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Chapitre II
Le monisme
Le monisme, qui n'est que l'adaptation du panthéisme
aux sciences naturelles et à la théorie évolutionniste,
présente une grande force de séduction : d'une part, il simplifie
la haute philosophie en ramenant tout à une hypothèse unique,
ce qui est conforme à l'esprit et à la méthode scientifiques. [1] Haeckel : Les énigmes de l'univers.
D'autre part, il est en concordance évidente avec la synthèse
évolutionniste, considérée dans l'ensemble et dans les
parties, dans l'univers et dans l'individu.
La philosophie panthéistique s'offre ainsi à nous avec un caractère
de probabilité indiscutable.
Nous verrons, dans la suite de ce travail, ce caractère de probabilité
s'affirmer davantage encore par les nouvelles conceptions de la psychologie.
Sans sortir du domaine des sciences naturelles, il est permis d'affirmer que
les conceptions mécanistes, déterministes ou finalistes, sujet
des séculaires controverses philosophiques, sont facilement conciliâmes
dans la synthèse panthéistique ; tandis qu'elles sont, en dehors
d'elle, dépourvues de toute base positive et condamnée à
demeurer de vaines et stériles spéculations.
En dehors de la philosophie panthéistique, les conceptions dites scientifiques
de l'univers se ramènent à cette formule : « L'univers évoluant
est déterminé par l'adjonction, la superposition mécanique
aux éléments primitifs d'éléments nouveaux, créant
ainsi une construction graduelle de plus en plus complexe et perfectionnée.
»
Or, les faits démentent cette hypothèse : comme le fait, remarquer
Bergson : « Un simple coup d'oeil, jeté sur le développement
d'un embryon, montre que la vie procède non par association et addition
d'éléments, mais par dissociation et dédoublement. »
Enfin, nous l'avons vu, le plus ne peut sortir du moins que s'il est contenu
en puissance dans le moins.
Quant aux conceptions finalistes, elles aboutissent fatalement, si elles ne
prennent pas pour base et point de départ la philosophie panthéiste,
à ces théories vulgaires et enfantines, qu'il est si facile de
ridiculiser, d'après lesquelles tous les éléments de la
structure universelle ont été faits l'un par l'autre. Il suffit,
pour ruiner cette conception, de faire remarquer, avec R. Wallace, que toute
adaptation a nécessairement l'apparence d'un arrangement intentionnel.
Au contraire, en partant du panthéisme, le mécanisme et le finalisme
sont tout autre chose ; parce qu'ils se fondent dans une seule hypothèse
métaphysique.
Ils impliquent l'idée que notre conception du temps et de l'espace est
chose relative à notre entendement ; qu'en s'élevant au-dessus
de ces conceptions relatives, on ne doit voir ni commencement ni fin, ni point
de départ, ni but, ni arrivée, ni passé, ni présent,
ni avenir, mais simplement un tout harmonieux. Il ne faut pas dire : «
L'univers a été construit dans un but donné par des moyens
donnés », ni « les moyens ont déterminé nécessairement
le but. »
Ces distinctions mécanistes ou finalistes sont vaines. Elles s'évanouissent
dans l’absolu. On arrive ainsi, comme dit Bergson, à « une
métaphysique où la totalité du réel est posée
en bloc, dans l'éternité et où la durée apparente
des choses exprime simplement l'infirmité d'un esprit qui ne peut pas
connaître tout à la fois. »
C'est ce que Laplace avait exprimé dans la phrase célèbre
: « Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait
toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective
des êtres qui la composent ; si, d'ailleurs elle était assez vaste
pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même
formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger
atome : rien ne serait incertain pour elle ; et l'avenir, comme le passé,
serait présent à ses yeux. »
Qu'objecte à cela M. Bergson ? Qu'on ne saurait faire abstraction du
temps. « La durée, dit-il, est ce qu'il y a de plus indiscutable
dans notre expérience. Nous percevons la durée comme un courant
qu'on ne saurait remonter. Elle est le fond de notre être et nous le sentons
bien, la substance même des choses avec lesquelles nous sommes en communication.
»
Cette objection est sûrement insuffisante. Si le temps et l'espace ne
sont que des illusions relatives à notre entendement limité, il
est évident que ces illusions peuvent s'imposer à cet entendement
comme une réalité sans cesser pour cela d’être des
illusions.
Ce qui semble vrai, c'est que la métaphysique mécaniste ou finaliste
n'est ni démontrable ni réfutable ; parce qu'elle se place en
dehors et au-dessus de nos procédés de raisonnement et de nos
méthodes.
Elle semble cependant trouver un appui inattendu dans les faits de lucidité
dans l'avenir : faits dont un certain nombre sont aujourd'hui bien établis.
Mais, même en admettant sa possibilité métaphysique abstraite,
elle n'apporte rien de concret à ajouter à la doctrine de l'évolution.
La question du mécanisme ou finalisme transcendant se confond avec la
question de l'absolu. Elle est au-dessus de notre intelligence et ne peut être
discutée avec fruit.
Nous devons nous contenter d'admettre la nécessité d'un principe
unique renfermant en lui toutes les potentialités évolutives et
d'essayer simplement de comprendre comment se réalisent ces potentialités.
Or, il est bien certain que le panthéisme naturaliste classique ou monisme,
ne permet pas cette compréhension.
Quand Haeckel écrit au sujet de la loi d'évolution[1]
: « Cette loi suprême de la nature étant posée et
toutes les autres lois lui étant subordonnées, nous nous sommes
convaincus de l'universelle Unité de la nature et de l'éternelle
valeur des lois naturelles. De l'obscur problème de la substance est
issue la claire loi de substance... » Il ne fait qu'énoncer une
formule très incomplète sinon sans valeur : la claire loi de substance
n'a rien de clair en réalité, sinon dans son affirmation de l'Unité.
Elle est parfaitement obscure en tout ce qui concerne les facteurs essentiels
et le sens de l'évolution.
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