Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


Chapitre IV : L’épisode de Hydesville

Nous avons donc découvert, à l’occasion des exemples que nous avons exposés, plusieurs éruptions de forces psychiques irrégulières et sans lien entre elles, et nous en arrivons enfin à l’épisode particulier qui se situe à un niveau inférieur à ceux que nous avons déjà examinés mais qui se produit de telle sorte qu’il restât à la portée de gens pourvus de sens pratique qui trouvèrent les moyens de l’explorer complètement afin d’introduire de la raison et de l’ordre dans ce qui restait un simple objet d’émerveillement sans finalité. Il est vrai que les circonstances furent inférieures, les acteurs humbles, le lieu reculé et la communication vile puisqu’elle ne reposait sur aucun motif plus élevé que la vengeance. Quand cependant, dans les affaires quotidiennes de ce monde, on souhaite savoir si un câble télégraphique fonctionne, on s’attache au fait que le message passe ou non, et la nature élevée ou inférieure de ce message d’essai est une considération parfaitement secondaire. On dit que le premier message qui emprunta le câble transatlantique fut une question banale de l’ingénieur qui procédait aux essais. Néanmoins, les rois et les présidents l’ont utilisé depuis lors. Ainsi, c’est l’humble esprit du colporteur assassiné de Hydesville qui a su ouvrir une brèche par laquelle les anges ont afflué. Il y a du bien et du mal et toutes les nuances intermédiaires dans l’Autre Monde comme de ce côté-ci du voile. La compagnie que l’on attire dépend de soi et de ses propres mobiles.
Hydesville est un petit hameau typique de l’État de New York, habité par une population primitive, sans aucun doute à demi instruite mais probablement, comme les autres petits centres américains, plus détachés des préjugés et plus réceptifs aux idées nouvelles qu’aucun groupe à cette époque. Ce village, situé à une bonne trentaine de kilomètres de la cité naissante de Rochester, se composait d’un groupe de maisons de bois serrées les unes contre les autres, de l’espèce la plus humble. C’est dans l’une d’elles, résidence qui serait sans doute rejetée par un inspecteur du conseil de district britannique, que commença à se développer ce qui est déjà, aux yeux de beaucoup, la chose de loin la plus importante que l’Amérique ait donnée au bien public du monde. Elle était habitée par une modeste famille de fermiers du nom de Fox – nom qui, par une curieuse coïncidence, figure déjà dans l’histoire religieuse comme celui d’un apôtre des Quakers. Outre le père et la mère qui pratiquaient le culte méthodiste, deux enfants vivaient à la maison à l’époque où les manifestations atteignirent une telle intensité qu’elles attirèrent l’attention générale. Ces deux filles s’appelaient Margaret, quatorze ans, et Kate, onze ans. Il y avait plusieurs autres enfants de par le monde, dont une seule, Leah, qui enseignait la musique à Rochester, doit intervenir dans ce récit. Autour de la petite maison s’était déjà forgée une réputation quelque peu sinistre. Les indices le démontrant furent rassemblés et publiés très peu de temps après l’événement, et paraissent aussi dignes de foi que peuvent l’être ce genre de preuves. Etant donné l’extrême importance que revêt tout ce qui concerne cette question, il faut livrer quelques extraits de ces témoignages qui, afin de ne pas désorganiser le récit, ont été relégués en annexe. Nous passerons donc immédiatement à l’arrivée de la famille Fox qui loua la maison le 11 décembre 1847. Il faut attendre l’année suivante pour que les bruits entendus par les précédents locataires recommencent. Ces bruits consistaient en coups frappés. Il semblerait qu’un coup fut un bruit bien naturel pour des visiteurs du dehors qui souhaitaient signifier leur présence à la porte de la vie humaine et désiraient que cette porte leur fût ouverte. Des coups frappés de ce genre (inconnus de ces fermiers analphabètes) s’étaient produits en Angleterre en 1661 à la maison de M. Mompesson, à Tedworth[1] . Melanchton rapporte également l’existence de coups frappés qui se seraient produits à Oppenheim, en Allemagne, en 1520, et on entendit aussi des coups frappés au presbytère d’Epworth en 1716. Les voilà qui revenaient et enfin ils étaient destinés à voir s’ouvrir la porte close.
Les bruits ne semblent pas avoir gêné la famille Fox jusque vers la mi-mars 1848. À partir de ce moment, ils augmentèrent sans cesse d’intensité. Parfois ce n’était qu’un simple coup ; à d’autres moments on aurait dit qu’on déplaçait des meubles. Les enfants se sentaient tellement inquiets qu’ils refusèrent de dormir seuls, et qu’on les installa dans la chambre de leurs parents. Les bruits vibraient si fort que les lits tremblaient. On procéda à toutes les recherches : le mari fit le guet d’un côté de la porte tandis que la femme se tenait de l’autre ; les coups continuaient, continuaient sans désemparer. On remarqua bientôt que la journée ne favorisait pas le phénomène et cela renforça naturellement l’idée d’une supercherie ; mais on essaya toutes les solutions possibles, sans succès. Finalement, la nuit du 31 mars, il y eut une éruption puissante et continue de ces bruits inexplicables. Cette nuit-là, on atteignit l’un des grands moments de l’évolution psychique car c’est alors que la jeune Kate Fox mit au défi la puissance invisible de répéter son claquement de doigts. La chambre rustique avec ses occupants graves, à demis vêtus, en attente, le visage tourné vers le plafond, le cercle de la lumière des bougies et les ombres lourdes tapies dans le coin pourraient bien faire le sujet d’une grande fresque historique. Fouillez tous les palais et les chancelleries de 1848 et où trouverez-vous une pièce qui occupe dans l’histoire une place aussi solide que cette petite chambre à coucher dans une cabane ?
Le défi de l’enfant, quoique lancé d’une voix peu respectueuse, reçut une réponse immédiate. A chaque claquement de doigts répondait un coup en écho. Aussi humbles que fussent les opérateurs de chaque côté, le télégraphe spirituel fonctionnait enfin et il restait à la patience et au sérieux moral de la race humaine de décider quels seraient les usages qu’on devait en faire dans l’avenir. Il y a beaucoup de forces inexpliquées dans le monde mais là, on se trouvait en face d’une force qui affirmait posséder une intelligence indépendante. C’était le signe suprême d’un nouveau départ. Mme Fox était abasourdie par ce premier pas, mais le second augmenta encore son étonnement : on découvrit que la force voyait apparemment aussi bien qu’elle entendait car, quand Kate claqua des doigts sans faire de bruit, un coup répondit pourtant. La mère posa une série de questions et les réponses données par chiffres, montrèrent une plus grande connaissance de ses propres affaires qu’elle n’en avait elle-même ; car les coups insistaient sur le fait qu’elle avait sept enfants tandis qu’elle protestait n’en avoir mis au monde que six, jusqu’à ce qu’un septième, mort précocement, lui revint en mémoire. On appela une voisine, Mme Redfield ; son amusement se changea en émerveillement puis en terreur au fur et à mesure qu’elle écoutait elle aussi les réponses correctes à des questions intimes.
Les voisins accoururent en foule tandis que se répandaient les rumeurs à propos de cette merveille ; les deux enfants furent emmenés par l’un d’eux tandis que Mme Fox allait passer la nuit chez Mme Redfield. En leur absence, le phénomène se poursuivit exactement comme avant, ce qui une fois pour toutes réduit au silence toutes ces théories de craquements d’orteils et de genoux disloqués que des gens parfaitement ignorants des faits réels ont si souvent avancées.
Ayant constitué une sorte de commission d’enquête informelle la foule, avec sa sagacité yankee, passa une bonne partie de la nuit du 31 mars à jouer aux questions et aux réponses avec l’intelligence invisible. A l’en croire, il était un esprit ; il avait été frappé dans cette maison ; il épela le nom d’un ancien occupant de la maison qui l’avait blessé ; il avait trente et un ans au moment de sa mort (qui remontait à cinq ans) ; on l’avait assassiné pour de l’argent ; on l’avait enterré dans la cave à trois mètres sous terre. A la cave, de lourds coups sourds résonnaient, apparemment en provenance de la terre, lorsque l’enquêteur se tenait au centre. Autrement, pas de bruits. Ainsi donc, c’était là qu’on l’avait enterré ! C’est un voisin, nommé Duesler qui, le premier parmi tous les hommes modernes, fit la lecture de l’alphabet et obtint la réponse par des coups sur les lettres. On obtint de cette façon le nom du mort – Charles B. Rosma. L’idée des messages suivis n’apparut que quatre mois plus tard grâce à Isaac Post, un Quaker de Rochester qui en fut le pionnier. Tels furent, rapidement esquissés, les événements du 31 mars qui se poursuivirent et se confirmèrent la nuit suivante alors que pas moins de deux cents personnes étaient rassemblées autour de la maison. Dès le 2 avril, on remarqua que les coups étaient frappés de jour comme de nuit.
Voilà le résumé des événements de la nuit du 31 mars 1848 mais, comme ils furent la petite racine d’où s’éleva un si grand arbre et qu’on peut considérer ce volume comme un monument à leur mémoire, il semble approprié de livrer l’histoire dans les mots mêmes des deux témoins adultes.
Leur témoignage fut recueilli dans les quatre jours suivant les faits et forme une partie de cet admirable échantillon de recherche psychique dû à la commission d’enquête locale que nous examinerons et commenterons plus tard. Mme Fox fit la déposition suivante :
La nuit des premiers désordres nous nous sommes tous levés ; on a allumé une bougie et fouillé toute la maison ; les bruits continuaient tout le temps, et on les entendait autour du même endroit. Bien que pas très fort, ils provoquaient un grincement des châlits et des chaises que nous pouvions sentir quand nous étions au lit. C’était un mouvement tremblotant plutôt qu’une secousse soudaine.
On le sentait quand nous nous tenions debout sur le plancher. Cette nuit-là, il a continué jusqu’à ce que nous dormions. Je ne me suis pas endormie avant environ minuit. Le 30 mars, nous avons été dérangés toute la nuit. On pouvait entendre les bruits dans tous les coins de la maison. Mon mari se tenait dehors devant la porte et moi dedans de l’autre côté, et les coups venaient de la porte, entre nous. Nous avons entendu des bruits de pas dans le garde-manger et qui descendaient l’escalier ; impossible de nous reposer et je me suis dit alors que la maison était hantée par quelque esprit malheureux et agité. J’avais souvent entendu parler de ces choses mais je n’avais jamais assisté à rien que je ne puisse expliquer.
Le vendredi soir, 31 mars 1848, nous avons décidé d’aller nous coucher de bonheur et de ne pas nous laisser déranger par les bruits mais plutôt d’essayer de passer une bonne nuit de repos. Mon mari était tout le temps présent, il a entendu les bruits et a aidé à fouiller. Cette nuit, il était très tôt quand nous sommes allés nous coucher – il faisait à peine noir. J’étais si rompue de fatigue que j’en étais presque malade. Mon mari n’était pas encore au lit quand nous avons entendu les premiers bruits de cette soirée. Je venais de m’allonger. Cela a commencé comme d’habitude. Je les reconnaissais parmi tous les autres bruits que j’avais entendus auparavant. Les enfants, qui dormaient dans l’autre lit dans la même chambre, entendirent les coups et essayèrent de faire les mêmes bruits en claquant des doigts.
Ma plus jeune, Cathie a dit : « M. Splitfoot (Pied-Cassé), fais comme moi », en tapant dans ses mains.Le bruit la suivit immédiatement par le même nombre de coups. Quand elle s’arrêta, le bruit cessa un bref instant. Puis Margaretta dit, par jeu : « Maintenant, fait exactement comme moi. Compte un, deux, trois, quatre », en frappant en même temps des mains l’une contre l’autre ; et les coups survinrent comme avant. Elle a eu peur de recommencer. Et puis Cathie a dit, avec sa simplicité d’enfant : « Oh, maman, je sais ce que c’est. Demain, c’est le premier avril et c’est quelqu’un qui essaie de nous faire un poisson d’avril. »
Alors j’ai pensé à une question à laquelle personne d’ici ne pouvait répondre. J’ai demandé au bruit de taper successivement l’âge de chacun de mes enfants. Instantanément, il m’a donné correctement l’âge des enfants, s’arrêtant entre deux suffisamment longtemps pour les séparer, jusqu’au septième, où il marqua une pause plus longue et ensuite il donna trois coups avec force qui correspondent à l’âge du petit qui est mort, mon plus jeune enfant.
J’ai demandé alors : Est-ce un être humain qui répond si exactement à mes questions ? Pas de coup. J’ai demandé : Est-ce un esprit ? Si oui, donnez deux coups. Deux coups résonnèrent dès que j’eus posé ma question. J’ai dit ensuite : « S’il s’agit d’un esprit blessé, donnez deux coups », que j’obtins immédiatement et qui firent trembler la maison. J’ai demandé : « Avez-vous été blessé dans cette maison ? » Même réponse qu’avant. « La personne qui vous a blessé vit-elle encore ? » Même réponse frappée. Je m’assurai par la même méthode qu’il s’agissait d’un homme, âgé de trente et un ans, qu’il avait été assassiné dans cette maison et que ses restes étaient enterrés dans la cave ; que sa famille se composait d’une femme et de cinq enfants, deux garçons et trois filles, tous en vie à l’époque de sa mort mais que depuis sa femme était décédée. J’ai demandé : « Continuerez-vous à frapper si j’appelle mes voisins pour qu’ils puissent entendre eux aussi ? » Les coups affirmatifs sonnèrent avec force.
Mon mari est sorti appeler Mme Redfield, notre voisine la plus proche. C’est une femme très impartiale. Les filles étaient assises dans le lit, tremblant de peur et collées l’une contre l’autre. Et je crois que j’étais aussi calme que maintenant. Mme Redfield est arrivée immédiatement (il était environ sept heures et demie), pensant qu’elle allait se moquer des enfants. Mais quand elle les a vues, pâles de terreur, et presque muettes, elle s’est étonnée et a pensé qu’il se passait quelque chose de plus grave qu’elle ne l’avait supposé. J’ai posé quelques questions pour elle et on m’a répondu comme avant. Elle est ensuite allée chercher son mari et on a posé les mêmes questions qui ont obtenu les bonnes réponses.
Ensuite, M. Redfield est allé chercher M. Duesler et son épouse, et plusieurs autres, M. Duesler est ensuite allé chercher M. et Mme Jewell. M. Duesler a posé beaucoup de questions et a reçu les réponses. J’ai alors donné le nom de tous les voisins auxquels je pouvais penser et j’ai demandé si aucun d’eux l’avait blessé et je n’ai reçu aucune réponse. M. Duesler a posé ensuite des questions et a obtenu des réponses. Il a demandé : « Avez-vous été assassiné ? » Coups affirmatifs. « Votre assassin peut-il être poursuivi devant un tribunal ? » Pas de réponse. Il a dit alors : « Si votre assassin ne peut pas être puni par la loi, manifestez-le par des coups », et les coups furent frappés clairement et distinctement. De la même façon, M. Duesler a constaté qu’il avait été assassiné dans la chambre il y a environ cinq ans et que le meurtre avait été commis par un M. ***, un mardi soir à minuit, qui lui avait tranché la gorge avec un couteau de boucher ; qu’il avait emporté le corps dans la cave ; qu’il ne l’avait pas enterré avant la nuit suivante ; qu’il l’avait porté à travers l’office, dans l’escalier et qu’il l’avait enterré à plus de trois mètres sous la surface du sol. On s’assura aussi qu’il avait été assassiné pour son argent, coups affirmatifs.
« De combien s’agissait-il cent ? » Pas de coup. « Deux cents ? » etc., et quand il mentionna cinq cents, les coups répondirent par l’affirmative. Beaucoup de gens sont passés qui pêchaient dans la rivière, et tous ont entendu les mêmes questions et les mêmes réponses. Beaucoup sont restés dans la maison toute la nuit. Moi et mes enfants avons quitté la maison. Mon mari est resté dans la maison avec M. Redfield toute la nuit. Le dimanche suivant, la maison était pleine à craquer. On n’a entendu aucun bruit pendant la journée mais ils ont recommencé le soir. On a dit qu’il y a eu plus de trois cents personnes présentes à ce moment. Dimanche matin tous ceux qui sont venus à la maison ont entendu les bruits en pleine journée.
Samedi soir, le premier avril, ils ont commencé à creuser dans la cave ; ils ont creusé jusqu’à l’eau, puis ont arrêté. On n’a pas entendu les bruits dimanche soir ni pendant la nuit. Stephen B. Smith et sa femme (ma fille Marie) et mon fils David S. Fox et sa femme ont dormi dans la chambre cette nuit là.
Je n’ai rien entendu depuis ce jour jusqu’à hier. Hier en fin de matinée, plusieurs questions ont reçu une réponse de la façon habituelle, par les coups. J’ai entendu le bruit plusieurs fois aujourd’hui.
Je ne crois ni aux maisons hantées ni aux apparitions surnaturelles. Je suis bien désolé qu’il y ait eu autant d’agitation autour de cela. Cela nous a donné bien du souci. C’est notre malchance de vivre là à ce moment ; mais je désire et j’attends que la vérité soit faite et qu’une vraie déclaration soit publiée. Je ne sais à quoi attribuer ces bruits ; tout ce que je sais c’est qu’on les a entendus à plusieurs reprises, ainsi que je l’ai déclaré. J’ai encore entendu frapper ce matin (mardi), 4 avril. Mes enfants l’ont aussi entendu.
Je certifie que la déclaration ci-dessus m’a été lue et qu’elle est véridique ; et je suis prête à en témoigner sous serment, si nécessaire.
(Signé) Margaret Fox

Le 11 avril 1848
Déclaration de John D. Fox
J’ai entendu la déclaration ci-dessus de mon épouse, Margaret Fox, qu’on m’a lue et je certifie par la présente que tout y est vrai dans les moindres détails. J’ai entendu les mêmes coups dont elle a parlé, répondant aux questions, comme elle l’a déclaré. Il y ait eu une grande quantité de questions, et elles ont reçu une réponse de la même façon. Certaines ont été posées un grand nombre de fois et elles ont toujours reçu la même réponse. Il n’y a jamais eu la moindre contradiction.
Je ne connais aucune façon d’expliquer ces bruits, aucun moyen naturel de les causer. Nous avons fouillé tous les plus petits recoins à l’intérieur et autour de la maison, à différents moments, afin de nous assurer si possible que rien ni personne n’y était caché qui aurait été responsable du bruit, et nous n’avons rien pu trouver qui pourrait expliquer le mystère. Cela a provoqué pas mal d’inquiétude et du souci.
Des centaines de gens ont visité la maison, si bien qu’il nous est devenu impossible de vaquer à nos occupations quotidiennes ; et j’espère que, causé par des voies naturelles ou surnaturelles, le bruit sera bientôt expliqué. On reprendra les fouilles dans la cave aussitôt que l’eau aura disparu, et alors on pourra constater s’il existe des traces montrant qu’un corps y a été enterré ; et s’il y en a je n’aurai aucun doute que ceci a une origine surnaturelle.
(Signé) John D. Fox

Le 11 avril 1848
Les voisins constituèrent d’eux-mêmes une commission d’enquête qui, en ce qui concerne la santé et l’efficacité, pourrait constituer une leçon pour maints chercheurs à venir. Ils ne commencèrent pas par imposer leurs propres conditions mais démarrèrent sans préjugé en enregistrant les faits exactement comme ils les découvraient. Non seulement, ils réunirent et notèrent les impressions de tous les intéressés, mais encore ils firent imprimer les témoignages dans le mois qui suivit l’événement. L’auteur a en vain essayé de se procurer un exemplaire original de la brochure, A report of the Mysterious Noises Heards in the House of Mr. John D. Fox (Rapport sur les bruits mystérieux entendus dans la maison de M. John D. Fox), parue à Canandaigua, dans l’État de New York, mais on lui a montré un fac-similé de l’original, et son opinion bien pesée est que le fait de la survie humaine et le pouvoir de communication furent définitivement démontrés pour tout cerveau capable de peser des preuves, le jour où parut ce document.
La déclaration faite par M. Duesler, chef de la commission, apporte un témoignage important à la production des bruits et des secousses en l’absence des filles Fox de la maison et règle une fois pour toutes le sort de tous les soupçons quant à leur complicité dans ces événements. Mme Fox, comme nous l’avons vu, se référant à la nuit du vendredi 31 mars, dit : « Moi et mes enfants avons quitté la maison ». Une partie de la déclaration de M. Duesler dit ceci :
J’habite à quelques perches de la maison où ces bruits ont été entendus. La première fois que j’entendis parler d’eux date de la semaine dernière, le vendredi soir (31 mars). Mme Redfield est venue chez moi chercher ma femme pour se rendre chez Mme Fox. Mme R. semblait très agitée. Ma femme a voulu que je les accompagne, ce que je fis… cela se passait aux alentours de neuf heures le soir. Il y avait quelque douze à quatorze personnes lorsque je les quittai. Certains avaient si peur qu’ils ne voulaient pas entrer dans la chambre. J’entrai dans la chambre et m’assis sur le lit. M. Fox posa une question et j’entendis les coups, dont on m’avait parlé, bien distinctement. Je sentis le châlit grincer quand les sons se produisirent.
L’honorable Robert Dale Owen[2], membre du congrès des États-Unis et ancien ambassadeur américain à Naples, apporte quelques détails supplémentaires dans son récit, après des conversations avec Mme Fox et ses filles, Margaret et Catharine. Décrivant la nuit du 31 mars 1848, il écrit (Footfalls…p.287) :
« Les parents avaient transporté les lits des enfants dans leur propre chambre et leur avaient strictement ordonné de ne pas parler des bruits mêmes si elles les avaient entendus. Mais à peine la mère les voyants au lit en toute sûreté s’apprêtait-t-elle à se reposer à son tour que les enfants criaient : « Les revoilà ! » La mère les gronda et s’allongea. Là-dessus, les bruits s’enflèrent et devinrent plus saisissants. Les enfants se redressèrent et s’assirent dans leur lit. Mme Fox appela son mari. Comme cette nuit-là le vent soufflait, il songea qu’il pouvait s’agir du châssis des fenêtres. Il en essaya plusieurs, les secouant pour voir s’ils avaient du jeu. Kate, la plus jeune, fit remarquer que chaque fois que son père secouait une fenêtre les bruits semblaient répondre. Enfant vive, et dans une certaine mesure habituée à ce qui se passait, elle se tourna vers l’endroit d’où provenaient les bruits, claqua de ses doigts et lança : « Hé, aller Splitfoot, fais comme moi ». Le coup répondit instantanément. Ce fut le tout début. Qui saurait dire quand viendra la fin ?... M Mompesson, au lit avec sa jeune fille (environ le même âge que Kate) et que le bruit semblait à peu près suivre, « observa qu’il répondait exactement, en tambourinant, à tout ce qu’on frappait ou disait ». Mais sa curiosité ne l’emmena pas plus loin. Il en alla autrement pour Kate Fox. Elle essaya, en réunissant silencieusement le pouce et l’index, de voir si elle obtiendrait encore une réponse. Oui ! Le bruit pouvait donc voir aussi bien qu’entendre ! Elle appela sa mère. « Regarde un peu, maman ! » dit-elle en réunissant le pouce et l’index comme avant. Et aussi souvent qu’elle recommençait ce geste silencieux, exactement aussi souvent les coups répondaient. »
Pendant l’été 1848, M. David Fox avec entre autres l’aide de MM. Henry Bush, Lyman Granger, de Rochester, reprit la fouille de la cave. À une profondeur d’un mètre cinquante, ils découvrirent une planche puis, en continuant à creuser du charbon de bois et de la chaux vive et enfin des cheveux et des os, qu’une expertise médicale déclara appartenir à un squelette humain. Ce ne fut que cinquante-six ans plus tard qu’on fit une autre découverte qui démontra au-delà de tout doute que quelqu’un avait bien été enterré dans la cave de la maison Fox.
Cette déclaration parut dans le Boston Journal (publication non spiritualiste du 23 novembre 1904). La voici :
« Rochester, N. Y. 22 nov. 1904 : le squelette de l’homme censé avoir causé les coups entendus pour la première fois par les soeurs Fox en 1848 a été découvert dans les murs de la maison occupée par les soeurs, et les innocentes de la seule ombre de doute qui ternissait encore leur sincérité dans la découverte de la communication avec les esprits.
Les soeurs Fox affirmaient avoir appris à communiquer avec l’esprit d’un homme, et qu’il leur avait dit avoir été assassiné et enterré dans la cave. Des fouilles successives ne réussirent pas à localiser le corps afin de donner une preuve matérielle à leur récit.
La découverte fut le fait d’écoliers qui jouaient dans la cave d’un bâtiment de Hydesville connu sous le nom de « Maison du Revenant » où les soeurs Fox entendirent les merveilleux coups. William H.Hyde, respectables citoyens de Clyde, propriétaire de la maison, fit une enquête et découvrit un squelette humain presque complet entre la terre et des murs croulants de la cave, indubitablement celui du colporteur qui, affirme-t-on, fut assassiné dans la chambre est de la maison et dont le cadavre était caché dans la cave.
M. Hyde a averti des parents des soeurs Fox et l’avis de la découverte sera envoyé à l’Ordre National Spiritualiste, dont bien des membres se rappellent avoir fait le pèlerinage à la « Maison du Revenant », comme on l’appelle couramment. La découverte des ossements corrobore en pratique la déclaration sous serment de Margaret Fox du 11 avril 1848. »
On découvrit, à côté des ossements une boîte de colporteur en fer-blanc et cette boîte est désormais conservée à Lilydale, quartier général pour tout le pays des spiritualistes américains, où la vieille maison de Hydesville a également été transportée.
Ces découvertes règlent définitivement la question et démontrent sans ambiguïté qu’un crime a vraiment été commis dans la maison et que ce crime fut révélé par des moyens psychiques. Quand on examine les résultats des deux fouilles on peut reconstituer les circonstances. Il est clair que dans un premier temps, le corps fut enterré avec de la chaux vive au milieu de la cave. Par la suite, le criminel s’inquiéta du fait que cet endroit serait facilement suspecté et il exhuma le corps, la plus grande partie, et le réenterra sous le mur où il était davantage à l’abri. Pourtant, le travail fut exécuté avec tant de hâte, ou dans une lumière si mauvaise, que certaines traces nettes subsistèrent de la première tombe ainsi qu’on l’a vu.
Existe-t-il des indices indépendants montrant qu’un tel crime a été commis ? Afin de le découvrir nous devons nous tourner vers la déposition de Lucretia Pulver, qui servit comme aide pendant le séjour de M. et Mme Bell qui occupaient la maison quatre ans auparavant. Elle raconte comment un colporteur arriva à la maison et y passa la nuit avec ses articles. Ses patrons lui dirent qu’elle pouvait rentrer chez elle cette nuit-là.
« Je voulais acheter quelques articles aux colporteurs mais je n’avais pas d’argent sur moi, et il dit qu’il passerait chez nous le lendemain matin pour me les vendre. Je ne le revis plus jamais. Environ trois jours plus tard, ils m’envoyèrent chercher. Je revins donc…
Je dirais que ce colporteur dont j’ai parlé avec environ trente ans. Je l’ai entendu parler de sa famille à Mme Bell. Mme Bell m’a dit que c’était une vieille connaissance – qu’elle l’avait déjà vu plusieurs fois avant. Un soir, environ une semaine plus tard, Mme Bell m’envoya à la cave fermer la porte qui donnait dehors. En traversant la cave je tombai par terre vers le milieu. A cet endroit, le sol paraissait inégal et mou. Quand je remontai, Mme Bell me demanda pourquoi j’avais crié et je le lui dis. Elle se moqua de moi d’avoir eu si peur et dit que c’était simplement où les rats avaient creusé dans le sol. Quelques jours après cela, M. Bell porta un tas de saletés dans la cave, à la nuit tombée, et il y travailla un certain temps. Mme Bell me dit qu’il était en train de boucher les trous de rats.
Peu de temps après, Mme Bell me donna un dé à coudre qu’elle dit avoir acheté à ce colporteur. Environ trois mois après cela j’allai la voir et elle me dit que le colporteur était repassé et elle me montra un autre dé à coudre qu’elle affirma lui avoir acheté. Elle me montra d’autres choses qu’elle dit lui avoir achetées. »
Il vaut la peine de noter qu’une Mme Lape, en 1847, avait affirmé avoir effectivement vu une apparition dans la maison, et que cette vision était celle d’un homme de taille moyenne qui portait des pantalons gris, une redingote noire et un chapeau noir. Lucretia Pulver déposa que le colporteur vivant portait une redingote noire et des pantalons de couleur claire.
D’autre part, il n’est que juste d’ajouter que le M. Bell qui occupait la maison à l’époque n’était pas un homme au caractère notoirement mauvais et on concédera volontiers qu’une accusation entièrement fondée sur des indices psychiques constituerait une chose injuste et intolérable. Le cas est cependant bien différent lorsque les preuves d’un crime ont effectivement été découvertes et que les indices se concentrent alors simplement sur le fait de savoir quel locataire occupait alors la maison. La déposition de Lucretia Pulver prend une importance cruciale quand elle se rapporte à ce point.
Il reste un ou deux points de l’affaire qui mériteraient d’être discutés. L’un est qu’un homme avec un nom aussi peu ordinaire que Charles B. Rosma n’ait jamais été retrouvé, considérant toute la publicité donnée à cette affaire. À l’époque, ce serait certainement apparu comme une formidable objection mais, avec une meilleure connaissance nous apprécions aujourd’hui l’extrême difficulté d’obtenir de l’Au-delà les noms de façon correcte. Apparemment, un nom est une chose purement conventionnelle, et donc très différente d’une idée. Tout spiritualiste pratiquant a reçu des messages corrects associés à des noms trompeurs. Il est possible que le véritable nom était Ross, ou peut-être Rosmer, et que cette erreur ait empêché l’identification. En second lieu, il est bizarre qu’il ait ignoré que son corps avait été transporté du centre de la cave sous un mur, où il fut finalement découvert. Nous ne pouvons qu’enregistrer le fait sans essayer de l’expliquer.
Autre chose ; à supposer que les fillettes fussent les médiums et que le pouvoir provint d’elles, comment se produisaient les phénomènes alors qu’elles avaient effectivement quitté la maison ? On ne peut répondre à cela que, bien que l’avenir eût montré que le pouvoir émanait réellement de ces fillettes, il paraît néanmoins avoir imprégné la maison et s’être trouvé à la disposition de la puissance manifestante, au moins un certain temps, quand les fillettes n’étaient pas présentes.
La famille Fox souffrit gravement de ces désordres – la chevelure de Mme Fox blanchit en une semaine – et comme il devenait évident qu’ils étaient liés à la présence des deux jeunes filles, on les éloigna. Mais chez leur frère, David Fox, où se rendit Margaret, et chez leur soeur Leah, mariée à un M. Fish, à Rochester, où se trouvait Catharine, on entendit les mêmes bruits. On fit tout ce qu’on pouvait pour dissimuler ces manifestations mais bientôt tout le monde fut au courant. Mme Fish, professeur de musique, ne fut plus à même de continuer d’exercer son métier car des centaines de gens s’attroupaient autour de la maison pour voir la nouvelle merveille. Il faut ajouter que soit ce pouvoir était contagieux soit il descendait de façon indépendante sur de nombreuses personnes en provenance d’une source commune. Ainsi, Mme Leah Fish, la soeur aînée, le reçut-elle, quoique dans une moindre mesure que Kate ou Margaret. Mais il ne se limitait plus à la famille Fox. On aurait dit quelque nuage psychique descendant d’en haut et touchant les individus susceptibles de le recevoir. On entendit des bruits analogues chez le Rév. A.-H. Jervis, pasteur méthodiste qui vivait à Rochester. De puissants phénomènes physiques commencèrent à se produire dans la famille de Deacon Hale, à Greece, ville proche de Rochester. Un peu plus tard, Mme Sarah A. Tamlin et Mme Benedict, d’Auburn, développèrent une remarquable médiumnité. M. Capron, le premier historien du mouvement, décrit Mme Tamlin comme le médium le plus sûr qu’il allait jamais rencontrer et dit que quoique les bruits se produisant en sa présence ne fussent pas aussi forts que dans le cas de la famille Fox, les messages étaient dignes de foi.
Il devint alors vite évident que ces forces invisibles n’étaient plus liées à un bâtiment mais qu’elles s’étaient installées dans les fillettes. La famille pria en vain avec ses amis méthodistes pour que vienne la paix. En vain également, les représentants de diverses confessions pratiquèrent des exorcismes. À part se joindre aux Amens avec des coups sonores, les présences invisibles ne tinrent aucun compte de ces exercices religieux.
Le danger qu’il y a à suivre aveuglément un esprit soi-disant guide fut clairement démontré quelques mois plus tard dans la ville de Rochester où un homme disparu dans des conditions mystérieuses. Un spiritualiste enthousiaste reçu des messages par coups frappés qui annonçaient un meurtre. On dragua le canal et on ordonna à l’épouse du disparu de pénétrer dans le canal, ce qui lui coûta presque la vie. Quelques mois plus tard, le disparu revint ; il s’était enfui au Canada pour éviter une assignation à comparaître pour dettes. Cela, comme on peut facilement l’imaginer, porta un coup au jeune culte. Le public ne comprit pas alors ce qui, aujourd’hui encore l’est si mal, à savoir que la mort ne provoque aucune modification dans l’esprit humain, que les entités malicieuses et humoristiques abondent et que celui qui pose les questions doit employer à chaque occasion son flair et son bon sens. « Essayez les esprits pour les connaître. » La même année, dans le même district, la vérité de cette nouvelle philosophie d’une part, ses limites et ses dangers de l’autre, furent exposés de la manière la plus nette. Ces dangers nous accompagnent encore aujourd’hui. Le sot, l’arrogant infatué, le présomptueux se fera toujours duper en toute tranquillité. Tout observateur s’est fait jouer au moins un tour. L’auteur lui-même a vu sa foi douloureusement ébranlée par la tromperie, jusqu’à ce qu’une preuve ultérieure vienne enfin compenser cela et l’assurer qu’il s’agissait d’une simple leçon qu’on lui avait donnée, et qu’il n’y avait rien de diabolique, ni même de remarquable, à ce que des intelligences désincarnées fussent des mystificateurs de la même façon que cette même intelligence, à l’intérieur du corps humain, cherchât son plaisir de la même et stupide manière.
Le cours du mouvement s’était désormais élargi et prenait un tour plus important. Il ne s’agissait plus simplement d’un homme assassiné demandant justice. Le colporteur semblait avoir servi de pionnier et, maintenant qu’il avait découvert l’ouverture et la méthode, une myriade d’intelligences se lançait à sa suite. Isaac Post avait inventé la méthode consistant à épeler par coups et les messages affluaient. Selon eux, tout le système avait été conçu par l’ingéniosité d’un groupe de penseurs et d’inventeurs du plan spirituel, en tête desquels venait Benjamin Franklin, que son cerveau curieux et ses connaissances électriques pendant sa vie terrestre pouvaient parfaitement qualifier pour une pareille entreprise. Que cette affirmation fut ou non fondée, il est de fait que Rosma quitta la scène à cette époque et que les coups intelligents tendirent à provenir des amis décédés des enquêteurs disposés à accorder tout leur intérêt à la question et à se réunir dans un esprit de sérieux et de révérence pour recevoir les messages. Ils continuaient à vivre et à aimer, tel était le message constant de l’Au-delà, accompagné de preuves matérielles qui confirmaient la foi vacillante des nouveaux adhérents du mouvement. Aux questions concernant leurs méthodes de travail et les lois qui les gouvernaient, les esprits répondirent au début exactement ce qu’ils répondent aujourd’hui : qu’il s’agissait d’une question relevant du magnétisme humain et spirituel ; que certains, richement dotés de cette propriété physique, étaient médiums ; que ce don n’était pas nécessairement associé à la moralité ni à l’intelligence ; et que l’état d’harmonie était particulièrement nécessaire pour s’assurer de bons résultats. En soixante-dix et quelques années, nous avons appris très peu de choses supplémentaires ; et après tout ce temps la loi fondamentale de l’harmonie est invariablement enfreinte lors des soi-disant séances de test, dont les membres imaginent qu’ils ont réfuté la philosophie quand ils obtiennent des résultats négatifs ou désordonnés, alors qu’ils l’ont en réalité confirmée.
Dans l’une des premières communications, les soeurs Fox furent assurées que « ces manifestations ne se limiteraient pas à elles mais atteindraient le monde entier.» Cette prophétie fut bientôt en bonne voie de réalisation car ces nouveaux pouvoirs et leurs développements ultérieurs, qui comprennent la détection et l’écoute des esprits et le mouvement des objets à distance, firent leur apparition dans de nombreux cercles parfaitement indépendants de la famille Fox. En un laps de temps incroyablement bref le mouvement, avec bien des excentricités et des périodes de fanatisme, inonda les États du Nord et de l’Est de l’Union, conservant toujours ce noyau solide de faits réels ettangibles, que des imposteurs simulaient à l’occasion mais qui se réaffirmaient sans cesse aux yeux des chercheurs sérieux qui savaient se dégager des préjugés et des idées préconçues. Laissons pour le moment ces développements de côté et poursuivons l’histoire des premiers cercles à Rochester.
Les messages des esprits avaient insisté auprès du petit groupe de pionniers pour qu’ait lieu une démonstration publique de leurs pouvoirs au cours d’une réunion ouverte à tous, à Rochester – proposition naturellement épouvantable pour deux timides filles de la campagne et leurs amis. Les Guides désincarnés se trouvèrent si courroucés par l’opposition de leurs agents terrestres qu’ils menacèrent de suspendre tout le mouvement pendant une génération et qu’ils les abandonnèrent en effet complètement pendant quelques semaines. Après quoi, la communication fut rétablie et les croyants, mortifiés par ce temps de réflexion, se livrèrent sans réserve aux mains des forces extérieures, avec la promesse qu’ils oseraient tout au nom de la cause. L’affaire était d’importance. Quelques membres du clergé, en particulier un pasteur méthodiste, le Rév. A. H. Jervis, volèrent à leur secours, mais la majorité tonna contre du haut de la chaire et la foule les rejoignit dans ce sport de lâche qu’est la chasse aux hérétiques. Le 14 novembre 1849, les spiritualistes tinrent leur première réunion au Corinthian Hall, la plus grande salle disponible à Rochester. L’assistance, et c’est à son crédit, écouta avec attention l’exposé des faits par M. Capron, d’Auburn, le principal orateur. Un comité, formé de cinq citoyens représentatifs, fut ensuite élu pour examiner la question et faire un rapport le lendemain soir où la réunion se tiendrait de nouveau. On dit que le Rochester Democrat était tellement certain que ce rapport serait défavorable que sa une était préparée d’avance avec ce titre : « Scandale Dévoilé : la Farce des Esprits Frappeurs ». Les conclusions du rapport forcèrent pourtant le rédacteur en chef à retenir l’accusation. Le comité affirmait que les coups frappés constituaient des faits indéniables, bien que l’information donnée ne fût pas entièrement correcte, c’est-à-dire que les réponses aux questions n’étaient « ni complètement justes ni complètement fausses ». Ils ajoutaient que ces coups arrivaient sur les murs et les portes à quelque distance des fillettes, occasionnant des vibrations sensibles. « Ils échouèrent entièrement à découvrir aucun moyen par lequel on aurait pu les obtenir. »
Ce rapport fut accueilli avec désapprobation par l’assistance et un second comité naquit, formé chez les mécontents. Cette seconde enquête fut menée dans le bureau d’un homme de loi. Kate, pour une raison quelconque, était absente et seules étaient présentes Mme Fish et Margaret. Néanmoins, les bruits se produisirent comme auparavant, bien qu’un Dr Langworthy eut été introduit pour tester la possibilité de ventriloquisme.
Le rapport final déclarera que « les bruits étaient entendus et que leur examen complet avait montré de façon décisive qu’ils n’étaient produit ni par un mécanisme ni par ventriloquisme, bien que, sur la nature de l’agent qui les produisait, ils fussent incapables de se prononcer ».
À nouveau, l’assistance rejeta le rapport de son propre comité et à nouveau on choisit une délégation parmi les opposants les plus virulents ; l’un deux fit même le voeu que, s’il ne réussissait pas à découvrir le truc, il se jetterait dans les chutes du Genesee. Leur enquête fut totale, jusqu’à la brutalité, et un comité de dames y fut associé. Elles déshabillèrent les fillettes terrifiées, qui pleuraient amèrement sur leur misère. On noua ensuite fermement leur robe autour des chevilles et on les plaça sur du verre et d’autres isolants. Le comité fut obligé de rapporter : « quand elles étaient debout sur des coussins avec un mouchoir solidement noué au bas de leur robe autour des chevilles, nous avons tous entendus distinctement les coups sur le mur et sur le sol ». Le comité témoigna ensuite que leurs questions, certaines posées mentalement, avaient reçu des réponses correctes.
Tant que le public voyait le mouvement comme une sorte de farce, il était prêt à montrer une tolérance amusée mais quand ces rapports successifs jetèrent sur la question un éclairage plus sérieux, une vague d’agitation sauvage submergea la ville et atteignit un tel point que M. Willets, un vaillant Quaker, fut obligé, lors de la quatrième séance publique, de déclarer que « le ramassis de voyous qui voulaient lyncher les fillettes devraient si jamais ils s’y essayaient, le faire, par-dessus son propre cadavre ». On assista à une affreuse échauffourée ; on évacua à la hâte les jeunes femmes par une porte dérobée et la raison et la justice furent pour un moment voilées par la force et la démence. Alors, comme aujourd’hui, le cerveau des hommes moyens de ce monde était si encombré de choses qui n’importent pas qu’il n’avait plus aucune place pour celles qui importent vraiment. Mais le destin n’est jamais pressé et le mouvement continua. Beaucoup de gens acceptèrent comme définitives les conclusions des comités successifs et, de fait, on a du mal à voir comment les faits allégués auraient pu être mis plus sévèrement à l’épreuve. Au même moment, ce vin fort et nouveau, en pleine fermentation, commençait à faire sauter quelques-unes des vieilles bouteilles dans lesquelles il était versé pour le mécontentement excusable du public.
Les nombreux cercles religieux, sérieux et discrets, furent pendant une saison presque éclipsés par des énergumènes à la tête enflée qui s’imaginèrent être entrés en contact avec toutes les entités supérieures, à commencer par les apôtres, certains revendiquant même une relation directe avec le Saint Esprit et émettant des messages qui n’étaient sauvés du blasphème que par leur grossièreté et leur absurdité. Une communauté de ces fanatiques, qui se faisait appeler le Cercle Apostolique de Moutain Cove, se distingua particulièrement par ses revendications extrêmes et offrit d’excellentes armes aux adversaires de la nouvelle révélation. La grande masse des spiritualistes se détourna d’eux en signe de désapprobation de pareilles exagérations, mais elle ne put les empêcher. Beaucoup de phénomènes supranormaux dûment attestés vinrent soutenir les esprits faiblissants de ceux que désolaient les excès des fanatiques. En une occasion, particulièrement convaincante et bien documentée, deux équipes d’enquêteurs dans des pièces séparées, à Rochester, le 20 février 1850, reçurent simultanément le même message de quelque force centrale qui se nommait elle-même Benjamin Franklin. Ce double message disait : « Il y aura de grands changements au XIXe siècle. Des choses qui vous semblent aujourd’hui sombres et mystérieuses vous apparaîtront en pleine lumière. Les ministères seront révélés. Le monde sera illuminé. » Il faut admettre que, jusqu’ici, la prophétie ne s’est que partiellement réalisée et on peut, dans le même temps, concéder que, avec quelques saisissantes exceptions, les prévisions des esprits n’ont pas brillé par leur précision, particulièrement là où le facteur temps été concerné.
On a souvent posé la question : « Quel était le but d’un mouvement si étrange à ce moment précis, à supposer qu’il soit tout ce qu’il se dit être ? » Le gouverneur Tallmadge, sénateur américain de renom, fut l’un des premiers convertis au nouveau culte et il a laissé le témoignage selon lequel il a posé cette question en deux occasions, à deux époques différentes et par des médiums différents.
Les réponses dans les deux cas furent presque identiques. « C’est pour entraîner les hommes ensemble dans l’harmonie et pour convaincre les sceptiques de l’immortalité de l’âme», fut la première. « Pour unir les hommes et convaincre les esprits sceptiques de l’immortalité de l’âme », dit la seconde. Cela n’est certainement pas une ambition ignoble et elle ne justifie pas ces attaques étriquées et pleines de fiel de la part des pasteurs et des moins progressistes de leurs ouailles dont, jusqu’à présent les spiritualistes ont eu à souffrir. La première moitié de la définition revêt une importance particulière car il est possible que l’un des ultimes résultats du mouvement sera d’unir la religion sur une base commune si forte et, en vérité, si suffisante que les arguties qui séparent les églises aujourd’hui seront ramenées à leurs vraies proportions pour être soit balayées soit ignorées. On peut même espérer qu’un tel mouvement pourra franchir les frontières du christianisme pour jeter bas quelques-unes des barrières qui se dressent entre les grandes familles de la race humaine. Des tentatives pour démasquer des fraudes dans les phénomènes eurent lieu régulièrement. En février 1851, les Dr Austin Flint, Charles A. Lee et C. B. Conventry, de l’université de Buffalo, publièrent une déclaration[3] montrant pour leur propre satisfaction que les bruits survenant en présence des soeurs Fox étaient dus aux craquements des articulations des genoux. Cette théorie leur attira une réponse de qualité dans la presse de la part de Mme Fish et de Margaret Fox, adressé aux trois docteurs :
« Comme nous ne désirons pas demeurer sous l’imputation d’imposture, nous sommes très désireuses de nous soumettre à un examen sérieux et adéquat, à condition que nous puissions choisir trois amis et trois amies qui devront être présents en cette occasion. Nous pouvons assurer le public que personne n’est plus anxieux que nous-mêmes de découvrir l’origine de ces manifestations mystérieuses. Si on peut les explorer d’après des principes « anatomiques » ou « physiologiques », le monde a droit à cette enquête et à ce que la «farce » soit dénoncée. Comme il semble que le public manifeste beaucoup d’intérêt pour cette question, nous proposons qu’une étude ait lieu aussi tôt qu’il serait commode et que les soussignées accepteront. »
Ann L. Fish
Margaretta Fox

L’étude eut lieu, mais les résultats furent négatifs. Dans une note jointe au rapport des docteurs, le rédacteur en chef du New York Tribune (Horace Greeley) fit observer :
« Les docteurs, ainsi qu’on l’a déjà lu dans ces colonnes, commencèrent par l’affirmation suivant laquelle l’origine des bruits « frappés » devait être physique, et leur cause principale la volonté des dames susnommées – en bref, que ces dames étaient « Les imposteurs de Rochester ». Ils apparaissent donc dans la déclaration ci-dessus comme les demandeurs dans une mise en accusation ; ils auraient donc dû choisir d’autres personnes pour assurer le rôle de juge et celui de rapporteur au procès… Il est tout à fait probable que nous aurons une autre version de la question. »
De nombreux témoignages favorables aux soeurs Fox affluèrent rapidement et la seule conséquence de la révélation du « scandale » par les professeurs fut un redoublement d’intérêt du public pour ces manifestations.
Il y eut aussi la prétendue confession de Mme Norman Culver qui déposa le 17 avril 1851 que Catharine Fox lui avait révélé tout le secret sur la manière dont les coups étaient produits. Il s’agissait d’une machination montée de toutes pièces et M. Capron publia une réponse écrasante montrant que le jour où Catharine Fox était censée avoir fait cette confidence à Mme Culver, elle se trouvait chez elle, à plus de cent kilomètres de là.
Mme Fox et ses trois filles commencèrent à donner des séances publiques à New York au printemps de 1850, à l’hôtel Barnum, qui attirèrent de nombreux et curieux visiteurs. La presse manifesta une quasi unanimité pour les dénoncer. Brillante exception, Horace Greeley, déjà cité, signa de ses initiales un article appréciatif dans son journal. Une partie se trouve reproduite en Annexe.
Après un retour à Rochester, la famille Fox entreprit une tournée à travers les États de l’Ouest puis rendit une seconde visite à New York où, comme précédemment, le public montra un immense intérêt. Ils avaient obéi à l’ordre des esprits de proclamer la vérité à la face du monde et l’ère nouvelle annoncée était désormais commencée. Quand on lit les comptes rendus détaillés de certaines de ces séances américaines et qu’on considère la puissance des cerveaux des participants, il est surprenant de constater que des gens, aveuglés par les préjugés, puissent se montrer assez crédules pour accepter d’imaginer que tout cela fut le résultat d’une supercherie. A cette époque on manifestait un courage moral qui a éminemment fait défaut depuis que les forces réactionnaires de la science et de la religion se sont unies pour étouffer le nouveau savoir et le rendre dangereux pour ses professeurs. Ainsi, dans une réunion à New York en 1850, on trouve autour de la même table le Rév. Dr Griswold, le romancier Fenimore Cooper, l’historien Bancroft, Le Rév. Dr Hawks, le Dr J. W. Francis, le Dr Marcy, le poète Quaker Willis, le poète Bryant, le journaliste de l’Evening Post Bigelow et le général Lyman. Tous furent satisfaits par les faits et le compte-rendu conclut : « les manières et comportements des dames (i.e. les trois soeurs Fox) sont de nature à créer une prévention en leur faveur. »
Depuis, le monde a extrait de la terre beaucoup de charbon et d’acier, il a érigé de grands édifices et il a inventé de terrible machines de guerre mais pouvons-nous dire qu’il a progressé dans son savoir spirituel ou dans sa vénération pour l’invisible ? Sous la conduite du matérialisme, on a suivi le mauvais chemin et il devient de plus en plus clair que les peuples doivent faire demi-tour ou périr.

[1] Saducismus Triumphatus, par le Rév. Joseph Glanvil

[2] Auteur de Footfalls on the Boundary of Another World (Bruits de pas à la frontière de l’Autre Monde) 1860, et The Debatable Land (le Pays contestable) 1871.

[3]Capron, Modern Spiritualism, etc., p.310-313

 

Chapitre suivant




Téléchargement | Bulletin
nous écrire | L’Agora Spirite