Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


I - DISCOURS PRESIDENTIEL


 

NOTE DE L’EDITEUR

Le conseil d’administration de la Société Anglaise de Recherches Psychiques de Londres, dont on connaît le rôle important dans l’évolution des sciences psychologiques et la réputation mondiale, a élu comme Président pour l’année 1923, en succession de M. William M. Dougall, l’éminent psychiste et célèbre astronome, M. Camille Flammarion.
Nous tenons à féliciter ici l’illustre savant de cette nouvelle preuve d’admiration qu’inspire son labeur soutenu dans la recherche de la Vérité.
Pour mesurer l’importance de ce témoignage, il convient de rappeler que l’honneur de présider pour une année aux destinées de la Society for Psychical Research n’a été offert, jusqu’ici qu’à deux français, d’ailleurs célèbres par leurs travaux tant en France qu’à l’étranger. M. Charles Richet, en 1905, et M. Henri Bergson, en 1913.
Nous sommes heureux de publier le remarquable discours de l’auteur de « La mort et son mystère », lu, le 26 juin 1923, devant l’assemblée de la célèbre Société Anglaise de Recherches Psychiques de Londres, par Sir William Barrett, membre de la Société Royale. Ce discours est reproduit ici textuellement, d’après les Proceedings d’octobre 1923.
B.P.S.

Discours présidentiel de M. Camille FLAMMARION

Fondateur et premier président de la société astronomique de France,
Directeur de l’observatoire de Juvisy,
Commandeur de la légion d’honneur.

Mesdames, Messieurs, chers collègues,
Mon plus vif désir eût été de me rendre personnellement auprès de vous pour vous présenter mes profonds et sympathiques remerciements de l'honneur que vient de me faire la célèbre Society for Psychical Research, mais il me serait extrêmement difficile de m'éloigner, en ce moment, de Paris et de Juvisy, et je tiens tout d'abord à vous en exprimez mes très sincères regrets. Heureusement, nous pouvons converser ensemble, de loin comme de près, et, en réalité, je suis auprès de vous, par l'esprit et par le coeur.
J'ai lu un grand nombre de discours académiques, et notamment les 24 que la Psychical Society a publiés dans son beau volume des Presidential Addresses, et j'ai constaté qu'en général, celui qui est à l'honneur d'être reçu dans le cénacle d'une illustre société commence son discours de réception en exprimant son humble reconnaissance d’être admis dans une compagnie dont il n'est pas digne. Ce serait assurément mon devoir particulier ici, plus que pour aucun de mes prédécesseurs, puisque je suis, avec mon savant ami Charles Richet et avec le philosophe Henri Bergson, l'un des rares étrangers ont été appelés à cette présidence, depuis quarante et un ans que votre société existe. J'avoue que je suis un peu ébloui par votre constellation d'astres de première grandeur, où brillent les noms de William Crookes, de Balfour Stewart, d’Arthur Balfour, de William James, d’Oliver Lodge, de William Barrett, de Frédéric Myers, d’Henri Sidwick, de Gérald Balfour et de leurs émules.
Parmi les discours, la première phrase de celui du spirituel philosophe William James m'a particulièrement frappé, parce qu'elle répondait exactement à mon impression lorsque votre éminent fondateur et ancien président Sir William Barrett est venu dans ma retraite d'astronome ce militaire me proposer cet honneur assurément inattendu. J'y ai répondu comme Sir Oliver Lodge en 1901 : « It is the wish of your Concil », mais en ajoutant, comme William James, en 1896, que c'était là...Un siège à souris, a mouse-trap, et que, quand on y entre on est pris, sans se douter de ce qui vous arrive ! Ai-je une excuse de m’être laissé prendre ? Peut-être. L'année même où cette société de Recherches a été fondée - en 1882 - j'ai fondé moi-même, en France l'Astronomie, Revue des recherches astronomiques, d'où est sortie, cinq ans après, la Société astronomique de France, où j'ai eu comme successeurs à la présidence les plus célèbres astronomes de l'Institut : Faye, Janssen, Tisserand, Callandreau, Poincaré, Lippmann, Deslandres, Baillaud, Puiseux, Appell, savants illustres, égaux aux gloires de votre Conseil. En même temps que vous, je travaillais donc à la fondation d'une oeuvre ayant pour mission d’élever les hommes au-dessus des intérêts matériels et les inviter à vivre dans la contemplation de l'infini.
Animés du même esprit, nous voulions, vous comme moi, le progrès et le développement des connaissances humaines, sachant que :
Croire tout découvert est une erreur profonde ;
C'est prendre l'horizon pour les bornes du monde.

Peut-être me rattachai-je à vous par des liens encore plus anciens. En 1869, vos prédécesseurs en recherches psychiques avaient fondé à Londres la Société dialectique, sous la présidence de Sir John Lubbock, avec le concours d'Alfred Russel Wallace, de l’ingénieur Varley, du professeur De Morgan, de William Crookes, qui me demanda à un article astronomique pour sa Revue et précisément aussi, en cette même année, prononçant un discours, le jour de ses obsèques, sur la tombe d’Allan Kardec, grand maître du Spiritisme en France, j’ai pris soin de dire que le spiritisme ne doit pas être considéré comme une religion, mais représente l’aurore d’une science nouvelle, toute entière à créer. L’affaire de la science n’est pas la croyance, mais l’investigation.
Ainsi, mes chers collègues, il me semble que nous sommes frères depuis longtemps et que nous marchons la main à main.
Un souvenir plus ancien encore se rappelle en ce moment à ma pensée. En 1861, j'étais élève astronome à l'Observatoire de Paris et je passais tous les jours près de l'Odéon pour revenir au domicile de mes parents habitant l'intérieur de Paris et, comme tous les amateurs de livres, je m'arrêtais sous les galeries de ce théâtre pour feuilleter les publications intéressantes. J'en ouvre une et mes yeux tombent sur une page portant pour titre : Pluralité des mondes.
Or, précisément, à cette époque, je travaillais à mon ouvrage sur ce sujet, publié l'année suivante. Je regarde le titre du volume et je lis : « le livre des Esprits » par Allan Kardec. Le chapitre qui m'intéressait était présenté comme « dicté par des Esprits ». Cette énigme pouvait intriguer un étudiant de 19 ans. J'allai rendre visite à l’auteur, qui m'inscrivit (le 15 novembre 1861) dans sa société parisienne des Etudes spirites et j’assistais aux réunions hebdomadaires où s'exerçaient diverses formes de médiumnité, notamment l'écriture automatique. J'essayais moi-même, et, de semaine en semaine, j'écrivis, dans une demi conscience plusieurs dissertations astronomiques signées Galilée, qu'Allan Kardec a publiées plus tard dans son livre « la Genève ». Un étudiant plus âgé que moi, qui se fit auteur dramatique et membre de l'Académie française, Victorien Sardou, s'exerçaient de son côté, à un autre genre de médiumnité et dessinait des habitations imaginaires sur la planète Jupiter, signée Bernard Palissy, dessin fort curieux que l'on peut voir dans mon ouvrage sur « les forces naturelles inconnues». À cette époque les astronomes pensaient que Jupiter était un monde habitable supérieur à la terre par son printemps perpétuel et ses années 12 fois plus longues que les nôtres. Je ne tardai pas à remarquer que nos communications médiumniques reflétaient simplement nos idées personnelles et que Galilée pour moi, et les habitants de Jupiter pour Sardou, étaient étrangers à ces productions inconscientes de notre esprit.
C'était en 1861, au temps de Napoléon III et de la reine Victoria. C’est déjà loin ; mais nous pouvons remonter plus haut encore.
Puisqu'on l'a rappelé récemment à la fête officielle dont les savants français m'ont honoré à la Sorbonne, au mois de juin dernier, je me permettrai de me souvenir ici que le problème de la survivance de l'âme m'a préoccupé depuis ma plus tendre enfance. Le ministre Reibel, représentant le gouvernement, a raconté que dans le village où je suis né, voyant, à l'âge de sept ans, passer un convoi funèbre, j'ai interrogé un camarade plus âgé qui m'apprit qu'on allait enterrer un homme mort et que je lui ai répliqué : « cesser de vivre, ce n'est pas possible... On ne meurt pas ». En rapportant ce souvenir dans mes mémoires, j'ajoutais : « j'y ai rêvé plusieurs heures, plusieurs jours, plusieurs semaines, plusieurs mois ; la conviction que la mort n'existe pas à continué de dominer mon esprit ; nous ne pouvons pas être détruits.»

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Si je rappelle ces souvenirs, chers collègues, c'est pour m'excuser d'avoir accepté cette présidence et pour vous dire que nous travaillons dans la même voie. Vos fondateurs étaient Sir William Barrett et Henry Sidwick, auquel ne tardèrent pas à s'associer Frédéric Myers, Balfour Stewart, Edmond Gurney, Podmore, Sir William Crookes, Sir Oliver Lodge, Lewis, Arthur Smith et d'autres chercheurs. Le premier de ces fondateurs est toujours là, dans son infatigable activité, et nous admirons tous sa permanente jeunesse. Le nom de Frédéric Myers reste uni au sein comme le symbole du travailleur indépendant auquel la science métapsychique a dû ses principaux progrès. Vous avez tenu, messieurs, à appliquer dès l'origine à vos recherches les principes sévères et absolus de la méthode expérimentale proclamée par votre Bacon.
Vos progrès ne sont pas réalisés sans luttes et sans obstacles. Personnellement, je les ai affrontés de près, même à Paris, là surtout peut-être, car dans le pays de Voltaire, on a un peu l'habitude de se moquer de tout. Tandis que vous luttiez contre Faraday, nous luttions contre Barbinet. Ces deux physiciens avaient tort de nier. Tout le monde sait qu'il y a des imposteurs, des farceurs, des menteurs, et également des crédules, des illusionnés, des faibles d'esprit et même des imbéciles. Est-ce une raison pour ne pas étudier les problèmes non résolus ?
Plusieurs d'entre nous peuvent se souvenir d'un écrivain charmant, le professeur de Morgan, le subtil auteur du « Budget of paradoxes ». J'ai été en relation avec lui dans le cours des années 1864 - 1867, lorsque je rédigeais le Cosmos. Nous pouvons dire avec lui, comme avec mon ami regretté A. De Rochas, auquel notre science doit dans d'observations ingénieuse, que : refuser de s'occuper de certains phénomènes quand on est convaincu de leur réalité, par crainte du qu'en dira-t-on, c'est à la fois s'abaisser soi-même en obéissant à l'une faiblesse de caractère méprisable, et trahir les intérêts de l'humanité tout entière. Nul ne saurait, en effet, prévoir les conséquences d'une découverte, quand il s'agit de forces nouvelles. L'ambre des Grecs qui a donné son nom à l'électricité, ne paraissait qu'un jeu d'enfants, et les grenouilles de Galviny ne paraissaient qu'une curiosité insignifiante, comme la marmite de Papin.
La connaissance des forces de la nature a avancé graduellement, lentement, avec des flux et des reflux, depuis les temps les plus anciens et sous toutes les latitudes, sans distinction de patries. Les séparations géographiques sont aussi inexistantes devant la science que les limites des constellations dans la carte du ciel. Il n'y a pas de séparation entre les peuples, pour les astronomes - même pour les aéronautes. Dans mes voyages aériens, j’ai plus d’une fois traversé des frontières et j’ai toujours eu la plus grande difficulté à les discerner sur le sol glissant à mes pieds. Cependant, il est agréable de rencontrer des compatriotes partout où l’on va, et je suis particulièrement heureux et fier de saluer ici mes prédécesseurs en cette noble présidence, MM. Bergson et Richet qui, depuis longtemps aussi, font planer les études de l’esprit au-dessus de tous les fugitifs intérêts matériels. Tous les présidents de cette association ont suivi le même programme philosophique.
On travaille partout à la recherche de la Vérité ; mais la branche des études psychiques est encore la plus faible, la plus jeune. L’arbre de la science classique est un abîme qui domine tout supérieurement et la science nouvelle n’est qu’un roseau. Mais ce roseau deviendra un arbre, et le vieux chêne se transformera au point de n’être plus du tout le même arbre, avant cent ans seulement. Nous avons encore quelques luttes à soutenir contre les habitudes invétérées. Tout est à renouveler.
Votre association scientifique et indépendante, si loyale, si active, a joué un rôle important dans cette évolution et elle est universellement estimée. Pour ma part, dans tous les ouvrages psychiques que j’ai écrits depuis sa fondation, je me suis fait un devoir et un plaisir de célébrer ses travaux, sa méthode, ses conquêtes, ses précieuses observations.
Avouons qu’il faut avoir un courage souvent mal récompensé pour agir envers et contre les opinions dominantes, qui sont celles de l’ignorance.
Nous savons que la science classique n’a pas découvert toute la vérité contenue dans l’univers et que presque tout reste au contraire, à découvrir. Non seulement toutes les forces de la nature ne sont pas connues, mais la plupart échappent à nos sens imparfaits et incomplets. Ce qu’il importe de ne jamais perdre de vue, c’est l’appréciation exacte de la nature de nos connaissances. Les analystes scientifiques savent, depuis plus d’un siècle, que l’observation s’arrête à l’apparence, au phénomène sensible, sans jamais savoir pénétrer la substance, ni rien connaître de l’essence réelle des choses. Malebranche avait établi ce principe avant Emmanuel Kant. Mais la science avance graduellement dans ses investigations. Elle avance vite, surtout actuellement par les applications merveilleuses des ondes invisibles, de la télégraphie et de la téléphonie sans fil. Avant un demi-siècle, les découvertes dépasseront autant nos connaissances actuelles que l’aviation et la radio-téléphonie actuelles dépassent l’aérostation et la télégraphie d’il y a 50 ans.

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La curiosité est-elle un défaut ? Je ne le pense pas, quoique l’on ait fait un crime à notre mère Eve d’avoir voulu goûter un fruit défendu, malgré la défense de Jéhovah – ou plutôt, sans doute, à cause de cette défense ! La curiosité est la source de toutes les découvertes et nous ne pouvons qu’y applaudir. Pourtant, d’éminents savants ne ressentent pas ce sentiment subtil, et même le désapprouvent. Un jour, le fondateur actuellement survivant de votre belle société psychique, l’éminent professeur Sir William Barrett, ayant eu des preuves personnelles des transmissions psychiques à distance, amena la conversation sur ce sujet avec le célèbre physiologiste allemand Helmoltz, alors à Dublin. « Je ne puis y croire lui répliqua celui-ci ; ni le témoignage de tous les membres de la société Royale, ni même celui de mes propres sens ne pourraient m’amener à admettre la transmission de pensée d’une personne à une autre, en dehors de l’opération de nos sensations normales, car c’est évidemment impossible. » Nous pouvons remarquer avec Sir William Barrett que Laplace raisonnait plus sagement en disant, dans sa théorie analytique des probabilités : « Nous sommes si loin de connaître tous les agents de la nature et leurs divers modes d’action qu’il serait peu philosophique de nier les phénomènes uniquement parce qu’ils sont inexplicables dans l’état actuel de nos connaissances. Seulement, nous devons les examiner avec une attention d’autant plus scrupuleuse qu’il paraît plus difficile de les admettre ; et le calcul des probabilités devient indispensable pour déterminer jusqu’à quel point il faut multiplier les observations afin d’obtenir en faveur des agents qu’elles indiquent une probabilité supérieure aux raisons que l’on peut avoir, d’ailleurs de ne pas les admettre ». (Laplace. Théorie analytique des probabilités. Introduction. )
Ces réflexions de Laplace s’appliquent exactement à nos recherches métapsychiques et nous confirment dans notre interprétation de la valeur du nombre des observations. Remarquons que l’illustre géomètre les a émises à propos du magnétisme animal et de la baguette divinatoire, alors particulièrement discutés.
Or, la continuité des études scientifiques nous a conduits à penser que tout est dynamisme. Le dynamisme cosmique régit des mondes. Newton lui a donné le nom d’attraction. Mais cette interprétation est insuffisante : s’il n’y avait que l’attraction dans l’univers, les astres ne formeraient qu’un seul bloc, car elle les aurait réunis depuis longtemps, depuis toujours ; il y a, de plus, le mouvement. Le dynamisme vital régit les êtres : dans l’homme évolué, le dynamisme psychique est constamment associé au dynamisme vital. Au fond, tous ces dynamismes n’en font qu’un : c’est l’esprit dans la nature, sourd et aveugle, pour nous dans le monde immatériel et même dans l’instinct des animaux, inconscient dans la majorité des œuvres humaines, conscient dans un petit nombre.
J’ai écrit dans « l’Uranie » (1888) : « Ce que nous appelons matière s’évanouit lorsque l’analyse scientifique croit la saisir. Nous trouvons comme soutien de l’univers et principe de toutes les formes, la force, l’élément dynamique. L’être humain a pour principe essentiel l’âme. L’univers est un dynamisme intelligent inconnaissable. »
J’ai écrit dans « Les Forces Naturelles Inconnues » (1906) : « Les manifestations psychiques confirment ce que nous savons d’autre part, que l’explication purement mécanique de la nature est insuffisante et qu’il y a dans l’univers autre chose que la prétendue matière. Ce n’est pas la matière qui régit le monde : C’est un élément dynamique et psychique. »
Depuis les années où ces lignes ont été écrites, le progrès des observations psychiques les a surabondamment confirmées. Votre Société est à la tête de ce mouvement.
Mais revenons au professeur Barrett et à Helmoltz.
Helmoltz n’était pas curieux. Comme beaucoup d’autres, il avait sur certains points l’esprit hermétiquement fermé. Nous entendons assez souvent des hommes relativement intelligents nous dire : Je le verrais que je ne le croirais pas. Il y en a, d’ailleurs, qui n’aiment pas se donner la peine de réfléchir. Le professeur Barrett raconte aussi que Sir William Rowan Hamilton, après avoir publié sa fameuse découverte mathématique des quaternions, en parla à l’astronome royal Airy et voulu lui exposer cette théorie. Après quelques instants, Airy l’arrêta : « Je ne vois pas cela du tout », fit-il. – J’ai étudié le sujet, pendant plusieurs mois, réplique Hamilton, et je suis certain du théorème. – Oh ! répondit Airy, je viens d’y penser pendant deux ou trois minutes et je vois qu’il n’y a rien là. » Il en est souvent ainsi dans nos études.
J’ai eu moi-même l’occasion de voir à Greenwich, le directeur de l’observatoire George Biddel Airy et j’admirais sa verte vieillesse ; mais je ne pouvais m’empêcher de penser à la découverte de Neptune par Le Verrier. Cette découverte ne serait pas française si Airy avait été plus curieux, car il avait le mémoire d’Adams dans un tiroir depuis plusieurs mois lorsque Le Verrier annonça sa découverte à l’Académie des sciences, le 31 août 1846.
D’ailleurs, Le Verrier avait fait cette découverte portée par sa passion mathématique, et, en dehors des mathématiques, il n’était pas très curieux lui-même. Un soir de l’année 1876, j’observais, au grand équatorial de l’observatoire de Paris, une étoile double qui, par hasard, était la voisine de la planète Neptune. Par curiosité, après avoir observé mon étoile double, je dirigeai la lunette sur Neptune et cherchai à en apprécier le diamètre. L’illustre directeur était monté, ce soir là, sur la terrasse et me questionna sur mes observations : « Vous mesurez vos étoiles doubles ? fit-il. – Oui, Monsieur le directeur, mais savez-vous ce que j’ai en ce moment dans le champ ?… Votre planète Neptune ! Elle est curieuse ; elle est bleue. Voulez-vous la voir ? – Oh ! Non, me répondit-il. Du reste, je ne l’ai jamais vue. »
Etait-ce une boutade ? Etait-ce vrai ? Ce qui est certain, c’est que l’astronomie physique ne l’intéressait pas du tout.
Tout le monde sait que Le Verrier et Adams ont découvert par le calcul la position de Neptune dans le ciel, et que c’est un jeune astronome de Berlin, Gall, qui, sur l’invitation de Le Verrier, dirigea une lunette vers cette région du ciel dont il construisait précisément la carte, et, ayant reçu une lettre de Le Verrier, le 23 septembre, constata le soir même la présence de l’astre inconnu.
L’Astronomie, la noble science du ciel, n’est pas seulement l’étude aride des mouvements célestes et des lois de la gravitation. Ce n’est pas seulement la position des astres dans l’espace infini, qui nous intéresse, c’est encore, et c’est surtout, leur constitution, leur nature ; nous ne voulons pas seulement savoir où ils sont, mais ce qu’ils sont.
L’astronomie physique est le complément de l’astronomie mathématique. Qu’est-ce que l’Univers ?
L’homme est un atome pensant au sein de l’infini et de l’éternité, vivant, sur la Terre, entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. Les dernières découvertes astronomiques sont plus éloquentes que tous les poèmes. Qu’est-ce que tous les peintres, tous les poètes devant la réalité astronomique ?
Vos travaux ont apporté à la science les plus heureux résultats. Le 23 avril 1887, votre président, le professeur Balfour Stewart, membre de la Société Royale, a fondé avec vous un comité spécial dans le but de vérifier the réality of such alleged spiritualistic phenomens as may brought before them, comité composé de William Crookes, Oliver Lodge, William Barrett, Angelo Lewis, E. Gurney et F. Myers. Tout le monde connaît aujourd’hui les conquêtes obtenues par ces investigateurs indépendants. Les faits dont vous avez établi l’authenticité sont irrécusables. Il y a, assurément, des observations qui paraissent contradictoires ; mais cent faits négatifs n’infirment pas un seul fait positif dûment établi.

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Nous venons de dire que l’homme est un atome pensant, vivant au sein de l’infini et que les découvertes astronomiques sont plus éloquentes que tous les poèmes.
Cette réalité sublime, personne ne s’en doutait au temps d’Homère, au temps d’Hésiode, au temps de Pythagore, au temps de Moïse, au temps de Jésus-Christ, et même au temps de Copernic. Hésiode croyait donner une grande idée de l’étendue de l’univers en disant que l’enclume de Vulcain avait mis 9 jours et 9 nuits à tomber du ciel sur la terre, et qu’il lui en faudrait autant pour tomber jusqu’aux enfers.
On peut calculer que cette prétendue hauteur du ciel ne représente guère plus que la distance de la lune, l’astre le plus proche de nous : Elle est de 400 000 kilomètres, et notre satellite gravite à 380 000, trente fois seulement la largeur de notre globe. Au temps de Copernic, les étoiles étaient supposées appartenir à une sphère équidistante de la Terre. Les comètes étaient encore des météores terrestres. Or, pensons, jugeons :
Le soleil est 400 fois plus loin de nous que la Lune ; la dernière planète de notre système est 30 fois plus loin de nous que le soleil ; l’étoile la plus proche est 9.330 fois plus loin, ou à 280.000 rayons de l’orbite terrestre. Ces mesures sont d’hier, historiquement parlant, ne datant même pas de 100 ans. Le beau chant de la Bible : Coeli enarrant gloriam Dei, est centuplé dans la pensée moderne. Un palais prodigieux s’est substitué à une chétive cabane.
Supposons qu’au sein du spectacle silencieux d’une nuit étoilée notre esprit s’élève dans la contemplation céleste. Nous savons aujourd’hui que chaque étoile est un soleil et que la plus proche plane à une distance telle que la lumière ( à la vitesse de 300.000 kilomètres par seconde ) emploie 4 ans et 3 mois à parcourir l’espace qui nous en sépare. Nous savons aussi que le soleil est 1.300.000 fois plus volumineux que notre planète, et que les étoiles sont de même ordre.
Ainsi notre esprit se forme une première idée des espaces célestes et des grandeurs.
Parmi les étoiles qui frappent le mieux nos regards dans les belles nuits d’été, choisissons l’une de celles que toutes les contemplatrices du ciel ont le plus souvent remarquée, la radieuse Véga, de la Lyre, de première grandeur. Elle plane à 237 millions de kilomètres, à 25 années de lumière. C’est une splendide étoile blanche, dans laquelle l’hydrogène domine, plus blanche que notre soleil d’or. Pouvons-nous imaginer atteindre cette distance, par la pensée, en quelques secondes ? Peut-être.
Soit ! Allons plus loin dans la même direction. Regardons cette petite constellation de la Lyre. Elle est principalement composée de 5 étoiles (4 en losange formant une petite Lyre dont Véga serait la tête). Entre les deux plus éloignées (ß et ? de 3e grandeur), il y a une nébuleuse particulièrement curieuse, en forme d’anneau. Elle est invisible à l’œil nu, mais en dirigeant notre regard vers ce point du ciel, nous la traversons. Au télescope, elle est splendissima. C’est un anneau elliptique (sans doute circulaire, vu obliquement) avec une étoile au milieu de son disque central. L’analyse spectrale y montre des vapeurs de fer et de zinc. C’est une genèse de système de monde en formation, qui gît à une distance immense au delà de Véga.
Non loin de là, notre regard peut plonger vers une autre nébuleuse, ou plutôt vers un amas d’étoiles, le célèbre amas d’Hercule, voisin de la Lyre ; la merveille des merveilles. C’est une agglomération de soleils…De combien de milliers ?… Une pose photographique d’une minute en enregistre 820, une pose de six minutes 35.000… C’est inénarrable.
Sa distance paraît être de cent mille années de lumière – 946 quatrillions de kilomètres – univers lointain, différent du nôtre, dont le diamètre est comparable à celui de notre voie lactée : mille années de lumière !…
Eh bien, de Véga nous avons franchi, par la nébuleuse annulaire de la Lyre et par l’amas d’Hercule des milliards et des milliards de kilomètres, nous avons traversé d’immenses déserts sidéraux, nous avons parcouru des régions stellifères, nous avons salué, au passage, des mondes défunts et des cimetières d’astres, des tombes et des berceaux, et toujours devant nous les espaces sans fin se sont succédé … 384.000 kilomètres d’ici à la Lune, 4.500.000.000 d’ici à Neptune, 237.000.000.000.000 d’ici à Véga, 946.000.000.000 millions d’ici à l’univers lointain d’Hercule, abîmes après abîmes, immensités après immensités, la Terre est perdue de vue depuis longtemps, et tout notre système planétaire et le soleil s’est éloigné au rang d’étoile imperceptible.
Où sommes-nous ?
Nous n’avons pas avancé d’un seul pas ; nous sommes toujours au centre de l’infini.
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Pasteur était dans le vrai, en rappelant dans son discours de réception à l’Académie Française les aspirations de la curiosité humaine cherchant à tout connaître : « Qu’y a-t-il au delà ? L’esprit humain poussé par une force invincible, ne cessera jamais de se demander : qu’y a-t-il au delà ? Veut-il s’arrêter soit dans le temps, soit dans l’espace ? Comme le point où il s’arrête n’est qu’une grandeur finie, plus grande seulement que toutes celles qui l’ont précédée, à peine commence-t-il à l’envisager, que revient l’implacable question, et toujours, sans qu’il puisse faire taire le cri de sa curiosité. Il ne sert de rien de répondre : au delà sont des espaces, des temps ou des grandeurs sans limites. Nul ne comprend ces paroles. Celui qui proclame l’existence de l’infini et personne ne peut y échapper, accumule dans cette affirmation plus de surnaturel qu’il n’y en a dans tous les miracles de toutes les religions ; car la notion de l’infini a ce double caractère de s’imposer et d’être incompréhensible ».
Après l’étendue, incommensurable et sans bornes, considérons les grandeurs.
Si nous prenons le globe terrestre comme terme de comparaison, nous voyons que :
Jupiter est 1.295 fois plus gros que la Terre ;
Le soleil est 1.300.000 fois plus gros que la Terre.
C’est la proportion d’une boule de 18 centimètres de diamètre pour la Terre, d’une boule de 2 mètres pour Jupiter et d’une coupole de 20 mètres pour le soleil (celle du Panthéon de Paris).
On est arrivé récemment, malgré d’extrêmes difficultés, à mesurer le diamètre de quelques étoiles, et l’on a trouvé :
Pour Arcturus, 24 fois le soleil.
Pour Bételgeuse, 248 fois le soleil.
Pour Antarès, 460 fois le soleil. Donc 598 millions de fois la Terre.
C’est-à-dire que, dans la proportion précédente, le soleil Antarès serait représenté par un dôme de 9 kilomètres de diamètre !
Qu’est-ce que le monde terrestre à coté du monde d’Antarès ? Et que peut être le système d’Antarès ?
Vous pouvez observer cette étoile du Scorpion, rouge et rutilante, les beaux soirs d’été, et découvrir à son contact un petit compagnon vert émeraude de 7e grandeur, soleil vert associé à un soleil rouge. Et quel soleil !!!
Ces grandeurs nous stupéfient. Nous avons peine à nous les représenter. Que dirons-nous des étendues des amas stellaires et des nébuleuses ?
Pour ces valeurs numériques, nous ne pouvons plus nous limiter aux évaluations kilométriques. Qu’est-ce qu’un kilomètre ? Que sont les 12.742 kilomètres du diamètre de la terre devant les horizons infinis que nous considérons ici ? Rien ou à peu près. L’unité des mesures célestes n’est plus le kilomètre, ni le diamètre terrestre, ni la distance d’ici au soleil (de 149 millions 500.000 kilomètres), c’est trop peu. Cette unité de mesure est le parsec, c’est-à-dire la parallaxe d’une seconde, la distance de laquelle on verrait le rayon de l’orbite terrestre (149.500.000 kilomètres) sous l’angle d’une seconde (l’épaisseur d’un cheveu éloigné à 20 mètres de l’œil). Cette longueur égale 30.800 milliards de kilomètres ou 3,26 années de lumière.
Jugeons, si nous le pouvons. Nous avons vu, tout à l’heure, que le diamètre de l’amas d’Hercule est estimé à mille années de lumière ou 308 parsecs. Ce diamètre est de l’ordre de celui de la voie lactée, composée de millions de soleil, dont celui qui nous éclaire n’est qu’une modeste étoile.
Certaines nébuleuses sont incomparablement plus vastes que l’amas d’Hercule.
Dans la célèbre nébuleuse australe connue sous le nom de nuée de Magellan, cinq amas globulaires de la même grandeur apparente se montrent en la région nord et font, sans aucun doute, partie du Grand Nuage. Leur distance a été estimée par l’étude des Céphéides de cette région. Le diamètre moyen de ces cinq amas est de 1’’8, et leur parallaxe a été calculée de 0’’000.029, ce qui correspond à 35.000 parsecs ou 110.000 années de lumière.
Le rayon lumineux qui nous en arrive aujourd’hui est donc parti à une époque où l’humanité terrestre en était encore à l’âge de pierre. Quel sera l’état de l’humanité lorsque le rayon qui s’envole actuellement de cette nuée céleste arrivera ici ?
Remarquons que l’on détermine aujourd’hui la position d’un astre dans l’espace avec la précision de l’épaisseur d’un cheveu à mille mètre de distance.
Et les masses ! Ne vient-on pas de peser une étoile binaire spectroscopique de la Licorne dont la masse est 160 fois supérieure à celle du soleil, c’est-à-dire surpasse de 5 millions de fois le poids du globe terrestre ?
Or, tous ces univers lointains sont en mouvement de translation, en mouvement rapide.
Comment nous représenter ces mouvements ? Que penser du mouvement fantastique, inimaginable, de ces créations sidérales ?
Telle nébuleuse en spirale vient d’être mesurée tournant sur elle-même en 45.000 ans, telle autre en 58.000, telle autre en 85.000, telle autre en 160.000…
Les vitesses de translation révèlent 800, 900, 1.000 et jusqu’à 1.200 kilomètres par seconde pour certaines nébuleuses en spirale. 1.200.000 mètres par seconde ! Figurons-nous, si nous en sommes capables, une formation cosmique large de millions et de millions de kilomètres, se transportant avec cette vitesse au sein du vide infini… non pas une nébuleuse, mais dix, cent, mille, un million, oui, un million de nébuleuses voguant dans tous les sens… animées de vitesses les plus variées, depuis 50, jusqu’à 100, 500, 700, 1.200 kilomètres par seconde !…
Le grand nuage de Magellan, qui contient 278 nébuleuses, s’éloigne de nous à la vitesse de 500 kilomètres par seconde, et le Petit Nuage à la vitesse de 600.
L’aspect de l’univers est entièrement transformé, métamorphosé, dans la pensée humaine. Qu’est-ce que l’immobilité silencieuse apparente de la nuit étoilée ?
Notre Voie Lactée elle-même, dans laquelle le soleil lui-même n’est qu’une faible étoile, paraît se déplacer dans l’immensité au taux de 600.000 mètres par seconde, emportant dans son cycle le soleil et son système, notre minuscule terre et ses destinées, en ajoutant un 14e mouvement aux 13 que nous connaissons déjà.
Et qu’est-ce que toutes ces vitesses ? A quel repère fixe les rapportons-nous ?… A aucun !
Et les immenses nébuleuses noires ? Et les astres obscurs ? Et les soleils éteints ? Et les mondes défunts ? Et tout l’invisible qui peuple anonymement l’immensité sidérale ?
Nous venons de prendre une idée des étendues des grandeurs et des vitesses. C’est l’infiniment grand pour l’homme terrestre. Descendons maintenant dans l’infiniment petit.
Revenons ici, à Pascal, à sa célèbre définition du ciron microscopique :
« Qu’un ciron offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, l’homme épuise ses forces en ses conceptions et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut-être que c’est là l’extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là-dedans un abîme nouveau ; je veux lui peindre non seulement l’univers visible, mais l’immensité qu’on peut concevoir de la nature, dans l’enceinte de ce raccourci d’atome. Qu’il y voit une infinité d’univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, des animaux et enfin des cirons, dans lesquelles il retrouvera ce que les premiers ont donné, et trouvant encore dans les autres la même chose, sans fin et sans repos, qu’il se perde dans ces merveilles aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue, car qui n’admirera que notre corps, qui tantôt n’était pas perceptible dans l’univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l’égard du néant où l’on ne peut arriver ?
Car enfin, qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant : un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable.»

Ainsi parlait Pascal au XVIIe siècle. Les découvertes du XXe siècle sur les atomes nous ont ramenés dans sa sphère de méditation en en montant l’absolue réalité, et l’étude de la lumière nous a conduits à exprimer l’échelle de l’univers en unités optiques qui descendent depuis les étendues incommensurables dominant la longueur de l’année lumière (9 trillions 467 milliards de kilomètres) devenue le mètre des mesures sidérales, jusqu’au millionième de millimètre, qui exprime les longueurs d’onde du spectre solaire.
L’infiniment plus petit est peut-être plus difficile à concevoir que l’infiniment grand. Que l’espace soit sans bornes, en n’importe quelle direction, que nous puissions voyager en esprit, avec n’importe quelle vitesse, pendant l’éternité, sans approcher d’aucun terme, nous le comprenons. Le contraire nous est clairement inadmissible, puisque, quelle que soit la barrière que nous imaginons, notre esprit saute par-dessus. Mais l’infiniment petit ! Considérons les feuilles d’or, par exemple. Les batteurs d’or fabriquent des feuilles dont l’épaisseur n’est que le dixième du micron, c’est-à-dire le dixième du millième de millimètre. Ils s’arrêtent là parce que, pratiquement, ils ne peuvent pas aller plus loin. Le diamètre des atomes de l’or qui compose ces feuilles est donc inférieur à 1 dixième du micron, et leur masse inférieure à la quantité d’or qui emplit un cube de ce diamètre, c’est à dire, 1cent milliardième de milligramme. Ajoutons, avec M. Jean Perrin que la masse de l’atome d’hydrogène est environ 200 fois plus petite, si faible qu’il en faut 20 trillons pour constituer un milligramme. La discussion conduit même à conclure que le diamètre des atomes est inférieur au millionième de millimètre et leur masse au cent millionième de trillionième de gramme. Il paraît, d’après des calculs rigoureux et des expériences très précises, qu’un milligramme de radium contient deux millions de trillions d’atomes… C’est l’invisible dans l’invisibilité, l’extra invisible dans l’extra invisibilité, - et j’ajouterai : l’incompréhensible dans l’incompréhensibilité.
Arrêtons-nous. Je prie les auditeurs qui m’ont suivi jusqu’ici de m’excuser de les avoir entraînés aussi loin. Mais c’est l’éblouissement même de la splendeur de la vérité.

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Maintenant, pensons que, dans cet univers, du plus formidable des mondes au plus minuscule des atomes, tout est en activité, en mouvement, en vibration.
Dans la contemplation des grandeurs astronomiques résumées tout à l’heure, nous avons été transportés un instant à travers l’infini de l’espace et du temps, et nous avons senti que l’astronomie est la première et la plus importante de toutes les sciences, parce qu’elle nous append quelle place nous occupons dans la création et comment l’univers est constitué : ceux qui l’ignorent vivent sans savoir où ils sont. Mais la connaissance de l’univers matériel ne suffit pas à une instruction qui souhaite être complète. Les recherches sur la nature et la destinée de l’âme humaine m’ont paru toujours associées directement à la connaissance astronomique. D’ailleurs, le ciel a toujours été associé aux vues religieuses sur la vie future. Les études psychiques se présentent à nous comme le complément naturel de la connaissance du ciel. La pluralité des mondes habités pose devant notre pensée, en même temps que le spectacle de la vie universelle, le problème de la pluralité des existences de l’âme. Sur la planète que nous habitons, la vie est le but suprême, impérieux, auquel tout obéit. Chaque étoile est un soleil. Les systèmes du monde sont innombrables. Que devient l’âme après la vie terrestre ? Existe-t-elle intrinsèquement ? N’est-ce pas, comme le prétendent les matérialistes, une fonction du cerveau, qui naît et croit avec lui et s’éteint au dernier soupir ? La connaissance de l’âme nous importe autant que celle de l’univers et doit faire partie de la science intégrale. Les diverses religions ont affirmé jusqu’ici avoir le monopole de cette étude et ont pris la juridiction de l’autre monde. Les Asiatiques, les Grecs, les Egyptiens, les Hébreux, les Chrétiens, les Musulmans, les diverses écoles spiritualistes modernes ont décrit les conditions de la vie future, chaque système suivant ses idées et ses croyances, mais n’ont rien découvert de réel dans l’Empyrée, à l’Olympe, dans les Champs-Élysées, dans les enfers, les limbes, le purgatoire, les régions inconnues de l’immortalité. Quelle est la nature de l’âme, quelles sont les conditions de sa survivance ? Qu’est-ce que le temps ? Qu’est-ce que l’espace ? Si je rappelle que dès l’année 1866, j’ai posé ces questions dans mon petit livre « Lumen », je rappellerai en même temps que je les ai associées aux études astronomiques, à des voyages dans l’infini et dans l’éternité, faisant pressentir toute la complexité du plus grand des problèmes.
Si l’âme continue d’exister après la mort du corps, elle doit être quelque part. Sans doute, la monade psychique vit en dehors de nos jugements sur l’espace et sur le temps, et nos idées terrestres sont, comme nos sens terrestres, imparfaites, incomplètes et erronées, et l’on a dit que l’âme n’occupe aucune place. Mais on pourrait conclure que, si elle n’est nulle part, elle n’existe pas. Il y a là un paradoxe à éclaircir. Lorsqu’à l’âge de 12 ans, j’étais en 6e classe des études latines, on nous enseignait que dix mille âmes pourraient tenir sur la pointe d’une aiguille. C’était là une image assez pittoresque, mais que je trouvais incompréhensible. En même temps, les conférences religieuses nous montraient le paradis céleste, la trinité au sommet, les chœurs des anges et des archanges, les chérubins, les séraphins, les puissances, les dominations, les trônes et toute la milice céleste célébrée dans les écritures et dans l’Apocalypse de saint Jean. Plus tard, la lecture de la divine comédie du Dante m’a mis sous les yeux la mythologie chrétienne du paradis, du purgatoire et de l’enfer, tels qu’on se les représentait au moyen âge et tels que nous les voyons sculptés aux portails de nos belles cathédrales, monuments d’une pieuse foi anthropomorphique et séculairement crédule. Copernic, Galilée, Képler, Newton, Laplace, d’Alembert, Euler, Herschel et leurs successeurs sont venus ensuite développer sur nos regards émerveillés l’immensité opulente d’un tout autre ciel, peuplé de millions de systèmes, de millions de mondes habitables, en même temps que la vie nous apparaissait sur notre planète comme la loi suprême de la nature, et que cette médiocre et minuscule planète, si imparfaite à tous les points de vue, se montrait à nous comme une coupe trop étroite d’où la vie déborde de toutes parts, avec des parasites se multipliant partout au détriment de la vie elle-même. Alors l’immensité sans bornes des cieux infinis nous a atterrés par sa grandeur, la notion de l’éternité a interpénétré celle de l’infini, et la prévision des destinées inconnues qui nous attendent s’est imposée à notre méditation comme le plus grand et le plus grave des problèmes, précisément par l’association de la psychologie à l’astronomie. Que deviennent les âmes ? Comment vivent-elles ? Où sont-elles ? La pluralité des existences est-elle le corollaire normal de la pluralité des mondes ? En 1865 ? Un philosophe français, André Pezzani, lauréat de l’Institut, a publié un ouvrage : La Pluralité des existences de l’âme faisant suite dans sa pensée, à mon ouvrage : La Pluralité des mondes habités, et dans ce livre, au chapitre intitulé « Jean Reynaud, Henri Martin, Flammarion », il présente cette doctrine comme scientifiquement établie. Voilà près de soixante ans de cela, j’y ai toujours pensé depuis, et il me semble que la démonstration n’est pas encore faite. La réincarnation sur la terre et sur d’autres mondes est probable, mais non démontrée ; il en est de même de la préexistence ; nous existions avant de naître ici, comme nous existerons après ; mais la preuve scientifique n’est pas apportée.
Nous sommes tous dominés par nos idées et nos images anthropomorphiques : l’astronomie doit en affranchir la métapsychique d’outre-tombe. Lorsque nous envisageons le problème de la continuation de la vie de l’âme sur d’autres planètes, nous ne devons pas nous la représenter en des formes humaines terrestres, car les différences cosmiques dans la pesanteur, la densité, les atmosphères respirables, les modes d’alimentation, la lumière, la chaleur, les radiations diverses, interdisent la possibilité de ces formes. Malgré toute notre admiration pour les Vénus et les Apollons des musées anciens et modernes, et pour leurs types vivants plus suggestifs encore, nous avons le regret de penser qu’il n’y a sur les autres planètes ni hommes ni femmes identiques aux indigènes terrestres. Il nous est impossible de nous figurer ces réincarnations. Quant à l’existence de l’âme non incarnée, à l’état d’esprit, suivant immédiatement la mort dans l’atmosphère terrestre ou dans l’espace interplanétaire, il est difficile de nous la représenter sous forme de monade sans dimensions, et certains indices nous conduisent à admettre qu’un corps éthéré fluidique se détache du corps matériel et demeure quelque temps, corps invisible qui devient perceptible en certaines conditions.

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Qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce que la mort ?
Visitant un jour l’Abbaye de Westminster, j’ai lu sur le monument élevé à John Gay l’inscription suivante :
Life is a jest ; and all things show it,
I thought so once ; but nowI know it.

Devons-nous tous attendre, comme John Gay, d’avoir passé de l’autre côté, pour pénétrer le mystère de la vie et de la mort ? N’est-ce pas, au contraire, l’une des études qui nous intéressent le plus à faire ? Vous le pensez, et c’est la raison d’être de votre société.
Dans sa préface à l’ouvrage Love and Death, sir William Barrett a remarqué avec raison combien il est surprenant qu’un grand nombre des instructeurs chrétiens désapprouvent les recherches psychiques, sans paraître comprendre que ces recherches renversent les fondations du matérialisme, et sans reconnaître que la télépathie démontrée par votre société, la transmission de la pensée, suffit seule à prouver que l’âme existe indépendamment du cerveau matériel et peut, par conséquent lui survivre.
Grâce à vos travaux, et principalement à ceux de Frédérique Myers, les transmissions télépathiques sont irréfutablement prouvées. La télépathie est certaine, quoique encore exceptionnellement étudiée, aussi certaine que l’existence de Londres, de Sirius et de l’oxygène, et pourtant elle rencontre encore des dissidents qui l’ignorent. Elle paraît universelle, s’exercer même entre les hommes et les animaux. Ses applications dans le monde moral seront peut-être plus vastes encore que celles de la gravitation dans le monde physique. Et tout nous autorise à affirmer qu’elle s’exerce même entre les morts et les vivants. Dans son discours du 18 mai 1900, Myers, lui-même, nous a fait sentir son immense ampleur.
Quel est son mode de transmission ? Devons-nous penser, avec Crookes, que sa vitesse de propagation égale celle de la lumière, avec 9 trillions de vibrations par exemple ? M. Marconi n’a-t-il pas dit récemment, dans son discours présidentiel de Birmingham, que, d’après sir Oliver Lodge, la télépathie - sur laquelle il n’a pas d’opinion personnelle - n’est pas due à des vibrations physiques, à la façon des vagues électriques ? Pour nous, quelle que soit sa nature, elle existe et se montre indépendante de l’espace, et j’ajouterai qu’il me semble qu’elle agit, non pas entre les cerveaux, comme le croyait le professeur Flournoy, mais entre les Esprits.
Sir Oliver Lodge disait, en 1922, dans son discours au congrès scientifique de l’association britannique pour l’avancement des sciences : « La grande majorité des savants est hostile aux recherches sur les transmissions de pensées et délibérément opposée à leur discussion. Et cela, non pas après un long examen, qui justifierait l’opposition, mais souvent sans aucun examen. » Lodge a parlé comme l’avait fait Copernic, en 1543, dans la dédicace de son livre au pape : Mathemata mathematicis scribuntur. Si fortasse eruni mataiologoi qui cun omnium mathematum ignari sunt, illorum judicium contemnam. « Les vérités mathématiques ne peuvent être jugées que par les mathématiciens. Je méprise les jugements par les mathéologues ignorants. Chacun ne devrait se permettre de juger que les choses qu’il connaît. » Malgré tant d’obstacles, vous avez fondé les bases de la science intégrale de l’avenir, car l’univers n’est pas un assemblage matériel de mondes inertes et une combinaison d’atomes mécaniquement associés, mais un édifice organisé et régi par des forces invisibles agissant selon des lois intelligentes. Une force spirituelle, infinie et inconnaissable, est la cause première de toutes les autres causes ; elle est l’âme de l’univers ; mais il est impossible à des êtres finis de comprendre l’infini. Mens agital molem, écrivait Virgile, au VIe chant de l’Eneide : un principe spirituel anime le monde. Cette affirmation était proclamée éloquemment trente ans avant la naissance de Jésus-Christ. Elle l’avait été bien des siècles auparavant par Bouddha Cakya-Mouni, par Confucius, par Krisna, par Pythagore dont la maxime était Numeri regunt mundum. Mais les apparences matérielles, les impressions de nos sens physiques, incomplets et trompeurs, ont éclipsé cette vérité fondamentale, et nos sciences actuelles instituées sur l’étude des apparences, depuis l’astronomie jusqu’à la chimie et la physiologie, sont incomplètes. Vous les complétez. Les noms de Crookes, de Myers, de Lodge, de William James, de Barrett, des Balfours, de Bergson, de Richet s’ajoutent à celui de Newton.
En France, on travaille aussi. Des progrès dignes d’attention ont été récemment réalisés dans ce pays voisin qui n’est séparé du vôtre que par un étroit canal, inexistant pour la télépathie. Parmi ces progrès en faveur de l’avancement des sciences physiques, je me fais un devoir et un plaisir de signaler la fondation de l’institut métaphysique international, et la réorganisation de la Revue Spirite. La méthode expérimentale est enfin appliquée à la discussion scientifique de faits trop longtemps demeurés dans l’ombre crépusculaire des rêves et des illusions, et qui méritent par leur incontestable réalité d’être inscrits dans le cadre de la science positive.
Un ami de l’humanité, M. Jean Meyer, a compris cette nécessité moderne, et c’est à lui que nous devons ce double progrès. L’institut métaphysique est établi sous la haute direction du savant Dr Gustave Geley, avec la collaboration des professeurs Richet, et Santoliquido, du Comte de Gramont, du Dr Calmette et de plusieurs éminents psychistes. La Psychical Society peut féliciter M. Jean Meyer de cette œuvre et émettre le vœu que l’avenir de ces institutions soit assuré en France comme il l’est en Angleterre.
Je pourrais ajouter ici que, cette année même, la littérature psychique vient d’être signalée en France par la publication des expériences faites autrefois par Victor Hugo. Il y a longtemps que cette publication était attendue. Ces expériences datent de 1853, 1854 et 1855. Depuis 1855, 68 années se sont écoulées, et 38 depuis le départ du poète. Tout vient à point à qui sait attendre ; mais cette attente a été un peu longue.
J’avais donné dans mes Mémoires un avant-goût de ces communications transcendantales. Nous sommes heureux de les voir publiées aujourd’hui presque in extenso. Elles exposent devant nous le plus inextricable des problèmes. Ni la subconscience, ni l’auto-suggestion, ni la transmission de pensée, ni l’hypothèse spirite de l’identité n’en donnent la solution. On y entend Eschyle, Shakespeare, Molière, Mahomet, Moïse, Platon, Socrate, et même Jésus-Christ ; mais on y entend aussi la Mort, l’Ombre du Sépulcre, l’Idée, le lion d’Androclès et autres entités inexistantes. D’admirables inspirations poétiques nous y éblouissent. Mais partout on y sent l’influence de Victor Hugo qui, pourtant n’a jamais voulu se mettre à table dictant ces phrases et s’est contenté du rôle de secrétaire. L’éditeur de ces pages mystérieuses, M. Gustave Simon, a bien voulu conclure, en citant mon humble opinion, que nous ne savons à peu près rien sur la nature réelle de ces phénomènes.
Je me permettrai de me souvenir que Victor Hugo a toujours associé les contemplations astronomiques aux recherches psychiques, et qu’à la publication de mon premier ouvrage (La Pluralité des Mondes habités) il m’écrivait de Jersey, le 17 décembre 1862 : « Les matières que vous traitez sont la perpétuelle obsession de ma pensée, et l’exil n’a fait qu’augmenter en moi cette méditation en me plaçant entre deux infinis, l’Océan et le Ciel ».
Oui, la pensée française a travaillé et travaille comme la pensée anglaise dans la même sphère d’études, et actuellement plus que jamais les Esprits soucieux de connaître sont unis dans le même labeur intellectuel ; ils préparent en commun l’établissement de la science nouvelle. Partout, dans l’Europe, aux Etats-Unis, dans l’Amérique du Sud et même en Chine et au Japon, partout, surtout depuis cette guerre effroyable et sauvage qui a supprimé 15 millions d’existences humaines et causé des ruines irréparables, partout les pensées frémissent d’un nouveau réveil les élevant vers une ascension spirituelle.
Oui, nos études métapsychiques complètent désormais les investigations astronomiques pour notre connaissance intégrale. Nous pouvons formuler quelques principes qui me paraissent aussi inattaquables que les vérités astronomiques.

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Soixante années d’observations intermittentes, mais assez régulièrement suivies, de ces phénomènes, m’ont conduit aux déductions suivantes :
L’être humain est doué de facultés encore inconnues à la science, manifestées notamment par les transmissions télépathiques, par la vue sans les yeux à distance, par la vue d’évènements à venir. Ces facultés psychiques formeront un des chapitres les plus importants de la science future. Elles ne sont pas une production du cerveau ; elles sont essentiellement intellectuelles, appartiennent à l’esprit.
Il y a des doubles de vivants.
La pensée est productrice d’images.
Des courants psychiques paraissent traverser l’atmosphère.
Nous vivons au sein d’un monde invisible.
Les facultés des âmes humaines survivent à la désagrégation de l’organisme corporel.
Au moment de la mort, ces facultés transcendantales se manifestent par un certain nombre d’actes variés, les uns de transmission mentale, les autres de production de phénomènes physiques. Le passage de la vie à la mort est signalé au loin, soit – ce qui est le plus fréquent – par des bruits et des mouvements matériels, soit par des émotions de l’âme.
Il y a des manifestations de mort et même des apparitions, dont le mode de production est à déterminer.
Il y a des maisons hantées.
Les manifestations de défunts sont rares et exceptionnelles, et d’autant plus rares que l’on s’éloigne davantage du décès. Malgré leur rareté, un strict examen ne laisse aucun doute sur leur réalité.
La télépathie existe entre les morts et les vivants comme entre les vivants.
Les transmissions télépathiques entre les vivants, les manifestations et les apparitions de mourants ne sont plus niées que par ceux qui n’ont pas eu le temps d’étudier le sujet ou qui tiennent à l’ignorer de parti pris. Il n’en est pas de même des manifestations et apparitions de morts. Ce scepticisme est excusable, attendu que celles-ci sont plus rares et moins faciles à prouver. Pour ma part, j’ai été longtemps à les admettre, et je ne l’ai fait que sur un ensemble d’observations concordantes et convaincantes.
Il me semble, mes chers collègues, que ces diverses affirmations, établies sur une longue étude, doivent être admises comme scientifiquement fondées et dignes d’être associées aux connaissances astronomiques contemporaines. J’ai tenu à exposer ici tout cet ensemble, persuadé que l’époque actuelle marque une date importante dans l’histoire de la philosophie.
J’ai un peu abusé de votre attention, et je m’en excuse, vu l’importance du sujet. Le but de notre vie intellectuelle à tous n’est-il pas la recherche de la vérité intégrale et complète ? La science n’est qu’à son aurore, et ses progrès prodigieux sont l’indice de progrès prochains plus prodigieux encore. Les générations se succèdent, les découvertes s’ajoutent. Répétons, avec Bacon : Mulli pertransibunt et augebitur scientia.

 

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