Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


Chapitre III : Le prophète de la nouvelle révélation

Andrew Jackson Davis fut l’un des hommes les plus remarquables parmi ceux sur lesquels nous disposons d’informations exactes. Il naquit en 1826 sur les rives de l’Hudson d’une mère analphabète mais douée d’un tempérament visionnaire allié à la vulgaire superstition, et d’un père alcoolique qui travaillait dans le cuir. Il a raconté les détails de son enfance dans un curieux livre, The Magic Staff (Le Bâton Magique), qui nous rappelle la vie primitive mais vigoureuse des provinces américaines dans la première moitié du siècle dernier. Les gens vivaient rudement et sans instruction mais leur côté spirituel était tout à fait vivant, et ils semblent s’être sans cesse efforcés d’atteindre quelque chose de neuf. Ce fut dans ces districts ruraux de l’État de New York que, en l’espace de quelques années, se développèrent le mormonisme et le spiritualisme moderne.
Jamais on ne rencontra jeune homme moins doué d’avantages naturels que Davis : il était de constitution faible et avait le cerveau privé de nourriture intellectuelle. En dehors d’un manuel primaire consulté à l’occasion, il ne pouvait se rappeler avoir lu un seul livre jusqu’à sa seizième année. Pourtant, dans cette pauvre entité se tenaient tapies de telles forces spirituelles qu’avant ses vingt ans il avait écrit l’un des ouvrages de philosophie les plus profonds et les plus originaux jamais produits. Pourrait-il exister preuve plus claire que rien ne vint de lui et qu’il ne fut qu’un tuyau par lequel coula le savoir de ce vaste réservoir qui trouve ces inexplicables débouchés ? La valeur d’une Jeanne d’Arc, la sainteté d’une Thérèse, la sagesse d’un Jackson Davis, les pouvoirs supranormaux d’un Daniel Home, tous coulent de la même source.
Dès la fin de son enfance, les pouvoirs psychiques latents de Davis commencèrent à se développer. Comme Jeanne, il entendait des voix dans les champs – de douces voix qui lui donnaient de bons conseils et du réconfort. La clairvoyance suivit ces manifestations de clairaudience. À l’époque de la mort de sa mère, il eut la vision frappante d’une charmante maison dans un pays de clarté qu’il supposa être l’endroit où sa mère s’était rendue. Pourtant, ses dons ne se révélèrent dans leur plénitude que lorsque le hasard voulut qu’un magnétiseur ambulant qui montrait les merveilles du mesmérisme, vint au village. Il s’essaya sur Davis, comme d’ailleurs sur beaucoup d’autres jeunes paysans qui désiraient connaître la sensation. On s’aperçut bientôt que Davis possédait de remarquables pouvoirs de clairvoyance.
Ceux-ci furent développés non par le magnétiseur mais par un tailleur local du nom de Levingston qui semble avoir été un pionnier de la pensée. Il fut tellement intrigué par les merveilleux dons de son sujet qu’il abandonna ses affaires prospères pour consacrer tout son temps à travailler avec Davis et à utiliser ses pouvoirs de clairvoyance pour diagnostiquer les maladies. Davis avait acquis le pouvoir, courant chez les sujets psychiques, de voir sans le secours des yeux, en particulier des choses qu’aucun oeil humain ne pourrait voir de toute façon. D’abord, le don servi de sujet d’amusement ; les yeux bandés il lisait des lettres où l’heure à la montre des paysans rassemblés. Dans ce genre de cas, n’importe quelle partie du corps peut assurer la fonction de la vue, et la raison en est probablement que le corps éthérique ou spirituel, qui possède les mêmes organes que le corps physique, est totalement ou partiellement dégagé et qu’il enregistre l’impression. Comme il peut prendre n’importe quelle position, ou même faire complètement demi-tour, on obtient une vision sous n’importe quel angle ; telle est l’explication de ce genre de cas, comme l’auteur en connu dans le nord de l’Angleterre où Tom Tyrrel, le célèbre médium, avait coutume de faire le tour d’une pièce en admirant les tableaux, la nuque tournée vers les murs où ils étaient accrochés. Que, dans de pareils cas, ce soit les yeux éthériques qui voient le tableau ou qu’ils voient le double éthérique des tableaux, voilà l’un des nombreux problèmes que nous abandonnons à nos successeurs.
Levingston utilisa d’abord Davis pour poser un diagnostic médical. Il décrivit comment le corps humain devenait transparent sous son regard spirituel dont le siège semblait se situer au centre de son front. Chaque organe se détachait nettement avec un rayonnement particulier qui s’assombrissait en cas de maladie. Pour l’esprit médical orthodoxe, pour lequel l’auteur nourrit une grande sympathie, de tels pouvoirs sont suspects car ils ouvrent la porte à tous les charlatans. Et pourtant, il ne peut admettre que tout ce que disait Davis fut corroboré, dans les limites de sa propre expérience, par M. Bloomfield, de Melbourne, qui lui fit part de son étonnement lorsque ce pouvoir lui advint subitement dans la rue, lui révélant l’anatomie de deux personnes qui marchaient dans la rue. Ces pouvoirs sont si bien attestés qu’il n’est pas inhabituel que certains praticiens engagent des clairvoyants pour les aider à poser leur diagnostic. Hippocrate dit : « Les affections dont souffre le corps, l’âme les voit les yeux fermés». Apparemment donc, les anciens avec quelques connaissances de ces méthodes. Les contributions de Davis ne se limitèrent pas à ceux qui se trouvaient en sa présence car son âme, où son corps éthérique, pouvait être libérée par la manipulation magnétique de son employeur et être envoyée au loin, comme un pigeon voyageur, avec la certitude qu’elle reviendrait à sa place en rapportant tout renseignement souhaité. A part la mission humanitaire à laquelle cette âme servait d’ordinaire, elle se promenait parfois au gré de la volonté et Davis a décrit dans des passages merveilleux comment il voyait un globe terrestre translucide en dessous de lui, parcouru par les grandes veines des gisements minéraux qui luisaient comme des masses de métal en fusion, chacun irradiant son propre rayonnement flamboyant.
Il faut noter que pendant cette phase précoce de son expérience psychique, Davis à sa sortie de transe ne conservait aucun souvenir des impressions qu’il avait eues. Elles étaient pourtant enregistrées dans son subconscient car, plus tard, il se les rappela toutes avec netteté. Pour l’instant, il servait de fontaine de connaissances pour les autres mais demeurait lui-même ignorant.
Jusque-là son développement se faisait dans des conditions qui restent assez ordinaires et qu’on peut comparer à l’expérience de tout chercheur psychique. Mais bientôt se produisit un événement tout à fait inédit qu’on trouve décrit de façon très détaillée dans son autobiographie. En résumé, les faits sont les suivants : le soir du 6 mars 1844, Davis fut soudain possédé par quelque puissance qui le conduisit à s’envoler de la petite ville de Poughkeepsie, où il demeurait, et à se lancer, dans un état de semi-transe, dans un rapide voyage. Quand il recouvrit toute sa lucidité, il se retrouva au milieu de montagnes sauvages et là, il prétend avoir rencontré deux vénérables messieurs avec qui il entra en communication intime et élevée, traitant avec l’un de médecine, avec le second de morale. Il resta parti toute la nuit et, quand au matin il demanda où il se trouvait, on lui répondit qu’il était à une soixantaine de kilomètres de chez lui, dans les monts Catskill. Son récit est rédigé comme une expérience subjective, un rêve ou une vision, et on n’hésiterait pas à le qualifier ainsi s’il ne comportait les détails de sa réception et du repas qu’il mangea à son retour. Il se peut également que le vol dans les montagnes fut réel et les entretiens un rêve. Il prétend avoir par la suite identifié ses deux mentors comme étant Galien et Swedenborg, ce qui offre un intérêt certain car il s’agit dupremier contact avec les morts dont nous ayons connaissance. L’épisode dans sa totalité paraît l’oeuvre d’un visionnaire et n’eut aucune conséquence immédiate sur l’avenir remarquable du jeune homme.
Il sentait sourdre en lui des pouvoirs supérieurs et on lui fit remarquer qu’aux questions profondes qu’on lui posait durant ses transes mesmériques, il répliquait toujours : « Je répondrai dans mon livre». Dans sa dix-neuvième année, il sentit que l’heure d’écrire son livre avait sonné. L’influence mesmérique de Levingston, pour une raison inconnue, ne parut pas convenir et un nouveau magnétiseur, un certain Dr Lyon, fut choisi. Lyon abandonna ses patients et s’en alla avec son singulier protégé s’installer à New York où ils firent bientôt appel au Rév. William Fishbough pour qu’il fasse office de secrétaire copiste. Ce choix intuitif semble justifié car lui aussi abandonna aussitôt ses activités et obéit à la convocation. Puis, comme tout le monde était prêt, Lyon se mit au travail ; le jeune homme, jour après jour, entra dans des transes magnétiques et le fidèle secrétaire nota ses paroles. Il n’était question ni d’argent ni de publicité en la matière et même le critique le plus sceptique ne peut qu’admettre que l’occupation et les buts de ces trois hommes faisaient un magnifique contraste avec le monde matériel assoiffé d’argent qui les environnait. Ils s’efforçaient à l’Au-delà et que peut faire l’homme qui soit plus noble ?
Il faut bien comprendre qu’un tuyau ne peut écouler plus que ce que lui permet son diamètre. Le diamètre de Davis était très différent de celui de Swedenborg. Tous deux reçurent la connaissance en état d’illumination. Mais Swedenborg était à son époque l’homme le plus instruit d’Europe alors que Davis était le jeune homme le plus ignorant qu’on put trouver dans l’État de New York. La révélation de Swedenborg fut peut-être supérieure, bien que davantage colorée par son propre cerveau. La révélation de Davis constitue un miracle incomparablement plus grand. Le Dr George Bush, professeur d’hébreu à l’université de New York, qui assistait à la transcription du discours proféré pendant les transes, écrit : « Je peux affirmer solennellement que j’ai entendu du Davis citer correctement la langue hébraïque lors de ses conférences, et montrer des connaissances géologiques qui auraient étonné chez un individu de son âge, même s’il avait consacré des années à cette étude. Il a traité, avec un insigne talent, des plus difficiles questions d’archéologie historique et biblique, de mythologie, de l’origine et de l’affinité des langues, et du progrès de la civilisation chez les différentes nations du globe, d’une façon qui ferait honneur à n’importe quel érudit de l’époque, même si pour y parvenir il avait l’avantage d’avoir accès à toutes les bibliothèques de la chrétienté. En vérité, s’il avait acquis toutes les connaissances qu’il a étalées au cours de ses conférences non pendant les deux années qui le séparent de son départ du banc de cordonnier, mais pendant sa vie entière grâce à l’étude la plus assidue, aucun prodige d’intelligence dont le monde a jamais entendu parler ne saurait lui être égalé. Et pourtant, il n’a jamais lu un seul volume, voire une seule page». Davis a fait un remarquable portrait de lui-même, datant de cette époque. Il nous demande de passer en revue son équipement. « Sa tête a une circonférence d’une petitesse inusitée, dit-il. Si la taille et la mesure des pouvoirs, alors la capacité mentale de ce jeune homme est fort limitée. Il a les poumons étroits et faibles. Il n’a pas vécu au milieu d’influences raffinées – ses manières sont embarrassées et brusques. Il n’a lu qu’un seul livre. Il ne sait rien de la grammaire ni des règles du langage et n’est lié à aucun membre du monde scientifique ou littéraire ». Tel était ce gamin de dix neuf ans de qui jaillissait maintenant une parfaite cataracte de mots et d’idées qui souffrent la critique non à cause de leur simplicité mais bien du fait d’une excessive complexité et d’une profusion gênante de termes savants, malgré la présence toujours sensible du fil sous-jacent de la raison et de la méthode.
Il est bien commode de parler de subconscient mais on a en général compris ce terme comme recouvrant l’apparence d’idées reçues puis ensevelies. Quand, par exemple, Davis dans son âge mûr, se rappellera ce qui s’est produit pendant ses transes au temps de sa jeunesse, il s’agit clairement de l’émergence d’impressions enfouies. Mais il nous semble que ce soit un abus de langage que de parler de subconscient quand nous traitons de quelque chose qui n’a jamais pu atteindre aucun niveau du cerveau, conscient ou non, par des moyens normaux. Tels furent donc les débuts de la grande révélation psychique de Davis qui s’étendit finalement sur nombre de livres et qui est entièrement contenue sous le nom de « Philosophie de l’Harmonie ». Nous traiterons plus tard de sa nature et de sa place dans l’enseignement psychique.
Dans cette période de sa vie, Davis affirme avoir encore été sous l’influence de la personne qu’il identifia par la suite comme étant Swedenborg – nom tout à fait étranger pour lui à cette époque. De temps en temps, une voix lui ordonnait de « se rendre dans la montagne ». Cette montagne était une colline sur l’autre rive de l’Hudson, face à Poughkeepsie. Là, sur sa montagne, il affirme qu’il rencontrait et parlait avec un vénérable personnage. Il semble n’y avoir aucun détail connu de matérialisation, et l’incident est unique dans notre expérience psychique, sauf en vérité – et nous en parlons avec respect – quand le Christ monta lui aussi sur la montagne et communiqua avec les formes de Moïse et d’Élie. Dans ce cas, l’analogie paraît parfaite.
Davis ne semble pas du tout avoir été un homme religieux dans le sens ordinaire et conventionnel de ce mot, bien qu’il fût abreuvé de vrais pouvoirs spirituels. Ses conceptions dans la mesure où on peut les saisir, étaient très critiques vis-à-vis de la révélation biblique et, pour s’en tenir au minimum, il ne croyait pas à l’interprétation littérale. Mais il était honnête, sérieux, intègre, inquiet de parvenir à la vérité et conscient de ses responsabilités en la répandant.
Pendant deux ans, le Davis inconscient, continua à dicter son livre sur les secrets de la nature, tandis que le Davis conscient se livrait à quelques exercices d’autodidactisme à New York, entrecoupés à l’occasion de visites reconstituantes à Poughkeepsie. Il avait commencé d’attirer l’attention de quelques personnes sérieuses ; Edgar Allan Poe fut l’un de ses visiteurs. Son développement psychique se poursuivait et, avant de fêter ses vingt et un ans, il avait atteint un état tel qu’il n’avait plus besoin de quiconque pour entrer en transe car il y parvenait seul. Sa mémoire subconsciente s’ouvrit aussi et il devint capable de parcourir lui-même le vaste domaine de ses expériences. C’est à cette époque qu’assis au chevet d’une moribonde il observa tous les détails du départ de l’âme, description magnifique qu’il nous livra dans le premier volume de sa Great Harmonia (Grande Harmonie). Bien qu’elle ait fait l’objet d’une publication en brochure séparée, cette description n’est pas aussi connue qu’elle devrait l’être et un court résumé pourra intéresser le lecteur. Davis commence par la réflexion consolante que les voyages de son âme, qui étaient en tous points une mort sauf quant à la durée, lui avaient montré que l’expérience était « intéressante et délicieuse », et que ces symptômes qui semblent être des signes de souffrance ne sont en réalité que les réflexes inconscients du corps et ne présentent aucune signification. Il raconte ensuite comment, s’étant d’abord lancé dans ce qu’il appelle « l’état supérieur », il observa les événements du point de vue spirituel. « L’oeil matériel ne peut voir que ce qui est matériel, et le spirituel ce qui est spirituel », mais comme tout semblerait avoir une contrepartie spirituelle, le résultat est le même. Ainsi, quand un esprit vient à nous, ce n’est pas notre corps qu’il perçoit mais notre corps éthérique qui est le double du corps réel.
C’est ce corps éthérique que Davis vit émerger de la pauvre enveloppe fatiguée de protoplasme qui finit par gésir, vide, sur le lit, telle la chrysalide ratatinée dont le papillon vient de se libérer. Le processus commença par une extrême concentration dans le cerveau qui devint de plus en plus lumineux tandis que les membres s’assombrissaient. Il est probable que l’homme ne pense jamais avec autant de netteté ni ne connaît une concentration aussi intense après que tous les moyens de manifester sa pensée l’ont quitté. Puis le nouveau corps commence à sortir, la tête se dégageant en premier. Bientôt, il est complètement libéré, debout à angle droit avec le cadavre, les pieds prêts de la tête, avec une sorte de bande vitale lumineuse qui les unit et qui correspond au cordon ombilical. Quand ce cordon casse net une petite partie est aspirée dans le corps mort et c’est cela qui le préserve d’une putréfaction instantanée. Quant au corps éthérique, il lui faut un petit laps de temps pour s’adapter à son nouvel environnement. Dans cet exemple, il continue à passer par les portes ouvertes. « Je la vis traverser la pièce contiguë, emprunter la porte et sortir de la maison dans l’atmosphère… Au moment même où elle sortait de la maison, elle fut rejointe par deux esprits amicaux du pays des esprits, et après s’être tendrement reconnus et avoir communiqué entre eux, ils commencèrent tous les trois de la façon la plus gracieuse à monter en oblique dans l’enveloppe éthérique de notre globe. Ils marchaient si naturellement si fraternellement ensemble que je pouvais à peine concevoir qu’ils arpentaient l’air – ils semblaient marcher au flanc d’une montagne glorieuse quoique familière. Je continuai de les regarder jusqu’à ce que la distance les fit disparaître de ma vue. »
Telle est la Mort, vu par Andrew Jackson Davis – vision bien différente de cette sombre horreur qui a si longtemps obsédé l’imagination de l’homme. Si cela doit être la vérité, alors nous pouvons partager les sentiments du Dr Hodgson quand il s’écrie : « Je supporte à peine d’attendre ». Mais est-ce vrai ? Nous pouvons seulement dire qu’il existe un grand nombre de preuves convergentes. Nombreux sont ceux qui, s’étant trouvés dans un état cataleptique ou qui ont été si malades qu’ils ont sombré dans un coma profond, ont rapporté des impressions très comparables avec l’explication de Davis, bien que d’autres soient revenus de telles expériences l’esprit complètement vide. L’auteur, lors d’un séjour à Cincinnati en 1923, eut l’occasion de faire la connaissance d’une Mme Monk qui fut considérée comme morte par ses médecins et qui, pendant environ une heure, a connu une existence post-mortem avant que quelque caprice du destin lui rendit la vie. Elle rédigea un court compte-rendu de son expérience où elle affirme se souvenir d’avoir marché hors de la chambre, exactement comme Davis le décrivit, et également du cordon d’argent qui continuait de réunir son âme vivante à son corps comateux. Un cas remarquable aussi rapporté dans Light (du 25 mars 1922) dans lequel les cinq filles d’une femme mourante, toutes clairvoyantes, observèrent le processus de la mort de leur mère et en firent la relation. Ici encore, la description du processus est très analogue à celle de Davis ; il y a pourtant dans ce cas des différences suffisantes, comme dans d’autres expériences, pour suggérer que la séquence d’événements n’obéit pas toujours aux mêmes lois. Une autre variante d’un très grand intérêt apparaît dans un dessin exécuté par un enfant médium qui a dépeint l’âme quittant le corps, description rapportée à la page 121 du From Matter to Spirit (De la Matière à l’Esprit) de Mme De Morgan. Cet ouvrage, avec son importante préface du célèbre mathématicien, le professeur De Morgan, est l’un des ouvrages de pionnier du mouvement spiritualiste en Grande-Bretagne. Quand on réfléchit au fait qu’il a été publié en 1863, on a le cœur lourd devant la puissance des forces négatives, si fortement reflétées par la presse, qui ont réussi pendant tant d’années à s’interposer entre le message de Dieu et la race humaine.
Le pouvoir de prophétie de Davis ne peut être ignoré des sceptiques que s’ils se détournent des documents. Avant 1856, il prophétisa en détail l’avènement de la voiture automobile et de la machine à écrire. Dans son livre The Penetralia ( Le Saint des Saints), on peut lire :
« Question : Est-ce que l’utilitarisme fera des découvertes dans d’autres modes de locomotion ?
- Oui, attendez-vous bientôt avoir des voitures et des salons mobiles sur les chemins de campagne sans chevaux, sans vapeur, sans puissance motrice visible – se déplaçant à une vitesse supérieure et dans une bien plus grande sécurité qu’aujourd’hui. Les voitures seront mues par un étrange mélange, beau et simple, de gaz liquides et atmosphériques – si facilement condensée, si simplement enflammés et si bien transmis par une machine qui ressemble assez à nos moteurs, qu’on pourra entièrement le cacher et le manoeuvrer entre les roues avant. Ces véhicules préviendront bien des embarras que connaissent aujourd’hui les gens vivant dans des contrées peu peuplées. La première condition nécessaire à ces locomotives de campagne sera l’existence de bonnes routes, sur lesquels avec vos moteurs, sans vos chevaux, vous pourrez voyager avec une grande rapidité. Ces voitures me semblent d’une construction peu compliquée. »
On lui demandait ensuite :
« Percevez-vous un moyen qui permette d’activer la technique de l’écriture ?
- Oui, je suis presque poussé à inventer un psychographe automatique – c’est-à-dire une machine à écrire l’âme. On pourrait la construire un peu comme un piano, avec une tringle ou un clavier qui donnerait les sons élémentaires ; une autre rangée en dessous représenterait une combinaison et encore une autre serait destinée à une recombinaison rapide ; ainsi, plutôt que de jouer un morceau de musique, on pourrait composer un sermon ou un poème. »
En outre, ce visionnaire, en réponse à une question concernant ce qu’on dénommait « navigation atmosphérique » se sentit « profondément impressionné » par le fait que « la mécanisation nécessaire – pour surmonter les courants atmosphériques contraires, afin que nous puissions naviguer aussi facilement, sûrement et agréablement que les oiseaux –repose sur une nouvelle énergie motrice. Cette énergie viendra. Elle ne fera pas seulement marcher des locomotives sur le rail et les voitures sur les routes de campagne, mais encore les chars aériens, qui se déplaceront dans le ciel d’un pays à l’autre. »
Dans son Principles of Nature (Principes de la Nature), publié en 1847, il prédit l’avènement du spiritualisme. Il écrit :
« Il est véridique que les esprits communiquent entre eux tandis que l’un réside dans un corps et le Second dans les plus hautes sphères – et cela se produit également lorsque l’individu dans le corps n’a pas conscience du flux ne peut donc être convaincu du fait ; et cette vérité se présentera avant longtemps sous la forme d’une démonstration vivante. Et le monde saluera avec ravissement l’annonce de cette ère où souffriront les fors intérieurs des hommes et où la communication spirituelle s’instaurera de la façon que connaissent déjà pour leur joie les habitants de Mars, Jupiter et Saturne. »
En cette matière, l’enseignement de Davis était net mais il faut admettre qu’une bonne part de son oeuvre manque de précision et se révèle difficile à lire car elle est gâtée par l’emploi de mots trop longs et il lui arrive même par-ci par-là d’inventer un vocabulaire de son cru. Elle se situe néanmoins à un niveau moral et intellectuel très élevé et on ne saurait en donner une meilleure définition que celle-ci : un christianisme d’aujourd’hui avec l’éthique du Christ appliquée aux problèmes modernes et entièrement libéré de toute trace de dogme. La « Religion Documentaire », comme l’appela Davis, n’était pas du tout, à son avis, une religion. Cette appellation ne pouvait s’appliquer qu’aux produits personnels de la raison et de la spiritualité. Telles sont les grandes lignes de l’enseignement, mêlées à de nombreuses révélations sur la nature, qui s’inscrivent dans les livres successifs de la Harmonial Philosophy qui suivit Nature’s Divine Revelations (Révélations divines de la Nature) et occupa quelques années de sa vie. Une bonne partie de l’enseignement paru dans un document, The Univercoelum, et une bonne partie fit l’objet de conférences où il exposa en public les résultats de ses révélations.
Dans sa vision spirituelle, Davis voyait une organisation de l’univers qui correspond étroitement à celle que Swedenborg avait déjà décrite, ainsi qu’à celle enseignée par la suite par les esprits et acceptée par les spiritualistes. Il voyait une vie qui ressemblait à celle de la Terre, une vie qu’on pourrait qualifier de semi matériel, avec des plaisirs et des occupations qui attiraient nos natures absolument inchangées par la mort. Il voyait l’étude pour les studieux, les travaux adaptés pour les actifs, l’art pour les artistes, la beauté pour les amoureux de la nature, le repos pour les fatigués. Il voyait les phases progressives de la vie spirituelle par lesquelles on monte lentement vers le sublime et le céleste. Il poussa plus loin sa magnifique vision, au-delà de l’univers actuel, et le vit se dissoudre une fois encore dans le nuage de feu d’où il était sorti, pour se condenser à nouveau et former le décor d’une évolution supérieure, les classes les plus élevées du premier démarrant comme les plus basses dans ce dernier. Il vit ce processus se renouveler un nombre incalculable de fois couvrant des milliards de milliards d’années et oeuvrant sans cesse au raffinement et à la purification. Il décrivit ces sphères comme des anneaux concentriques autour du monde, mais comme il admet que ni le temps ni l’espace ne les définissent clairement dans ses visions, nous ne prendrons pas cette géographie dans un sens trop littéral. L’objet de la vie dans ce formidable plan était de se qualifier pour ce progrès et la meilleure méthode du progrès humain consistait à s’éloigner du péché – non seulement des péchés qu’on connaît bien mais encore de ces péchés de bigoterie, de mesquinerie et de dureté qui forment des tâches très particulières non pour la chair éphémère mais pour l’esprit dans sa permanence. Pour y parvenir, le retour à une vie simple, à des croyances simples et à une fraternité primitive était crucial. L’argent, l’alcool, la luxure, la violence et le cléricalisme – dans son acception étroite – formaient les causes majeures du retard dans le progrès de la race.
Il faut admettre que Davis, dans la mesure où l’on connaît sa vie, vécu en accord avec ce qu’il professait. D’esprit très humble, il était cependant de ce bois dont on fait les saints. Son autobiographie s’arrête en 1857 et il n’avait guère dépassé trente ans quand elle parut ; elle donne pourtant un aperçu très complet et parfois involontaire sur l’homme. Très pauvre, il se montrait juste et charitable. Très sérieux, il manifestait pourtant beaucoup de patience dans la discussion et de douceur sous la contradiction. On lui imputa les pires motivations qu’il enregistra avec un sourire tolérant. Il raconte en détail ses deux premiers mariages qui furent aussi peu ordinaires que tout ce qui le concerne mais qui ne font qu’ajouter à son crédit. À partir de la fin de The Magic Staff (Le Bâton Magique), il semble avoir continué à mener la même vie, alternant l’écriture et les conférences, gagnant de plus en plus l’oreille du monde jusqu’à sa mort en 1910 à l’âge de quatre vingt quatre ans. Il passa les dernières années de sa vie dans une petite librairie à Boston. Le fait que sa « Philosophie de l’Harmonie » ait connu, à ce jour, une quarantaine d’éditions aux États-Unis prouve que le grain qu’il a semé avec tant d’application n’est pas seulement tombé en terre stérile.
Ce qui nous importe c’est le rôle joué par Davis à la naissance de la révélation spirituelle. Il commença à préparer le terrain avant que cette révélation ne se produise. Il était visiblement destiné à y être étroitement associé car il connaissait la démonstration matérielle de Hydesville le jour même où elle se produisit. De son journal, on citera cette phrase, sous la date cruciale du 31 mars 1848. « Vers le lever du jour ce matin un souffle chaud passa sur mon visage et j’entendis une voix, tendre et forte, qui disait : « Frère, la bonne oeuvre a commencé – vois, une démonstration vivante est née. » Je restai là à me demander ce que ce message pouvait bien signifier. » C’était le début du puissant mouvement dans lequel il devait jouer le rôle de prophète. Ses propres pouvoirs étaient eux-mêmes supranormaux du côté mental, de même que les signes physiques du côté matériel. Chacun complétait l’autre. Dans les limites de ses capacités, il était l’âme du mouvement, le cerveau qui avait une claire vision du message annoncé de cette manière si nouvelle et si étrange. Aucun homme ne peut comprendre le message dans sa totalité car il est infini et s’élève toujours plus haut à mesure que nous entrons en contact avec des êtres supérieurs, mais Davis l’interpréta si bien pour son époque et sa génération qu’on ne peut guère ajouter grand-chose, même aujourd’hui, à ses conceptions.
Il a accompli un pas de plus que Swedenborg, bien qu’il ne disposât pas de l’outil mental du Suédois pour exposer ses résultats en bon ordre. Swedenborg avait vu un ciel et un enfer, comme Davis les vit et les décrivit dans le plus grand détail. Pourtant, le Suédois n’avait pas eu une vision claire de la place des morts et de la nature du monde des esprits, avec ses possibilités de retour telles qu’elles furent révélées au visionnaire américain. Cette connaissance advint à Davis lentement. Ses étranges entretiens avec ce qu’il décrit comme des « esprits matérialisés » restèrent exceptionnels et il n’en tira aucune conclusion générale. C’est plus tard, quand il entra en contact avec de vrais phénomènes spirituels qu’il pût en comprendre la pleine signification. Ce contact ne fut pas établi à Rochester mais à Stratford, dans le Connecticut, où Davis assista aux phénomènes de poltergeist qui se produisirent dans la maison d’un pasteur, le Dr Phelps, dans les premiers mois de 1850. Leur étude l’amena à écrire une brochure, The Philosophy of Spiritual Intercourse (La Philosophie des rapports Spirituels), développée par la suite en un livre qui contient bien des choses que le monde n’a pas encore maîtrisées. Certaines parties, dans leur sage réserve, peuvent également être recommandées à certains spiritualistes. « Le spiritualisme est utile en tant que démonstration vivante d’une existence future, écrit-il. Des esprits m’ont aidé bien des fois mais ils ne contrôlent ni ma personne ni ma raison. Ils peuvent rendre d’aimables services à ceux de la Terre, et le font. Mais on ne peut en tirer d’avantages qu’à la condition de leur permettre de devenir nos professeurs et non nos maîtres – de les accepter comme compagnons, non comme des dieux à adorer. » Sages paroles – et reformulation moderne de la remarque capitale de Saint Paul affirmant que le prophète ne doit pas être soumis à ses propres dons.
Afin d’expliquer correctement la vie de Davis, il faut s’élever à des conditions supranormales. Mais même dans ce cas, il y a plusieurs explications possibles. Considérons les faits indéniables suivant : 1. Qu’il prétend avoir vu et entendu la forme matérialisée de Swedenborg avant de savoir quoi que ce soit de ses enseignements.
2. Que quelque chose posséda ce jeune ignorant, qui lui apporta une grande connaissance.
3. Que cette connaissance empruntait les mêmes directions universelles, larges et majestueuses qui caractérisaient Swedenborg.
4. Mais qu’elle franchit une étape supplémentaire, en ajoutant simplement cette connaissance du pouvoir des esprits que Swedenborg atteignit peut-être après sa mort.
Considérant donc ces quatre points, ne peut-on envisager sérieusement l’hypothèse que le pouvoir qui contrôlait Davis était réellement Swedenborg ? Il serait bon que l’estimable Église Nouvelle, quoique limitée et étriquée, prenne en considération ce genre de possibilité. Mais, que Davis ait été seul, ou qu’il ait été le reflet d’un être plus grand que lui, le fait demeure qu’il fut un homme miracle, apôtre inspiré et savant, quoique sans instruction, de la nouvelle loi. Son influence est restée si vive que M. E. Wake Cook, artiste et critique bien connu, dans son remarquable ouvrage Retrogression in Art [1] (Dégénérescence de l’Art), fait un retour à l’enseignement de Davis, influence moderne qui pourrait refondre le monde. Davis laissa sa marque profondément inscrite sur le spiritualisme. Summerland (Pays d’Été), par exemple, comme nom du paradis moderne, et tout le système d’écoles Lyceum avec leur ingénieuse organisation, sont de sa conception. Comme l’a fait remarquer M. Baseden Butt, « Même aujourd’hui la mesure complète et définitive de son influence est extrêmement difficile, sinon impossible à fixer[2]

[1] Hutchinson, 1924.

[2] Occult Review, février 1925.

 

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