé l'est ainsi par la volonté de l'inconscient.
— Dans l’évolution, l'inconscient joue le rôle primordial : la sélection naturelle n'explique pas l'origine des formes nouvelles : elle n'est qu'un moyen ; que l'un des procédés que l'inconscient utilise pour arriver à ses fins.
— Dans l’individu, l'inconscient joue le rôle prédominant sur les phénomènes vitaux : il a en lui l'essence de la vie ; il forme l'organisme et le maintient, répare ses dommages internes et externes, et guide avec finalité ses mouvements.
Il joue le rôle essentiel dans les phénomènes psychologiques : il est la source des instincts, de l'intuition, du sens-artistique et du génie créateur.
Enfin l'inconscient est à la base de la phénoménologie supra normale, qui est une simple manifestation de son pouvoir divin, indépendant des contingences relatives au temps, à l'espace, aux représentations psychologiques, dynamiques et matérielles.
Pour de Hartmann, comme pour Schopenhauer, il y a un abîme entre l'inconscient et le conscient.
Le premier est divin et le deuxième purement humain.
Le conscient, suffisamment développé, nous permet cependant de juger l'univers et la vie. Or ce jugement n'est pas favorable. La conscience, étant à la fois éphémère et improductive, ne saurait participer de l'infini divin.
Elle souffre de sa limitation sans compensation et sans espoir, de son impuissance, de toutes les contingences pénibles, d'autant plus pénibles pour elle qu'elle est plus développée, de l'existence individuelle. Sa dernière ressource serait de tendre, par un effort suprême, à se supprimer elle-même ; mais peut-être même ce sacrifice serait-il inutile, car l'inconscient créateur, indestructible, recommencerait sans doute une évolution, destinée à aboutir à la même réalisation consciente et aux mêmes désolantes conséquences de cette réalisation.

4° Critique de la distinction spécifique entre conscient et inconscient
Deux choses frappent avant tout dans les systèmes de Schopenhauer et de Hartmann :
C'est, en premier lieu, la netteté du raisonnement et sa rigueur quasi scientifique, et c'est, en deuxième lieu, la conclusion pessimiste qui semble en découler naturellement et forcément.
Cette conclusion s'impose, en effet, si l'on admet, comme ces deux philosophes, qu'il y a, entre l'inconscient et le conscient, un abîme infranchissable, une différence essentielle.
Cette différence essentielle enlève à l'univers et à la vie toute fin idéale et toute signification.
Or, alors que les autres postulats des philosophes allemands sont déduits avec une rigueur mathématique, la distinction essentielle entre l’inconscient et le conscient ne repose sur rien.
L'assimilation de la conscience à une simple « représentation » n'est pas logique.
Pourquoi la conscience serait-elle exclusivement liée aux apparences temporaires qui constituent l'univers ? Pourquoi tout ce qui est de son domaine ne serait-il pas enregistré, assimilé et conservé par l'essence éternelle de l'Etre ?
Quoi ? Le principe divin, Volonté ou Inconscient, aurait toutes les potentialités, hormis une seule, la plus importante, celle d'acquérir et de garder la connaissance de soi ?
Combien il est plus logique de supposer cette volonté réelle et éternelle, objectivée dans les personnalités factices et transitoires, gardant le souvenir intégral acquis dans ces objectivations et passant ainsi, par les expériences infinies, de l'Inconscient primitif au Conscient.
Certes, la « personnalité » humaine, celle qui s'étend de la naissance à la mort de l'organisme, est destinée à périr, à avoir une fin comme elle a eu un commencement ; mais « l'individualité » réelle, celle qui est l'essentiel de l'être, garde, gravés en elle, tous les états de conscience de la personnalité transitoire et se les assimile.
Quand, conformément au mystère palingénésique dont parle Schopenhauer, elle constitue une autre personnalité vivante, elle apporte à cette personnalité l'acquit antérieur et s'enrichit ensuite elle-même de nouveau, dans et par cette nouvelle objectivation.
C'est ainsi en un mot, que la volonté inconsciente originelle devient peu à peu la volonté consciente.
Chose curieuse : Schelling et Hegel, dont les systèmes avaient précédé ceux de Schopenhauer et de Hartmann et sont infiniment moins précis, avaient cependant proclamé le passage de l'Inconscient au Conscient et en avaient tiré des conclusions idéalistes et optimistes.
La métaphysique des deux derniers philosophes, plus précise, plus documentée au point de vue scientifique, accuse ainsi un recul regrettable au point de vue idéaliste.
Pour Schelling, l'univers est le produit d'une « activité » essentielle inconsciente. Cette activité devient, en partie du moins, consciente d'elle-même chez l'homme.
Pour Hegel, cette activité essentielle inconsciente est cependant pourvue d'une sorte de raison : la création est rationnelle. Une finalité raisonnable se retrouve dans l'évolution et le progrès qu'elle comporte. Mais la raison devient graduellement consciente. L'évolution n'est en somme que le moyen qu'emploie la raison universelle et créatrice pour arriver à prendre conscience d'elle-même.
Il n'y a pas d'objection positive à faire à cette conception. Mais cela ne suffit pas. Il importe de rétablir sur des faits.
Les lacunes, les erreurs et les contradictions, ainsi que les navrantes conclusions pessimistes, sont appelées à disparaître à la lumière des faits nouveaux.
A la philosophie de l'Inconscient, grandiose et géniale, certes, mais faussée par ces lacunes et ces erreurs, les faits nouveaux et les inductions qu'ils comportent permettent de substituer une philosophie identique comme essence et comme prémisses, mais totalement différente par son développement et par ses conclusions.
Par son développement : parée qu'elle embrasse la totalité des faits tout en restant strictement rationnelle, en évitant tout dogmatisme et en sachant faire la part de ce qui peut être expliqué et de ce qui échappe encore forcément à nos capacités de savoir et de comprendre.
Par ses conclusions, diamétralement opposées au pessimisme désolant de Schopenhauer, par le seul fait que se trouve comblé l'abîme artificiel creusé par lui entre l'Inconscient et le Conscient.

[1] Le Roy : Une philosophie nouvelle. Alcan, éditeur.

[2] Le Roy : Une philosophie nouvelle.

 

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