Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


CHAPITRE V - ESSAIS D'APPARITIONS VOLONTAIRES

SOMMAIRE
L'expérimentation a pour but de contrôler les hypothèses théoriques. Si celles-ci sont exactes, les faits doivent les confirmer. C'est justement ce qui se produit. — La volonté peut produire : ou des hallucinations, ou un dégagement de l'agent, ou une véritable matérialisation du double. — Phénomènes appartenant à la première catégorie. — Le fantôme de Mme Russell. — Celui du Révérend Godfrey. — Apparition télépathique. — L'agent se montre avec son costume. — Les cas de Miss Maugham. — Dédoublement probable de Miss Danwers. — Dégagement volontaire et apparition de M. Sinclair. — Vision prémonitoire d'un suicide. — Dégagement semi-conscient, avec action physique de Mme d'Espérance. — Le double est visible pour les deux sœurs Verity. — Une apparition qui cause au Révérend Stainlon Moses. — Phénomènes de bilocation dans la famille de Mme Haemerlé. — Les recherches faites en France. — Les cas de M. Christian. — Les expériences du Dr Gibotteau, celles du Dr Regnault.

 

 

Importance de l’expérimentation

Dans la plupart des cas cités précédemment, de même que dans ceux rapportés par les auteurs anglais ou dans les observations faites en France, on remarque que le percipient n'a presque jamais eu d'autre hallucination que celle qu'il raconte et, précisément, c'est à la personne dont il voit l'image qu'un événement grave est survenu. J'ai signalé que la probabilité contre une coïncidence fortuite s'élève à un chiffre fantastique, ce qui équivaut, logiquement, à reconnaître qu'il existe entre les deux événements une relation de cause à effet. Mais les savants anglais ne se sont pas contentés de cette induction. Guidés par la véritable méthode scientifique, ils ont voulu vérifier expérimentalement la justesse de cette théorie. Ils ont donc cherché à savoir directement si la pensée d'un agent A. peut agir efficacement sur un sujet B. Nous avons vu qu'en toute rigueur ils ont pu observer que la pensée, sous toutes ses modalités, est capable de s'extérioriser et d'être perçue par un sujet approprié. Il restait à compléter l'expérience en se plaçant dans les conditions de la vie ordinaire.
Pourrait-on, sans entente préalable entre les opérateurs, réussir à influencer volontairement un sujet B, de manière à produire chez ce dernier un phénomène semblable à celui des apparitions naturelles ? En cas de réussite, la relation de cause à effet deviendrait tout à fait évidente. Ce serait au jour choisi, à l'heure dite, à l'endroit désigné, que B verrait l'apparition de A, telle que celui-ci avait désiré la produire. Cette fois le hasard, mot commode pour masquer notre ignorance, ne pourrait plus être invoqué.
Or, ces expériences, qui ne réussissent pas toujours, ont été réalisées avec succès un nombre de fois suffisant pour que nous puissions affirmer que l'action télépathique existe, et qu'elle émane de l'agent, alors même qu'il n'a pu savoir directement si son essai avait été heureux. De même que nous l'avions remarqué dans les cas spontanés, ici encore, parmi les expérimentateurs, il s'en est trouvé un certain nombre qui ont eu conscience de s'être rendus à l'endroit où ils voulaient se montrer ; là, on a constaté visuellement leur présence, parfois même collectivement, ou bien ils ont agi physiquement, ce qui nous met nettement en face du dédoublement de l'être humain, au lieu d'une simple action produite par l'extériorisation de la pensée de l'agent.
Ce rapprochement entre les résultats de l'observation et ceux de l'expérience est éloquent : il prouve la rectitude des théories proposées, et c'est ce qu'ont fortement senti MM. Gurney, Myers et Podmore quand ils écrivent[1] : “ L'originalité de ce livre consiste essentiellement à avoir rapproché les cas de télépathie spontanée des faits expérimentaux de transmission de pensée. Nous sommes convaincus que ce sont surtout les expériences précises que nous avons faites qui nous permettent d'affirmer l'existence dans l'esprit d'une faculté nouvelle ; c'est cette faculté à son tour qui nous permet de comprendre et de nous expliquer à nous-mêmes les hallucinations véridiques.” Voyons donc les faits où se montre avec le plus de netteté cette action volontaire de l'agent.
Remarque très importante, nous allons rencontrer dans les apparitions expérimentales les trois sortes de phénomènes que l'observation nous a fait distinguer, c'est-à-dire :
1° Des hallucinations véridiques où le fantôme est purement subjectif ;
2° des apparitions télépathiques, c'est-à-dire celles où l'âme de l'agent est bien à l'endroit où la voit le percipient, mais le fantôme n'est perceptible que pour la personne qui subit l'action télépathique qui la rend momentanément clairvoyante ;
3° enfin des apparitions objectives, visibles pour tout le monde, parce qu'elles sont suffisamment matérialisées pour réfléchir la lumière ordinaire, et, par conséquent, pour être vues optiquement.

 

Le fantôme apparait au loin

Je commence par les faits de la première catégorie. Nous avons ici un exemple dans lequel la distance ne paraît pas un obstacle à l'action de l'agent. C'est ce que j'ai déjà signalé pour d'autres observations.

IX-(686). Ce cas est dû à Mme Russell, de Belgaum (Inde), femme de M. H. R. Russell, inspecteur de l'Instruction publique dans la présidence de Bombay[2].
8 juin 1886.
Suivant le désir que vous avez exprimé, je vous envoie le récit des événements dont je vous ai parlé ; je les rapporte aussi exactement que je le puis. Je vivais en Ecosse, ma mère et mes sœurs étaient en Allemagne. J'habitais chez une amie qui m'était très chère, et chaque année j'allais en Allemagne voir les miens. Il arriva que pendant deux ans je ne pus aller dans ma famille comme j’en avais l'habitude. Je me décidai tout à coup à partir. Ma famille ne savait rien de mon intention ; je n'étais jamais allée auprès des miens au commencement du printemps, et je n'avais pas le temps de les prévenir par lettre. Je ne voulais pas envoyer de dépêche de peur d'effrayer ma mère. La pensée me vint de désirer de toutes mes forces d'apparaître à l'une de mes sœurs, de manière à les avertir de mon arrivée. Je pensai à elles avec le plus d'intensité possible pendant quelques minutes seulement. Je désirais de toutes mes forces être vue par l'une d'elles (j’éprouvais moi-même une vision qui me transportait à demi au milieu des miens). Je ne concentrai pas ma pensée pendant plus de dix minutes, je crois. Je partis par un vapeur de Leith, un samedi soir, fin avril 1859. Je désirais apparaître à la maison vers six heures du soir, ce même samedi.
J'arrivai à la maison vers six heures du matin le mardi suivant. J'entrai dans la maison sans être vue, car on venait de faire le vestibule et la porte d'entrée était ouverte. Je pénétrai dans la chambre. Une de mes sœurs se tenait le dos tourné à la porte ; elle se retourna lorsqu'elle entendit la porte s'ouvrir, et, en me voyant, elle me regarda fixement, devint d'une pâleur mortelle et laissa tomber ce qu'elle tenait à la main. Je n'avais rien dit. Alors je lui parlai et je dis : “C'est moi, pourquoi es-tu effrayée ?” Elle me répondit alors : “Je croyais te voir comme Stinchen (une autre de mes sœurs) t'a vue samedi.”
En réponse à mes questions, elle me raconta que le samedi soir vers six heures, ma sœur m'avait vue distinctement entrer par une porte dans la chambre où elle se trouvait, ouvrir la porte d'une autre chambre où se trouvait ma mère, et fermer la porte derrière moi. Elle s'élança à la suite de ce qu'elle pensait être moi, m'appelant par mon nom, et fut absolument stupéfaite lorsqu'elle ne me vit pas avec ma mère. Ma mère ne pouvait pas comprendre l'excitation de ma sœur. On me chercha partout, mais naturellement on ne me trouva pas. Ma mère en fut très malheureuse, elle pensait que je pouvais être mourante.
La sœur qui m'avait vue (c'est-à-dire qui avait vu mon apparition) était sortie le matin de mon arrivée. Je m'assis sur les marches pour voir, lorsqu'elle rentrerait, ce qu'elle éprouverait en me voyant moi-même. Lorsqu'elle lava les veux et m'aperçut assise sur l'escalier, elle m'appela et faillit s'évanouir. Ma sœur n'a jamais rien vu de surnaturel ni avant, ni depuis ; et je n'ai pas renouvelé mes expériences depuis lors, et je ne les renouvellerai pas, parce que celle de mes sœurs qui me vit réellement lorsque je vins réellement à la maison tomba sérieusement malade dans la suite, à cause du choc qu'elle avait ressenti.
J. M. Russell.

Mme Russell a écrit à sa sœur[3] pour lui demander si elle se rappelait le fait ; elle a copié un extrait de sa réponse. En voici la traduction :
Évidemment je me rappelle l'affaire aussi bien que si c'était arrivé aujourd'hui. Je te demande de ne plus m'apparaître.
L'intention de Mme Russell d'apparaître à une de ses sœurs à un jour et une heure fixés, s'est donc complètement réalisée.

Voilà une expérience télépathique qui ne laisse rien à désirer, au point de vue de la précision des détails et de la netteté du résultat. Mais la vraie nature de la vision est difficile à établir.
Malgré les évolutions diverses accomplies par le fantôme, je crois qu'il n'y a dans ce cas qu'une simple image hallucinatoire représentant Mme Russell, parce que la mère des jeunes filles n'a rien vu quand le prétendu fantôme serait entré dans sa chambre en ouvrant la porte. Le fait que Mme Russel s'est crue un instant à demi transportée au milieu des siens n'est pas un indice suffisant de son dégagement spirituel, car elle ne remarqua aucun détail particulier dont plus tard on aurait pu vérifier la réalité. Nous verrons tout à l'heure des essais où la présence réelle de l'esprit de l'agent est beaucoup plus probable. Je continue l’énumération des cas qui paraissent purement télépathiques.

 

Les expériences du révérend Cl. Godfrey

Transmis par le Révérend Clarence Godfrey[4]. Je cite ce très bref compte rendu, contenu dans le travail de M. Podmore[5]. Le 16 novembre 1886, M. Godfrey écrivait ce qui suit à M. Podmore :
“ Je fus si frappé par le compte rendu de la page 105 des Fantômes des vivants[6], que je résolus de soumettre ce sujet à une expérience.
Le 18 novembre 1886, je me couchai à 10 h. 45 et décidai d'apparaître, si c'était possible, à une de mes amies, avec toute la force de volonté et la faculté d'énergie que je puis avoir ; je voulus apparaître au pied de son lit. Je n'ai pas besoin de dire que je n'avais au préalable laissé soupçonner en aucune façon mes intentions, ce qui aurait nui à mes projets et je ne lui en avais pas soufflé le moindre mot. Je vais raconter ce qui me concerne à titre d'agent.
Je fis naturellement appel à toute ma puissance d'imagination aussi bien qu'à ma force de volonté, en m'efforçant de me transporter en esprit dans sa chambre, d'appeler son attention tandis que je m'y trouverais. Je soutins cet effort pendant environ huit minutes, après lesquelles, me sentant fatigué, je cédai au sommeil.
Ce que je perçus d'abord, c'est que je rencontrais cette dame le lendemain matin (dans mon rêve, je suppose) et que je lui demandais aussitôt si elle ne m'avait pas vu dans la nuit. Elle me répondait : “ Oui !” — “ Comment ? ” Alors en paroles étrangement claires mais basses, comme par l'émission d'un soupir, elle me répondit : “ J'étais assise derrière vous. ” Ces paroles si nettes m'éveillèrent instantanément et je compris que je venais de rêver mais en réfléchissant je me rappelai ce que j'avais voulu avant de m'endormir, et cette pensée me vint : “ Cela doit être une action réflexe de la percipiente. ” Ma montre marquait 3 h. 40. Voici ce que j'écrivis aussitôt au crayon, en me tenant debout en costume de nuit : “ En réfléchissant à ces claires paroles, elles me semblèrent tout à fait intuitives, je veux dire subjectives et produites en moi-même comme résultat de ma propre conviction, bien plutôt que comme une communication de quelqu'un d'autre. Je ne pouvais nullement me rappeler ses traits, comme cela est possible après un rêve très impressionnant.”
Mais ce qui était le plus surprenant et avait provoqué mon réveil, c'est qu'elles avaient été émises sur un ton clair et précis. Dans la note qu'elle m'envoya pour me raconter ce qui lui était arrivé, mon amie me disait : “ Je me rappelle qu'un homme emporta les lampes aussitôt que je fus arrivée au haut de l'escalier et que ce fut à trois heures quarante cinq. ”
Voici la note que la percipiente envoya le 16 novembre 1886 à M. Godfrey pour lui rendre compte de ses impressions :
“Hier, c'est-à-dire dans la matinée du 16 novembre 1886, un peu après trois heures et demie, je m'éveillai en sursaut et avec le sentiment que quelqu'un était dans ma chambre. J'entendis un bruit étrange, mais je pensai que c'étaient les oiseaux qui se tenaient dans le lierre au dehors. Puis je ressentis le besoin singulier et irrésistible de quitter ma chambre et de descendre à l'étage inférieur. Cette pensée devint si impérieuse, qu'enfin je me levai, j'allumai une bougie et je descendis en pensant que si je pouvais prendre un verre de soda, cela me calmerait. Quand je revins dans ma chambre, je vis M. Godfrey qui se tenait devant la fenêtre du palier. Il portait son costume habituel et l'expression de ses traits était celle que je lui avais vue lorsqu'il était fort préoccupé. Il resta là et je levai la bougie, le regardant pendant trois ou quatre secondes avec un profond étonnement, puis, comme je traversais le palier, il disparut. L'impression qu'il a laissée dans mon esprit a été si vive, que je me disposais à éveiller une amie qui couchait dans la même chambre que moi, lorsque j'en fus empêchée par la pensée qu'elle se moquerait de cela comme d'une fantaisie de mon imagination.
L'apparition de M. Godfrey ne m'effraya pas, mais elle me laissa si émue que je ne pus me rendormir. ”
A M. Podmore qui l'interrogeait, cette dame dit qu'elle avait déjà eu l'apparition de deux de ses amis morts récemment.
Sur la demande de M. Myers, M. Godfrey fit deux autres tentatives, sans avertir cette dame. La première n'eut aucun résultat, la date choisie n'étant sans doute pas convenable. Mais l'essai tenté le 7 décembre 1886 réussit tout à fait. Mme X..., écrivit le 8 qu'elle fut éveillée par une voix qui disait : “ Réveillez-vous ” et en sentant qu'une main se posait sur le côté gauche de sa tête. Elle vit alors une forme penchée sur elle et reconnut M. Godfrey.
Dans ce dernier cas, le costume ne paraît pas avoir été vu nettement. Tandis que le 16 novembre, Mme X..., le vit non avec le costume qu'il portait réellement au moment de l'expérience, mais avec celui qu'il portait dans la journée.
Dans cet exemple, comme dans celui qui suit, nous sommes en présence de phénomènes qui peuvent se comprendre aussi bien par une action télépathique que par un dédoublement.
Pour rester fidèle à la méthode logique, il faut donner la préférence à l'action télépathique, parce que l'apparition n'a été vue que par une seule personne et qu'elle n'a pas laissé de traces matérielles de sa réalité objective.
Dans la dernière tentative, la percipiente dormait lorsque la voix de M. Godfrey l'éveilla ; il semblerait qu'une action physique est intervenue. C'est fort possible et je ne répugne pas à faire cette hypothèse ; mais il est également vraisemblable que l’action télépathique a commencé pendant le sommeil de la percipiente et s'est prolongé après son réveil, de sorte que le contact de la main du fantôme serait également de nature hallucinatoire ; car il est notoire, qu'il n'y a pas eu coïncidence entre l'heure où s'est produite l'action volontaire de M. Godfrey et celle où Mme X.., a eu la sensation de le voir.
Il est bon d'observer également que le costume de l'apparition n'est pas celui de l'agent au moment même. Dans le cas suivant, au contraire, c'est un détail qui a été noté par la voyante, et qui est de nature à nous faire pencher vers l'explication animique.

 

Apparition volontaire avec le costume de l’agent

Agent M. Kirk, 2 Ripon Villas, uppcr Rippon Road, Plumstead[7].
7 juillet 1890.
Du 10 au 20 juin j'ai essayé d'agir télépathiquement sur Miss G.., espérant me rendre visible pour elle, et ne parvenant qu'à produire chez elle un sentiment d'inquiétude plus ou moins prononcé. Je ne l'avertissais ni du moment ni du but de mes tentatives, que je faisais toujours chez moi, de 11 heures du soir a 1 heure du matin.
Enfin, le 23 juin, contrairement à mon attente, je réussis tout à l'ait. Cette fois j'étais dans mon bureau et me décidai subitement à agir. Il était, autant que je puis me rappeler, entre 3 h. 30 et 4 heures de l'après-midi et je venais de me fatiguer à traiter mes affaires. Je posai mon crayon et m'étendis pour me reposer en pensant à faire un essai sur Miss G... Je ne savais où elle était, mais j'eus l'inspiration de me rendre dans sa chambre à coucher. Ce fut une heureuse idée, car j'ai su qu'à ce moment elle y sommeillait dans un fauteuil, condition la plus propre à lui permettre de recevoir un message télépathique.
La forme que vit Miss G... était tête nue et vêtue exactement comme je l’étais en réalité, c'est-à-dire avec une jaquette en tissu écossais d'un rouge sombre, ce qui était exceptionnel, car ordinairement je portais dans mon bureau un costume clair, mais j'avais dû envoyer celui-ci à réparer.
La couleur de mon costume me servit d'élément de preuve. Je lui demandai : “ Comment étais-je habillée ? ” Posant la main sur la manche de ma jaquette, qui était d'une étoffe claire : “ Ce n'était pas avec ce vêtement, mais avec la jaquette de couleur foncée, que vous portez quelquefois, j'ai très nettement remarqué les petits carreaux de l'étoffé et j'ai vu tous les détails aussi nettement que si vous aviez été corporellement présent. Je ne pouvais vous voir plus distinctement ”. De son côté, Miss G... dit ceci :
28 juin 1890.
« Une circonstance toute particulière m'arriva le mercredi de la semaine dernière. Dans l'après-midi, comme je me trouvais fatiguée par ma promenade du matin, je m'étais étendue sur une chaise-longue près de la fenêtre de ma chambre à coucher, je me sentis envahie par le sommeil. Il m'arrive parfois, mais rarement, de m'endormir pendant le jour, et alors je me réveille avec un grand sentiment de fatigue, qui ne tarde pas à se dissiper. Mais cette fois au contraire, je me réveillai tout à coup complètement en voyant près de ma chaise-longue M. Kirk se tenant en costume de couleur sombre, comme je l'avais vu quelquefois. Il tournait le dos à la fenêtre en étendant sa main droite vers moi. Il traversa la chambre, en se dirigeant vers la porte qui fait face à la fenêtre, qui en est éloignée de 15 pieds ; mais lorsqu'il fut à 4 pieds environ de la porte fermée, il disparut.
Ma première pensée fut la suivante : “ Si cela s'était produit quelques heures plus tard, j'aurais cru à un phénomène télépathique ”, car je savais qu'à plusieurs reprises M. Kirk avait essayé d'agir sur moi, mais je ne pensais pas qu'il le fît encore actuellement. Quoique j'eusse été très intéressée par ses conversations sur les phénomènes psychiques, j'avoue que je ne les considérais pas encore comme des réalités ; et comme je savais qu'il devait être à son bureau au moment où je le vis aussi distinctement que s'il eût été réellement dans ma chambre, je pensai que, dans ce cas au moins, cela devait être un simple effet de mon imagination et je m’abstins d'en parler, jusqu'au jour où je lui signalai le fait, presque involontairement. Aussi fus-je très surprise lorsque je le vis si satisfait et qu'il me demanda d'en faire le récit par écrit, en ajoutant que, ce jour-là, se sentant très fatigué, il avait posé sa plume pour quelques instants, et pour me servir de ses propres paroles : “ Il s'était transporté dans cette chambre ”. Il m'affirma qu'il ne m'en avait pas parlé jusque-là pour ne pas m'influencer, mais qu'il attendait avec une certaine anxiété que le sujet fut bordé par moi-même. Je suis certaine de n'avoir pas rêvé de lui, et je ne me rappelle aucun incident qui ait pu me faire penser à lui dans cette après-midi. »
M. Kirk écrivit plus tard :
« Depuis le fait ci-dessus, je n'ai réussi qu'une seule fois à me montrer à Miss G... et cette fois, ce qu'il y a de singulier c'est que je n'étais pas plus grand qu'une miniature c'est-à-dire environ trois pouces.
L'incident du costume est à signaler car il indique, si l'action est télépathique, avec quelle fidélité l'aspect extérieur de l'agent est reproduit par sa seule pensée. Le narrateur signale lui-même qu'il comptait sur ce détail pour vérifier la réalité de la vision de Miss G... Celle-ci connaissait aussi le vêtement de M. Kirk, de sorte qu'il est possible que ce ne soit qu'une de ses images mentales qui a été revivifiée par l'action télépathique. L'agent ne se souvient pas d'avoir agi autrement qu'à distance et par la pensée, ce qui est tout à fait conforme à ce que nous connaissons de la télépathie pure et simple. »
L'épisode dernier, où M. Kirk est vu “ comme une miniature ”, paraît aussi favorable à l'hypothèse que tout s'est passé dans la conscience subliminale de Miss G...

 

Le cas de Miss Maugham

Miss Maugham écrit[8]. Septembre 1890.
Une nuit de septembre 1888, je lisais dans mon lit. Je venais de lire avec intérêt les faits de projection astrale dans les Fantômes des Vivants et je me souviens que je songeais à me présenter à quelqu'un par la force de ma volonté.
La chambre voisine de la mienne était occupée par mon amie, Miss Ethel Thompson, dont la disposition d'esprit était fort calme. Une porte actuellement condamnée faisait communiquer nos deux chambres qui ne s'ouvraient plus toutes deux que sur le palier. Je me rappelle parfaitement que cette nuit, étant couchée sur le dos, je pris la résolution, quoique doutant du succès, mais intriguée néanmoins, de paraître à Miss Thompson. Une bougie brûlait sur une chaise auprès de mon lit, et au moment où je formulai ma volonté, je n'entendais que le tic-tac de la pendule. Après quelques minutes je me sentis tout étourdie et à demi consciente.
Je ne sais combien dura cet état, mais je me rappelle que, reprenant conscience, je me dis que j'aurais mieux fait de ne pas m'y laisser aller, car cela me laissait comme épuisée.
Je pris une position plus commode, en songeant que je n'avais pas réussi et que je m'étais inutilement fatiguée pour satisfaire une fantaisie sans résultat possible. Je soufflai ma bougie et au même instant je fus surprise d'entendre un bruit indistinct dans la chambre voisine.
C'était la voix de Miss Thompson qui s'était fait entendre légèrement à deux reprises, sans que je pusse saisir autre chose qu'un son indistinct ; puis le silence se fit. Je songeai qu'elle venait sans doute de faire un mauvais rêve ; j'écoutai quelque temps, mais je pensai que cela n'était qu'une simple coïncidence. A ce moment, deux heures du matin sonnèrent et je m'endormis.
Le lendemain Miss Thompson parut fatiguée au déjeuner, mais je ne lui posai aucune question. Tout à coup elle me dit : “ Est-ce pour m'effrayer que vous êtes venue cette nuit dans ma chambre ? ” Je lui répondis que je n'avais pas quitté la mienne. Elle me déclara qu'il lui avait semblé que j'étais venue et que je m'étais penchée au-dessus d'elle. D'après son récit, il pouvait être entre une et deux heures du malin. Son rapport a été envoyé à la Société Psychique. Tout ce que je puis ajouter, c'est que j'étais en parfait état de santé, tout à fait calme et songeant seulement à faire une expérience ”.
Miss Thompson écrit :
The Chimes, Grove Park, Chiswick.
30 décembre 1889.
Pendant l'été de l'année 1888, à la fin d'août, j'étais chez Miss Maugham, dans le Lincolnshire. Nous avions causé de théosophie et de ceux qui ont la faculté de quitter leur corps pour apparaître dans leur forme astrale. J'ai le sommeil léger, mais sans agitation, et ma santé est excellente. Je m'étais déjà éveillée deux ou trois fois et je me trouvais parfaitement éveillée, lorsque je vis tout à coup Miss Edith Maugham se tenir près de mon lit, dans son costume ordinaire de couleur foncée. La lune nous éclairait suffisamment pour me permettre de voir nettement ses traits et la plus grande partie de son corps. Je me redressai sur mon lit et je lui dis brusquement : “ Que venez-vous chercher ici, Edith ?” Je pensais qu'elle voulait plaisanter, mais comme elle ne me répondait pas, j'enflammai immédiatement une allumette, mais elle avait disparu. Il n'est pas exact que j'aie poussé des cris, mais j'ai dû parler assez haut pour être entendue de la chambre voisine. Je remarquai bien qu'elle avait quitté la chambre avec une excessive rapidité, Je ne me préoccupai pas de ce détail. Le lendemain matin je lui demandai ce qu'elle était venue faire dans ma chambre. Elle me dit qu'elle n'y était pas venue : elle avait bien pensé à y aller, mais elle y avait renoncé pour ne pas me troubler. Elle ajouta qu'elle était restée assise dans son lit et qu'elle avait songé à se transporter hors de son corps, pour venir vers moi, et cela à l'heure où je la vis. Quoique plus d'une année se soit écoulée depuis, le souvenir de ce fait est encore aussi précis en moi que s'il était d'hier.
Ethel Thompson.

Rien de spécial ne distingue ce cas, sinon que la réalité de l'action télépathique est incontestable. Il faut remarquer cependant que, dans ces expériences, la pensée de l'agent doit agir avec une grande puissance, pour arriver à impressionner le percipient et qu'il semble que le calme de celui-ci, même son état de sommeil, facilitent beaucoup la réussite.
Nous allons arriver maintenant à d'autres exemples, où le dédoublement de l'agent semble plus probable que l'action télépathique, non seulement parce que l'agent se souvient de s'être déplacé, ce qui pourrait être imaginaire, mais surtout parce qu'il contrôle ultérieurement que sa vision correspondait aune réalité ignorée de lui.

 

Dédoublement probable

Ce qui suit[9] est le récit d'une expérience faite entre deux dames bien connues de moi, que j'appellerai Mlle Danvers et Mme Fleetwood, que je cite ici à l'appui de quelques points sur lesquels je désire appeler l'attention. Je priai Mlle Danvers d'essayer d'apparaître à Mme Fleetwood, sans la prévenir, et de m'envoyer une carte postale, qui portant le timbre de la poste sur la carte écrite, fait foi, pour me dire ce qu'elle avait tenté, avant d'en connaître elle-même le résultat.
Le 20 juin 1894, je reçus la lettre suivante, datée du 19, que Mlle Danvers m'adressait avec deux notes incluses :
“Dans la nuit du dimanche, à minuit, j'essayai d'apparaître à Mme Fleetwood, à une distance d'environ neuf milles, et j'eus en quelque sorte le sentiment que j'étais réellement dans sa chambre. J'avais au préalable écrit une constatation que je vous adresse ci-jointe avec le récit de Mme Fleetwood, que je reçois à l'instant. Elle l'écrivit également sans aucun délai, ne sachant pas que j'essayais, de lui apparaître. J'étais couchée et non agenouillée ; sauf cela tous les détails sont exacts.”
Voici le mémorandum écrit par Mlle Danvers : “17 juin 1894, minuit. J'écris ceci immédiatement avant d'essayer d'apparaître à Mme Fleetwood. Mes cheveux sont défaits, je vais me coucher et essayer de lui apparaître avec les yeux fermés. ”
La note de Mme Fleetwood était ainsi conçue : “Nuit du dimanche 17 juin 1894. Je sors de mon premier sommeil et vois Edith Danvers, paraissant agenouillée sur une chaise-longue près de mon lit, son profil est tourné de mon côté, ses cheveux sont flottants, ses yeux clos ou fortement baissés. Je suis d'abord surprise, comme cela m'arrive toujours lorsque je vois des visions à l'état de veille ; mais je parviens à rester calme. Lorsque je fus parfaitement éveillée et capable de raisonner en moi-même, je constatai que la forme était encore là, mais qu'elle palissait peu à peu comme une vue qui s'efface. Je me levai et regardai l'heure. Il était juste minuit. J'étais seule dans ma chambre. Au moment où j'écris il est minuit et deux minutes environ.”
Dans une conversation que j’eue avec Mlle Danvers, le 23 juin, elle me dit qu'elle avait vu, comme dans une sorte d'éclair, Mme Fleetwood soulevée sur son lit, s'appuyant sur le coude et la regardant. Elle n'était pas absolument certaine de sa propre attitude dans la chambre de Mme Fleetwood, quoiqu'il lui semblait bien qu'elle occupait la place sur laquelle Mme Fleetwood fixait ses regards. Jamais auparavant Mlle Danvers n'avait pris note des expériences qu'elle tentait, et n'avait songé à l'importance de fixer immédiatement les faits, et n'avait, pas la conviction que Mme Fleetwood la verrait réellement. Mme Fleetwood m'envoya la lettre que Mlle Danvers lui adressa le 18 juin et dans laquelle, parmi diverses autres choses, elle lui demandait : “Vous ai-je réellement apparu ? J'ai essayé cette nuit, mais vous n'étiez peut-être pas seule. ”
Aussi n'est-il peut-être pas prouvé que l'introduction de Mlle Danvers fût autre chose que subjective ; mais ce point est intéressant à signaler à propos de l'essai qui fut fait. Quant aux visions pendant la veille de Mme Fleetwood, cette dame croit bien qu'elles ont été réelles, mais elle ne se les rappelle pas. Elles comprennent deux visions de Mlle Danvers, au moment où celle-ci pensait fortement à Mme Fleetwood. Telle est du moins l'opinion de ces deux dames ; mais le récit n'en a pas été fait au moment même.
Mlle Danvers fit un second essai dans lequel, ne connaissant pas les meilleures conditions, elle prévint Mme Fleetwood de ce qu'elle se proposait de faire. Cependant il arriva que Mme Fleetwood ne vit rien. Ceci nous montre tout au moins que l'attente de la part de celle-ci ne suffit pus pour provoquer une vision. Mlle Danvers fit alors un troisième essai, non annoncé, et d'un caractère tout différent, qu'elle me décrit ainsi qu'il suit, dans une lettre en date du 27 juin 1894 :
“Le lundi 25 juin à minuit et un quart, je songeai à essayer de paraître dans la chambre de Mme Fleetwood, mais je ne pensais pas qu'elle pût me voir. Je parvins à voir sa chambre et remarquai le troisième volume de Marcella sur une chaise près de son lit. Je ne savais pas qu'elle le lisait, car je croyais qu'elle l'avait fini depuis longtemps ; aussi j'en fus très surprise. Mme Fleetwood ne parut pas me voir, ou du moins elle ne le témoigna pas. La chambre était tout autre, que d'habitude. Le même jour je vis Mme Fleetwood et lui demandai si ce que j'avais vu était exact, et elle me dit que c'était parfaitement correct. Elle ajouta qu'elle souffrait d'un mal de dents et ne m'avait pas vue, mais qu'elle avait eu conscience de la présence de quelqu'un dans sa chambre.”
Mme Fleetwood écrivit le 27 juin : “Lorsque Mlle Danvers vint luncher avec moi, lundi dernier, elle me demanda si j'avais dans ma chambre le troisième volume de Marcella pendant la nuit précédente ; elle dit qu'elle y était venue en esprit et l'avait vu sur une chaise près de mon lit. Le fait était bien réel. J'avais pris ce livre avec l'intention de le lire dès la première heure du matin, mais je suis bien sûre qu'elle ne savait pas que je l'avais fait, car ce n'est pas mon habitude.”
Le 30 juin, Mme Fleetwood ajoutait : “Mlle Danvers savait que j'avais Marcella chez moi, car elle l'avait lu en y venant. Mais elle pensait que je ne l'avais plus depuis longtemps, lorsqu'elle le vit dans ma chambre. Elle ne savait pas qu'étant occupée, je ne l'avais pas achevé et que le troisième volume restait encore à lire. ”
Je crois que dans ces expériences il faut attacher une grande importance au fait que l'agent voit la chambre du percipient avec assez de lucidité pour en noter les détails. Dans le premier cas, ce n'est que pendant un temps rapide comme l'éclair que Mlle Danvers aperçoit Mme Fleetwood accoudée sur son lit. Mais dans le dernier exemple, la chambre arrangée autrement que d'habitude et le détail du livre de Marcella, indiquent que la clairvoyance a été réalisée. Or, je l'établirai plus loin, la vision à distance paraît un signe à peu près certain du dédoublement du sujet, d'autant mieux que Mme Fleetwood dit qu'elle avait la sensation de la présence de quelqu'un dans sa chambre. Les mêmes observations s'appliquent également au cas suivant, avec plus de force encore, et notons que les coïncidences exactes entre l'heure où l'agent agit et celle où se produit la vision sont tout à fait concluantes.

 

Dégagement volontaire et apparition

Ce cas[10] nous fut communiqué par le docteur M. L. Holbrook[11] qui écrit au docteur Hodgson les détails suivants :
Juin 1894.
“Je crois que le fait suivant est très intéressant. Je le connaissais depuis plusieurs années et je l'ai écrit il y a deux jours, pendant que j'étais à Lakewood, N. J. Le témoignage du fils, Geo Sinclair, a été rédigé sans aucune entente préalable avec ses parents et sans connaître ce qu'ils disaient de leur côté. ”
Voici le compte rendu de l'agent, Mr B. F. Sinclair :
« Lakewood, le 12 juin 1894.
Le 5 juillet 1887, je partis de Lakewood pour passer quelques jours à New-York. Ma femme ne se trouvait pas bien au moment où je la quittai, et lorsque j'eus fait quelques pas je me retournai et je la vis qui se tenait sur le seuil de la porte, paraissant très désolée de mon départ. Ce tableau me hanta tout le jour et, le soir avant de me coucher, je résolus de tenter de me rendre compte de son état, si c'était possible. J'étais déshabillé, assis sur le bord de mon lit, et prenant ma tête entre mes mains je voulus me trouver à Lakewood pour voir dans quel état elle se trouvait. Au bout de quelques instants il me sembla que j'étais dans sa chambre, près de son lit, où je la vis étendue et paraissant plus calme. Je fus tranquillisé en la trouvant mieux, et je fus moins préoccupé de son état pendant mon séjour à New-York. Je rentrai le samedi. Lorsqu'elle me vit, elle me fit la remarque suivante : “Je ne sais si je suis ou non heureuse de vous voir, car je pensais que quelque chose avait dû vous arriver. La nuit de votre départ, entre 8 h. 30 et 9 heures, je vous ai vu debout devant mon lit aussi nettement que possible et depuis j'étais fort tourmentée à votre sujet. Chaque jour j'envoyais à la poste et à notre dépôt demander de vos nouvelles”. Lorsque je lui eus rendu compte de mes efforts pour m'assurer de son état, tout devint clair à ses yeux.
Elle m'avait vu au moment où je m'efforçais de la voir moi-même, pour juger de son état. Je pense donc que je me suis rendu visible pour elle en même temps que je la voyais.
Signé : B. F. Sinclair.

Mme Sinclair écrit :
« Je me rappelle parfaitement ce fait. Je le vis aussi nettement que s'il eût été là en réalité. Je ne le vis pas en costume de nuit mais dans le costume qu'il avait l'habitude de porter dans la maison. Cela me préoccupa beaucoup, car je craignis qu'il lui fût arrivé un accident. Je fus au supplice jusqu'au samedi, et s'il n'était pas revenu ce jour-là, j'aurais envoyé voir s'il ne lui était pas arrivé un malheur. »
Signé : H. M. Sinclair.

M. Georges Sinclair, le fils, répondit à M. le docteur Holbrook, qui lui demandait son témoignage.
27, 7e Rue New-York. City N.-Y., 14 juin 1894.
« Cher monsieur, j'ai reçu votre lettre du 13 courant et c'est avec plaisir que je vais vous donner tous les renseignement que je pourrai. A la date en question, j'habitais Seven Stars à Lakewood ; je ne me rappelle pas la date exacte, mais je sais que ce fut au milieu de la semaine que ma mère me dit un matin : “Qu'elle avait vu mon père le soir précédent, juste avant de se mettre au lit. Sa figure était vague et il paraissait comme mort ou comme s'efforçant de faire quelque chose au-dessus de son pouvoir ”. Elle attendit toute la semaine avec la plus vive anxiété une lettre ou un télégramme qui ne vinrent pas, et le samedi elle était au désespoir de n'avoir encore rien reçu. Il revint subitement le samedi soir, disant qu'il dépenserait moins chez lui qu'en restant le dimanche à l'hôtel à New-York.
Lorsque ma mère le questionna au sujet de ce qui lui était arrivé au milieu de la semaine, il répondit : “Qu'il s'était mis en tête de la voir ce soir-là, si c'était possible, et qu'il avait concentré toute sa volonté pour y arriver”, et cela eut le résultat que vous connaissez. Cela lui avait fait beaucoup de plaisir, mais avait beaucoup inquiété ma mère. »
Geo Sinclair.

Remarquons que, dans cet exemple, comme dans beaucoup d'autres, si je crois que la présence de l'âme de M. Sinclair dans la chambre de sa femme est l'explication la plus probable, à cause de la clairvoyance bien nette et de la sensation qu'il éprouve d'y être transporté, il ne s'en suit pas nécessairement qu'il s'est rendu visible comme il se l'imagine. Sa femme peut parfaitement n'avoir éprouvé qu'une action télépathique, et n'avoir eu qu'une hallucination, mais véridique, c'est-à-dire la perception d'une image mentale produite directement par M. Sinclair, car celui-ci n'est pas vu avec le vêtement de nuit dont il était revêtu, mais avec “ le costume qu'il avait l'habitude de porter ”. Bien que le résultat final soit toujours une apparition, au point de vue théorique, la différence entre la vision mentale et la vue oculaire est utile à signaler, car dans le premier cas l'âme est réellement là, mais invisible physiquement, alors que, dans le deuxième cas, c'est son corps spirituel qui acquiert assez d'objectivité pour être perçu par l'œil, et serait visible pour tout le monde, et même par des animaux, comme nous le constaterons plus tard. C'est ce dernier phénomène qui constitue la matérialisation proprement dite ; elle se rencontre également dans les cas spontanés et dans les cas expérimentaux.

 

Vision prémonitoire d’un suicide

Maintenant, que le dégagement de l'âme peut être admis avec une probabilité aussi grande que l'action télépathique, il est possible que le cas suivant, où un suicide est vu dans tous ses détails avant sa réalisation, s'explique par la hantise que M. Espie éprouvait de se détruire à cet endroit déterminé. La pensée de ce monsieur a dû se communiquer à Mme Alpine, mais non de loin, puisqu'elle ne le connaissait pas, tandis que si l'âme de M. Espie était là, Mme Alpine a perçu le projet qu'il méditait et l'a confondu avec une réalité.
Récit, de Mme Me. Alpine[12].
“Garscadden, Bearsden, Glascow, 20 avril 1892.
Je me rappelle que le 20 avril 1889, je me rendis à Castle Baney petite ville du comté de Monaghan, au devant de ma sœur qui devait arriver de Longford par le chemin de fer. Je l'attendais à trois heures, mais comme elle ne vint pas par ce train, je renvoyai le cheval et allai me promener dans le domaine. La journée était elle et, très chaude et je me promenais à l'ombre sur les bords d'un lac qui se trouve dans cette propriété. Enfin, me sentant fatiguée, je m'assis sur un rocher qui se trouvait au bout du lac. J'étais entièrement absorbée par la contemplation de l'admirable scène que j'avais sous les yeux. Il n'y avait pas le moindre bruit et le seul mouvement était celui des petites vagues qui venaient mourir à mes pieds sur le sable. Tout à coup un frisson glacial envahit tout mon corps ; je sentis une étrange faiblesse dans les jambes comme s'il m'avait été impossible de les remuer, malgré toute ma volonté. Je me sentais glacée et comme rivée au point où je me trouvais et obligée de maintenir mes regards fixés sur l'eau directement devant moi. Peu à peu il se forma un sombre nuage, au milieu duquel était un homme de haute taille, vêtu légèrement, qui plongea dans l'eau et disparut.
Dès que la masse sombre eut disparu, je ressentis la chaleur du soleil et j'eus conscience de sa clarté, mais je restai sous le coup de la terreur et anéantie. Il pouvait, être environ quatre heures, mais je ne pourrais dire l'heure exacte. Quand ma sœur arriva, je lui racontai ce qui venait de se passer ; elle en parut surprise, mais fut plutôt portée à en rire. En rentrant à la maison, j'en parlai à mon frère et je fus reçue de la même façon.
Cependant, environ une semaine plus tard, un employé de banque, nommé M. Espie, qui m'était inconnu, se suicida en se précipitant à cet endroit précis. Il laissa une lettre pour sa femme, dans laquelle il déclarait que depuis quelque temps il préméditait son suicide. Le souvenir de ma sœur est le seul élément de témoignage que je puisse citer. Je n'ai pas vu le rapport qui rendit compte de l'enquête faite à cette époque, et je n'ai parlé de mon aventure à aucune autre personne que mon frère et ma sœur. »
F. C. Mc. Alpine.

La sœur de Mme Mc. Alpine écrit :
« Roxboro, 15 février 1892.
Je me rappelle parfaitement que nous nous sommes trouvées à Castle Baney, lorsque je revenais de Longford et que vous m'avez raconté l'étrange aventure qui vous était arrivée dans la propriété. Vous savez qu'il vous arrivait souvent de voir ou d'entendre diverses choses et j'y faisais assez peu attention ; mais je me rappelle bien nettement qu'en racontant cette histoire vous étiez profondément troublée. Vous disiez qu'un homme de haute taille, vêtu d'étoffé légère avait passé près de vous et avait atteint une petite crique. Je crois, sans pouvoir l'assurer que vous avez dit qu'il avait de la barbe. Cela paraissait vous avoir fort troublée et je vous parlai d'autre chose. C'est en regagnant notre demeure que vous m'en avez parlé. Je crois, mais je ne l'affirme pas, que ce fut vers le 25 ou le 27 juin 1889 que je quittai Longford. Il ne m'est pas possible de donner une date exacte. C'était certainement en juin et c'est le 3 juillet 1889 qu'un M. Espie, employé dans une banque, se précipita dans le lac de la propriété de Blaney. Je suis certaine que c'est le jour de mon retour que vous avez vu le plongeon de M. Espie. »
La réalisation ultérieure du suicide, à cet endroit précis, semble éloigner toute idée de coïncidence fortuite. Revenons aux cas expérimentaux proprement dits.

 

Dégagement demi-conscient avec action physique

Mme d'Espérance, le médium bien connu dont j'aurai à parler longuement plus tard, a constaté un cas de dédoublement involontaire que nous verrons plus loin. Ici, le phénomène est encore plus intéressant, car c'est intentionnellement que l'extériorisation s'est produite, bien que la narratrice ne fût pas persuadée du tout de l'objectivité de ce qu'elle percevait d'une manière clairvoyante. Elle avait plutôt une tendance à croire à un jeu de son imagination qu'à un déplacement animique. Cependant, c'est une action à distance qui a été réalisée ; l'on assiste à une sorte de phénomène intermédiaire entre la transe proprement dite, et une espèce de somnambulisme vigile, qui a été signalé par différents auteurs.
Ce récit est extrait de l'ouvrage Northern Lights, paru en 1901.
« J'avais passé quelque temps à Helsingfors ; au moment où j'allais me rendre à Saint-Pétersbourg, mes amis insistèrent très vivement pour que je fisse de là un essai d'apparition au milieu d'eux. Je ne croyais pas à la réussite et je résistai longtemps. Enfin il fut convenu que le mercredi, ils m'attendraient de dix à onze heures du soir. Ils me demandaient de leur prouver ma présence en déplaçant quelques objets dans la pièce où ils se trouveraient, par exemple le candélabre qui serait posé sur la table, ou encore de frapper les verres de telle sorte qu'ils pussent les entendre. Comme je leur faisais remarquer que je ne serais peut-être pas libre à ce moment, ils me promirent d'attendre également le jeudi, si rien ne se produisait le mercredi.
Arrivée à Saint-Pétersbourg, j'avoue que j'oubliai tout à fait de me retirer dans ma chambre le mercredi à l'heure convenue, et lorsque j'y pensai j'entendis sonner minuit.
Le lendemain soir je rentrai plus tôt ; il était dix heures et quelques minutes, lorsque me tenant devant ma table de toilette je me demandai ce que je pourrais faire. Je n'avais pas sommeil et je ne croyais pas pouvoir m'endormir assez tôt après avoir arrangé mes cheveux et fait ma toilette de nuit. Je me demandais quelle était la différence de l'heure entre Saint-Pétersbourg et Helsingfors et je ne parvins pas à me la rappeler. Mes pensées étaient flottantes et je commençais à me sentir vaguement inquiète.
Enfin m'adressant la parole à moi-même je me dis en me regardant dans la glace : “Ce n'est pas bien ; vous avez donné votre parole et vous devez la tenir dans la mesure du possible. Vous feriez mieux de vous asseoir et de penser avec énergie à faire ce qui est convenu. Rappelez-vous que vos excellents amis d'Helsingfors attendent que vous teniez votre promesse.”
M'étant ainsi sermonnée je tournai le dos à la glace et je m'assis devant mon bureau, sur lequel brûlait une petite lampe pour la lecture. Je posai mes coudes sur la table, je me pris la figure entre les mains et réfléchis à la manière dont j'allais commencer.
Je vais m'imaginer que je me rends chez eux, me dis-je. Je me vis alors en imagination descendre l'escalier et sortir dans la rue, pour gagner la gare de Finlande et arriver par le train à Helsingfors. En y arrivant je marchai à travers des rues couvertes d'une neige profondément gelée, je remarquai quelques passants, les maisons, l'église, quelques lampes allumées et je me dis en moi-même : “Combien la ville est calme et triste à cette heure de la nuit.” J'arrivai au boulevard où se trouvait la demeure de mes amis, en remarquant les arbres et arbustes du parc couverts de neige. Ce qui me frappa, c'était qu'il était plus de dix heures et que les portes d'entrée de la maison devaient être fermées à clef, de sorte que je ne pourrais y entrer. Je les trouvai ouvertes ce qui me fit sourire et je pensai : “Voilà une idée ridicule : je suis assise ici à ma table, devant ma lampe, et cependant je m'imagine un voyage et je fais des réflexions sur les objets imaginaires que je rencontre dans ma pérégrination, comme si elle était réelle.” Ces réflexions me rendaient moins attentive et diminuaient ma résolution de poursuivre mon voyage de fantaisie. Je fermai donc résolument les yeux et je me forçai à monter les étages en comptant les marches, comme je le faisais jadis dans mon enfance quand je montais ou je descendais un escalier. En arrivant au troisième étage, je me souvins d'une paire de galoches que j'y avais vue une fois, et qui semblaient comme les pieds d'une sentinelle qui s'était évaporée en laissant là ses pieds pour monter la garde à sa place, et je ris comme je l'avais fait alors.
Arrivée devant la porte, je posai la main sur la poignée de la serrure : elle tourna ; j'entrai directement dans le salon qui était dans l'obscurité. Je connaissais la disposition des meubles, de sorte que je pus trouver la porte de la chambre que j'avais occupée et où il était convenu que je me rendrais. J'ouvris doucement et je regardai, constatant avec surprise qu'elle était également dans l'obscurité. Je m'étonnai que ce mouvement de surprise me reportait vers le sentiment de ma position réelle devant ma table dans une maison de la Perspective Newski à Saint-Pétersbourg. Mais j'écartai celte pensée, car je prenais un vif intérêt à mon excursion imaginaire, et je craignais de couper court à des impressions qui devenaient si réelles pour moi. Je regardais dans cette chambre toute noire, m'étonnant de la trouver ainsi et de ne pas l'avoir éclairée dans mon imagination. Je me demandais pourquoi il n'y avait personne.
Bientôt, m'habituant à l'obscurité, je commençai à avoir conscience de la présence de quelques personnes, et je remarquai qu'une faible lueur indiquait l'emplacement de la fenêtre. Peu à peu je pus distinguer des formes sombres, et comme nuageuses, ressortant sur le fond blanc des murs. Je les comptai et en trouvai dix. Je savais qu'il devait y avoir plusieurs personnes, mais je pensais que le nombre ne dépasserait pas six, celui des membres de la famille. Il faisait trop sombre pour que je pusse en reconnaître aucun. Me tournant vers la fenêtre, je vis une autre ombre, dont les contours se dessinaient sur les rideaux blancs, faiblement éclairés du dehors, et cela me fit penser au capitaine T.... Je le considérai quelques instants avec curiosité et je me dis : “ Si c'est le capitaine il doit avoir son uniforme. ” J'allai donc à lui et j'étendis ma main pour explorer son épaule et la manche de sa tunique. Ce n'était pas un uniforme et j'en conclus que ce n'était pas le capitaine.
Tournant le dos à la fenêtre, il me sembla que je pouvais distinguer les contours de diverses personnes et je me dis : “Si je ne m'étais pas trompée à propos du capitaine, je serais portée à dire que la personne à droite est le général T... et sa femme à sa gauche. Mais tout cela n'a pas le sens commun. Je ne vois rien, puisque je suis assise à ma table, avec mes cheveux tombant dans mon dos, en train de composer un rêve. Je ferais mieux de me coucher.”
Cependant, tout en me gourmandant, il me sembla que j'étais derrière la forme que j'avais prise pour le capitaine et, tout à coup, je vis une autre ombre, ou forme, que je n'avais pas d'abord remarquée, étendue sur le parquet entre le sofa et le capitaine supposé. J’en fus un peu surprise et je m'étonnai en outre des fantaisies que mon imagination créait ; mais en même temps je décidai que la forme accroupie sur le parquet devait être celle d'Ebba, le plus jeune membre de la famille, car je me rappelais que telle était souvent sa pose lorsqu'une conversation l'intéressait. Je souriais en moi-même des fantaisies créées par mon imagination, qui reproduisait ainsi des détails presque oubliés et les faisait repasser sous mes yeux comme des réalités.
J'avais le sentiment que j'avais quelque chose à dire ou à faire, mais je m'évertuais en vain à me le rappeler. Je m'efforçais de percer les ténèbres qui m'entouraient, espérant trouver un objet qui pût rafraîchir ma mémoire, mais je dus y renoncer et ne me rappelai rien.
Quelque chose comme le bruit d'une porte qui s'ouvre ou d'une sonnette qui tinte vint me secouer, et toute la scène imaginaire s'évanouit.
J'étais tout à la fois intéressée par cet effort de volonté que je venais de faire, et assez peu satisfaite de moi-même. Je songeais que si je m'étais couchée et endormie, les scènes imaginaires auraient pu prendre un caractère plus tangible mais comme il était plus de onze heures, je me sentis trop épuisée et fatiguée. Quelques jours plus tard j'étais de retour à Helsingfors. “Vous n'êtes pas venue le mercredi, lorsque nous nous trouvions réunis pour la soirée,” dirent mes amis.
“Non. Il me fut impossible de quitter la compagnie où je me trouvais, avant une heure trop avancée. Vous m'avez donc attendue ici ? ”
“Oui, nous y étions tous, ainsi que le jeudi. N'avez-vous rien essayé ?”
“Oui : j'ai essayé ; mais je ne savais comment m'y prendre ; je ne suis rentrée dans ma chambre que vers dix heures ; je n'ai pu m'endormir à temps et je ne crois pas avoir réussi. Je me suis efforcée de fixer ma pensée sur vous tous, de m'imaginer que j'étais dans la chambre et que je vous y voyais tous assis ; mais j'avais conscience que tout cela n'était que pure imagination. Je ne pense pas que l'on puisse faire à volonté une pareille chose, quoique je m'imaginais vous voir tous solennellement assis et attendant dans l'obscurité.”
“Oui, nous avons pensé que le phénomène se produirait plus facilement si aucune lumière ne brillait.”
“Oh ! Voilà qui est curieux ! J’avoue que lorsque je m'efforçai de me transporter en imagination au milieu de vous, je fus surprise de trouver la chambre absolument obscure et il me sembla que vous étiez au nombre de dix, ou plutôt de onze.” Je fis cette correction parce que je me rappelai la forme accroupie que je n'avais pas d'abord aperçue, lorsque je comptai les formes obscures. “Nous n'étions que dix.”
Je commençai à sentir dans le bout de mes doigts une sorte de fourmillement.
“Le capitaine n'était-il pas assis près de la fenêtre à laquelle il tournait le dos ?”
“Oui”
“ Et le général à la droite de la table, près du poêle ?”
“Oui ”
“ Et Mme T... à sa gauche ? ”
« Oui ”
 Et trois personne sur le sofa en face de la porte ?”
“Oui. ”
Nous nous regardions, en proie à un étonnement de plus en plus grand.
“Le capitaine ne portait pas son uniforme ?”
“Si ; il le portait”
“Alors cela ne s'explique plus et toutes les autres choses peuvent n'être que de simples coïncidences, car si j'ai été réellement ici, je n'ai pas vu d'uniforme à la personne que je prenais pour le capitaine. Et Ebba ? N'était-elle pas accroupie sur le parquet ou assise sur un tabouret, entre le sofa et le capitaine ? ”
“Non, dit, Ebba ; j'étais assise sur le sofa, entre ma sœur et Miss H...”
“Voilà une seconde erreur ! Je me suis figurée que quelqu'un se trouvait là, et j'ai cru naturellement que c'était Ebba.”
“Non : personne n'avait pris place ainsi.”  
Dans ces conditions, la question fut abandonnée et l'on causa d'autre chose. Plus tard le capitaine vint se joindre à nous et reprit le sujet ; je lui rendis compte de ma tentative pour me trouver au milieu d'eux, des coïncidences et des erreurs, de l'uniforme, de la position d'Ebba, etc..
“Mais je n'avais pas mon uniforme, s'écria le capitaine. La pluie l'avait trempé et je l'échangeai contre une jaquette d'intérieur. Je tournais le dos à la fenêtre et il n'y avait personne près de moi. Taudis que je m'y trouvais, je sentis nettement qu'une main touchait mon épaule. Vous vous rappelez que je vous le signalai, dit-il en se tournant vers les autres. Cela me surprit beaucoup. La main me toucha à l'épaule et descendit ensuite le long de mon bras, jusqu'à mon poignet.”
Je n'avais pas dit un seul mot de mon examen imaginaire de la manche du vêtement du capitaine.
“Oui, dirent les autres, nous nous rappelons que vous nous avez dit que quelqu'un vous touchait.”
“On pouvait même l'entendre nettement, reprit le capitaine. Je dis à B..., qui était assis le plus près de moi, d'écouter et qu'il entendrait le frottement. Il s'approcha alors et se mit à genoux derrière moi, pour pouvoir entendre, si la chose se reproduisait une seconde fois.”
“Alors, c'était donc l'avocat B... qui était accroupi sur le parquet et que vous avez pris pour Ebba ! ”
La question commençait à revêtir un aspect tout nouveau, et j'avais l'étrange et passionnant sentiment qu'il y avait là autre chose qu'une simple plaisanterie.
“Mais alors, pourquoi n'avez-vous pas touché le candélabre ?” Je me rappelai alors ce qui m'avait intriguée ; que j'avais oublié malgré tous mes efforts pour me le rappeler, lorsque je me tenais hésitante dans la chambre obscure.
“J'avais oublié, je m'efforçais de retrouver le souvenir et je cherchais autour de moi quelque chose qui pût me mettre sur la bonne voie ; mais il faisait vraiment trop noir. Je ne crois pas avoir aperçu le candélabre à aucun moment : je suis sûre que je me le rappellerais.”
“ Nous aurions dû le laisser sur la table, fit remarquer la comtesse W... et alors vous l'auriez vu ; mais quelqu'un ayant fait remarquer que s'il se produisait des mouvements de table, le candélabre aurait pu être renversé et brisé, on le plaça dans la niche du poêle. Vous n'auriez guère pu le voir là ; mais n'y pensons plus.”
Ainsi donc les faits se reliaient d'une façon bien curieuse, et les faits notés dans ma visite imaginaire se confirmaient :
1° La chambre était dans l'obscurité.                         
2° Il s'y trouvait dix personnes.
3° Trois d'entre elles, le général, sa femme et le capitaine étaient bien là ou je les avais vus.
4° Le capitaine ne portait pas son uniforme.
5° Mon exploration de son épaule et de sa manche avait été entendue, sentie et signalée.
6° Il y avait une forme accroupie ; et mon erreur qui me faisait voir onze personnes venait de ce que l'avocat avait changé de place après avoir été compté.
7° L'enlèvement du candélabre de la table expliquait suffisamment ma défaillance de mémoire.
Deux choses me frappent dans cette expérience : Mme d'Espérance ne tombe pas en transe complète et nous verrons qu'il en a été de même dans ses nombreuses séances de matérialisation. Elle reste dans un état vague où elle flotte entre l'état de transe dans lequel elle perçoit des amis à Helsingfors, et la notion de ce qui l'environne à Pétersbourg.
Nous notons en outre que son esprit, partiellement dégagé, est sensible à l'absence de lumière, tandis que les esprits qui se manifestent dans la plupart des séances agissent avec autant de précision au milieu de l'obscurité que sous une lumière éclatante.
J'ai signalé que certaines personnes paraissent avoir une prédisposition au dédoublement inconscient, puisque nous l’avons vu se produire d'une manière réitérée pour Mme Hawkins, Mlle Hopkinson, pour le pasteur Lockyer Williams, et pour Mme d'Espérance. Voici encore un exemple de bilocalion réelle, car cette fois le fantôme est aperçu par les deux sœurs, ce qui prouve, suivant moi, son objectivité. Je l'emprunte aux Hallucinations télépathiques.

 

Le double est visible pour les deux soeurs

Le récit suivant a été copié sur un manuscrit de M. S. H. B.; il l'avait lui-même transcrit d'un Journal qui a été perdu depuis. Il est bon d'ajouter que tous les personnages mentionnés ici étaient connus personnellement de MM. Myers et Guerney, qui les considèrent comme des témoins dignes de toute confiance :
« Un certain dimanche du mois de novembre 1881, vers le soir, je venais de lire un livre où l'on parlait de la grande puissance que la volonté humaine peut exercer. Je résolus avec toute la force de mon être d'apparaître dans la chambre à coucher du devant, au second étage d'une maison située 22, Hogarth road Kensington. Dans cette chambre couchaient deux personnes de ma connaissance : Mlle H. S. Verity et Mlle C. F. Verity, âgées de vingt-cinq et de onze ans. Je demeurais à ce moment 23, Kildare Gardens, à une distance de trois milles à peu près de Hogarth Road, et je n'avais pas parlé de l'expérience que j'allais tentera aucune de ces deux personnes, par la simple raison que l'idée de cette expérience me vint ce dimanche soir en allant me coucher. Je voulais apparaître à une heure du matin, très décidé à manifester ma présence.
Le jeudi suivant, j'allai voir ces dames, et, au cours de notre conversation (et sans que j'eusse fait aucune allusion à ce que j'avais tenté), l'aînée me raconta l'incident suivant :
Le dimanche précédent, dans la nuit, elle m'avait aperçu debout près de son lit et en avait été très effrayée, et, lorsque l'apparition s’avança vers elle, elle cria et éveilla sa petite sœur qui me vit aussi. Je lui demandai si elle était bien éveillée à ce moment, elle m'affirma très nettement qu'elle l'était. Lorsque je lui demandai à quelle heure cela s'était passé, elle me répondit que c'était vers une heure du matin. Sur ma demande, cette dame écrivit un récit de l’événement et le signa.
C'était la première fois que je tentais une expérience de ce genre et son plein et entier succès me frappa beaucoup.
Ce n'est pas seulement ma volonté que j'avais fortement tendue j'avais aussi fait un effort d'une nature spéciale, qu'il m'est impossible de décrire. J'avais conscience d'une influence mystérieuse qui circulait dans mon corps, et j'avais l'impression distincte d'exercer une force que je n'avais pas encore connue jusqu'ici, mais que je peux à présent mettre en action à certains moments, lorsque je le veux. »
S. H. B.

M. B. ajoute :
Je me souviens d'avoir écrit la note qui figure dans mon journal à peu près une semaine après l'événement, et pendant que le souvenir que j'en avais était encore très frais.
Voici comment Mlle Verity raconte l'événement :
« Le 18 janvier 1883.
Il y a à peu près un an qu'un dimanche soir, à notre maison de Hogarth Road, Kensington, je vis distinctement M. B. dans ma chambre vers une heure du malin. J'étais tout à fait réveillée et fort effrayée ; mes cris réveillèrent ma sœur qui vif aussi l'apparition. Trois jours après, lorsque je rencontrai M. B., je lui racontai ce qui était arrivé. Je ne me remis qu'au bout de quelque temps du coup que j'avais reçu, et j'en garde un souvenir si vif qu'il ne peut s'effacer de ma mémoire. »
L. S. Verity.

En réponse à nos questions, Mlle Verity ajoute :
« Je n'avais jamais eu aucune hallucination. »
Mlle E. C. Verity, dit :
« Je me rappelle l'événement que raconte ma sœur. Son récit est tout à fait exact. J'ai vu l'apparition qu'elle voyait, au même moment et dans les mêmes circonstances. »
E. C. Verity.

Mlle A. S. Verity dit :
« Je me rappelle très nettement qu'un soir ma sœur aînée me réveilla en m'appelant d'une chambre voisine. J'allai près du lit où elle couchait avec ma sœur cadette, et elles me racontèrent toutes les deux qu'elles avaient vu S. H. B. debout dans la pièce. C'était vers une heure; S. H. B. était en tenue de soirée, me dirent-elles. »
A. S. Verity.

M. S. H. B. ne se rappelle plus comment il était habillé cette nuit-là.
En discutant ce cas, les auteurs anglais font les très justes remarques suivantes : Mlle, E. C. Verity dormait quand sa sœur aperçut l'apparition, elle fut réveillée par l'exclamation de sa sœur : “Voilà S...” Elle avait donc entendu le nom avant d'avoir vu l'apparition, et son hallucination pourrait être attribuée à une suggestion, mais cela ne suffit pas, évidemment, pour la considérer comme prédisposée à éprouver des impressions de ce genre. Il est certain qu'il faut autre chose que de dire à quelqu'un : voici M. X., pour que ce quelqu'un soit immédiatement halluciné. Les deux sœurs sont également sûres que l'apparition était en habit de soirée ; elles s'accordent aussi sur l'endroit où elle se tenait. Le gaz était baissé et l'on voyait plus nettement le fantôme que l'on eût pu voir une figure réelle.
Nous avons, disent encore les auteurs, examiné contradictoirement les témoins avec le plus grand soin. Il est certain que les demoiselles V..., ont parlé tout à fait spontanément de l'événement à M. B. Tout d'abord, elles n'avaient pas voulu lui en faire part, mais, quand elles le virent, la bizarrerie de l'affaire les poussa à le faire. Mlle Verity est un témoin très exact et très consciencieux ; elle n'aime nullement le merveilleux, et elle craint et déteste surtout cette forme particulière du merveilleux.
Les remarques précédentes peuvent nous faire admettre que dans le cas suivant, il y a eu autre chose qu'une simple action télépathique, d'abord parce que M. S. H. B,, a eu un instant la sensation de quitter son corps, puis la percipiente Mme L., ne le connaissait pas assez pour se trouver en rapport avec lui, d'autant mieux que la pensée de ce monsieur n'était pas concentrée sur elle, mais sur ses deux sœurs. Voici ce fait intéressant, ici qu'il a été copié dans le manuscrit dont il est fait mention plus haut.
Le vendredi 1er décembre 1882, à 9 h. 30, je me retirai tout seul dans une chambre, je m'assis au coin du feu et je m'efforçai avec tant d'intensité de fixer ma pensée sur l'intérieur d'une maison de Kew (Clarence Road), où demeurait Mlle V. et ses deux sœurs, qu'il me sembla que je m'y trouvais effectivement. Pendant cette expérience, je dois m'être endormi d'un sommeil magnétique, car je ne perdis pas conscience, mais je ne pouvais remuer mes membres. Il ne me semblait pas avoir perdu la faculté de les mouvoir, mais je ne pouvais faire l'effort nécessaire pour cela. J'eus la sensation que mes mains, posées légèrement sur mes genoux à peu près à six pouces l'une de l'autre, allaient se rejoindre involontairement, et elles semblaient se rencontrer, quoique j'eusse conscience qu'elles ne remuaient pas.
J'appelle l'attention du lecteur sur ce dernier fait, qui est très curieux, car nous verrons plus tard, en étudiant les travaux de M. de Rochas, que les sujets sur lesquels on produit expérimentalement l'extériorisation de la sensibilité ont aussi l'impression de sentir leurs mains fluidiques se rencontrer, sans que les membres matériels se touchent. Ce rapprochement entre un fait spontané et ceux qui sont provoqués artificiellement, me paraît établir que le dédoublement de M. S. H. B. est d'autant plus probable, qu'il croit s'être trouvé dans une sorte d'état somnambulique. Poursuivons :
« A 10 heures, un effort de volonté me ramena à mon état normal. Je pris un crayon et je notai sur une feuille de papier ce que je viens de dire.
La même nuit, quand j'allai me coucher, je pris la résolution d'apparaître à minuit dans la chambre à coucher située sur le devant de la maison dont nous venons de parler, et d'y rester jusqu'à ce que j'eusse rendu sensible ma présence spirituelle aux habitants de la chambre.
Le lendemain, samedi, je me rendis à Kew pour y passer la soirée, et j'y rencontrai une sœur mariée de Mlle V.... (Mme I...). Je n'avais rencontré cette dame qu'une seule fois, c'était à un bal costumé, deux ans auparavant ; nous n'avions pas échangé plus d'une demi-douzaine de mots. Cette dame devait donc avoir perdu tout souvenir de mon extérieur, si même elle l'avait jamais remarqué.
Je ne pensai pas une minute à lui poser une question relative à l'expérience que j'avais tentée, mais dans le cours de notre conversation elle me raconta qu'elle m'avait vu distinctement deux fois la nuit précédente. Elle avait passé la nuit à Clarence Road et elle avait couché dans la chambre du devant. Vers 9 heures et demie, à peu près, elle m'avait vu passer dans le couloir pour aller d'une chambre à une autre, et, vers minuit, étant parfaitement réveillée, elle, me vit entrer dans sa chambre à coucher, me diriger vers l'endroit où elle dormait et prendre dans mes mains ses cheveux qui sont très longs. Elle me raconta aussi que l'apparition lui saisit la main et la regarda avec beaucoup d'attention, de sorte qu'elle dit : “Vous ne devez pas regarder les lignes, car je n'ai jamais eu aucun malheur.” Puis elle réveilla sa sœur, Mlle V..., qui couchait avec elle, et lui raconta ce qui venait de se passer. Après avoir entendu son récit, je sortis de ma poche ce que j'avais écrit la veille ; je le montrai à quelques-unes des personnes présentes qui furent fort étonnées, malgré leur incrédulité.
Je demandai à Mme L..., si elle ne rêvait pas, au moment de la deuxième apparition, mais elle me dit de la manière la plus nette qu'elle était tout à fait éveillée. Elle me dit qu'elle avait oublié comment j'étais fait, mais qu'elle m'avait reconnu tout de suite en me voyant. »
Mme L..., a une imagination très vive. Elle m'a dit qu'elle était sujette depuis son enfance à des impressions, à des pressentiments[13] et il se trouva plusieurs fois que ses impressions étaient exactes, etc. Mais la coïncidence étrange, merveilleuse, des heures (qui était exacte) me convainquit que ce qu'elle venait de me raconter n'était pas dû à son imagination seule. Sur ma demande, elle écrivit brièvement ce qu'elle avait éprouvé et le signa.
S. H. B.

L'édition française reproduit la narration de Mme L..., qui est conforme à celle faite par M. S. H. B. et l'attestation de la sœur de Mme L..., qui affirme que le récit des deux visions lui a été fait immédiatement après la seconde apparition.
Pour les raisons énumérées plus haut : d'abord une première apparition, qui fut objective pour les deux sœurs Verity ; puis dans la seconde expérience ; le dégagement de M. S. H. B. ; son apparition à une personne qu'il connaissait à peine et dont il ignorait la présence à la maison de Clarence Road, je crois que l'extériorisation fut réelle et qu'il y a eu très probablement matérialisation temporaire du double, qui s'accuse par l'ouverture de la porte (signalée dans le récit de Mme L...) et par les attouchements des cheveux et de la main. Malheureusement le récit ne spécifie pas si Mme L. a constaté que la porte, d'abord fermée, est restée ouverte après la disparition du fantôme, sans quoi la certitude de l'objectivité physique de l'apparition serait complète.
Dans le deuxième épisode du récit qui suit, il semble bien aussi qu'il y a eu tout autre chose qu'une simple action télépathique, car une conversation tenue avec une apparition implique la présence réelle de l'interlocuteur. Voici les faits :

 

Une apparition qui cause au révérend Stainton Moses

IV-(13). Le sujet de l'expérience est notre ami le Rév. W. Stainton Moses[14] ; il croit posséder un récit contemporain de l'événement, mais il n'a pu encore le retrouver au milieu de ses papiers. Nous connaissons un peu l'agent. Son récit a été écrit en février 1879, et l'on n'y a fait en 1883 que quelques changements de mots, après l'avoir soumis à M. Moses, qui l'a déclaré exact.
Un soir, au commencement de l'année dernière, dit l'agent, je résolus d'essayer d'apparaître à Z[15], qui se trouvait à quelques milles de distance. Je ne l'avais pas informé d'avance de l'expérience que j'allais tenter, et je me couchai un peu avant minuit en concentrant ma pensée sur Z... ; je ne connaissais pas du tout sa chambre ni sa maison. Je m'endormis bientôt et je me réveillai le lendemain matin sans avoir eu conscience que rien se fut passé. Lorsque je vis Z..., quelques jours après, je lui demandai : “N'est-il rien arrivé chez vous, samedi soir ? — Certes, oui, me répondit-il, il est arrivé quelque chose. J'étais assis avec M... près du feu, nous fumions en causant. Vers minuit et demi, il se leva pour s'en aller, et je le reconduisis moi-même. Lorsque je retournai à ma place, près du feu, pour finir ma pipe, je vous vis assis dans le fauteuil qu'il venait de quitter. Je fixai mes regards sur vous, et je pris un journal pour m'assurer que je ne rêvais point, mais lorsque je le posai, je vous vis encore à la même place. Pendant que je vous regardais sans parler, vous vous êtes évanoui. Je vous voyais, dans mon imagination, couché dans votre lit, comme d'ordinaire à cette heure, mais cependant vous m’apparaissiez vêtu des vêtements que vous partiez tous les jours. C'est donc que mon expérience semble avoir réussi, lui dis-je. La prochaine fois que je viendrai, demandez-moi ce que je veux ; j'avais dans l'esprit certaines questions que je voulais vous poser, niais j'attendais probablement une invitation à parler.”
Quelques semaines plus tard, je renouvelai l'expérience avec le même succès. Je n'informai pas non plus cette fois-là Z..., de ma tentative. Non seulement il me questionna sur un sujet qui était, à ce moment une occasion de chaudes discussions entre nous, mais il me retint quelque temps par la puissance de sa volonté, après que j'eus exprimé le désir de m'en aller.
Lorsque le fait me fut communiqué, il me sembla expliquer le mal de tête violent et un peu étrange que j'avais ressenti le lendemain de mon expérience. Je remarquai du moins alors, qu'il n'y avait pas de raison apparente à ce mal de tête inaccoutumé. Comme la première fois, je ne gardai pas le souvenir de ce qui s'était passé la nuit précédente, ou du moins de ce qui semblait s'être passé.
M. Moses nous écrit :
21 Birchington Road. N. W., le 27 septembre 1885.
Ce récit est, autant que je m'en souviens, exact, et il m'est impossible de le compléter, n'ayant pas de notes à ma disposition.
W. Stainton Moses.

Il est presque impossible de supposer qu'il s'agisse dans la deuxième expérience d'une action télépathique, car une conversation exige pour les demandes et les réponses une influence réciproque qui ne se comprendrait plus. En effet, dans l'hypothèse d'une action télépathique, c'est l'agent qui a choisi le jour et l'heure où W. Sainton Moses devait avoir une hallucination, et celle-ci s'est produite. Mais quand le révérend cause, il faut que sa pensée arrive claire et distincte à l'agent, qui doit, à chaque instant, modifier l'apparition, pour lui donner l'apparence de répondre aux questions qui lui sont posées. Si cela a lieu ainsi, on ne comprend pas trop comment la volonté de M. Moses aurait eu le pouvoir de retenir un fantôme qui n'aurait possédé aucune réalité, et ceci contre la volonté de l'agent. Au contraire, si l'esprit de l'interlocuteur est présent, il devient compréhensible que la force magnétique de M. Moses le contraigne à rester, car il est des exemples nombreux de cette action de la volonté sur des sujets sensibles. Il est possible que la vue de l'esprit de l'agent soit due à la clairvoyance du révérend, qui était un excellent médium et dans ce cas, ce ne serait plus une conversation verbale qui aurait été tenue, mais plus probablement un échange de pensées qui aurait pris la forme d'hallucinations auditives chez le percipient. Quoi qu'il en soit, la présence de l'esprit de l'agent semble plus rationnelle qu'une action télépathique réciproque.
Dans les cas suivants, le dédoublement semble tout à fait, bien constaté.

 

Dédoublements volontaires et réitérés

M. A de Rochas a publié dans les Annales des Sciences psychiques[16], l'article suivant, que je crois utile de reproduire en entier :
La réalité des phénomènes qu'on classe aujourd'hui sous le nom de phénomènes psychiques est maintenant admise par tous ceux qui ont étudié la question. Il y a de nombreuses théories, fort différentes les unes des autres ; celle qui me paraît, pour le moment, la plus rapprochée de la vérité est celle du corps astral ; aussi, toutes les expériences qui tendent à prouver son existence et à définir ses propriétés ont-elles une importance considérable. Le phénomène de bilocation est certainement un de ceux qui laissent le moins de prise aux autres interprétations.
Je me bornerai à rappeler ici qu'on en a observé de nombreux cas dans la vie des saints, et je passe de suite à sa production expérimentale. Les auteurs de Phanstasms of the Living en citent sept cas parfaitement attestés, que tous les lecteurs des Annales doivent connaître.
En voici quatre autres qui se sont produits, il y a quelques années, dans la famille de Mme Agathe Haemmerlé, la savante amie de Carl du Prel, dont elle a traduit les principaux ouvrages. L'auteur de la relation est sa fille Alma, alors âgée environ de dix-huit ans, et à qui je laisse la parole.

1er  Expérience
La première expérience a eu lieu à Kherson (Russie méridionale), où mon frère terminait ses études au gymnase. Ses amis de classe fréquentaient notre maison, et comme ma mère s'occupait de questions psychiques qui nous intéressaient tous, nous résolûmes un soir de faire une expérience.
En conséquence nous fixâmes l'heure à laquelle deux de ces jeunes gens, MM. Stankewitch et Serboff, tâcheraient d'envoyer le lendemain leur double vers nous : l'un à 11 heures du soir, l'autre à 11 heures et demie. Nous réglâmes nos montres, et il fut convenu que M. Stankewitch irait trouver mon frère dans sa chambre à coucher, tandis que M. Serboff se montrerait au salon.
Le lendemain soir, ma sœur Irma s'assit dans la salle à manger, d'où elle pouvait voir la porte donnant sur le salon. Mon frère, comme il était convenu, resta dans sa chambre et s'étendit sur son lit pour pouvoir mieux concentrer son attention sur le phénomène qu'il attendait. La chambre à coucher était attenante à la salle à manger.
Après avoir été un moment auprès de ma sœur, j'entrai dans la chambre de mon frère et, m'accoudant sur la rampe au pied de son lit, je lui demandai quelle heure il était. Il lira sa montre et me dit, qu'il était juste 11 heures. La lampe de la supension brûlant dans la salle à manger donnait assez de clarté dans la chambre à coucher pour pouvoir distinguer les objets. Au même instant je sentis quoique chose qui me poussait l'épaule, et je vis à côté de moi la forme très distincte de M. Stankowitch ; je pouvais distinguer son uniforme foncé avec les boutons en métal blanc. En même temps mon frère me dit : “Le voilà auprès de toi.” — “ L'as-tu vu ? ”, ajouta-t-il presque aussitôt car, après la première question, l'apparition avait disparu.
Ma sœur, nous entendant parler, s'approcha de nous en disant : qu'elle venait de voir M. Stankewitch entrer par la porte du salon, passer auprès de la table dans la salle à manger, et puis disparaître à ses yeux. Elle l'avait vu aussi en uniforme et avait pu distinguer les boutons en métal blanc.
Immédiatement après, nous entrâmes tous les trois au salon, qui était éclairé par la lampe de la salle à manger, pour attendre l'apparition de M. Serboff. Il ne vint qu'à minuit. Cette apparition nous sembla plus pâle que la précédente et moins distincte. Il entra par l'antichambre au salon, où il s'arrêta un moment près de la porte, s'avançant tantôt à droite vers un des corps de la bibliothèque, tantôt à gauche vers l'autre ; puis il disparut subitement. Nous gardâmes encore le silence pendant quelque temps, croyant qu'il réapparaîtrait, mais ce fut en vain.
Mon frère inscrivit alors en détail sur deux feuilles le résultat des expériences, les mit sous enveloppes et les cacheta. Le lendemain, au gymnase, mon frère demanda à ses deux amis s’ils n'avaient pas oublié leur promesse. Ils se mirent aussitôt à raconter, devant leurs camarades, tous les détails qui correspondaient exactement à tout ce que mon frère avait inscrit. Alors il leur remit les enveloppes cachetées, qui furent ouvertes et dont le contenu fut lu à haute voix devant toute la classe. Apres avoir lu le compte rendu qui le concernait, M. Serboff dit qu'au moment d'entrer au salon, il était indécis relativement a l'armoire dont il voulait s'approcher, car il avait eu l'intention d'ouvrir la bibliothèque et d'y prendre un livre ; mais il perdit la force de concentration et revint à lui. Se sentant trop fatigué, il ne put recommencer l'expérience M. Stankewitch ajouta qu'il était étonné de sentir une résistance en s'approchant du lit, car il ne s'attendait, pas a ma présence ; il croyait que la résistance provenait de ce qu'il s'était trop approché de la muraille, puisqu'il ne voyait que mon frère.
Nous avons perdu de vue M. Stankewich, mais M. Georges Serboff est avocat et habite actuellement Kerson ; mon frère, Alfred Haemmerlé, habite Odessa, rue Catherine, 14.

2e Expérience
Ma sœur Irma alla passer quelques jours à la campagne, auprès d'une de nos amies, pendant que je restais avec mes parents. C'était la première fois que je me séparais de ma sœur jumelle et, comme son absence m'était très pénible, je résolus d'aller voir ce qu'elle faisait.
Il était 11 heures du soir et j'étais couchée. Bientôt, je me vis dans la chambre qu'elle partageait avec notre amie, et j'aperçus ma sœur couchée dans son lit, un livre à la main et lisant à la lueur d'une lampe munie d'un abat-jour vert. Elle sentit ma présence, releva les yeux et me vit debout près du poêle. Lorsque je vis qu'elle me regardait, je tachai de me cacher derrière le poêle, dans la crainte qu'elle ne s'effrayât de l'apparition, n'étant pas sûre qu'elle me reconnaîtrait.
Le lendemain, je lui écrivis les détails que je viens de relater, et je reçus une lettre, datée du même jour, me disant qu'elle m'avait vue la veille, à 11 heures du soir, près du poêle.
Ma sœur et moi nous avons renouvelé plusieurs fois cette expérience, qui ne réussit pas toujours.

3e Expérience
Un soir, me trouvant dans la famille Spechnieff, ou il y a quatre sœurs qui sont mes amies, l'aînée, Mlle Anna, dit, d'un air soucieux, que son frère (qui était officier et qui devait partir le lendemain pour Vladivostok) venait d'être pris subitement d'un fort accès de fièvre. Voyant mes amies si inquiètes, je résolus, en rentrant chez moi, de tâcher de guérir le malade par suggestion mentale.
Je me vis alors transportée dans la chambre du malade ; je le fixai en employant toute ma volonté, lui suggérant mentalement une guérison complète. Quand, le lendemain, j'allai visiter mes amies pour leur demander des nouvelles de leur frère, Mlle Anna me dit qu'il était parti bien portant et qu'il avait dit, le matin même, qu'il avait eu pendant la nuit une apparition : il m'avait vue au fond de la chambre, il avait senti que ma présence avait une influence calmante et qu'au même instant la fièvre l'avait quitté.
Les autres sœurs me virent aussi un jour où il était convenu que je leur apparaîtrais.

4e Expérience
Une de mes cousines, qui s'intéressait beaucoup à la psychologie, a fait de nombreuses expériences de dédoublements.
Nous passions quelques jours à la campagne chez ma tante. Un soir, voulant savoir si elle s'apercevrait de ma présence, je résolus d'aller la voir sans l'avertir d'avance.
Nous habitions l'aile droite, au fond, de la cour. Sa chambre était située au rez-de-chaussée et je voulais entrer par la fenêtre qui donnait dans la cour. J'essayai, d'abord, d'ouvrir le volet, ce qui ne me réussit pas ; je résolus alors d'entrer par un simple acte de ma volonté. Le bruit que j'avais fait en essayant d'ouvrir le volet réveilla ma cousine, qui sauta du lit pour aller voir ce que cela pouvait être. Elle me vit devant elle, et, se doutant de mon intention, se tranquillisa. Le lendemain, elle me fit part de son étonnement d'avoir pu constater que le corps astral avait la faculté de mouvoir des objets.
Mlle Aima, dit M. de Rochas, que j'avais magnétisée à son passage à Paris pour me mettre en rapport avec elle, devait essayer de venir me trouver en corps astral en partant de Mardö en Norvège, où elle se rendait avec sa mère et sa sœur dans une propriété de famille. L'expérience ne réussit pas pour diverses causes, parmi lesquelles se trouvait ma mise à la retraite d'office par le général André, ce qui me força à quitter Paris et à me retirer dans ma maison de campagne de l'Agnélas, où Mlle Aima n'était jamais allée.
Voici le récit qu'elle a fait de cette tentative infructueuse.
« Mardö, la nuit du 25 au 26 aoùt 1906.
Le soir, en nie couchant, je me sentais disposée à me dédoubler. Je fis d'abord un essai, et je vis à six pas de distance mon corps couché sur le lit. En revenant à moi, je me dis que je serais en état de faire une plus grande expérience. Je me sentis transportée en France ; mais n'ayant pas relu l'itinéraire indiqué dans votre lettre, je me demandais où l'Agnélas pouvait se trouver. Mais, au même instant, l'idée me vint que je n'avais besoin que dépenser à vous. Un moment après, je me trouvais au pied de votre lit. Je vous y voyais étendu et je vous fixais avec l'intention que vous me regardiez. Vous vous mîtes alors sur le séant, en regardant autour de vous comme si vous cherchiez quelque chose, en clignant des yeux comme on le fait lorsqu'on est réveillé subitement au milieu de la nuit. Vous aviez sur vous un vêtement de nuit assez large et à col rabattu ; le cou était un peu découvert et les cheveux un peu en désordre. Autour de vous je ne distinguais que le coussin blanc et le bord blanc qui recouvrait votre couverture. Je regrette de n'avoir pas eu l'idée de voir toute la chambre. Je me trouvais à votre droite, au coin du pied du lit.”
Les détails que donne Mlle Aima sont exacts, mais leur banalité leur ôte toute importance. Il est fort possible que je me sois assis sur mon lit en cherchant à savoir ce qui m'avait réveillé, mais je n'en ai aucun souvenir.
J'ai renouvelé des essais de ce genre avec Mme Henriette, dont le Bulletin de la Société d'études psychiques de Marseille vient de publier le cas ; ils n'ont rien prouvé, parce que je ne suis sans doute pas d'un tempérament à percevoir des impressions de cette nature. Mais ces observations négatives ne doivent en rien infirmer les observations positives : en voici une, un peu oubliée aujourd'hui, qui est excellente. Je l'emprunte au livre du docteur Charpignon, intitulé : Physiologie, Médecine et Métaphysique du magnétisme.
“Une autre fois, une de nos somnambules (d'Orléans) désira dans un de ses somnambulismes, aller voir sa sœur qui était à Blois. Elle connaissait la route et, la suivit mentalement.
Tiens, s'écria-t-elle, où va donc M. Jouanneau ?
Où êtes-vous donc ?
Je suis à Meung, vers les Mauves, et je rencontre M. Jouanneau, tout endimanché, qui va sans doute dîner à quelque château.
Puis elle continua son voyage.
Or, la personne qui s'était offerte spontanément à la vue de la somnambule était un habitant de Meung, connu de plusieurs personnes présentes, et on lui écrivit de suite pour savoir de lui s'il était vraiment en promenade dans l'endroit désigné à l'heure indiquée.
La réponse confirma minutieusement ce qu'avait dit Mlle Céline.
Que de réflexions ! Que d'études psychologiques dans un état si fortuitement produit ! La vision de cette somnambule n'avait pas bondi, comme cela s'observe si souvent, à l'endroit désiré ; elle avait parcouru toute la distance d'Orléans à Blois et avait vu, dans ce rapide voyage, ce qui pouvait attirer son attention[17].”
Le premier cas relaté laisse un peu à désirer au point de vue expérimental, en ce sens que l'heure où les apparitions devaient se produire ayant été fixée d'avance, on pourrait objecter qu'il y a eu auto-suggestion des témoins, du frère et de la sœur, pour créer le fantôme de M. Stankowitch. Mais il ne faut pas oublier que le troisième témoin de l'apparition, la sœur de Mlle Haemmerlé, voit aussi l'apparition, et cela indépendamment de son frère et de sa sœur. De plus, le souvenir de sa sortie psychique a été conservé par M. Stankewitch, et il a senti le contact de Mlle Haemerlé à côté du lit, alors qu'il ne savait pas qu'elle devait se trouver dans la chambre de son frère. Les descriptions concordantes de trois témoins, et le souvenir que l'agent a gardé de son dédoublement, établissent clairement, suivant moi, la réalité physique de l'apparition, qui agit intelligemment, ce qui prouve que c'est bien l'âme de M. Stankewitch qui s'est transportée chez son ami.
La seconde et la troisième expérience sont également démonstratives de la présence spirituelle de Mlle Aima, à cause de la justesse avec laquelle elle localise sa présence fantomale dans la chambre de sa sœur, à côté du poêle, et dans la guérison qui a suivi immédiatement pour l'officier la vision de la jeune fille.
Enfin, remarquons que le double de Mlle Haemmerlé a le pouvoir d'agir sur le volet de la fenêtre, avec assez d'énergie pour produire le bruit qui éveille sa cousine. Cette action physique que l'auteur se souvient d'avoir exercée, nous la retrouverons assez souvent dans les cas naturels, et elle nous servira de critérium pour établir la matérialité du double, car il faut une force physique pour déplacer un objet matériel.
Il ne paraît pas que ces éludes expérimentales aient suscité chez nous un grand intérêt. Cependant, il semble que depuis quelque temps un mouvement se dessine dans cette direction, car pendant, ces dernières années (1907-1908), différentes tentatives ont été faites pour reprendre en France la série des recherches poursuivies avec tant de succès de l'autre côté de la Manche.

 

Autres expériences récentes

M. Pierre Piobb a publié quelques observations[18] sur des essais de dédoublement volontaire faits par certaines personnes de sa connaissance. Je vais résumer rapidement, ces récits — qui auraient eu besoin d'une documentation plus précise pour acquérir un caractère vraiment scientifique — parce que j'ai confiance dans la sincérité des narrateurs et dans le contrôle de M. Piobb.
A vrai dire, il n'existe aucune preuve objective que l'on soit dans ces cas en présence de véritables dédoublements. Il faut s'en rapporter, pour se faire une opinion, aux sensations des opérateurs, et, si le fait de la clairvoyance paraît établi, celui du dégagement spirituel de l'agent est moins certain, bien que ce soit l'hypothèse la plus probable.
Voici les faits :
M. Christian, homme de lettres, résolut d'essayer de s'extérioriser pour se rendre chez son ami M. Piobb, habitant le XVIIIe arrondissement. Voici comment il rend compte de ses impressions :
La première expérience eut lieu le vendredi 12 octobre 1906. J'étais chez des amis M. et Mme M.... dans le quartier de l'Observatoire. A 9 heures, heure fixée pour l'expérience en leur présence, je tentai de m'extérioriser. J'étais devant une table, je m'y accoudai en mettant les paumes de mes mains sur mes yeux fermés. Tant que dura mon expérience, une dizaine de minutes environ, mes amis présents gardèrent scrupuleusement le plus profond silence.
Sitôt l'expérience terminée, j'en écrivis les résultats sur mon carnet ad hoc et leur en fis connaître la teneur que voici :
Parti de chez les M... à 9 heures du soir, j'éprouve une grande difficulté à monter l'escalier de la maison de M. Piobb. Je pénètre par le salon dans le cabinet de travail de mon ami et remarque ce qui suit : il n'y a qu'une lampe d'allumée, elle est placée sur le bureau de Mme Piobb, qui est assise auprès et travaille à quelque chose que je ne distingue pas. Piobb circule dans la chambre, dans la pénombre, et au moment où je pénètre, se trouve debout adossé à la cheminée. Bientôt après il se déplace. Je reste peu de temps.
Je suis demeuré peu de temps parce qu'il m'était très désagréable, pénible même, d'être hors de moi-même. Cette sensation, assez commune paraît-il au début de ce genre d'expérience, je l'ai éprouvée très nettement.
Les faits que je viens de rapporter ont été reconnus parfaitement exacts. M. et Mme Piobb avaient noté leurs faits et gestes de 9 heures à 9 heures et demie et il y eut concordance parfaite entre la disposition de la chambre, ce qu'ils avaient fait, et ce que j'avais vu et noté de 9 heures à 9 h. 10.
Cette expérience n'a rien de bien particulier, car M. Christian connaissant le cabinet de travail et les habitudes de M. Piobb, aurait pu parfaitement, imaginer cette petite scène d'intérieur, d'autant plus qu'il ne peut pas distinguer à quel genre d'ouvrage travaille Mme Piobb. Notons aussi que nous n'avons pas l'attestation de M. et Mme M..., ce qui enlève au récit cette précision minutieuse à laquelle les savants anglais nous ont habitués. Le second essai, un peu plus détaillé, est meilleur comme preuve de la clairvoyance :
Une seconde expérience fut tentée par moi le 17 octobre à 6 heures et demie du matin. Je copie mon carnet.
Couché sur mon lit, peu après être rentré, je me rends chez Piobb. Je remarque en chemin ce qui suit : l'aspect des rues est différent de celui perçu lors de mes visites nocturnes. Arrivé chez Piobb, chez qui je ne suis jamais allé de jour, je remarque, en montant l'escalier, comme précédemment avec peine, l'éclairage des marches par le jour, faible encore, venant des fenêtres.
Arrivé à la porte, je tente de sonner et de frapper violemment au panneau : l'opération ne semble pas donner de résultats. Je ne perçois aucun bruit. Je n'ai pas eu d'ailleurs jusqu'ici la sensation d'entendre. Je remarque à la porte un pain très long et très mince, appuyé à la gauche, un papier de soie l'enveloppant par le milieu. Je pénètre dans le couloir à travers la porte, ce qui me demande un certain effort. Le couloir est obscur. A ce moment j'éprouve un sentiment de crainte. Je redoute que mon ami, éveillé par les coups que j'ai cru frapper, ne tente quelque cérémonie magique de défense qui me blesse, et je m'en vais après une courte promenade dans le salon ou je constate que la lumière pénètre par les fenêtres, alors que le cabinet de travail de Piobb, où je passe ensuite est obscur.
Les faits vérifiables, ceux notamment relatifs au pain, furent reconnus en tout strictement exacts. Une note de M. Piobb, placée sur mon carnet en regard des résultats inscrits par moi immédiatement après l'expérience, dit :
“Le pain était, en effet, à gauche et le papier de soie au milieu, comme le boulanger le faisait par erreur depuis quelques jours. Pain baguette.”
Quant à l'obscurité du couloir une note dit : “Le couloir n'a pas de fenêtre.”
Pour le salon, une autre note dit : “Les jalousies du salon n'étaient pas baissées. Les rideaux de tenture ne sont pas encore posés. Dans le cabinet de travail, au contraire, les rideaux de tenture étaient tirés et ne laissaient pas pénétrer la lumière. ”
Voici maintenant les raisons sur lesquelles se fonde M. Christian pour croire que le phénomène est bien dû à une extériorisation de son moi, allant sur les lieux prendre connaissance de ce qui s'y passe. Suivant lui, la vision n'aurait pas lieu in situ, elle résulte d'un véritable dégagement, d'une bilocation, voici pourquoi :
« J'ajouterai que je n'avais aucune donnée de mémoire qui put me servir à imaginer l'éclairage des marches de l'escalier, la forme et la position du pain, l'éclairage du salon, etc. Enfin je dirai pour terminer que mes sensations au cours de mes extériorisations furent très différentes des faits de mémoire. »
Ainsi les rues que je parcourais entre mon point de départ et la demeure de M. Piobb, n'avaient pas l'aspect qu'elles ont dans mon souvenir, — aspect conforme à celui qu'elles présentent aux heures où elles me sont le plus familières — mais bien un aspect particulier, et en quelque sorte circonstancié. J'éprouvais d'autre part une sensation de flottement à quelques mètres de hauteur que jamais je n'éprouve en parcourant par le souvenir un chemin déjà fait. Je vais beaucoup moins vite en astral, d'un point à un autre, qu'en souvenir.
Mon souvenir d'une rue, d'un lieu, etc., est synthétique ; ma vision en astral est analytique, même quand elle manque de clarté et de précision. Enfin je puis toujours par le souvenir parcourir et revoir des lieux connus ; je ne puis pas toujours, loin de là, m'extérioriser et éprouver les sensations particulières de déplacement et de vision que j'éprouve dans ce cas-là.
Nous retrouvons dans ces descriptions ce sentiment “ d'aller à l'endroit ” qui est vu, que j'ai signalé souvent dans d'autres récits, et il est difficile de supposer que ce ne sont là que des sensations subjectives, car si celles de la vision sont exactes, pourquoi celles-ci, qui y sont attachées, seraient-elles imaginaires ? Toujours dans le même volume, se trouvent les autres exemples suivants :

 

Autres récits offrant les mêmes particularités

Mlle B.., qui est aquafortiste, n'a tenté qu'une seule expérience ; elle est relatée de la façon suivante :
Bien que peu convaincue de la réussite, j'essayai un soir, cet hiver, de faire une sortie en astral[19] selon les moyens que m'avait indiqués M. P. Piobb.
Il était environ cinq heures, la nuit tombait, j'étais en mon domicile, dans le IIIe arrondissement, étendue sur le canapé de mon atelier où régnait un grand calme. De toute ma volonté tendue j'allais vers une de mes amies qui habite Asnières — parcours que je fais souvent et qui m'est très familier. — Au bout de quelques instants d'immobilité, je perdis conscience du lieu où je me trouvais et me vis debout, au milieu de la pièce, mettant avec des gestes fébriles mon manteau, mon chapeau, mes gants, puis j'atteignis l'escalier sur lequel je glissai au lieu de le descendre marche à marche.
Notons qu'avant le dédoublement, se produit d'abord un phénomène d'autoscopie, le sujet se voit mettre son chapeau, ses gants, etc. La conscience est encore en partie dans le corps, bientôt elle le quittera pour accompagner le double. En effet :
Bientôt, poursuit la narratrice, dans la rue je me trouvai soulevé du sol et poussée avec rapidité comme par un vent violent et j'allais— J'allais légèrement inclinée en avant, dépassant dans la rue les gens affairés, — hypnotisée par le but à atteindre. — J'arrivai à la gare, je pris le train, j'en descendis, tout cela comme si je l'accomplissais réellement, je suivis une rue et je fus chez mon amie.
Il paraît, au premier abord, que tous ces épisodes se produisent, comme dans le rêve, et ne semblent pas correspondre à des actes effectifs accomplis par le double ; mais il ne faudrait pas se hâter de conclure que tout est imaginaire, car nous verrons plus loin que des actes aussi compliqués ont été accomplis par l'être extériorisé, et matérialisé. Ce sont ces analogies avec d'autres faits parfaitement contrôlés qui me font admettre la sincérité de cette demoiselle. Ceci dit, je continue :
Je parcourus toutes les pièces de l'appartement, que je vis en grand désordre (elle venait en effet d'emménager) et dans la chambre, je la vis ; elle était debout devant l'armoire les bras levés, rangeant du linge sur les planches du haut. — Je rentrai chez moi, je me levai et marchai pour reprendre mes idées, impressionnée par ce qui venait d'arriver. J'étais alors extrêmement lasse et comme étourdie. Je regardai l'heure, mon voyage avait durée vingt minutes à peine.
Le lendemain, je vis mon amie et lui demandai ce qu'elle faisait la veille entre cinq heures et cinq heures vingt, elle me dit : hier, oui, je rangeais sûrement dans mon armoire ; donc je l'avais bien vue.
Ici encore, déplorons que l'auteur ne signe pas et que l'on n'ait pas demandé à l'amie un témoignage écrit qui aurait, ajouté de la valeur à la documentation du récit. C'est parce que les membres de la Société Psychique Anglaise ont pris toutes ces précautions que leurs rapports ne peuvent plus être traités d'historiettes plus ou moins fantaisistes.
Je crois, pour les raisons indiquées plus haut, à l'authenticité de ce fait, et je remarque que la percipiente a éprouvé également la sensation de glissement dans l'air. Ces faits sont moins probants que ceux que j'ai cités dans ce chapitre, mais ils mettent en relief que la volonté peut produire le dégagement du moi chez des personnes normales, nullement entraînées à ce genre d'exercice. Il serait à désirer que ces tentatives se multipliassent beaucoup, car ce n'est que par le grand nombre des expériences, cette fois bien contrôlées, que nous arriverons à découvrir les lois qui régissent ces curieux phénomènes et que l'on vaincra le scepticisme des incrédules.
Voici un autre récit[20] qui ressemble davantage à ceux rapportés déjà. C'est probablement une simple apparition télépathique, mais elle est intéressante parce qu'elle a été produite volontairement, bien que l'agent n'ait pas eu conscience de la réussite de son essai.

 

Hallucination télépathique expérimentale

M. J. L.., un habile expérimentateur qui désire modestement garder l'anonyme, rapporte les faits suivants, fort curieux, lesquels dénotent chez lui des facultés psychiques.
Il y a quelques années, dit-il, j'étais en relations avec une femme que j'endormais régulièrement tous les huit jours par des passes magnétiques. J'avais constaté dans cet état hypnotique plusieurs phénomènes de communication avec l'invisible et de coups frappés à distance.
Un jour je pris la résolution, sans l'en prévenir, de tenter de lui apparaître dans sa chambre qui était dans une maison du côté de la gare du Nord, étant moi-même dans la mienne au bout du boulevard Saint-Michel.
Un soir donc, je rentrai me coucher vers minuit, je concentrai toutes les forces de ma volonté pour essayer de dégager mon corps astral, selon l'expression des théosophes. Autant que je puis m'en souvenir, je me trouvais alors dans une sorte d'extase, sans cesser de garder toute la conscience de moi-même, et ce n'est que quelques instants après que je m'endormis, toujours avec le même vouloir, et en pensant fortement à cette femme dont je me représentais les traits par l'imagination.
Quelle ne fut pas ma surprise quand, le lendemain vers les six heures du soir, au rendez-vous que je lui avais donné, je la vis éclater en amers reproches envers moi au sujet de l'influence hypnotique que j'exerçais sur elle, et qui lui avait causé une violente migraine la nuit précédente.
Et mon étonnement fut à son comble, tant je comptais peu sur la réussite de mon expérience, quand elle me dit que la veille, vers minuit, à l'heure même où je voulais lui apparaître, elle me vit tel que j'étais en ce moment, assis à son chevet et me rapprochant d'elle, lorsqu'elle poussa un cri d'effroi qui fit aussitôt cesser la vision. Malheureusement personne n'était à côté d'elle à ce moment. Une autre fois ce monsieur est apparu à une dame de ses amies, mais sans l'avoir désiré.
Rien n'autorise, dans ce récit, à voir autre chose qu'une simple hallucination télépathique produite par la volonté de l'opérateur, qui ne s'est pas senti dédoubler et qui n'a pas eu conscience d'aller trouver le sujet chez lui.
Je signalerai dans cet ordre d'idée une série d'expériences faites par le Dr Gibotteau[21], dans lesquelles une femme “ Berthe ”, agissant sur lui, ou sur un de ses amis, a produit à distance des hallucinations visuelles et des troubles du sens de l'espace.

 

Suggestion à distance pendant le sommeil

Le docteur J.Regnault rapporte, lui aussi, des expériences de suggestions mentales, à distance, sur différents sujets[22]. Un de ceux-ci, Marguerite B..., était particulièrement sensible au commandement du sommeil. Voici, d'après le carnet de notes du docteur, une vision onirique provoquée par lui :
« Le 13 juin, 8 h. 30 du soir. Marguerite m'apprend qu'elle est devenue très paresseuse. Mardi (11), entre 2 heures et 2 h. 15 elle a senti ses paupières s'alourdir et elle s'est endormie malgré elle. Aujourd'hui (13), après son déjeuner, elle a lu pendant 1 heure, après quoi elle a travaillé jusque vers 4 heures ; alors elle s'est endormie de sommeil hypnotique.
Tout cela avait été produit par le docteur Regnault. Le 11 juin, à 11 h. 15 du soir, le docteur veut que Marguerite dorme et qu'elle le voie.
Voici ce que raconte la jeune femme :
Ce qui l'a le plus frappée, c'est que mardi (11) après s'être couchée vers 9 h. 30, elle s'était endormie paisiblement. “ Entre 11 heures et minuit, vers 11 h. 30, je crois, dit-elle, j'ai rêvé de vous, je vous ai vu..., vous êtes resté cinq minutes près de moi ; quand vous êtes parti, je n'ai pas pu m'empêcher de dire : vous partez déjà, tant je croyais que mon rêve était la réalité ; cela m'a même tellement frappée, à cause de la netteté de l'apparition, que je me suis réveillée à demi, juste assez pour avoir l'idée d'allumer une bougie afin de vérifier qu'il n'y avait personne dans ma chambre, mais je n'ai pas eu le courage de me soulever sur mon oreiller, je me suis endormie profondément. ”
— Comment savez-vous qu'il était 11 h. 30 ?
— C'est que j'avais entendu sonner 11 heures, et que j'ai été éveillée quand l'horloge a sonné minuit.
J'insistais pour faire préciser l'heure, car j'étais persuadé que je n'avait tenté l'expérience qu'après minuit ; je fus fort étonné de constater sur mon journal d'expériences, que j'avais bien opéré à 11 h. 13 c'est-à-dire entre 11 heures et minuit.
Je pourrais citer d'autres exemples empruntés aux magnétiseurs, mais je crois que la preuve est faite maintenant de l'action à distance de l'agent sur le percipient. Il était plus intéressant de signaler les essais d'apparitions volontaires entre des personnes n'ayant jamais été soumises à l'action magnétique. L'observation nous a fait constater qu'il existe des faits qui ne peuvent plus se comprendre par de simples hallucinations, non seulement parce que l'agent voit exactement ce qui se passe à l'endroit qu'il veut visiter, qu'il a le sentiment de s'y être rendu, mais aussi parce qu'il y est vu, parfois par plusieurs personnes, avec tous les caractères de la réalité.
Arrivons donc, maintenant, aux observations nombreuses dans lesquelles le fantôme agit matériellement, qui ont été signalées de tout temps, et qui donnent à la dualité substantielle de l'être humain un si haut degré de probabilité, qu'il équivaut presque à la certitude.

 

 

[1] Les Hallucinations télépathiques. p. 18.

[2] Les Hallucinations télépathiques, p. 48

[3]Mlle Holst, 7, Wohler's Allee, Altona, Holstein.

[4]C’est Myers qui écrit.

[5]Apparitions et transmission de pensée, pp. 228-230.

[6]Un cas que je citerai tout à l'heure : celui de M. S. H. B. avec les sœurs Vérity.

[7] Extrait des Proceedings, vol. X. p. 270.

[8]Extrait des Proceedings S. P R., vol. X, p. 273.

[9] Extrait des Proceedings S. P. R., vol. X, p. 418, par F.-W.-H. Myers.

[10] Extrait du Journal de la S. P. R. Volume VII, p. 99.

[11]Associé de la branche américaine de la S. P. R.

[12] Extrait des Proceedings, vol. X, p. 332. 

[13] Comme on demandait à M. B. d'expliquer cette phrase, il dit : “ Je n’ai jamais entendu dire que Mme L. eût eu des hallucinations. Les Phénomènes auxquels je fais allusion sont simplement des phénomènes qu’on peut expliquer par le rapport télépathique qui existe entre elle et M. L... ” Par exemple : elle avait l'impression qu'il reviendrait à l'improviste à la maison (pendant qu'il était dans le nord de l'Angleterre.

[14]Les Hallucinations télépathiques, pp. 37-38.

[15] Stainton Moses.

[16]Septembre 1906, p. 369.

[17] J'ai cité ce cas dans mon livre : le Spiritisme devant la science, p. 118. G. Delanne.

[18]P. Piobb, l'Année occultiste et psychique, p. 205 et suiv. Voir aussi l'Écho du Merveilleux, numéro du 15 juillet 1907.

[19]Les occultistes appellent “ astral ” ce que le” spirites nomment l’erraticité, c'est-à-dire le monde fluidique dans lequel le nôtre est connu. On sait que les physiciens admettent qu'une substance, qu'ils nomment l'éther, remplit l'espace et pénètre tous les corps ; pour les spirites, l'éther n'est qu'une des formes les plus inférieures du monde spirituel. G. D.

[20]P. Piobb, ouvrage cité, p. 219.

[21]Docteur Gibotteau, Notes sur une série d'expériences relatives à la télépathie, poursuivies en 1888. Annales des Sciences psychiques ,septembre-décembre 1892.

[22] J. Regnault, la Sorcellerie, Alcan, 1879, p. 250.

 

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