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Pour les choses nouvelles il faut des mots nouveaux, ainsi le veut la clarté du langage, pour éviter la confusion inséparable du sens multiple des mêmes termes. Les mots spirituel, spiritualiste, spiritualisme ont une acception bien définie ; leur en donner une nouvelle pour les appliquer à la doctrine des Esprits serait multiplier les causes déjà si nombreuses damphibologie. En effet, le spiritualisme est lopposé du matérialisme ; quiconque croit avoir en soi autre chose que la matière est spiritualiste ; mais il ne sensuit pas quil croie à lexistence des Esprits ou à leurs communications avec le monde visible. Au lieu des mots spirituel, spiritualisme, nous employons pour désigner cette dernière croyance ceux de spirite et de spiritisme, dont la forme rappelle lorigine et le sens radical, et qui par cela même ont lavantage dêtre parfaitement intelligibles, réservant au mot spiritualisme son acception propre. Nous dirons donc que la doctrine spirite ou le spiritisme a pour principes les relations du monde matériel avec les Esprits ou êtres du monde invisible. Les adeptes du spiritisme seront les spirites ou, si lon veut, les spiritistes.
Comme spécialité, le Livre des Esprits contient la doctrine spirite ; comme généralité, il se rattache à la doctrine spiritualiste dont il présente lune des phases. Telle est la raison pour laquelle il porte en tête de son titre les mots : Philosophie spiritualiste.
Il est un autre mot sur lequel il importe également de sentendre, parce que cest une des clefs de voûte de toute doctrine morale, et quil est le sujet de nombreuses controverses, faute dune acception bien déterminée, cest le mot âme. La divergence dopinions sur la nature de lâme vient de lapplication particulière que chacun fait de ce mot. Une langue parfaite, oû chaque idée aurait sa représentation par un terme propre, éviterait bien des discussions ; avec un mot pour chaque chose, tout le monde sentendrait.
Selon les uns, lâme est le principe de la vie matérielle organique ; elle na point dexistence propre et cesse avec la vie : cest le matérialisme pur. Dans ce sens, et par comparaison, ils disent dun instrument fêlé qui ne rend plus de son : quil na pas dâme. Daprès cette opinion, lâme serait un effet et non une cause.
Dautres pensent que lâme est le principe de lintelligence, agent universel dont chaque être absorbe une portion. Selon eux, il ny aurait pour tout lunivers quune seule âme qui distribue des étincelles entre les divers êtres intelligents pendant leur vie ; après la mort, chaque étincelle retourne à la source commune oû elle se confond dans le tout, comme les ruisseaux et les fleuves retournent à la mer doû ils sont sortis. Cette opinion diffère de la précédente en ce que, dans cette hypothèse, il y a en nous plus que la matière et quil reste quelque chose après la mort ; mais cest à peu près comme sil ne restait rien, puisque, nayant plus dindividualité, nous naurions plus conscience de nous-même. Dans cette opinion, lâme universelle serait Dieu et chaque être une portion de la Divinité, cest une variété du panthéisme.
Selon dautres enfin, lâme est un être moral, distinct, indépendant de la matière et qui conserve son individualité après la mort. Cette acception est, sans contredit, la plus générale, parce que, sous un nom ou sous un autre, lidée de cet être qui survit au corps se trouve à létat de croyance instinctive et indépendante de tout enseignement, chez tous les peuples, quel que soit le degré de leur civilisation. Cette doctrine, selon laquelle lâme est la cause et non leffet, est celle des spiritualistes.
Sans discuter le mérite de ces opinions, et en ne considérant que le côté linguistique de la chose, nous dirons que ces trois applications du mot âme constituent trois idées distinctes qui demanderaient chacune un terme différent. Ce mot a donc une triple acception, et chacun a raison à son point de vue, dans la définition quil en donne ; le tort est à la langue de navoir quun mot pour trois idées. Pour éviter toute équivoque, il faudrait restreindre lacception du mot âme à lune de ces trois idées ; le choix est indifférent, le tout est de sentendre, cest une affaire de convention. Nous croyons plus logique de le prendre dans son acception la plus vulgaire ; cest pourquoi nous appelons AME lêtre immatériel et individuel qui réside en nous et qui survit au corps. Cet être nexisterait-il pas, et ne serait-il quun produit de limagination, quil faudrait encore un terme pour le désigner.
A défaut dun mot spécial pour chacun des deux autres points nous appelons :
Principe vital le principe de la vie matérielle et organique, quelle quen soit la source, et qui est commun à tous les êtres vivants, depuis les plantes jusquà lhomme. La vie pouvant exister abstraction faite de la faculté de penser, le principe vital est une chose distincte et indépendante. Le mot vitalité ne rendrait pas la même idée. Pour les uns, le principe vital est une propriété de la matière, un effet qui se produit lorsque la matière se trouve dans certaines circonstances données ; selon dautres, et cest lidée la plus commune, il réside dans un fluide spécial, universellement répandu et dont chaque être absorbe et sassimile une partie pendant la vie, comme nous voyons les corps inertes absorber la lumière ; ce serait alors le fluide vital, qui, selon certaines opinions, ne serait autre que le fluide électrique animalisé, désigné aussi sous les noms de fluide magnétique, fluide nerveux, etc..
Quoi quil en soit, il est un fait que lon ne saurait contester, car cest un résultat dobservation, cest que les êtres organiques ont en eux une force intime qui produit le phénomène de la vie, tant que cette force existe ; que la vie matérielle est commune à tous les êtres organiques, et quelle est indépendante de lintelligence et de la pensée ; que lintelligence et la pensée sont les facultés propres à certaines espèces organiques ; enfin que, parmi les espèces organiques douées de lintelligence et de la pensée, il en est une douée dun sens moral spécial qui lui donne une incontestable supériorité sur les autres, cest lespèce humaine.
On conçoit quavec une acception multiple, lâme nexclut ni le matérialisme, ni le panthéisme. Le spiritualiste lui-même peut très bien entendre lâme selon lune ou lautre des deux premières définitions, sans préjudice de lêtre immatériel distinct auquel il donnera alors un nom quelconque. Ainsi ce mot nest point le représentant dune opinion : cest un protée que chacun accommode à sa guise ; de là, la source de tant dinterminables disputes.
On éviterait également la confusion, tout en se servant du mot âme dans les trois cas, en y ajoutant un qualificatif qui spécifierait le point de vue sous lequel on lenvisage, ou lapplication quon en fait. Ce serait alors un mot générique, représentant à la fois le principe de la vie matérielle, de lintelligence et du sens moral, et que lon distinguerait par un attribut, comme les gaz, par exemple, que lon distingue en ajoutant les mots hydrogène, oxygène ou azote. On pourrait donc dire, et ce serait peut-être le mieux, lâme vitale pour le principe de la vie matérielle, lâme intellectuelle pour le principe de lintelligence et lâme spirite pour le principe de notre individualité après la mort. Comme on le voit, tout cela est une question de mots, mais une question très importante pour sentendre. Daprès cela lâme vitale serait commune à tous les êtres organiques : plantes, animaux et hommes ; lâme intellectuelle serait le propre des animaux et des hommes, et lâme spirite appartiendrait à lhomme seul.
Nous avons cru devoir insister dautant plus sur ces explications que la doctrine spirite repose naturellement sur lexistence en nous dun être indépendant de la matière et survivant au corps. Le mot âme devant se produire fréquemment dans le cours de cet ouvrage, il importait dêtre fixé sur le sens que nous y attachons afin déviter toute méprise.
Venons maintenant à lobjet principal de cette instruction préliminaire.
La doctrine spirite, comme toute chose nouvelle, a ses adeptes et ses contradicteurs. Nous allons essayer de répondre à quelques-unes des objections de ces derniers, en examinant la valeur des motifs sur lesquels ils sappuient sans avoir toutefois la prétention de convaincre tout le monde, car il est des gens qui croient que la lumière a été faite pour eux seuls. Nous nous adressons aux personnes de bonne foi, sans idées préconçues ou arrêtées quand même, mais sincèrement désireuses de sinstruire, et nous leur démontrerons que la plupart des objections que lon oppose à la doctrine proviennent dune observation incomplète des faits et dun jugement porté avec trop de légèreté et de précipitation.
Rappelons dabord en peu de mots la série progressive des phénomènes qui ont donné naissance à cette doctrine.
Le premier fait observé a été celui dobjets divers mis en mouvement ; on la désigné vulgairement sous le nom de tables tournantes ou danse des tables. Ce phénomène, qui paraît avoir été observé dabord en Amérique, ou plutôt qui sest renouvelé dans cette contrée, car lhistoire prouve quil remonte à la plus haute antiquité, sest produit accompagné de circonstances étranges, telles que bruits insolites, coups frappés sans cause ostensible connue. De là, il sest rapidement propagé en Europe et dans les autres parties du monde ; il a dabord soulevé beaucoup dincrédulité, mais la multiplicité des expériences na bientôt plus permis de douter de la réalité.
Si ce phénomène eût été borné au mouvement des objets matériels, il pourrait sexpliquer par une cause purement physique. Nous sommes loin de connaître tous les agents occultes de la nature, ni toutes les propriétés de ceux que nous connaissons ; lélectricité, dailleurs, multiplie chaque jour à linfini les ressources quelle procure à lhomme, et semble devoir éclairer la science dune lumière nouvelle. Il ny avait donc rien dimpossible à ce que lélectricité, modifiée par certaines circonstances, ou tout autre agent inconnu, fût la cause de ce mouvement. La réunion de plusieurs personnes augmentant la puissance daction semblait appuyer cette théorie, car on pouvait considérer cet ensemble comme une pile multiple dont la puissance est en raison du nombre des éléments.
Le mouvement circulaire navait rien dextraordinaire : il est dans la nature ; tous les astres se meuvent circulairement ; nous pourrions donc avoir en petit un reflet du mouvement général de lunivers, ou, pour mieux dire, une cause jusqualors inconnue pouvait produire accidentellement pour les petits objets et dans des circonstances données un courant analogue à celui qui entraîne les mondes.
Mais le mouvement nétait pas toujours circulaire ; il était souvent saccadé, désordonné, lobjet violemment secoué, renversé, emporté dans une direction quelconque, et, contrairement à toutes les lois de la statique, soulevé de terre et maintenu dans lespace. Rien encore dans ces faits qui ne puisse sexpliquer par la puissance dun agent physique invisible. Ne voyons-nous pas lélectricité renverser les édifices, déraciner les arbres, lancer au loin les corps les plus lourds, les attirer ou les repousser ?
Les bruits insolites, les coups frappés, en supposant quils ne fussent pas un des effets ordinaires de la dilatation du bois ou de toute autre cause accidentelle, pouvaient encore très bien être produits par laccumulation du fluide occulte ; lélectricité ne produit-elle pas les bruits les plus violents ?
Jusque-là, comme on le voit, tout peut rentrer dans le domaine des faits purement physiques et physiologiques. Sans sortir de ce cercle didées, il y avait là la matière détudes sérieuses et dignes de fixer lattention des savants. Pourquoi nen a-t-il pas été ainsi ? Il est pénible de le dire, mais cela tient à des causes qui prouvent entre mille faits semblables la légèreté de lesprit humain. Dabord la vulgarité de lobjet principal qui a servi de base aux premières expérimentations ny est peut-être pas étrangère. Quelle influence un mot na-t-il pas souvent eue sur les choses les plus graves ! Sans considérer que le mouvement pouvait être imprimé à un objet quelconque, lidée des tables a prévalu, sans doute parce que cétait lobjet le plus commode et quon sassied plus naturellement autour dune table quautour de tout autre meuble. Or, les hommes supérieurs sont quelquefois si puérils quil ny aurait rien dimpossible à ce que certains esprits délite aient cru au-dessous deux de soccuper de ce que lon était convenu dappeler la danse des tables. Il est même probable que, si le phénomène observé par Galvani leût été par des hommes vulgaires et fût resté caractérisé par un nom burlesque, il serait encore relégué à coté de la baguette divinatoire. Quel est, en effet, le savant qui naurait pas cru déroger en soccupant de la danse des grenouilles ?
Quelques-uns cependant, assez modestes pour convenir que la nature pourrait bien navoir pas dit son dernier mot pour eux, ont voulu voir, pour lacquit de leur conscience ; mais il est arrivé que le phénomène na pas toujours répondu à leur attente, et de ce quil ne sétait pas constamment produit à leur volonté, et selon leur mode dexpérimentation, ils ont conclu à la négative ; malgré leur arrêt, les tables, puisque tables il y a, continuent à tourner, et nous pouvons dire avec Galilée : et pourtant elles se meuvent ! Nous dirons plus : cest que les faits se sont tellement multipliés quils ont aujourdhui droit de cité, et quil ne sagit plus que den trouver une explication rationnelle. Peut-on induire quelque chose contre la réalité du phénomène de ce quil ne se produit pas dune manière toujours identique selon la volonté et les exigences de lobservateur ? Est-ce que les phénomènes délectricité et de chimie ne sont pas subordonnés à certaines conditions et doit-on les nier parce quils ne se produisent pas en dehors de ces conditions ? Y a-t-il donc rien détonnant que le phénomène du mouvement des objets par le fluide humain ait aussi ses conditions dêtre et cesse de se produire lorsque lobservateur, se plaçant à son propre point de vue, prétend le faire marcher au gré de son caprice, ou lassujettir aux lois des phénomènes connus, sans considérer que pour des faits nouveaux, il peut et doit y avoir des lois nouvelles ? Or, pour connaître ces lois, il faut étudier les circonstances dans lesquelles les faits se produisent et cette étude ne peut être que le fruit dune observation soutenue, attentive et souvent fort longue.
Mais, objectent certaines personnes, il y a souvent supercherie évidente. Nous leur demanderons dabord si elles sont bien certaines quil y ait supercherie, et si elles nont pas pris pour telle des effets dont elles ne pouvaient se rendre compte, à peu près comme ce paysan qui prenait un savant professeur de physique faisant des expériences, pour un adroit escamoteur. En supposant même que cela ait pu avoir lieu quelquefois, serait-ce une raison pour nier le fait ? Faut-il nier la physique parce quil y a des prestidigitateurs qui se décorent du titre de physiciens ? Il faut dailleurs tenir compte du caractère des personnes et de lintérêt quelles pourraient avoir à tromper. Ce serait donc une plaisanterie ? On peut bien samuser un instant mais une plaisanterie indéfiniment prolongée serait aussi fastidieuse pour le mystificateur que pour le mystifié. Il y aurait, au reste, dans une mystification qui se propage dun bout du monde à lautre, et parmi les personnes les plus graves, les plus honorables et les plus éclairées, quelque chose dau moins aussi extraordinaire que le phénomène lui-même.
Si les phénomènes qui nous occupent se fussent bornés au mouvement des objets, ils seraient restés comme nous lavons dit dans le domaine des sciences physiques ; mais il nen est point ainsi : il leur était donné de nous mettre sur la voie de faits dun ordre étrange. On crut découvrir, nous ne savons par quelle initiative, que limpulsion donnée aux objets nétait pas seulement le produit dune force mécanique aveugle, mais quil y avait dans ce mouvement lintervention dune cause intelligente. Cette voie une fois ouverte, cétait un champ tout nouveau dobservations ; cétait le voile levé sur bien des mystères. Y a-t-il, en effet, une puissance intelligente ? Telle est la question. Si cette puissance existe, quelle est-elle, quelle est sa nature, son origine ? Est-elle au-dessus de lhumanité ? Telles sont les autres questions qui découlent de la première.
Les premières manifestations intelligentes eurent lieu au moyen de tables se levant et frappant, avec un pied, un nombre déterminé de coups et répondant ainsi par oui ou par non, suivant la convention, à une question posée. Jusque-là rien de convaincant assurément pour les sceptiques, car on pouvait croire à un effet du hasard. On obtint ensuite des réponses plus développées par les lettres de lalphabet : lobjet mobile, frappant un nombre de coups correspondant au numéro dordre de chaque lettre, on arrivait ainsi à formuler des mots et des phrases répondant à des questions posées. La justesse des réponses, leur corrélation avec la question excitèrent létonnement. Lêtre mystérieux qui répondait ainsi, interrogé sur sa nature, déclara quil était Esprit ou génie, se donna un nom, et fournit divers renseignements sur son compte. Ceci est une circonstance très importante à noter. Personne na donc imaginé les Esprits comme un moyen dexpliquer le phénomène ; cest le phénomène lui-même qui révèle le mot. On fait souvent, dans les sciences exactes, des hypothèses pour avoir une base de raisonnement, or, ce nest point ici le cas.
Ce moyen de correspondance était long et incommode. LEsprit, et ceci est encore une circonstance digne de remarque, en indiqua un autre. Cest lun de ces êtres invisibles qui donna le conseil dadapter un crayon à une corbeille ou à un autre objet. Cette corbeille, posée sur une feuille de papier, est mise en mouvement par la même puissance occulte qui fait mouvoir les tables ; mais, au lieu dun simple mouvement régulier, le crayon trace de lui-même des caractères formant des mots, des phrases et des discours entiers de plusieurs pages, traitant les plus hautes questions de philosophie, de morale, de métaphysique, de psychologie, etc., et cela avec autant de rapidité que si lon écrivait avec la main.
Ce conseil fut donné simultanément en Amérique, en France et dans diverses contrées. Voici les termes dans lesquels il fut donné à Paris, le 10 juin 1853, à lun des plus fervents adeptes de la doctrine, qui déjà depuis plusieurs années, et dès 1849, soccupait de lévocation des Esprits : " Va prendre, dans la chambre à côté, la petite corbeille ; attaches-y un crayon ; place-le sur un papier ; mets les doigts sur le bord. " Puis, quelques instants après, la corbeille sest mise en mouvement et le crayon a écrit très lisiblement cette phrase : " Ce que je vous dis là, je vous défends expressément de le dire à personne ; la première fois que jécrirai, jécrirai mieux. "
Lobjet auquel on adapte le crayon nétant quun instrument, sa nature et sa forme sont complètement indifférentes ; on a cherché la disposition la plus commode ; cest ainsi que beaucoup de personnes font usage dune petite planchette.
La corbeille, ou la planchette, ne peut être mise en mouvement que sous linfluence de certaines personnes douées à cet égard dune puissance spéciale et que lon désigne sous le nom de médiums, cest-à-dire milieu, ou intermédiaires entre les Esprits et les hommes. Les conditions qui donnent cette puissance spéciale tiennent à des causes tout à la fois physiques et morales encore imparfaitement connues, car on trouve des médiums de tout âge, de tout sexe et dans tous les degrés de développement intellectuel. Cette faculté, du reste, se développe par lexercice.
Plus tard on reconnut que la corbeille et la planchette ne formaient, en réalité, quun appendice de la main, et le médium, prenant directement le crayon, se mit à écrire par une impulsion involontaire et presque fébrile. Par ce moyen, les communications devinrent plus rapides, plus faciles et plus complètes ; cest aujourdhui le plus répandu, dautant plus que le nombre des personnes douées de cette aptitude est très considérable et se multiplie tous les jours. Lexpérience enfin fit connaître plusieurs autres variétés dans la faculté médiatrice, et lon sut que les communications pouvaient également avoir lieu par la parole, louïe, la vue, le toucher, etc., et même par lécriture directe des Esprits, cest-à-dire sans le concours de la main du médium ni du crayon.
Le fait obtenu, un point essentiel restait à constater, cest le rôle du médium dans les réponses et la part quil peut y prendre mécaniquement et moralement. Deux circonstances capitales, qui ne sauraient échapper à un observateur attentif, peuvent résoudre la question. La première est la manière dont la corbeille se meut sous son influence, par la seule imposition des doigts sur le bord ; lexamen démontre limpossibilité dune direction quelconque. Cette impossibilité devient surtout patente lorsque deux ou trois personnes se placent en même temps à la même corbeille ; il faudrait entre elles une concordance de mouvement vraiment phénoménale ; il faudrait, de plus, concordance de pensées pour quelles pussent sentendre sur la réponse à faire à la question posée. Un autre fait, non moins singulier, vient encore ajouter à la difficulté, cest le changement radical de lécriture selon lEsprit qui se manifeste, et chaque fois que le même esprit revient, son écriture se reproduit. Il faudrait donc que le médium se fût appliqué à changer sa propre écriture de vingt manières différentes et surtout quil pût se souvenir de celle qui appartient à tel ou tel Esprit.
La seconde circonstance résulte de la nature même des réponses qui sont, la plupart du temps, surtout lorsquil sagit de questions abstraites ou scientifiques, notoirement en dehors des connaissances et quelquefois de la portée intellectuelle du médium, qui, du reste, le plus ordinairement, na point conscience de ce qui sécrit sous son influence ; qui, très souvent même, nentend pas ou ne comprend pas la question posée, puisquelle peut lêtre dans une langue qui lui est étrangère, ou même mentalement, et que la réponse peut être faite dans cette langue. Il arrive souvent enfin que la corbeille écrit spontanément, sans question préalable, sur un sujet quelconque et tout à fait inattendu.
Ces réponses, dans certains cas, ont un tel cachet de sagesse, de profondeur et dà-propos ; elles révèlent des pensées si élevées, si sublimes, quelles ne peuvent émaner que dune intelligence supérieure, empreinte de la moralité la plus pure ; dautres fois elles sont si légères, si frivoles, si triviales même, que la raison se refuse à croire quelles puissent procéder de la même source. Cette diversité de langage ne peut sexpliquer que par la diversité des intelligences qui se manifestent. Ces intelligences sont-elles dans lhumanité ou hors de lhumanité ? Tel est le point à éclaircir et dont on trouvera lexplication complète dans cet ouvrage, telle quelle est donnée par les Esprits eux-mêmes.
Voilà donc des effets patents qui se produisent en dehors du cercle habituel de nos observations, qui ne se passent point avec mystère, mais au grand jour, que tout le monde peut voir et constater, qui ne sont pas le privilège dun seul individu, mais que des milliers de personnes répètent tous les jours à volonté. Ces effets ont nécessairement une cause, et du moment quils révèlent laction dune intelligence et dune volonté, ils sortent du domaine purement physique.
Plusieurs théories ont été émises à ce sujet : nous les examinerons tout à lheure, et nous verrons si elles peuvent rendre raison de tous les faits qui se produisent. Admettons, en attendant, lexistence dêtres distincts de lhumanité, puisque telle est lexplication fournie par les intelligences qui se révèlent, et voyons ce quils nous disent.
Les êtres qui se communiquent ainsi se désignent eux-mêmes, comme nous lavons dit, sous le nom dEsprits ou de génies, et comme ayant appartenu, pour quelques-uns du moins, aux hommes qui ont vécu sur la terre. Ils constituent le monde spirituel, comme nous constituons pendant notre vie le monde corporel.
Nous résumons ici, en peu de mots, les points les plus saillants de la doctrine quils nous ont transmise, afin de répondre plus facilement à certaines objections.
" Dieu est éternel, immuable, immatériel, unique, tout-puissant, souverainement juste et bon. "
" Il a créé lunivers qui comprend tous les êtres animés et inanimés, matériels et immatériels. "
" Les êtres matériels constituent le monde visible ou corporel, et les êtres immatériels le monde invisible ou spirite, cest-à-dire des Esprits. "
" Le monde spirite est le monde normal, primitif, éternel, préexistant et survivant à tout. "
" Le monde corporel nest que secondaire ; il pourrait cesser dexister, ou navoir jamais existé, sans altérer lessence du monde spirite. "
" Les Esprits revêtent temporairement une enveloppe matérielle périssable, dont la destruction, par la mort les rend à la liberté. "
" Parmi les différentes espèces dêtres corporels, Dieu a choisi lespèce humaine pour lincarnation des Esprits arrivés à un certain degré de développement, cest ce qui lui donne la supériorité morale et intellectuelle sur les autres. "
" Lâme est un Esprit incarné dont le corps nest que lenveloppe. "
" Il y a dans lhomme trois choses : 1° le corps ou être matériel analogue aux animaux, et animé par le même principe vital ; 2° lâme ou être immatériel, Esprit incarné dans le corps ; 3° le lien qui unit lâme et le corps, principe intermédiaire entre la matière et lEsprit. "
" Lhomme a ainsi deux natures : par son corps, il participe de la nature des animaux dont il a les instincts ; par son âme il participe de la nature des Esprits. "
" Le lien ou périsprit qui unit le corps et lEsprit est une sorte denveloppe semi-matérielle. La mort est la destruction de lenveloppe la plus grossière ; lEsprit conserve la seconde, qui constitue pour lui un corps éthéré, invisible pour nous dans létat normal, mais quil peut rendre accidentellement visible et même tangible, comme cela a lieu dans le phénomène des apparitions. "
" LEsprit nest point ainsi un être abstrait indéfini, que la pensée seule peut concevoir ; cest un être réel, circonscrit qui, dans certains cas, est appréciable par les sens de la vue, de louïe et du toucher. "
" Les Esprits appartiennent à différentes classes et ne sont égaux ni en puissance, ni en intelligence, ni en savoir, ni en moralité. Ceux du premier ordre sont les Esprits supérieurs qui se distinguent des autres par leur perfection, leurs connaissances, leur rapprochement de Dieu, la pureté de leurs sentiments et leur amour du bien : ce sont les anges ou purs Esprits. Les autres classes séloignent de plus en plus de cette perfection ; ceux des rangs inférieurs sont enclins à la plupart de nos passions : la haine, lenvie, la jalousie, lorgueil, etc. ; ils se plaisent au mal. Dans le nombre, il en est qui ne sont ni très bons ni très mauvais, plus brouillons et tracassiers que méchants, la malice et les inconséquences semblent être leur partage : ce sont les Esprits follets ou légers. "
" Les Esprits nappartiennent pas perpétuellement au même ordre. Tous saméliorent en passant par les différents degrés de la hiérarchie spirite. Cette amélioration a lieu par lincarnation qui est imposée aux uns comme expiation, et aux autres comme mission. La vie matérielle est une épreuve quils doivent subir à plusieurs reprises jusquà ce quils aient atteint la perfection absolue ; cest une sorte détamine ou dépuratoire doû ils sortent plus ou moins purifiés. "
" En quittant le corps, lâme rentre dans le monde des Esprits doû elle était sortie, pour reprendre une nouvelle existence matérielle après un laps de temps plus ou moins long pendant lequel elle est à létat dEsprit errant. "
" LEsprit devant passer par plusieurs incarnations, il en résulte que nous tous avons eu plusieurs existences, et que nous en aurons encore dautres plus ou moins perfectionnées, soit sur cette terre, soit dans dautres mondes. "
" Lincarnation des Esprits a toujours lieu dans lespèce humaine ; ce serait une erreur de croire que lâme ou Esprit peut sincarner dans le corps dun animal . "
" Les différentes existences corporelles de lEsprit sont toujours progressives et jamais rétrogrades ; mais la rapidité du progrès dépend des efforts que nous faisons pour arriver à la perfection. "
" Les qualités de lâme sont celles de lEsprit qui est incarné en nous ; ainsi lhomme de bien est lincarnation du bon Esprit, et lhomme pervers celle dun Esprit impur. "
" Lâme avait son individualité avant son incarnation ; elle la conserve après sa séparation du corps. "
" A sa rentrée dans le monde des Esprits, lâme y retrouve tous ceux quelle a connus sur terre, et toutes ses existences antérieures se retracent à sa mémoire avec le souvenir de tout le bien et de tout le mal quelle a fait. "
" LEsprit incarné est sous linfluence de la matière ; lhomme qui surmonte cette influence par lélévation et lépuration de son âme se rapproche des bons Esprits avec lesquels il sera un jour. Celui qui se laisse dominer par les mauvaises passions et place toutes ses joies dans la satisfaction des appétits grossiers, se rapproche des Esprits impurs en donnant la prépondérance à la nature animale. "
" Les Esprits incarnés habitent les différents globes de lunivers. "
" Les Esprits non incarnés ou errants noccupent point une région déterminée et circonscrite ; ils sont partout dans lespace et à nos côtés, nous voyant et nous coudoyant sans cesse ; cest toute une population invisible qui sagite autour de nous. "
" Les Esprits exercent sur le monde moral, et même sur le monde physique, une action incessante ; ils agissent sur la matière et sur la pensée, et constituent une des puissances de la nature, cause efficiente dune foule de phénomènes jusqualors inexpliqués ou mal expliqués, et qui ne trouvent une solution rationnelle que dans le spiritisme. "
" Les relations des Esprits avec les hommes sont constantes. Les bons Esprits nous sollicitent au bien, nous soutiennent dans les épreuves de la vie, et nous aident à les supporter avec courage et résignation ; les mauvais nous sollicitent au mal : cest pour eux une jouissance de nous voir succomber et de nous assimiler à eux. "
" Les communications des Esprits avec les hommes sont occultes ou ostensibles. Les communications occultes ont lieu par linfluence bonne ou mauvaise quils exercent sur nous à notre insu ; cest à notre jugement de discerner les bonnes et les mauvaises inspirations. Les communications ostensibles ont lieu au moyen de lécriture, de la parole ou autres manifestations matérielles, le plus souvent par lintermédiaire des médiums qui leur servent dinstruments. "
" Les Esprits se manifestent spontanément ou sur évocation. On peut évoquer tous les Esprits : ceux qui ont animé des hommes obscurs, comme ceux des personnages les plus illustres, quelle que soit lépoque à laquelle ils ont vécu ; ceux de nos parents, de nos amis ou de nos ennemis, et en obtenir, par des communications écrites ou verbales, des conseils, des renseignements sur leur situation doutre-tombe, sur leurs pensées à notre égard, ainsi que les révélations quil leur est permis de nous faire. "
" Les Esprits sont attirés en raison de leur sympathie pour la nature morale du milieu qui les évoque. Les Esprits supérieurs se plaisent dans les réunions sérieuses oû dominent lamour du bien et le désir sincère de sinstruire et de saméliorer. Leur présence en écarte les Esprits inférieurs qui y trouvent au contraire un libre accès, et peuvent agir en toute liberté parmi les personnes frivoles ou guidées par la seule curiosité, et partout oû se rencontrent de mauvais instincts. Loin den obtenir ni bons avis, ni renseignements utiles, on ne doit en attendre que des futilités, des mensonges, de mauvaises plaisanteries ou des mystifications, car ils empruntent souvent des noms vénérés pour mieux induire en erreur. "
" La distinction des bons et des mauvais Esprits est extrêmement facile ; le langage des Esprits supérieurs est constamment digne, noble, empreint de la plus haute moralité, dégagé de toute basse passion ; leurs conseils respirent la sagesse la plus pure, et ont toujours pour but notre amélioration et le bien de lhumanité. Celui des Esprits inférieurs, au contraire, est inconséquent, souvent trivial et même grossier ; sils disent parfois des choses bonnes et vraies, ils en disent plus souvent de fausses et dabsurdes par malice ou par ignorance ; ils se jouent de la crédulité et samusent aux dépens de ceux qui les interrogent en flattant leur vanité, en berçant leurs désirs de fausses espérances. En résumé, les communications sérieuses, dans toute lacception du mot, nont lieu que dans les centres sérieux, dans ceux dont les membres sont unis par une communion intime de pensées en vue du bien. "
" La morale des Esprits supérieurs se résume comme celle du Christ en cette maxime évangélique : Agir envers les autres comme nous voudrions que les autres agissent envers nous-mêmes ; cest-à-dire faire le bien et ne point faire le mal. Lhomme trouve dans ce principe la règle universelle de conduite pour ses moindres actions. "
" Ils nous enseignent que légoïsme, lorgueil, la sensualité sont des passions qui nous rapprochent de la nature animale en nous attachant à la matière ; que lhomme qui, dès ici-bas, se détache de la matière par le mépris des futilités mondaines et lamour du prochain, se rapproche de la nature spirituelle ; que chacun de nous doit se rendre utile selon les facultés et les moyens que Dieu a mis entre ses mains pour léprouver ; que le Fort et le Puissant doivent appui et protection au Faible, car celui qui abuse de sa force et de sa puissance pour opprimer son semblable viole la loi de Dieu. Ils enseignent enfin, que dans le monde des Esprits, rien ne pouvant être caché, lhypocrite sera démasqué et toutes ses turpitudes dévoilées ; que la présence inévitable et de tous les instants de ceux envers lesquels nous aurons mal agi est un des châtiments qui nous sont réservés ; quà létat dinfériorité et de supériorité des Esprits sont attachées des peines et des jouissances qui nous sont inconnues sur la terre. "
" Mais ils nous enseignent aussi quil nest pas de fautes irrémissibles et qui ne puissent être effacées par lexpiation. Lhomme en trouve le moyen dans les différentes existences qui lui permettent davancer, selon son désir et ses efforts, dans la voie du progrès et vers la perfection qui est son but final. "
Tel est le résumé de la doctrine spirite, ainsi quelle résulte de lenseignement donné par les Esprits supérieurs. Voyons maintenant les objections quon y oppose.
Pour beaucoup de gens, lopposition des corps savants est, sinon une preuve, du moins une forte présomption contraire. Nous ne sommes pas de ceux qui crient haro sur les savants, car nous ne voulons pas faire dire de nous que nous donnons le coup de pied de lâne ; nous les tenons, au contraire, en grande estime, et nous serions fort honoré de compter parmi eux ; mais leur opinion ne saurait être en toutes circonstances un jugement irrévocable.
Dès que la science sort de lobservation matérielle des faits, quil sagit dapprécier et dexpliquer ces faits, le champ est ouvert aux conjectures ; chacun apporte son petit système quil veut faire prévaloir et soutient avec acharnement. Ne voyons-nous pas tous les jours les opinions les plus divergentes tour à tour préconisées et rejetées, tantôt repoussées comme erreurs absurdes, puis proclamées comme vérités incontestables ? Les faits, voilà le véritable critérium de nos jugements, largument sans réplique ; en labsence de faits, le doute est lopinion du sage.
Pour les choses de notoriété, lopinion des savants fait foi à juste titre, parce quils savent plus et mieux que le vulgaire ; mais en fait de principes nouveaux, de choses inconnues, leur manière de voir nest toujours quhypothétique, parce quils ne sont pas plus que dautres exempts de préjugés ; je dirai même que le savant a peut-être plus de préjugés quun autre, parce quune propension naturelle le porte à tout subordonner au point de vue quil a approfondi : le mathématicien ne voit de preuve que dans une démonstration algébrique, le chimiste rapporte tout à laction des éléments, etc.. Tout homme qui sest fait une spécialité y cramponne toutes ses idées ; sortez-le de là, souvent il déraisonne, parce quil veut tout soumettre au même creuset ; cest une conséquence de la faiblesse humaine. Je consulterai donc volontiers et en toute confiance un chimiste sur une question danalyse, un physicien sur la puissance électrique, un mécanicien sur une force motrice ; mais ils me permettront, et sans que cela porte atteinte à lestime que commande leur savoir spécial, de ne pas tenir le même compte de leur opinion négative en fait de spiritisme, pas plus que du jugement dun architecte sur une question de musique.
Les sciences vulgaires reposent sur les propriétés de la matière quon peut expérimenter et manipuler à son gré ; les phénomènes spirites reposent sur laction dintelligences qui ont leur volonté et nous prouvent à chaque instant quelles ne sont pas à notre caprice. Les observations ne peuvent donc se faire de la même manière ; elles requièrent des conditions spéciales et un autre point de départ ; vouloir les soumettre à nos procédés ordinaires dinvestigation, cest établir des analogies qui nexistent pas. La science proprement dite, comme science, est donc incompétente pour se prononcer dans la question du spiritisme : elle na pas à sen occuper, et son jugement quel quil soit, favorable ou non, ne saurait être daucun poids. Le spiritisme est le résultat dune conviction personnelle que les savants peuvent avoir comme individus, abstraction faite de leur qualité de savants ; mais, vouloir déférer la question à la science, autant vaudrait faire décider lexistence de lâme par une assemblée de physiciens ou dastronomes ; en effet, le spiritisme est tout entier dans lexistence de lâme et dans son état après la mort ; or, il est souverainement illogique de penser quun homme doive être un grand psychologiste, parce quil est un grand mathématicien ou un grand anatomiste. Lanatomiste, en disséquant le corps humain, cherche lâme, et parce quil ne la trouve pas sous son scalpel, comme il y trouve un nerf, ou parce quil ne la voit pas senvoler comme un gaz, en conclut quelle nexiste pas, parce quil se place au point de vue exclusivement matériel ; sensuit-il quil ait raison contre lopinion universelle ? Non. Vous voyez donc que le spiritisme nest pas du ressort de la science. Quand les croyances spirites seront vulgarisées, quand elles seront acceptées par les masses, et, si lon en juge par la rapidité avec laquelle elles se propagent, ce temps ne saurait être fort éloigné, il en sera de cela comme de toutes les idées nouvelles oui ont rencontré de lopposition, les savants se rendront à lévidence ; ils y arriveront individuellement par la force des choses ; jusque-là il est intempestif de les détourner de leurs travaux spéciaux, pour les contraindre à soccuper dune chose étrangère qui nest ni dans leurs attributions, ni dans leur programme. En attendant, ceux qui, sans une étude préalable et approfondie de la matière, se prononcent pour la négative et bafouent quiconque nest pas de leur avis, oublient quil en a été de même de la plupart des grandes découvertes qui honorent lhumanité ; ils sexposent à voir leurs noms augmenter la liste des illustres proscripteurs des idées nouvelles, et inscrits à côté de ceux des membres de la docte assemblée qui, en 1752, accueillit avec un immense éclat de rire le mémoire de Franklin sur les paratonnerres, le jugeant indigne de figurer au nombre des communications qui lui étaient adressées ; et de cette autre qui fit perdre à la France le bénéfice de linitiative de la marine à vapeur, en déclarant le système de Fulton un rêve impraticable ; et pourtant cétaient des questions de leur ressort. Si donc ces assemblées, qui comptaient dans leur sein lélite des savants du monde, nont eu que la raillerie et le sarcasme pour des idées quelles ne comprenaient pas, idées qui, quelques années plus tard, devaient révolutionner la science, les moeurs et lindustrie, comment espérer quune question étrangère à leurs travaux obtienne plus de faveur ?
Ces erreurs de quelques-uns, regrettables pour leur mémoire, ne sauraient leur enlever les titres quà dautres égards ils ont acquis à notre estime, mais est-il besoin dun diplôme officiel pour avoir du bon sens, et ne compte-t-on en dehors des fauteuils académiques que des sots et des imbéciles ? Quon veuille bien jeter les yeux sur les adeptes de la doctrine spirite, et lon verra si lon ny rencontre que des ignorants et si le nombre immense dhommes de mérite qui lont embrassée permet de la reléguer au rang des croyances de bonnes femmes. Leur caractère et leur savoir valent bien la peine quon dise : puisque de tels hommes affirment, il faut au moins quil y ait quelque chose.
Nous répétons encore que si les faits qui nous occupent se fussent renfermés dans le mouvement mécanique des corps, la recherche de la cause physique de ce phénomène rentrait dans le domaine de la science ; mais dès quil sagit dune manifestation en dehors des lois de lhumanité, elle sort de la compétence de la science matérielle, car elle ne peut sexprimer ni par les chiffres, ni par la puissance mécanique. Lorsque surgit un fait nouveau qui ne ressort daucune science connue, le savant, pour létudier, doit faire abstraction de sa science et se dire que cest pour lui une étude nouvelle qui ne peut se faire avec des idées préconçues.
Lhomme qui croit sa raison infaillible est bien près de lerreur ; ceux mêmes qui ont les idées les plus fausses sappuient sur leur raison, et cest en vertu de cela quils rejettent tout ce qui leur semble impossible. Ceux qui ont jadis repoussé les admirables découvertes dont lhumanité shonore faisaient tous appel à ce juge pour les rejeter ; ce que lon appelle raison nest souvent que de lorgueil déguisé, et quiconque se croit infaillible se pose comme légal de Dieu. Nous nous adressons donc à ceux qui sont assez sages pour douter de ce quils nont pas vu, et qui, jugeant lavenir par le passé, ne croient pas que lhomme soit arrivé à son apogée, ni que la nature ait tourné pour lui la dernière page de son livre.
Ajoutons que létude dune doctrine, telle que la doctrine spirite, qui nous lance tout à coup dans un ordre de choses si nouveau et si grand, ne peut être faite avec fruit que par des hommes sérieux, persévérants, exempts de préventions et animés dune ferme et sincère volonté darriver à un résultat. Nous ne saurions donner cette qualification à ceux qui jugent, a priori, légèrement et sans avoir tout vu ; qui napportent à leurs études ni la suite, ni la régularité, ni le recueillement nécessaires ; nous saurions encore moins la donner à certaines personnes qui, pour ne pas faillir à leur réputation de gens desprit, sévertuent à trouver un côté burlesque aux choses les plus vraies, ou jugées telles par des personnes dont le savoir, le caractère et les convictions ont droit aux égards de quiconque se pique de savoir-vivre. Que ceux donc qui ne jugent pas les faits dignes deux et de leur attention sabstiennent ; personne ne songe à violenter leur croyance, mais quils veuillent bien respecter celles des autres.
Ce qui caractérise une étude sérieuse, cest la suite que lon y apporte. Doit-on sétonner de nobtenir souvent aucune réponse sensée à des questions, graves par elles-mêmes, alors quelles sont faites au hasard et jetées à brûle-pourpoint au milieu dune foule de questions saugrenues ? Une question, dailleurs, est souvent complexe et demande, pour être éclaircie, des questions préliminaires ou complémentaires. Quiconque veut acquérir une science doit en faire une étude méthodique, commencer par le commencement et suivre lenchaînement et le développement des idées. Celui qui adresse par hasard à un savant une question sur une science dont il ne sait pas le premier mot, sera-t-il plus avancé ? Le savant lui-même pourra-t-il, avec la meilleure volonté, lui donner une réponse satisfaisante ? Cette réponse isolée sera forcément incomplète, et souvent, par cela même, inintelligible, ou pourra paraître absurde et contradictoire. Il en est exactement de même dans les rapports que nous établissons avec les Esprits. Si lon veut sinstruire à leur école, cest un cours quil faut faire avec eux ; mais, comme parmi nous, il faut choisir ses professeurs et travailler avec assiduité.
Nous avons dit que les Esprits supérieurs ne viennent que dans les réunions sérieuses, et dans celles surtout oû règne une parfaite communion de pensées et de sentiments pour le bien. La légèreté et les questions oiseuses les éloignent, comme, chez les hommes, elles éloignent les gens raisonnables ; le champ reste alors libre à la tourbe des Esprits menteurs et frivoles, toujours à laffût des occasions de se railler et de samuser à nos dépens. Que devient dans une telle réunion une question sérieuse ? Il y sera répondu ; mais par qui ? Cest comme si au milieu dune troupe de joyeux vivants vous alliez jeter ces questions : Quest-ce que lâme ? Quest-ce que la mort ? et dautres choses aussi récréatives. Si vous voulez des réponses sérieuses, soyez sérieux vous-mêmes dans toute lacception du mot, et placez-vous dans toutes les conditions voulues : alors seulement vous obtiendrez de grandes choses ; soyez de plus laborieux et persévérants dans vos études, sans cela les Esprits supérieurs vous délaissent, comme le fait un professeur pour ses écoliers négligents.
Le mouvement des objets est un fait acquis ; la question est de savoir si, dans ce mouvement, il y a ou non une manifestation intelligente, et en cas daffirmative, quelle est la source de cette manifestation.
Nous ne parlons pas du mouvement intelligent de certains objets, ni de communications verbales, ni même de celles qui sont écrites directement par le médium ; ce genre de manifestation, évident pour ceux qui ont vu et approfondi la chose, nest point, au premier aspect, assez indépendant de la volonté pour asseoir la conviction dun observateur novice. Nous ne parlerons donc que de lécriture obtenue à laide dun objet quelconque muni dun crayon, tel que corbeille, planchette, etc. ; la manière dont les doigts du médium sont posés sur lobjet défie, comme nous lavons dit, ladresse la plus consommée de pouvoir participer en quoi que ce soit au tracé des caractères. Mais admettons encore que, par une adresse merveilleuse, il puisse tromper loeil le plus scrutateur, comment expliquer la nature des réponses, alors quelles sont en dehors de toutes les idées et de toutes les connaissances du médium ? Et quon veuille bien remarquer quil ne sagit pas de réponses monosyllabiques, mais souvent de plusieurs pages écrites avec la plus étonnante rapidité, soit spontanément, soit sur un sujet déterminé ; sous la main du médium le plus étranger à la littérature, naissent quelquefois des poésies dune sublimité et dune pureté irréprochables, et que ne désavoueraient pas les meilleurs poètes humains ; ce qui ajoute encore à létrangeté de ces faits, cest quils se produisent partout et que les médiums se multiplient à linfini. Ces faits sont-ils réels ou non ? A cela nous navons quune chose à répondre : voyez et observez ; les occasions ne vous manqueront pas ; mais surtout observez souvent, longtemps et selon les conditions voulues.
A lévidence, que répondent les antagonistes ? Vous êtes, disent-ils, dupes du charlatanisme ou le jouet dune illusion. Nous dirons dabord quil faut écarter le mot charlatanisme là oû il ny a pas de profits ; les charlatans ne font pas leur métier gratis. Ce serait donc tout au plus une mystification. Mais par quelle étrange coïncidence ces mystificateurs se seraient-ils entendus dun bout du monde à lautre pour agir de même, produire les mêmes effets et donner sur les mêmes sujets et dans des langues diverses des réponses identiques, sinon quant aux mots, du moins quant au sens ? Comment des personnes graves, sérieuses, honorables, instruites se prêteraient-elles à de pareilles manoeuvres, et dans quel but ? Comment trouverait-on chez des enfants la patience et lhabileté nécessaires ? car si les médiums ne sont pas des instruments passifs, il leur faut une habileté et des connaissances incompatibles avec un certain âge et certaines positions sociales.
Alors on ajoute que, sil ny a pas supercherie, des deux côtés on peut être dupe dune illusion. En bonne logique, la qualité des témoins est dun certain poids ; or cest ici le cas de demander si la doctrine spirite, qui compte aujourdhui ses adhérents par milliers, ne les recrute que parmi les ignorants ? Les phénomènes sur lesquels elle sappuie sont si extraordinaires que nous concevons le doute ; mais ce que lon ne saurait admettre, cest la prétention de certains incrédules au monopole du bon sens, et qui, sans respect pour les convenances ou la valeur morale de leurs adversaires, taxent sans façon dineptie tous ceux qui ne sont pas de leur avis. Aux yeux de toute personne judicieuse, lopinion des gens éclairés qui ont longtemps vu, étudié et médité une chose, sera toujours, sinon une preuve, du moins une présomption en sa faveur, puisquelle a pu fixer lattention dhommes sérieux nayant ni un intérêt à propager une erreur, ni du temps à perdre à des futilités.
Parmi les objections, il en est de plus spécieuses, du moins en apparence, parce quelles sont tirées de lobservation et quelles sont faites par des personnes graves.
Une de ces objections est tirée du langage de certains Esprits qui ne paraît pas digne de lélévation quon suppose à des êtres surnaturels. Si lon veut bien se reporter au résumé de la doctrine que nous avons présenté ci-dessus, on y verra que les Esprits eux-mêmes nous apprennent quils ne sont égaux ni en connaissances, ni en qualités morales, et que lon ne doit point prendre au pied de la lettre tout ce quils disent. Cest aux gens sensés à faire la part du bon et du mauvais. Assurément ceux qui tirent de ce fait la conséquence que nous navons affaire quà des êtres malfaisants, dont lunique occupation est de nous mystifier, nont pas connaissance des communications qui ont lieu dans les réunions oû ne se manifestent que des Esprits supérieurs, autrement ils ne penseraient pas ainsi. Il est fâcheux que le hasard les ait assez mal servis pour ne leur montrer que le mauvais côté du monde spirite, car nous voulons bien ne pas supposer quune tendance sympathique attire vers eux les mauvais Esprits plutôt que les bons, les Esprits menteurs ou ceux dont le langage est révoltant de grossièreté. On pourrait tout au plus en conclure que la solidité de leurs principes nest pas assez puissante pour écarter le mal, et que, trouvant un Certain plaisir à satisfaire leur curiosité à cet égard, les mauvais Esprits en profitent pour se glisser parmi eux, tandis que les bons séloignent.
Juger la question des Esprits sur ces faits serait aussi peu logique que de juger le caractère dun peuple par ce qui se dit et se fait dans lassemblée de quelques étourdis ou de gens mal famés que ne fréquentent ni les sages, ni les gens sensés. Ces personnes se trouvent dans la situation dun étranger qui, arrivant dans une grande capitale par le plus vilain faubourg, jugerait tous les habitants par les moeurs et le langage de ce quartier infime. Dans le monde des Esprits, il y a aussi une bonne et une mauvaise société ; que ces personnes veuillent bien étudier ce qui se passe parmi les Esprits délite, et elles seront convaincues que la cité céleste renferme autre chose que la lie du peuple. Mais, disent-elles, les Esprits délite viennent-ils parmi nous ? A cela nous leur répondrons : Ne restez pas dans le faubourg ; voyez, observez et vous jugerez ; les faits sont là pour tout le monde ; à moins que ce ne soit à elles que sappliquent ces paroles de Jésus : Ils ont des yeux et ils ne voient point ; des oreilles et ils nentendent point.
Une variante de cette opinion consiste à ne voir dans les communications spirites, et dans tous les faits matériels auxquels elles donnent lieu, que lintervention dune puissance diabolique, nouveau Protée qui revêtirait toutes les formes pour mieux nous abuser. Nous ne la croyons pas susceptible dun examen sérieux, cest pourquoi nous ne nous y arrêterons pas : elle se trouve réfutée par ce que nous venons de dire ; nous ajouterons seulement que, sil en était ainsi, il faudrait convenir que le diable est quelquefois bien sage, bien raisonnable et surtout bien moral, ou bien quil y a aussi de bons diables.
Comment croire, en effet, que Dieu ne permette quà lEsprit du mal de se manifester pour nous perdre, sans nous donner pour contrepoids les conseils des bons Esprits ? Sil ne le peut pas, cest impuissance ; sil le peut et ne le fait pas, cest incompatible avec sa bonté ; lune et lautre supposition seraient un blasphème. Remarquez quadmettre la communication des mauvais Esprits, cest reconnaître le principe des manifestations ; or, du moment quelles existent, ce ne peut être quavec la permission de Dieu ; comment croire, sans impiété, quil ne permette que le mal à lexclusion du bien ? Une telle doctrine est contraire aux plus simples notions du bon sens et de la religion.
Une chose bizarre, ajoute-t-on, cest quon ne parle que des Esprits de personnages connus, et lon se demande pourquoi ils sont seuls à se manifester. Cest là une erreur provenant, comme beaucoup dautres, dune observation superficielle. Parmi les Esprits qui viennent spontanément, il en est plus encore dinconnus pour nous que dillustres, qui se désignent par un nom quelconque et souvent par un nom allégorique ou caractéristique. Quant à ceux que lon évoque, à moins que ce ne soit un parent ou un ami, il est assez naturel de sadresser à ceux que lon connaît plutôt quà ceux que lon ne connaît pas ; le nom des personnages illustres frappe davantage, cest pour cela quils sont plus remarqués.
On trouve encore singulier que les Esprits dhommes éminents viennent familièrement à notre appel, et soccupent quelquefois de choses minutieuses en comparaison de celles quils ont accomplies pendant leur vie. A cela il nest rien détonnant pour ceux qui savent que la puissance ou la considération dont ces hommes ont joui ici-bas ne leur donne aucune suprématie dans le monde spirite ; les Esprits confirment en ceci ces paroles de lEvangile : Les grands seront abaissés et les petits élevés, ce qui doit sentendre du rang que chacun de nous occupera parmi eux ; cest ainsi que celui qui a été le premier sur la terre peut sy trouver lun des derniers ; celui devant lequel nous courbions la tête pendant sa vie peut donc venir parmi nous comme le plus humble artisan, car en quittant la vie, il a laissé toute sa grandeur, et le plus puissant monarque y est peut-être au-dessous du dernier de ses soldats.
Un fait démontré par lobservation et confirmé par les Esprits eux-mêmes, cest que les Esprits inférieurs empruntent souvent des noms connus et révérés. Qui donc peut nous assurer que ceux qui disent avoir été, par exemple, Socrate, Jules César, Charlemagne, Fénelon, Napoléon, Washington, etc., aient réellement animé ces personnages ? Ce doute existe parmi certains adeptes très fervents de la doctrine spirite ; ils admettent lintervention et la manifestation des Esprits, mais ils se demandent quel contrôle on peut avoir de leur identité. Ce contrôle est, en effet, assez difficile à établir ; sil ne peut lêtre dune manière aussi authentique que par un acte détat civil, on le peut au moins par présomption, daprès certains indices.
Lorsque lEsprit de quelquun qui nous est personnellement connu se manifeste, dun parent ou dun ami par exemple, surtout sil est mort depuis peu de temps, il arrive en général que son langage est en rapport parfait avec le caractère que nous lui connaissions ; cest déjà un indice didentité ; mais le doute nest presque plus permis quand cet Esprit parle de choses privées, rappelle des circonstances de famille qui ne sont connues que de linterlocuteur. Un fils ne se méprendra pas assurément au langage de son père et de sa mère, ni des parents sur celui de leur enfant. Il se passe quelquefois dans ces sortes dévocations intimes des choses saisissantes, de nature à convaincre le plus incrédule. Le sceptique le plus endurci est souvent terrifié des révélations inattendues qui lui sont faites.
Une autre circonstance très caractéristique vient à lappui de lidentité. Nous avons dit que lécriture du médium change généralement avec lEsprit évoqué, et que cette écriture se reproduit exactement la même chaque fois que le même Esprit se présente ; on a constaté maintes fois que, pour les personnes mortes depuis peu surtout, cette écriture a une ressemblance frappante avec celle de la personne en son vivant ; on a vu des signatures dune exactitude parfaite. Nous sommes, du reste, loin de donner ce fait comme une règle et surtout comme constant ; nous le mentionnons comme une chose digne de remarque.
Les Esprits arrivés à un certain degré dépuration sont seuls dégagés de toute influence corporelle ; mais lorsquils ne sont pas complètement dématérialisés (cest lexpression dont ils se servent), ils conservent la plupart des idées, des penchants et même des manies quils avaient sur la terre, et cest encore là un moyen de reconnaissance ; mais on en trouve surtout dans une foule de faits de détail que peut seule révéler une observation attentive et soutenue. On voit des écrivains discuter leurs propres ouvrages ou leurs doctrines, en approuver ou condamner certaines parties ; dautres Esprits rappeler des circonstances ignorées ou peu connues de leur vie ou de leur mort, toutes choses enfin qui sont tout au moins des preuves morales didentité, les seules que lon puisse invoquer en fait de choses abstraites.
Si donc lidentité de lEsprit évoqué peut être, jusquà un certain point, établie dans quelques cas, il ny a pas de raison pour quelle ne le soit pas dans dautres, et si lon na pas, pour les personnes dont la mort est plus ancienne, les mêmes moyens de contrôle, on a toujours celui du langage et du caractère ; car assurément lEsprit dun homme de bien ne parlera pas comme celui dun homme pervers ou dun débauché. Quant aux Esprits qui se parent de noms respectables, ils se trahissent bientôt par leur langage et leurs maximes ; celui qui se dirait Fénelon, par exemple, et qui blesserait, ne fût-ce quaccidentellement, le bon sens et la morale, montrerait par cela même la supercherie. Si, au contraire, les pensées quil exprime sont toujours pures, sans contradictions et constamment à la hauteur du caractère de Fénelon, il ny a pas de motifs pour douter de son identité ; autrement, il faudrait supposer quun Esprit qui ne prêche que le bien peut sciemment employer le mensonge, et cela sans utilité.
Lexpérience nous apprend que les Esprits du même degré, du même caractère et animés des mêmes sentiments se réunissent en groupes et en familles ; or, le nombre des Esprits est incalculable, et nous sommes loin de les connaître tous ; la plupart même nont pas de noms pour nous. Un Esprit de la catégorie de Fénelon peut donc venir en son lieu et place, souvent même envoyé par lui comme mandataire ; il se présente sous son nom, parce quil lui est identique et peut le suppléer, et parce quil nous faut un nom pour fixer nos idées ; mais quimporte, en définitive, quun Esprit soit réellement ou non celui de Fénelon ! Du moment quil ne dit que de bonnes choses et quil parle comme laurait dit Fénelon lui-même, cest un bon Esprit ; le nom sous lequel il se fait connaître est indifférent, et nest souvent quun moyen de fixer nos idées. Il nen saurait être de même dans les évocations intimes ; mais là, comme nous lavons dit, lidentité peut être établie par des preuves en quelque sorte patentes.
Au reste, il est certain que la substitution des Esprits peut donner lieu à une foule de méprises, et quil peut en résulter des erreurs, et souvent des mystifications ; cest là une difficulté du spiritisme pratique; mais nous navons jamais dit que cette science fût une chose facile, ni quon pût lapprendre en se jouant, pas plus quaucune autre science. Nous ne saurions trop le répéter, elle demande une étude assidue et souvent fort longue ; ne pouvant provoquer les faits, il faut attendre quils se présentent deux-mêmes, et souvent ils sont amenés par les circonstances auxquelles on songe le moins. Pour lobservateur attentif et patient, les faits abondent, parce quil découvre des milliers de nuances caractéristiques qui sont, pour lui, des traits de lumière. Il en est ainsi dans les sciences vulgaires ; tandis que lhomme superficiel ne voit dans une fleur quune forme élégante, le savant y découvre des trésors pour la pensée.
Les observations ci-dessus nous conduisent à dire quelques mots dune autre difficulté, celle de la divergence qui existe dans le langage des Esprits.
Les Esprits étant très différents les uns des autres au point de vue des connaissances et de la moralité, il est évident que la même question peut être résolue dans un sens opposé, selon le rang quils occupent, absolument comme si elle était posée parmi les hommes alternativement à un savant, à un ignorant ou à un mauvais plaisant. Le point essentiel, nous lavons dit, est de savoir à qui lon sadresse.
Mais, ajoute-t-on, comment se fait-il que les Esprits reconnus pour être supérieurs ne soient pas toujours daccord ? Nous dirons dabord quindépendamment de la cause que nous venons de signaler, il en est dautres qui peuvent exercer une certaine influence sur la nature des réponses, abstraction faite de la qualité des Esprits ; ceci est un point capital dont létude donnera lexplication ; cest pourquoi nous disons que ces études requièrent une attention soutenue, une observation profonde, et surtout, comme du reste toutes les sciences humaines, de la suite et de la persévérance. Il faut des années pour faire un médiocre médecin, et les trois quarts de la vie pour faire un savant, et lon voudrait en quelques heures acquérir la science de linfini ! Quon ne sy trompe donc pas : létude du spiritisme est immense ; elle touche à toutes les questions de la métaphysique et de lordre social ; cest tout un monde qui souvre devant nous ; doit-on sétonner quil faille du temps, et beaucoup de temps, pour lacquérir ?
La contradiction, dailleurs, nest pas toujours aussi réelle quelle peut le paraître. Ne voyons-nous pas tous les jours des hommes professant la même science varier dans la définition quils donnent dune chose, soit quils emploient des termes différents, soit quils lenvisagent sous un autre point de vue, quoique lidée fondamentale soit toujours la même ? que lon compte si lon peut, le nombre des définitions qui ont été données de la grammaire ! Ajoutons encore que la forme de la réponse dépend souvent de la forme de la question. Il y aurait donc de la puérilité à trouver une contradiction là oû il ny a le plus souvent quune différence de mots. Les Esprits supérieurs ne tiennent nullement à la forme ; pour eux, le fond de la pensée est tout.
Prenons pour exemple la définition de lâme. Ce mot nayant pas dacception fixe, les Esprits peuvent donc, ainsi que nous, différer dans la définition quils en donnent : lun pourra dire quelle est le principe de la vie, un autre lappeler étincelle animique, un troisième dire quelle est interne, un quatrième quelle est externe, etc., et tous auront raison à leur point de vue. On pourrait même croire que certains dentre eux professent des théories matérialistes, et pourtant il nen est rien. Il en est de même de Dieu ; ce sera : le principe de toutes choses, le Créateur de lunivers, la souveraine intelligence, linfini, le grand Esprit, etc., etc., et en définitive, ce sera toujours Dieu. Citons enfin la classification des Esprits. Ils forment une suite non interrompue depuis le degré inférieur jusquau degré supérieur ; la classification est donc arbitraire, lun pourra en faire trois classes, un autre cinq, dix ou vingt à volonté, sans être pour cela dans lerreur ; toutes les sciences humaines nous en offrent lexemple ; chaque savant a son système ; les systèmes changent, mais la science ne change pas. Quon apprenne la botanique par le système de Linné, de Jussieu ou de Tournefort, on nen saura pas moins la botanique. Cessons donc de donner aux choses de pure convention plus dimportance quelles nen méritent pour nous attacher à ce qui est seul véritablement sérieux, et souvent la réflexion fera découvrir dans ce qui semble le plus disparate une similitude qui avait échappé à une première inspection.
Nous passerions légèrement sur lobjection de certains sceptiques au sujet des fautes dorthographe commises par quelques Esprits, si elle ne devait donner lieu à une remarque essentielle. Leur orthographe, il faut le dire, nest pas toujours irréprochable ; mais il faut être bien à court de raisons pour en faire lobjet dune critique sérieuse, en disant que, puisque les Esprits savent tout, ils doivent savoir lorthographe. Nous pourrions leur opposer les nombreux péchés de ce genre commis par plus dun savant de la terre, ce qui nôte rien de leur mérite ; mais il y a dans ce fait une question plus grave. Pour les Esprits, et surtout pour les Esprits supérieurs, lidée est tout, la forme nest rien. Dégagés de la matière, leur langage entre eux est rapide comme la pensée, puisque cest la pensée même qui se communique sans intermédiaire ; ils doivent donc se trouver mal à laise quand ils sont obligés, pour se communiquer à nous, de se servir des formes longues et embarrassées du langage humain, et surtout de linsuffisance et de limperfection de ce langage pour rendre toutes les idées ; cest ce quils disent eux-mêmes ; aussi est-il curieux de voir les moyens quils emploient souvent pour atténuer cet inconvénient. Il en serait ainsi de nous si nous avions à nous exprimer dans une langue plus longue dans ses mots et dans ses tournures, et plus pauvre dans ses expressions que celle dont nous faisons usage. Cest lembarras quéprouve lhomme de génie simpatientant de la lenteur de sa plume qui est toujours en arrière de sa pensée. On conçoit daprès cela que les Esprits attachent peu dimportance à la puérilité de lorthographe, lorsquil sagit surtout dun enseignement grave et sérieux ; nest-il pas déjà merveilleux dailleurs quils sexpriment indifféremment dans toutes les langues et quils les comprennent toutes ? Il ne faut pas en conclure de là pourtant que la correction conventionnelle du langage leur soit inconnue ; ils lobservent quand cela est nécessaire ; cest ainsi, par exemple, que la poésie dictée par eux défierait souvent la critique du plus méticuleux puriste, et cela malgré lignorance du médium.
Il y a ensuite des gens qui trouvent du danger partout, et à tout ce quils ne connaissent pas ; aussi ne manquent-ils pas de tirer une conséquence défavorable de ce que certaines personnes, en sadonnant à ces études, ont perdu la raison. Comment des hommes sensés peuvent-ils voir dans ce fait une objection sérieuse ? Nen est-il pas de même de toutes les préoccupations intellectuelles sur un cerveau faible ? Sait-on le nombre des fous et des maniaques produit par les études mathématiques, médicales, musicales, philosophiques et autres ? Faut-il pour cela bannir ces études ? Quest-ce que cela prouve ? Par les travaux corporels on sestropie les bras et les jambes, qui sont les instruments de laction matérielle ; par les travaux de lintelligence on sestropie le cerveau, qui est linstrument de la pensée. Mais si linstrument est brisé, lesprit ne lest pas pour cela : il est intact ; et lorsquil est dégagé de la matière, il nen jouit pas moins de la plénitude de ses facultés. Cest dans son genre, comme homme, un martyr du travail.
Toutes les grandes préoccupations de lesprit peuvent occasionner la folie : les sciences, les arts, la religion même fournissent leur contingent. La folie a pour cause première une prédisposition organique du cerveau qui le rend plus ou moins accessible à certaines impressions. Etant donné une prédisposition à la folie, celle-ci prendra le caractère de la préoccupation principale qui devient alors une idée fixe. Cette idée fixe pourra être celle des Esprits chez celui qui sen est occupé, comme elle pourra être celle de Dieu, des anges, du diable, de la fortune, de la puissance, dun art, dune science, de la maternité, dun système politique social. Il est probable que le fou religieux fût devenu un fou spirite, si le spiritisme eût été sa préoccupation dominante, comme le fou spirite leût été sous une autre forme suivant les circonstances.
Je dis donc que le spiritisme na aucun privilège sous ce rapport ; mais je vais plus loin : je dis que, bien compris, cest un préservatif contre la folie.
Parmi les causes les plus nombreuses de surexcitation cérébrale, il faut compter les déceptions, les malheurs, les affections contrariées, qui sont en même temps les causes les plus fréquentes de suicide. Or, le vrai spirite voit les choses de ce monde dun point de vue si élevé ; elles lui paraissent si petites, si mesquines auprès de lavenir qui lattend ; la vie est pour lui si courte, si fugitive, que les tribulations ne sont à ses yeux que les incidents désagréables dun voyage. Ce qui, chez un autre, produirait une violente émotion, laffecte médiocrement ; il sait dailleurs que les chagrins de la vie sont des épreuves qui servent à son avancement sil les subit sans murmure, parce quil sera récompensé selon le courage avec lequel il les aura supportées. Ses convictions lui donnent donc une résignation qui le préserve du désespoir, et par conséquent, dune cause incessante de folie et de suicide. Il sait, en outre, par le spectacle que lui donnent les communications avec les Esprits, le sort de ceux qui abrègent volontairement leurs jours, et ce tableau est bien fait pour le faire réfléchir ; aussi le nombre de ceux qui ont été arrêtés sur cette pente funeste est-il considérable. Cest là un des résultats du spiritisme. Que les incrédules en rient tant quils voudront ; je leur souhaite les consolations quil procure à tous ceux qui se sont donné la peine den sonder les mystérieuses profondeurs.
Au nombre des causes de folie, il faut encore placer la frayeur, et celle du diable a dérangé plus dun cerveau. Sait-on le nombre de victimes que lon a faites en frappant de faibles imaginations avec ce tableau que lon singénie à rendre plus effrayant par de hideux détails ? Le diable, dit-on, neffraye que les petits enfants ; cest un frein pour les rendre sages ; oui, comme Croque-mitaine et le loup-garou, et quand ils nen ont plus peur, ils sont pires quavant ; et pour ce beau résultat on ne compte pas le nombre des épilepsies causées par lébranlement dun cerveau délicat. La religion serait bien faible si, faute de crainte, sa puissance pouvait être compromise ; heureusement, il nen est pas ainsi ; elle a dautres moyens dagir sur les âmes ; le spiritisme lui en fournit de plus efficaces et de plus sérieux, si elle sait les mettre à profit ; il montre la réalité des choses, et par là neutralise les funestes effets dune crainte exagérée.
Il nous reste à examiner deux objections ; les seules qui méritent véritablement ce nom, parce quelles sont basées sur des théories raisonnées. Lune et lautre admettent la réalité de tous les phénomènes matériels et moraux, mais elles excluent lintervention des Esprits.
Selon la première de ces théories, toutes les manifestations attribuées aux Esprits ne seraient autre chose que des effets magnétiques. Les médiums seraient dans un état quon pourrait appeler somnambulisme éveillé, phénomène dont toute personne qui a étudié le magnétisme a pu être témoin. Dans cet état, les facultés intellectuelles acquièrent un développement anormal ; le cercle des perceptions intuitives sétend hors des limites de notre conception ordinaire. Dès lors, le médium puiserait en lui-même et par le fait de sa lucidité tout ce quil dit et toutes les notions quil transmet, même sur les choses qui lui sont le plus étrangères dans son état habituel.
Ce nest pas nous qui contesterons la puissance du somnambulisme dont nous avons vu les prodiges et étudié toutes les phases pendant plus de trente-cinq ans ; nous convenons quen effet beaucoup de manifestations spirites peuvent sexpliquer par ce moyen ; mais une observation soutenue et attentive montre une foule de faits oû lintervention du médium, autrement que comme instrument passif, est matériellement impossible. A ceux qui partagent cette opinion, nous dirons comme aux autres : " Voyez et observez, car assurément vous navez pas tout vu. " Nous leur opposerons ensuite deux considérations tirées de leur propre doctrine. Doû est venue la théorie spirite ? Est-ce un système imaginé par quelques hommes pour expliquer les faits ? Nullement. Qui donc la révélée ? Précisément ces mêmes médiums dont vous exaltez la lucidité. Si donc cette lucidité est telle que vous la supposez, pourquoi auraient-ils attribué à des Esprits ce quils auraient puisé en eux-mêmes ? Comment auraient-ils donné ces renseignements si précis, si logiques, si sublimes sur la nature de ces intelligences extra-humaines ? De deux choses lune, ou ils sont lucides ou ils ne le sont pas : sils le sont et si lon a confiance en leur véracité, on ne saurait sans contradiction admettre quils ne sont pas dans le vrai. En second lieu, si tous les phénomènes avaient leur source dans le médium, ils seraient identiques chez le même individu, et lon ne verrait pas la même personne tenir un langage disparate ni exprimer tour à tour les choses les plus contradictoires. Ce défaut dunité dans les manifestations obtenues par le médium prouve la diversité des sources ; si donc on ne peut les trouver toutes dans le médium, il faut bien les chercher hors de lui.
Selon une autre opinion, le médium est bien la source des manifestations, mais au lieu de les puiser en lui-même, ainsi que le prétendent les artisans de la théorie somnambulique, il les puise dans le milieu ambiant. Le médium serait ainsi une sorte de miroir reflétant toutes les idées, toutes les pensées et toutes les connaissances des personnes qui lentourent ; il ne dirait rien qui ne soit connu au moins de quelques-unes. On ne saurait nier, et cest même là un principe de la doctrine, linfluence exercée par les assistants sur la nature des manifestations ; mais cette influence est tout autre que celle quon suppose exister, et de là à ce que le médium soit lécho de leurs pensées, il y a fort loin, car des milliers de faits établissent péremptoirement le contraire. Cest donc là une erreur grave qui prouve une fois de plus le danger des conclusions prématurées. Ces personnes ne pouvant nier lexistence dun phénomène dont la science vulgaire ne peut rendre compte, et ne voulant pas admettre la présence des Esprits, lexpliquent à leur manière. Leur théorie serait spécieuse si elle pouvait embrasser tous les faits, mais il nen est point ainsi. Lorsquon leur démontre jusquà lévidence que certaines communications du médium sont complètement étrangères aux pensées, aux connaissances, aux opinions même de tous les assistants, que ces communications sont souvent spontanées et contredisent toutes les idées préconçues, elles ne sont pas arrêtées pour si peu de chose. Le rayonnement, disent-elles, sétend bien au-delà du cercle immédiat qui nous entoure ; le médium est le reflet de lhumanité tout entière, de telle sorte que, sil ne puise pas ses inspirations à côté de lui, il va les chercher au-dehors, dans la ville, dans la contrée, dans tout le globe et même dans les autres sphères.
Je ne pense pas que lon trouve dans cette théorie une explication plus simple et plus probable que celle du spiritisme, car elle suppose une cause bien autrement merveilleuse. Lidée que des êtres peuplant les espaces, et qui, étant en contact permanent avec nous, nous communiquent leurs pensées, na rien qui choque plus la raison que la supposition de ce rayonnement universel venant de tous les points de lunivers se concentrer dans le cerveau dun individu.
Encore une fois, et cest là un point capital sur lequel nous ne saurions trop insister, la théorie somnambulique, et celle quon pourrait appeler réflective, ont été imaginées par quelques hommes ; ce sont des opinions individuelles créées pour expliquer un fait, tandis que la doctrine des Esprits nest point de conception humaine ; elle a été dictée par les intelligences mêmes qui se manifestent, alors que nul ny songeait, que lopinion générale même la repoussait ; or nous demandons oû les médiums ont été puiser une doctrine qui nexistait dans la pensée de personne sur la terre ; nous demandons en outre par quelle étrange coïncidence des milliers de médiums disséminés sur tous les points du globe, qui ne se sont jamais vus, saccordent pour dire la même chose. Si le premier médium qui parut en France a subi linfluence dopinions déjà accréditées en Amérique, par quelle bizarrerie a-t-il été chercher ces idées à 2.000 lieues au-delà des mers, chez un peuple étranger de moeurs et de langage, au lieu de les prendre autour de lui ?
Mais il est une autre circonstance à laquelle on na point assez songé. Les premières manifestations, en France comme en Amérique, nont eu lieu ni par lécriture, ni par la parole, mais par les coups frappés concordant avec les lettres de lalphabet, et formant des mots et des phrases. Cest par ce moyen que les intelligences qui se sont révélées ont déclaré être des Esprits. Si donc on pouvait supposer lintervention de la pensée des médiums dans les communications verbales ou écrites, il ne saurait en être ainsi des coups frappés dont la signification ne pouvait être connue davance.
Nous pourrions citer nombre de faits qui démontrent, dans lintelligence qui se manifeste, une individualité évidente et une indépendance absolue de volonté. Nous renvoyons donc les dissidents à une observation plus attentive, et sils veulent bien étudier sans prévention et ne pas conclure avant davoir tout vu, ils reconnaîtront limpuissance de leur théorie pour rendre raison de tout. Nous nous bornerons à poser les questions suivantes : Pourquoi lintelligence qui se manifeste, quelle quelle soit, refuse-t-elle de répondre à certaines questions sur des sujets parfaitement connus, comme, par exemple, sur le nom ou lâge de linterrogateur, sur ce quil a dans la main, ce quil a fait la veille, son projet du lendemain, etc. ? Si le médium est le miroir de la pensée des assistants, rien ne lui serait plus aisé que de répondre.
Les adversaires rétorquent largument en demandant à leur tour pourquoi les Esprits qui doivent tout savoir ne peuvent dire des choses aussi simples, selon laxiome : Qui peut le plus peut le moins ; doû ils concluent que ce ne sont pas des Esprits. Si un ignorant ou un mauvais plaisant, se présentant devant une docte assemblée, demandait, par exemple, pourquoi il fait jour en plein midi, croit-on quelle se donnât la peine de répondre sérieusement, et serait-il logique de conclure de son silence, ou des railleries dont elle gratifierait le questionneur, que ses membres ne sont que des ânes ? Or, cest précisément parce que les Esprits sont supérieurs quils ne répondent pas à des questions oiseuses et ridicules, et ne veulent pas être mis sur la sellette ; cest pourquoi ils se taisent ou disent de soccuper de choses plus sérieuses.
Nous demanderons, enfin, pourquoi les Esprits viennent et sen vont souvent à un moment donné, et pourquoi, ce moment passé, il ny a ni prières, ni supplications qui puissent les ramener ? Si le médium nagissait que par limpulsion mentale des assistants, il est évident que, dans cette circonstance, le concours de toutes les volontés réunies devrait stimuler sa clairvoyance. Si donc il ne cède pas au désir de lassemblée, corroboré par sa propre volonté, cest quil obéit à une influence étrangère à lui-même et à ceux qui lentourent, et que cette influence accuse par là son indépendance et son individualité.
Le scepticisme, touchant la doctrine spirite, lorsquil nest pas le résultat dune opposition systématique intéressée, a presque toujours sa source dans une connaissance incomplète des faits, ce qui nempêche pas certaines gens de trancher la question comme sils la connaissaient parfaitement. On peut avoir beaucoup desprit, de linstruction même, et manquer de jugement ; or, le premier indice dun défaut dans le jugement, cest de croire le sien infaillible. Beaucoup de personnes aussi ne voient dans les manifestations spirites quun objet de curiosité ; nous espérons que, par la lecture de ce livre, elles trouveront dans ces phénomènes étranges autre chose quun simple passe-temps.
La science spirite comprend deux parties : lune expérimentale sur les manifestations en général, lautre philosophique sur les manifestations intelligentes. Quiconque na observé que la première est dans la position de celui qui ne connaîtrait la physique que par des expériences récréatives, sans avoir pénétré dans le fond de la science. La véritable doctrine spirite est dans lenseignement donné par les Esprits, et les connaissances que cet enseignement comporte sont trop graves pour pouvoir être acquises autrement que par une étude sérieuse et suivie, faite dans le silence et le recueillement ; car dans cette condition seule on peut observer un nombre infini de faits et de nuances qui échappent à lobservateur superficiel et permettent dasseoir une opinion. Ce livre naurait-il pour résultat que de montrer le côté sérieux de la question, et de provoquer des études dans ce sens, ce serait déjà beaucoup, et nous nous applaudirions davoir été choisi pour accomplir une oeuvre dont nous ne prétendons, du reste, nous faire aucun mérite personnel, puisque les principes quil renferme ne sont pas notre création ; le mérite en est donc tout entier aux Esprits qui lont dicté. Nous espérons quil aura un autre résultat, cest de guider les hommes désireux de séclairer, en leur montrant, dans ces études, un but grand et sublime : celui du progrès individuel et social, et de leur indiquer la route à suivre pour latteindre.
Terminons par une dernière considération. Des astronomes, en sondant les espaces, ont trouvé, dans la répartition des corps célestes, des lacunes non justifiées et en désaccord avec les lois de lensemble ; ils ont soupçonné que ces lacunes devaient être remplies par des globes échappés à leurs regards ; dun autre côté, ils ont observé certains effets dont la cause leur était inconnue, et ils se sont dit : là il doit y avoir un monde, car cette lacune ne peut exister, et ces effets doivent avoir une cause. Jugeant alors de la cause par leffet, ils en ont pu calculer les éléments, et plus tard les faits sont venus justifier leurs prévisions. Appliquons ce raisonnement à un autre ordre didées. Si lon observe la série des êtres, on trouve quils forment une chaîne sans solution de continuité depuis la matière brute jusquà lhomme le plus intelligent. Mais entre lhomme et Dieu, qui est lalpha et loméga de toutes choses, quelle immense lacune ! Est-il rationnel de penser quà lui sarrêtent les anneaux de cette chaîne ? Quil franchisse sans transition la distance qui le sépare de linfini ? La raison nous dit quentre lhomme et Dieu il doit y avoir dautres échelons, comme elle a dit aux astronomes quentre les mondes connus il devait y avoir des mondes inconnus. Quelle est la philosophie qui a comblé cette lacune ? Le spiritisme nous la montre remplie par les êtres de tous rangs du monde invisible, et ces êtres ne sont autres que les Esprits des hommes arrivés aux différents degrés qui conduisent à la perfection : alors tout se lie, tout senchaîne, depuis lalpha jusquà loméga. Vous qui niez lexistence des Esprits, remplissez donc le vide quils occupent ; et vous qui en riez, osez donc rire des oeuvres de Dieu et de sa toute-puissance !
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