Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


CHAPITRE IV - APPARITIONS MULTIPLES OU COLLECTIVES DE FANTÔMES DE VIVANTS

SOMMAIRE

Généralité et antiquité des manifestations extra-corporelles de l'âme.—La dématérialisation de l'apôtre Pierre. — La bilocation des Saints. — Ce qui était miracle pour nos ancêtres, devient naturel pour nous. — Les apparitions sont vues parfois simultanément par plusieurs personnes.— Discussion sur le caractère objectif de ces phénomènes. — L'hallucination proprement dite détermine des effets différents chez les percipients. — Une apparition véritable, au contraire, est, vue identiquement de même par tous les assistants.— Différents exemples. — Apparition d'un grand-père à ses petits-enfants. —Phénomènes de dédoublement et de clairvoyance dans une famille russe. — Un fantôme qui se montre à son fils et a sa sœur. — Le cas de la rue Jacob. — Un malade apparaît séparément à son frère et à sa sœur. — Le cas de Mme Elgée. — Vision collective prémonitoire. — Le cas de M. Barwell. Il faut noter que beaucoup de faits ne s'expliquent pas par l'hypothèse télépathique, celle d'un dédoublement est plus admissible. — Les apparitions du double d'Emilie Sagée. — Apparition à deux dames d'un de leurs amis. — Dédoublements réitérés pendant le cours de la vie de Mme Hawkins. — Trois apparitions d'un pasteur. — Les cas de Mlle Hopkinson. — Résumé.

 

 

Généralité et antiquité des manifestations extra-corporelles de l’âme

Il faut se familiariser avec l'idée que les phénomènes que nous éludions en ce moment sont beaucoup moins rares qu'on ne le croit communément. La possibilité pour l'être humain de susciter une vision de lui-même à distance, ou de se montrer dans un autre lieu que celui où se trouve son corps, est, somme toute, assez fréquente pour que les Anglais aient donné le nom de Wraith au fantôme du vivant, que les Allemands ont baptisé Doppelgeanger. Il est évident que ces désignations n'ont pu prendre naissance qu'à la suite d'observations excessivement réitérées, ce qui dénonce la généralité de ces remarquables manifestations psychiques.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que datent les recherches au sujet de ces phénomènes. Un estimable auteur anglais, Mrs Crowe, a publié dans le milieu du siècle dernier un ouvrage bourré de faits intitulé : Les Côtés obscurs de la Nature, qui est remarquable pour l'époque. Or, chose digne d'attention, les faits qui y sont relatés sont tout à fait semblables à ceux recueillis par la Société Anglaise de Recherches psychiques, ce qui nous fait assister à la continuité de ces manifestations, qui présentent, au cours des âges, des caractères identiques.
En parlant de l'action à distance des somnambules, Mrs Crowe dit : “ Beaucoup s'étonneront de ces allusions à une sorte de phénomène magnétique si peu connu et accepté en Angleterre, mais les physiologistes et psychologues allemands étudient cette question depuis cinquante ans, et le public anglais n'a aucune idée du nombre de volumes remplis par eux d'aperçus théoriques et de cas divers. ”
Sans faire un historique de la question, si nous remontons dans le passé, nous constaterons que, de-ci delà, des allusions sont faites par les auteurs anciens à des phénomènes de télépathie ou de dédoublement. Pétrarque vit sa Laure bien-aimée lui apparaître en rêve, le jour même où elle mourut. D'autre part :
Tacite rapporte que pendant le mois que Vespasien passa dans Alexandrie pour attendre le retour périodique des vents d'été et la saison où la mer devient sûre, plusieurs prodiges arrivèrent, par où se manifesta la faveur du ciel et l'intérêt que les dieux semblaient prendre à ce prince...
Ces prodiges redoublèrent dans Vespasien le désir de visiter le séjour sacré du dieu, pour le consulter au sujet de l'empire. Il ordonne que le temple soit fermé à tout le monde ; entré lui-même et tout entier à ce qu'allait prononcer l'oracle, il aperçoit derrière lui un des principaux Egyptiens nommé Basilide, qu'il savait retenu malade à plusieurs journées d'Alexandrie. Il s'informe auprès des prêtres si Basilide est venu ce jour-là dans le temple ; il s'informe auprès des passants si on l'a vu dans la ville, enfin il envoie des hommes à cheval, et il s'assure que dans ce moment-là même il était à 80 milles de distance. Alors il ne douta plus que la vision ne fût surnaturelle, et le nom de Basilide lui tint lieu d'oracle[1].
Le récit des Actes des Apôtres qui fait mention de la délivrance de saint Pierre, nous fait constater que, chez les Hébreux, la croyance à la bi-corporéité était acceptée par le peuple. Quand Pierre fut délivré de sa prison par l'ange, — et il n'est pas hors de propos de remarquer ici que lui-même “ ne croyait pas que ce que l'ange faisait était réel, mais pensait qu'il avait une vision ”, c'est-à-dire qu'il doutait de ses sens et supposait être victime d'un songe — quand donc il fut délivré, et alla frapper à la porte de la maison dans laquelle beaucoup de ses amis étaient assemblés, ceux-ci dirent, lorsque la servante qui avait été ouvrir assura qu'il était là : C'est son ange.
Qu'entendaient-ils par là ? Les mots employés sont : son ange, et non un ange. Il est assez curieux d'observer qu'aujourd’hui encore, en Orient, on appelle le double de l'homme son ange ou son messager. Comme les disciples, très troublés au sujet de Pierre, étaient assemblés dans la maison de Marc et priaient quand il arriva, il est à supposer qu'ils employèrent ce terme sérieusement, et nous sommes portés à croire qu'ils faisaient allusion à quelque phénomène reconnu. Ils savaient : ou que la forme d'un homme, son ego spirituel, apparaissait quelquefois là où il n'était pas corporellement, et que l'image, ou eïdolon, était capable d'exercer une force mécanique, comme nous le verrons plus loin, ou bien que d'autres esprits prenaient parfois une forme mortelle, car sans cela ils n'auraient pu supposer que c'était l'ange de Pierre qui avait frappé à la porte.
Il est naturel de penser que, très souvent, des faits relevant de la télépathie ont pu être confondus avec des hallucinations pures et simples, ou avec de véritables fantômes de vivants, puisque ce n'est que de nos jours que nous commençons à discerner les caractères qui séparent ces manifestations, en apparence si semblables entre elles.
On trouve aussi dans l'histoire des saints des cas de dédoublements bien certains, que les hagiographes ont rapportés comme des miracles, sous le vocable spécial de bilocation. Pour ceux qui savent avec quel soin et quelle prudence sont conduites les enquêtes de canonisation, ce sera une assurance que le phénomène n'est pas légendaire, d'autant mieux que nous verrons tout à l'heure un grand nombre d'exemples semblables, ce qui leur enlève tout caractère surnaturel ou merveilleux, car leurs auteurs n'ont avec les saints que des rapports très éloignés. Je résume sommairement quelques-uns de ces récits.

 

La bilocation des saints

Saint Antoine de Padoue était en Espagne, lorsque tout à coup il s'endormit. Ce jour même, son père était en prison, à Padoue, accusé du meurtre d'un enfant dont on avait retrouvé le cadavre dans son jardin. Saint Antoine paraît devant le juge, démontre l'innocence de son père, désigne le vrai coupable, puis disparaît. Pendant que ces événements s'accomplissaient eu Italie, il fut constaté que saint Antoine n'avait, pas quitté l'Espagne[2].
Saint François-Xavier, un des premiers Jésuites convertis par Ignace de Loyola, fut envoyé pour évangéliser les Indes. Il eut un grand succès ; il voyagea ensuite au Japon et en Chine. Voici l'épisode qui a rapport à sa bi-corporéité[3] :
Saint François-Xavier se rendait, au mois de novembre 1571, du Japon en Chine, lorsque sept jours après le départ, le navire qui le portait fut assailli par une violente tempête. Craignant que la chaloupe ne fût emportée par les vagues, le pilote ordonna à 15 hommes de l'équipage d'amarrer cette embarcation au navire. La nuit étant venue pendant qu'on travaillait à cette besogne, les matelots furent surpris par une lame et disparurent avec la chaloupe. Le saint s’était mis en prière dès que la tempête avait commencé et celle-ci allait toujours redoublant de fureur. Cependant, ceux qui étaient restés sur le navire se souvinrent de leurs compagnons de la chaloupe, et crurent qu'ils étaient perdus.
Quand le danger fut passé, Xavier les exhorta à prendre courage, assurant qu'avant trois jours on les retrouverait. Le lendemain, il fit monter sur le mât, mais on ne découvrit rien. Le saint rentra alors dans sa cabine et se remit à prier. Après avoir passé ainsi la plus grande partie du jour, il remonta sur le pont, plein de confiance, et annonça que la chaloupe était sauvée. Néanmoins, comme le lendemain on n'aperçoit rien encore, l'équipage du navire se voyant toujours en danger refusa d'attendre plus longtemps des compagnons qu'ils considéraient comme perdus. Mais Xavier ranima encore leur courage, les conjurant par la mort du Christ de patienter encore. Puis, rentré dans sa cabine, il se remit à prier avec un redoublement de ferveur.
Enfin, après trois longues heures d'attente, on vit apparaître la chaloupe, et bientôt les quinze matelots qu'on croyait perdus eurent rejoint le navire. D'après le témoignage de Mendeo Pinto, on vit alors se produire un fait des plus singuliers. Quand les hommes de la chaloupe furent montés sur le pont du navire, et que le pilote voulut la repousser, ceux-ci s'écrièrent qu'il fallait auparavant laisser sortir Xavier qui était avec eux. C'est en vain qu'on tenta de les persuader qu'il n'avait pas quitté le bord. Ils affirmèrent qu'il était resté avec eux pendant la tempête, ranimant leur courage, et que c'était lui qui avait ramené l'embarcation vers le navire...
Nous verrons plus loin un cas qui présente assez d'analogie avec celui-ci. Le récit ne nous dit pas si le saint personnage avait conscience de son dédoublement, son insistance seule pour que l'on attendit permettrait de le soupçonner ; mais dans les deux exemples suivants, le souvenir de ce qui s'est passé pendant le dédoublement est parfaitement net[4].
Dans la matinée du 21 septembre 1774, Alphonse de Liguori, après avoir dit la messe, se jeta dans son fauteuil : il était abattu et taciturne et sans faire le moindre mouvement, sans articuler un seul mot de prière ni adresser jamais la parole à personne. Il resta dans cet état tout le jour et toute la nuit, suivante : durant tout ce temps, il ne prit aucune nourriture, et l'on ne vit pas qu'il désirât aucun service autour de sa personne. Les domestiques, qui s'étaient d'abord aperçus de sa situation, se tenaient à portée de sa chambre, mais ils n'osaient entrer. Le 22 au matin, ils reconnurent qu'Alphonse n'avait pas changé d'attitude, et ils ne savaient plus ce qu'il fallait en penser ; ils craignaient que ce ne fût autre chose qu'une extase prolongée. Cependant, quand l'heure est un peu plus avancée, Liguori agite la sonnette pour annoncer qu'il veut célébrer la sainte messe. A ce signe, ce n'est pas seulement le frère laïque chargé de le servir à l'autel, mais toutes les personnes de la maison et d'autres étrangères, qui accourent avec empressement.
Le prélat demande, avec un air de surprise, pourquoi tant de monde. On lui répond qu'il y a deux jours qu'il ne parle ni ne donne aucun signe de vie. “ C'est vrai, répliqua-t-il, mais vous ne savez pas que j'ai été assister le pape qui vient de mourir. ” Une personne qui avait entendu cette réponse alla la porter, le jour même, à Sainte Agathe. Elle s'y répandit aussitôt comme à Arienzo où résidait Alphonse. On crut que n'était là qu'un songe, mais on ne tarda pas à avoir la nouvelle de la mort de Clément XIV, qui avait passé à une autre vie le 22 septembre, précisément à 7 heures du matin, au moment même où Liguori avait repris ses sens.
L'historien des papes ; Novaes[5], fait mention de ce miracle en racontant la mort de Clément XIV. Il dit que le Pontife avait cessé de vivre le 22 septembre 1774, à 7 heures du matin (treizième heure pour les Italiens), assisté des généraux des Augustins, des Dominicains, des Observantins et des Conventuels et, ce qui intéresse encore davantage, assisté miraculeusement par le bienheureux Alphonse de Liguori, quoique éloigné de corps, ainsi qu'il est constaté par le procès juridique du susdit bienheureux, approuvé par la Sacrée Congrégation des rites.
La séparation entre l'âme et le corps de saint Alphonse a été d'une certaine, durée, mais ce laps de temps n'est rien à côté du développement que le phénomène aurait pris chez Marie d'Agréda, si l'on en croit ses biographes. Voici un résumé sommaire de cette prodigieuse histoire, dont quelques points paraissent tout à fait légendaires.
Marie de Jésus, naquit à Agréda, ville de Castille, le 2 avril 1602, de parents nobles et de vertu exemplaire. Très jeune elle devint supérieure du monastère de l'Immaculée conception de Marie, où elle mourut en odeur de sainteté.
Suivant son histoire, en extase, elle découvrait le monde entier et distinguait dans la multitude des hommes ceux qui n’étaient pas encore entrés dans le giron de l'Église, et elle se désolait que tant d'âmes fussent perdues. C'est ainsi qu'elle vit une fois le Nouveau-Mexique et qu'elle priait avec une sainte faveur pour ces païens infortunés. Tout à coup, Marie d'Agréda se sentit transportée sans savoir comment dans celte contrée inconnue. Elle prêchait aux Indiens, dans sa langue espagnole et les infidèles l'entendaient comme si elle eût parlé leur langue naturelle. Elle remplit pendant environ huit années ce rôle de missionnaire, car elle eut plus de 500 extases d'une durée plus ou moins longue.
Elle voyait aussi les Franciscains qui travaillaient à la conversion de ce nouveau monde, mais ils étaient loin de la contrée évangélisée par elle.
Ces Franciscains virent un jour arriver des Indiens qui leur demandèrent le baptême, et ils furent fort surpris d'apprendre que c'était une femme de race blanche qui disparaissait de-temps à autre sans qu'on pût découvrir sa retraite, qui leur avait fait connaître la religion catholique. Quelques détails du costume de cette femme firent supposer aux missionnaires que ce pouvait être une religieuse.
Le père Alonzo de Bonavidès, retournant en Espagne, voulut connaître cette mystérieuse femme-apôtre, et par le général de son ordre, il fut mis en rapport avec Marie d'Agréda. “ L'humble sœur se vit donc obligée de découvrir au missionnaire tout ce qu'elle savait touchant l'objet de sa mission auprès d'elle. Bonavidès interrogea la sœur sur les particularités des lieux qu'elle avait dû tant de fois visiter, et il trouva qu'elle était très instruite sur tout ce qui avait du rapport avec le Nouveau-Mexique, et à ses habitants. Elle lui exposa, dans le plus grand détail toute la topographie de ces contrées, et les lui décrivit, se servant même des noms propres, comme aurait pu le faire un voyageur après avoir passé plusieurs années dans ces contrées. Elle ajouta même qu'elle avait vu plusieurs fois Bonavidès et ses religieux, marquant les lieux, les jours, les heures, les circonstances et fournissant des détails spéciaux sur chacun de ces missionnaires... ”
Il resterait à expliquer comment Marie d'Agréda, ne parlant que l'espagnol, pouvait être comprise des Indiens ? Quoi qu'il en soit, il est certain que la bi-corporéité n'est pas un phénomène nouveau : qu'il a été signalé assez souvent dans le passé, et que si nous le rencontrons de nos jours c'est en vertu d'une loi de la nature humaine que l'on ignorait, mais qui n'a rien de merveilleux ou de surnaturel, puisque nous constaterons plus tard que l'on peut provoquer expérimentalement ce dédoublement de l'être humain.
Pour en revenir à l'étude positive des faits actuels, je vais établir :
1° Que l'existence du fantôme humain est constatée objectivement par le témoignage concordant de plusieurs témoins qui l'ont vu ensemble ou séparément ;
2° Par des photographies du double obtenues accidentellement ;
3° Par l'influence que cette apparition produit simultanément sur des hommes et des animaux ;
4° Par les effets matériels et persistants exercés par le double sur la matière.
Si réellement ces phénomènes existent, nous pourrons en conclure que nous sommes en présence de la démonstration objective de l'existence du double, agissant hors de son enveloppe physique. Pour qu'il ne reste pas de doutes sur la nature de l'apparition, il sera nécessaire de prouver que ce fantôme est autre chose qu'un vain simulacre, une sorte d'image virtuelle projetée à distance. Précisément, dans un certain nombre d'exemples, nous observerons que l'apparition fait des actes qui témoignent de son intelligence et de sa volonté, pendant qu'au même moment le corps physique est inerte et inconscient. C'est donc bien le principe pensant qui s'est extériorisé sous une forme visible, ce qui nous obligera à conclure, non plus théoriquement, mais comme une conséquence inéluctable des faits :
1° que l'âme a une existence indépendante de l'organisme, puisqu'elle s'en sépare, sans perdre ses facultés ;
2° qu'elle possède une sorte de substantialité qui lui est inhérente ;
3° qu'il existe en elle des modes de perception et de manifestation indépendants des organes des sens dont elle se sert habituellement. Ces découvertes si importantes projettent une lumière si neuve sur les rapports de l'âme et du corps, elles ont des conséquences si sérieuses au point de vue de la biologie et de la psychologie, qu'il est pour nous du plus haut intérêt d'établir solidement l'existence des faits sur lesquels nous nous appuyons. Arrivons donc directement à l'étude des cas où le fantôme est visible pour un certain nombre de témoins.

 

Discussion sur les apparitions collectives de vivants

Aux chapitres précédents, nous avons pris connaissance des récits dans lesquels le percipient est presque toujours seul à voir l'apparition. Alors même que les circonstances qui accompagnent cette vision, — telles que le souvenir conservé par l'agent de son voyage extra-corporel, et le témoignage du percipient qu'il a vu le fantôme,— paraissent démonstratives, il peut encore exister une certaine incertitude sur le dédoublement de l'agent, pour ceux qui voudront adopter jusqu'à ses extrêmes limites l'hypothèse de la télépathie. Mais si l'apparition se montre isolément ou simultanément, d'une manière identique, à plusieurs personnes, la théorie de l'hallucination devient beaucoup plus difficile à soutenir, voici pourquoi :
Au premier abord, il semblerait logique d'admettre que l'action de la pensée qui produit une hallucination chez un sujet A, peut déterminer la même hallucination chez des sujets B., et C.. qui se trouvent réunis au même endroit. Ou bien, on pourrait imaginer également, que la pensée de l'agent a déterminé en premier lieu l'hallucination de A, et que c'est cette hallucination que A transmet mentalement à B., et à C. Mais en examinant plus attentivement ces hypothèses, on les trouve insuffisantes pour plusieurs raisons ; car, alors même que toutes les personnes réunies seraient en relation d'amitié ou de parenté avec l'agent — ce qui est le plus ordinairement une condition essentielle, — cela ne suffirait pas pour expliquer l'hallucination collective puisque nous avons constaté, par l'observation, que la pensée de l'agent, en arrivant dans le cerveau des différents percipients, n'engendre pas nécessairement une hallucination visuelle, mais parfois une impulsion irrésistible ou un phénomène d'audition.
D'ailleurs, notons encore que si l'on suppose que la pensée de l'agent a la puissance de produire chez tous les sujets des hallucinations visuelles, il est très probable que celles-ci différeront entre elles, puisque chaque cerveau construit la sienne avec ses souvenirs particuliers.
Dans les cas expérimentaux de transmission de pensée, il faut noter que si parfois l'image mentale de l'agent est reproduite sans modification appréciable par le percipient, sauf celles qui résultent de son inexpérience du dessin, il est d'autres cas, aussi nombreux, où l'idée qui a présidé au dessin est bien transmise, mais la forme de cette idée a pris, dans la conscience du percipient, une forme qui lui est particulière :
Par exemple l'agent dessine l'image d'une horloge avec poids, et c'est une pendule que reproduit le sujet.
Un tonneau, une bouteille sont bien dessinés par le percipient, mais pas avec les formes que leur avait données l'agent. Mieux encore, l'idée et le dessin d'un pied se traduit par la reproduction d'une bottine, etc[6].  
On doit se rappeler que ces expériences ont une valeur de premier ordre à cause de l'honorabilité absolue des enquêteurs, et de leur rigoureuse méthode scientifique, qui exclut toute idée de hasard, de coïncidence, de supercherie, ou de communications sensorielles entre les agents et les percipients.
Je ne puis que renvoyer le lecteur à l'ouvrage anglais, car la place me fait défaut pour donner tous les détails qui font, de ces travaux, des documents du plus haut intérêt.
Il devient dès lors extrêmement douteux que deux ou plusieurs témoins projettent, indépendamment l'un de l'autre, leurs impressions télépathiques sous la même forme, au même moment et au même endroit. Ce qui devrait arriver, si le phénomène était toujours subjectif, c'est que l'une d'elles perçût un son, tandis qu'une autre, immédiatement ou un peu plus tard, verrait lui apparaître son ami, et que la troisième éprouverait quelque douloureuse sensation, qu'elle n'objectiverait point. Ces cas ne sont pas sans exemple, mais ils sont très rares et, justement, ces impressions divergentes décèlent l'action télépathique, alors que la vision semblable implique une autre cause.

 

Le même agent produisant des impressions différentes

Voici, comme exemple, deux cas empruntés toujours à la traduction française des Phantasms[7].

CXXXV1-(322). Lady C.
13 octobre 1884.
En octobre 1879, je demeurais à Bishopthorpe, près de York, avec l'archevêque de York. J'étais couchée avec Mlle Z. T..., lorsque tout à coup je vis une forme blanche passer à travers la chambre, de la porte à la fenêtre. Ce n'était qu'une forme vaporeuse, et la vision ne dura qu'un moment. Je fus terrifié et je criai : “ L'avez-vous vu ? ” Au même instant Mlle Z. T. s'écria :“ L'avez-vous entendu ? ” Je dis immédiatement : “ J'ai vu un ange voler à travers la chambre. ” Et elle répondit : “ J'ai entendu un ange chanter. ”
Nous étions très effrayées, mais nous ne parlâmes à personne de ce qui nous était arrivé. K. C.
                                                   
Miss T nous écrit :
19 décembre 1884.
Une nuit, vers le 17 octobre 1879, Lady C... (alors Lady K. L.) et moi, nous nous préparions à dormir après avoir causé quelque temps, lorsque j'entendis une musique très douce, et crus sentir ce que l'on appelle une “ présence ”. J'étendis la main et touchai Lady C..., en disant : “ Avez-vous entendu cela ? ” Elle me dit : “ Oh silence ! je viens de voir quelque chose traverser la chambre ! ” Nous fûmes très effrayées toutes deux, et nous essayâmes de nous endormir le plus vite possible. Mais je me rappelle avoir demandé à Mme C. ce qu'elle avait vu au juste, et elle me dit : “ Une sorte d'ombre, comme un esprit. ” Cela est arrivé à Bishopthorpe, York.
Z. J. T.

Ici, on saisit sur le vif les effets différents produits par une même cause.
Nous ignorons dans ce récit quel est l'agent qui a produit ces hallucinations, mais il est bien manifeste que, quel qu'il soit, son action s'est traduite instantanément par deux phénomènes hallucinatoires différents : une vision et, une audition. Peut-être, comme je l'ai signalé déjà, cette différence est-elle due à ce que Lady C. appartenait au type visuel et miss T. au type auditif.
Dans le cas suivant, c'est une impression de terreur qui est éprouvée par un des percipients, tandis que l'autre voit nettement le fantôme et ressent même un contact physique[8] :

CXXXIV-(313). Ce récit est dû à une personne fort intelligente qui a été plusieurs années au service d'une famille que nous connaissons personnellement. Ni le témoin ni sa mère n'ont jamais eu d'autre impression de cette espèce. La mère est morte depuis quelques années.
M. Ch. Matthews, 9 Blandford place, Clarence Gate, Regent's Park, Londres.
21 octobre 1882.
Pendant l'hiver 1850-51, moi Charles Matthews, âgé alors de vingt-cinq ans, j'étais maître d'hôtel chez le général Morse, à Troston Hall, près Bury Saint-Edmonds. Ma mère Mary-Anne Matthews était dans la même maison comme cuisinière et femme de charge ; c'était une femme très droite et très consciencieuse, aimée de tous les domestiques, sauf de la femme de chambre nommée Suzanne, j'ai oublié son nom de famille. Cette Suzanne se rendait désagréable à tous par ses cancans et sa tendance à faire le mal, mais elle craignait beaucoup ma mère, dont le caractère ferme lui imposait considérablement.
Suzanne eut la jaunisse ; on la soigna d'abord pendant quelques mois à Troston Hall, mais finalement elle fut transportée à l'hôpital de Bury Saint-Edmonds, et placée dans un dortoir réservé aux domestiques, aux frais du général Morse ; elle y mourut une semaine après son admission. Le général envoyait une femme du village à l'hôpital éloigné de sept milles, pour prendre les nouvelles, toutes les fois que la voiture n'allait pas à Bury Saint-Edmonds. Un certain samedi la femme y alla, mais elle ne revint que le dimanche soir ; elle dit alors qu'elle avait trouvé Suzanne sans conscience, et que, comme sa fin approchait, on lui avait permis de rester dans le dortoir jusqu'à la fin.
Pendant cette nuit du samedi, les fait mystérieux que je vais raconter se sont produits ; ils m'ont toujours intrigué. J'étais endormi ; tout à coup je fus éveillé avec ou par un sentiment soudain de terreur. Je regardai dans l'obscurité, mais je ne vis rien ; Je me sentis en proie à une terreur anormale et tout à fait effrayé.
Je me cachai sous mes couvertures. La porte de ma chambre donnait sur un couloir étroit qui conduisait à la chambre de ma mère, et tous les gens qui passaient touchait presque ma porte. Je ne dormis plus de toute la nuit. Au matin, je rencontrai ma mère en bas, et je vis qu'elle paraissait malade, pâle et singulièrement bouleversée. Je lui demandai : “ Qu'il y a-t-il donc ? ” Elle répondit : Rien, ne me le demande pas. ” Une heure ou deux s'écoulèrent, et je voyais bien qu'il y avait quelque chose. Je me décidai à savoir ce que c'était ; ma mère de son côté ne voulait pas parler.
Enfin je demandai : “ Est-ce que cela a trait à Suzanne ? ” Elle éclata en pleurs et me dit : “ Pourquoi cette question ? ” Je lui racontai ma frayeur pendant la nuit et elle me raconta l'histoire qui suit :
“ Je fus éveillée en entendant ouvrir ma porte, et je vis, à ma vive terreur, Suzanne entrer en costume de nuit. Elle vint droit a mon lit, et releva les couvertures et se coucha a côté de moi ; je sentis un frisson glacial courir le long de mon côté là où elle semblait me toucher. Je crois que je m'évanouis, car je ne me rappelle plus rien après, et, lorsque je recouvrai mes sens, l'apparition avait disparu ; mais je suis sûre d'une chose, c'est que ce n'était pas un rêve. ”
Nous apprîmes par la paysanne à son retour, le dimanche soir, que Suzanne était morte au milieu de la nuit, et, qu'avant de perdre connaissance, elle ne parlait que de retourner à Troston Hall. Nous n'appréhendions nullement sa mort. Nous pensions qu'elle était allée à l'hôpital, non parce qu'elle était en danger, mais pour subir un traitement spécial...
M. Matthews me dit qu'il n'a jamais eu pareille sensation, et il croit que cette hallucination fut la seule qu'eût jamais sa mère, qui est morte il y a quelques années.
Si la porte de Mme Matthews avait été trouvée ouverte le lendemain matin, après qu'elle eût été bien certaine de l'avoir fermée le soir, il y aurait une très forte présomption du dédoublement de Suzanne. Mais d'après les circonstances, nous pensons que sa pensée seule s'est transportée à Troston Hall, et qu'elle a déterminé chez les deux percipients, ces hallucinations si différentes.
On voit que les raisons que nous avons exposées pour soutenir la réalité objective des visions simultanées par plusieurs témoins sont très sérieuses, et qu'elles nous assurent que si deux ou trois personnes décrivent exactement le fantôme qu'elles ont vu en même temps, ou même séparément, nous devons admettre que celui-ci existait réellement dans l'espace, à l'endroit où tout le monde l'a signalé. Ceci est encore plus évident quand l'apparition se déplace, et que toutes les personnes s'accordent pour décrire ses mouvements, car des hallucinations n'auraient pas cette simultanéité de modifications mentales.
L'hypothèse d'une image hallucinatoire commune à plusieurs personnes n'est cependant pas absolument, dénuée de fondement. Cari du Prel[9] a signalé des exemples où un rêve a été fait par deux dormeurs pendant la même nuit, ce qui suppose que l'un d'eux agissait télépathiquement sur l'autre. Ces observations nous ramènent à la télépathie pure et simple, puisque deux sujets seulement sont en cause et que l'un doit être l'agent et l'autre le percipient ; d'ailleurs, il s'agissait presque toujours de personnes vivant ensemble, et le rêve était causé souvent par des préoccupations semblables. Ces cas sont rares et ne peuvent guère s'observer qu'entre parents dont une longue accoutumance a rendu l'accord psychique très complet, car les expériences que l'on a instituées pour les obtenir expérimentalement n'ont pas réussi. F. W. H. Myers[10] a essayé de transmettre la même pensée à deux sujets, cependant hypnotisés, qui devaient ensuite voir l'image hallucinatoire dans un cristal. Les résultats ont été négatifs.
Comme succès dans cette voie, on ne peut guère citer qu'une expérience de Wesermann[11], qui fit apparaître l'image d'une femme à deux jeunes officiers en train de causer dans leur chambre. Il faudrait beaucoup d'autres expériences pour que la possibilité de l'hallucination collective suggérée fût bien établie. Je reviendrai plus loin sur cette question quand nous aurons étudié les faits ; je signale seulement que lorsque personne ne songe à produire une hallucination, l'explication télépathique ne s'applique plus du tout.
L'hallucination, ou plus exactement l'illusion collective, a pu se présenter à certaines époques de l'histoire, probablement par suggestion verbale réciproque, au milieu des foules soumises à l'influence de puissantes émotions religieuses, ou surexcitées par l'attente de grands événements. Les multitudes partant pour les croisades ont cru voir souvent dans les nuages du ciel des apparitions angéliques chargées de les conduire à la délivrance du Saint-Sépulcre. Les croyances du moyen âge favorisaient l'état d'esprit nécessaire à la production de ces illusions. Mais à notre époque sceptique, la mentalité générale est tout autre, et sauf parmi les masses crédules qui assistent à des pèlerinages fameux, ou dans les cas de contagion nerveuse, on n'observe plus guère de visions collectives. Les exemples que je rapporte sont pris parmi les épisodes de la vie courante; dénués complètement de tout caractère mystique, ils montrent que leur production s'effectue en vertu de lois qui n'ont rien à faire avec les préoccupations religieuses.

 

Apparition d’un grand-père à ses petits-enfants

Nous commençons notre revue par un cas emprunté à l'ouvrage du docteur Kerner, —la Voyante de Prévorst—qui remonte à 1830, non seulement parce que le narrateur est une autorité reconnue, mais aussi pour montrer que ces faits ont été observés à toutes les époques et dans tous les pays. Voici ce qu'il dit[12] :
Je tiens de personnes absolument dignes de loi le fait remarquable suivant :
M. Hubschmann, de Stuggard, avait son père en Botnie et un frère à Strasbourg. Or, il arriva qu'un matin, au lever du jour, les enfants de M. Hubschmann l'éveillèrent en criant : “ Grand-père, grand-père, grand-père est arrivé ! ” M. Hubschmann regarda partout et ne vit rien. Il interrogea ses enfants, qui lui affirmèrent d'une façon absolue que leur grand-père était bien là, mais qu'ils ne savaient pas où il était allé. Quelques jours plus tard, M. Hubschmann reçut une lettre de son frère, lui demandant avec inquiétude s'il n'avait pas quelque nouvelle de leur père, car une circonstance récente l'avait très fortement alarmé. En effet, tel jour et à telle heure, qui correspondait avec le moment où les enfants avaient poussé l'exclamation signalée plus haut, il avait rencontré leur père au moment où le matin, il entrait dans son atelier. Huit jours après, arriva la nouvelle de la mort du vieillard, il était mort au moment précis où il était apparu à Stuttgard et à Strasbourg.
Je rapporte ce cas parce qu'il est consigné par le docteur Kerner de la véracité duquel on n'a jamais douté, malgré qu'il manque de cette documentation qui donne aux observations de la S. P. R. une valeur sans prix. Mais il est aussi une autre considération qui a pour moi une grande importance, c'est qu'il ressemble complètement aux phénomènes similaires signalés depuis. Coïncidence entre les apparitions et le moment du décès ; vision simultanée du grand-père par ses petits-enfants, etc. Si cette histoire était inventée, elle n'aurait pas autant de similitude avec des faits que nous contrôlons minutieusement aujourd'hui.
Arrivons donc aux récits modernes.

 

Phénomènes de dédoublement et de clairvoyance dans toute une noble famille russe

La baronne Isabella von Ungern Sternberg raconte, dans Die. Uebersinnliche. Welt, de juin 1902[13] une série de faits extra normaux qui se seraient passés dans la famille des comtes Steenboch, en Esthonie (Russie), près du golfe de Finlande. De génération en génération il y aurait eu dans cette famille des cas de dédoublement, visibles non seulement pour les membres de la famille mais aussi pour des étrangers.
Ainsi il arrivait plusieurs fois que le vieux comte Magnus se dédoublait pendant qu'il sommeillait dans son fauteuil après son déjeuner. A Zitter, où la famille passait l'été, il y avait, une après-midi, toute une société de jeunes gens réunis sur le balcon, d'où l'on jouit d'une très belle vue. C'étaient des parents et des amis et on causait gaiement. Mais voilà que devant les yeux de tous, le maître de la maison, qu'on croyait plongé dans le sommeil, sort du parc où il avait l'habitude de se promener. “ Qu'arrive-t-il donc à papa ”, s'écrie Mme Emilie von Fritthof, “ pour aller, contre son habitude, se promener à cette heure” ?
Doucement, elle entre dans la pièce où son père, à cette heure, avait l'habitude de prendre son sommeil, et elle le voit dormir doucement dans son fauteuil.
Pendant la guerre de 1830, le comte Magnus était à son régiment près de Varsovie au moment où sa femme donna naissance à Narwa, à un petit garçon.
Quelques jours après, un domestique voit son maître arriver en traîneau et en descendre ; il lui ouvre la porte en le saluant. Le comte Magnus monte l'escalier et traverse une pièce où sa sœur Lili est assise ; celle-ci se lève, saisie, et s'écrie : “ Comment toi, Magnus ! de retour si subitement ! ” Mais, sans rien répondre, il entre chez sa femme, encore au lit, et à côté de laquelle se trouve la nourrice avec le bébé.
Silencieux, il regarde longtemps les deux êtres chéris. “ C'est donc notre maître ? ” demande la nourrice, et la comtesse, très émue, répond : “ Oui, c'est lui. ”
Mais, toujours muet, il quitte la chambre sans avoir touché personne ni avoir été touché, et le domestique qui était à la porte de la maison ne le voyait pas sortir. Le traîneau avait disparu[14].
Une autre fois, c'est son fils, le comte Nikolaï, alors âgé de 12 ans, qui, avec sa sœur et l'institutrice de celle-ci, le voit entrer dans la pièce où ils se trouvent.
Mais, sans rien dire, il leur fait un salut avec la main et passe dans une autre pièce. Au même instant l'enfant regarde par la fenêtre et s'écrie plein d'étonnement : “ Mon Dieu, voilà papa de nouveau ; il traverse la cour et vient vers la maison. ” Cette fois c'était, réellement lui en chair et en os.
La comtesse Marie, femme de Michael Steenbock, raconte le cas de dédoublement suivant. Elle était allée à Pétersbourg voir son plus jeune fils, Netja, qui était à l'école dans cette ville. Elle l'avait revu, et, le croyant endormi, elle s'était couchée elle-même dans une chambre qui se trouvait au même étage que celle de l'enfant. Une institutrice française partageait la chambre avec elle, et toutes deux causaient vivement.
Alors l'enfant rentre, comme il avait l'habitude de le faire quelquefois, avec une couverture par-dessus sa chemise de nuit. “Mais, Netja ”, s'écrie la mère, “ cela n'est pas convenable ; mademoiselle est déjà couchée”. Il s'approche et elle remarque la broderie de la chemise faite par elle-même et le col, trop large, qu'elle avait l'intention de changer. “ Netja ”, continue-t-elle, “ as-tu quelque chose de spécial à me dire ? ” Mais Netja se penche sur elle sans mot dire et disparaît.
Cette fois, le dédoublement n'était visible que pour la comtesse Marie ; lorsqu'elle demanda à l'institutrice française si elle avait vu quelque chose, celle-ci répondit : “ Rien, madame, et j'ai été très étonnée de vous entendre tout d'un coup parler russe. ” La comtesse courut immédiatement à la chambre de l'enfant et le trouva au lit, dormant paisiblement, et portant la chemise dont elle avait remarqué la broderie et le col trop large.

Dans la famille Steenboch il y a eu aussi de nombreux cas de clairvoyance et de rêves prémonitoires.
Ces facultés étranges semblaient surtout attachées au vieux comte Magnus. Sa petite-fille, Mlle Adda von Fritthof, raconte comment, au milieu de ses parents et amis, il pouvait s'entretenir vivement avec des êtres invisibles.
Assis près de la cheminée et fumant sa longue pipe, il murmurait à mi-voix et en souriant des paroles, puis, avec un geste de la main, il renvoyait l'hôte invisible en disant : “ Bien, bien, maintenant tu peux t'en aller. ” L'année de sa mort lui fut prédite dans un rêve, par une apparition étrange (homme ou esprit), qui lui mordit la main ; la marque des dents s'y voyait le lendemain.
Sa sœur, Mme Pauline Anders, et la fille de celle-ci, Mme Clare Wiedemann possédaient aussi la faculté de clairvoyance, et prédirent plusieurs fois la mort de ceux qui leur étaient proches.
Enfin la comtesse Marie Steenboch raconte le fait suivant : Elle était dans les Ourals avec son mari, le comte Michael, lorsque celui-ci fut appelé à Pétersbourg pour des affaires, et forcé de partir. Elle était enceinte, mais on était en octobre et on n'attendait l'accouchement que pour le mois de janvier. Un soir de novembre, son mari fut tout d'un coup saisi d'une terrible inquiétude, qui s'aggrava pendant la nuit, et devint le matin si insupportable que la sueur froide lui mouillait le front. Et il voit alors des bords de la Newa, comment sa femme dans la chambre bien connue des Ourals, donne la vie à une fille aux cheveux noirs.
Son regard tombe par hasard sur l'horloge d'une tour, et il voit qu'il est 5 h. 20. Très agité, il marqua l'heure sur son calendrier et, vers le soir, il reçut d'Asie la bonne nouvelle qu'une fille lui était née deux mois trop tôt.
Nombreux sont encore les autres cas du même genre survenus dans cette famille dont tous les membres semblaient posséder des facultés extra-normales.
Il semble donc que certains organismes sont prédisposés à présenter le phénomène que nous éludions, à un degré éminent, car on peut l'observer plusieurs fois pendant la vie du sujet : nous en verrons des exemples assez nombreux, après avoir passé en revue les cas modernes d'apparitions collectives de vivants, que j'emprunte aux auteurs anglais, afin de n'avoir pas a prouver leur authenticité.

Caractères des apparitions collectives de vivants
Si ma discussion sur la différence qui existe entre l'hallucination visuelle produite par une influence télépathique et celle qui résulte de la vision réelle d'un fantôme objectif est exacte, il faut que tous les témoins décrivent l'apparition d'une manière identique, puisque l'image existe dans l'espace, au même titre qu'un objet quelconque qui peut être perçu oculairement. C'est précisément le caractère qui s'observe dans les cas suivants, qui ont, à ce point de vue spécial, une très grande portée.
On remarquera que les deux premiers exemples ci-dessous relatent des apparitions qui se sont produites au moment de la mort de l'agent ; nous n'en tirerons pas la conclusion que c'est l'image d'un mort qui a été vue — bien que la chose soit très fréquente, comme je le montrerai plus loin, — car la coïncidence absolue est incertaine ; il est donc préférable d'admettre que le phénomène a eu lieu dans les derniers moments de la vie, ce qui me les fait classer sous la rubrique actuelle.

 

Un fantôme se montre à son fils et à sa soeur

CXLIX-(345). Mme Cox, Summer Hill, Queenstown, Irlande[15].
26 décembre 1883.
Dans la nuit du 21 août 1869, entre 8 et 9 heures, j'étais assise dans ma chambre à coucher, dans la maison de ma mère à Devonport. Mon neveu, un garçon de sept ans, était couché dans la pièce voisine ; je fus très surprise de le voir entrer tout à coup en courant dans ma chambre ; il criait d'un ton effrayé : “ Oh! tante! je viens de voir mon père tourner autour de mon lit ! ” Je répondis : “ Quelle bêtise, tu as dû rêver. ” II dit : “ Non je n'ai pas rêvé ”, et il refusa de retourner dans sa chambre. Voyant que je ne pouvais le persuader d'y rentrer, je le mis dans mon lit. Entre 10 et 11 heures je me couchai. Une heure après environ, je crois, je vis distinctement, en regardant du côté de l'être, à mon grand étonnement, la forme de mon frère assise sur une chaise, et, ce qui me frappa particulièrement, ce fut la pâleur mortelle de la figure (mon neveu était a ce moment tout à fait endormi). Je fus si effrayée ( je savais qu'alors mon frère était à Hong-Kong) que je me cachai la tête sous les couvertures. Peu après, j'entendis nettement sa voix m'appeler par mon nom ; mon nom fut répété trois fois. Lorsque je regardai, il était parti. Le lendemain matin je dis à ma mère et à ma sœur ce qui était arrivé, et je dis que j'en prendrais note, ce que je fis. Le courrier suivant de Chine nous apporta la triste nouvelle de la mort de mon frère, elle avait eu lieu le 21 août 1869, dans la rade de Hong-Kong, subitement.
Minnie Cox.

Les auteurs anglais ont vérifié la date de la mort. Ils disent que cette dame n'a jamais eu d'autres hallucinations et que l'enfant n'était pas sujet aux frayeurs et ne craignait pas l'obscurité. Ils font également remarquer : “ qu'il est peu probable qu'une personne qui n'a aucune tendance aux hallucinations ait pu en avoir une sous l'influence de ce qu'elle considérait, comme le rêve d'un enfant effrayé ”. Notons aussi qu'elle s'est entendue appeler, ce qui suppose, si c'est un dédoublement, une véritable matérialisation de l'appareil vocal de l'apparition. Nous allons rencontrer ce fait assez souvent, et nous verrons plus tard comment, on peut concevoir qu'il se produise.
Voici un cas plus ancien, mais qui a été assez bien contrôlé pour que les auteurs lui aient donné asile dans leur recueil[16] :

CLIII-(357). Mémorandum d'une conversation entre feu le général Birch Reynardson et le colonel, depuis sir John, Sherbrooke.
Au mois de novembre, sir John Sherbrooke et le général Wynyard dînaient (entre 5 et 6 heures) dans leur chambre à la caserne, à Sydney Cove, en Amérique. Il faisait sombre, et une bougie était placée sur la table à une petite distance. Une forme, vêtue d'habillements simples et coiffée d'un bon chapeau rond, passa doucement entre les personnes nommées ci-dessus et le feu. Tandis qu'elle passait, sir John Sherbrooke s'écria : “ Dieu bénisse mon âme, qui est-ce ? ” Presque au même moment, le colonel W... dit : “ C'est mon frère John Wynyard, et je suis sûr qu'il est mort. ” Le colonel W..., était très agité ; il pleura et sanglota beaucoup. Sir John dit : “ Le personnage a un diablement bon chapeau, je voudrais bien l'avoir. ” Ils se levèrent aussitôt (sir John avait des béquilles, s'étant cassé la jambe), prirent une bougie et entrèrent dans la chambre à coucher, où la forme avait passé ; ils cherchèrent sous le lit et dans tous les coins de la chambre sans résultat ; les fenêtres étaient bouchées avec du mortier. M. Stuart, le trésorier-payeur du régiment, nota le fait au moment même. Sir John me déclara que le colonel W..., fut pendant deux ou trois jours très chagrin et très ennuyé, et qu'il resta parfaitement convaincu de la mort de son frère.
Ils ne reçurent aucune nouvelle d'Angleterre pendant cinq mois. Au bout de ce temps, arriva une lettre de M. Rush, le chirurgien ; il annonçait la mort de John Wynyard qui avait eu lieu, autant qu'on put s'en assurer, au moment où la figure avait apparu. Sir John me raconta en outre que deux ans et demi plus tard, comme il se promenait avec Lily Wynyard à Londres, il avait vu quelqu'un de l'autre côté de la rue, et qu'il lui avait semblé reconnaître la personne qui lui était apparue, ainsi qu'au colonel Wynyard en Amérique. Lily Wynyard lui avait dit que la personne qu'il montrait était un certain M. Eyre ; qu'il ressemblait tellement à John Wynyard qu'on les avait souvent pris l'un pour l'autre, et que l'on avait versé par erreur de l'argent à ce M. Eyre.
L'authenticité de ce récit est confirmée par le colonel Ralph Gore, qui était à Sydney, dans l'île du Cap Breton, au moment on l'apparition se produisit. Il répondit par une note détaillée à des demandes qui lui furent posées par sir John Harvey, adjudant général des forces du Canada en 1828 ; plus tard, il raconta souvent ce fait à sa femme, dont la fille, Mlle Laugmead, de Belmont, Tore Torquay, fait un récit d'après les souvenirs de sa mère, qui ressemble dans ses traits principaux à celui qui vient d'être reproduit. Le Rév. O. H. Carry rapporte que sa mère a souvent entendu le même récit de la bouche du général Wynyard lui-même. Ces témoignages concordants donnent au fait en question une réelle valeur.
Ces deux cas se relient à ceux que nous avons étudiés au sujet des apparitions télépathiques, en ce sens qu'il est permis de supposer que le mourant a porté sa pensée vers ceux qu'il aimait, pendant les derniers instants de sa vie, et que c'est son ardent désir de les revoir qui a facilité son extériorisation.
Si je cite aussi fréquemment les auteurs anglais, ce n'est pas que les documents émanant d'autres sources me fassent défaut, c'est simplement parce que ceux de la S. P. R. ont été minutieusement contrôlés. Il est facile de montrer que de semblables phénomènes ont lieu dans tous les pays. En voici deux exemples authentiques, l'un observé à Paris, l'autre en Italie. Comme ils offrent de sérieuses références, je n'hésite pas à leur donner place ici.

 

Le cas de la rue Jacob

Je mentionne d'abord le récit publié dans les Annales psychiques, sous la signature du Dr Isnard[17]:
C'était en 1878, j'habitais alors avec ma mère et mes deux sœurs, rue Jacob, 28.
Ma mère, gravement malade, était alitée depuis quatre mois. Ce jour-là, le 9 janvier, un jeudi, se sentant un peu mieux, elle manifesta le désir d'assister, de son lit, à notre repas du soir. Arriva un de nos amis, M. Menou, il accepta de passer la soirée avec nous.
L'appartement que nous occupions était composé de cinq pièces ; trois prenant jour sur la rue Jacob : deux ( la salle à manger et la chambre à coucher de ma mère), sur une cour intérieure. Dans la salle à manger trois portes : celle de l'antichambre, celle de la chambre de ma mère (celle-ci vitrée et à deux battants), l'autre, la troisième, fermée au bec de cane, donne accès par un petit couloir dans les pièces du devant.
Cette nuit-là était profondément calme, le temps brumeux et sombre ; il était environ 9 heures ou 9 heures et demie. Nous étions à table, parlant de choses et d'autres, l'esprit très libre, je dirai presque rasséréné par le mieux sensible survenu dans l'état de ma mère. Le bruit de nos voix parut à la fin fatiguer la malade qui, voulant se reposer un peu, nous pria de fermer sa porte. Nous en adossâmes les deux battants et la conversation continua.
Brusquement, la porte du corridor s'ouvrit toute grande, les battants de la porte de la chambre de ma mère se heurtèrent avec fracas et s'ouvrirent en même temps, et, la voix plaintive du vent s'éleva. Un coup de vent, toutes les fenêtres étant fermées, me parut étrange. Je regardai. Entre les portières qui encadraient l'entrée de la chambre à coucher était une ombre, celle d'une femme, petite, voûtée, la tète penchée, les bras croisés sur la poitrine. Un voile grisâtre et poussiéreux semblait la recouvrir, on eut dit une religieuse[18]. Elle s'avança doucement dans la salle à manger, glissant sur le parquet, toujours dans la même attitude ; on ne voyait point son visage. Elle passa près de moi, contourna la porte, entra dans le couloir dans l'ombre duquel elle s'évanouit. Un deuxième coup de vent s'éleva, fermant les portes. Cela avait duré six ou sept secondes.
Ce que j'éprouvai, ce ne fut point de la peur ; comme un sentiment de gène s'établit entre nous, nous avions vu tous les trois en même temps, une même chose et nous n'osions pas nous l'avouer. Ma sœur semblait tout particulièrement affectée...
La sœur de M. Isnard étant entrée dans la chambre de sa mère, trouva celle-ci en train de sommeiller.
Dans les deux autres récits, celui de Mlle D. Isnard et celui de M. Menou-Cornuet, la description de l'apparition est presque identique, et les trois témoins ont vu distinctement le fantôme accomplir le même trajet : de la porte de la chambre à coucher à celle du corridor. Le mouvement si violent des portes qui accompagna l'apparition de la forme, et se reproduisit quand elle disparut, nous fait assister à une action sur la matière concomitante avec la production du fantôme. J'en citerai d'autres exemples plus tard. Bien que les témoins n'aient pas vu la figure de l'apparition, ils eurent tous les trois le sentiment que c'était une manifestation de la mère malade. Voici la fin du récit du docteur Isnard :
La semaine suivante, j'étais seul avec ma mère ; elle était dans la salle à manger, assise depuis quelques instants dans son fauteuil, mes deux sœurs étaient sorties. Il était cinq heures, c'était l'heure de la visite habituelle du docteur D... Jamais je ne m'étais trouvé avec lui. Étudiant en médecine, je soupçonnais la gravité de l'état de ma mère et je n'avais pas le courage de m'exposer à recevoir de la bouche du docteur, une sentence de mort que je ne prévoyais que trop déjà : aussi refusais-je d'aller lui ouvrir. Ma mère se leva et à ce moment, je fus frappé par son altitude. C'était celle de l'ombre que nous avions vue : petite, courbée, elle s'avançait lentement vers la porte. Un châle lui couvrait les épaules et la tète, on ne voyait point, son visage : ses bras étaient croisés sur sa poitrine...
Docteur Isnard, 15, boulevard Arago.

D'après l'enquête faite sur les lieux par le docteur Dariex, directeur des Annales, qui connaît intimement les témoins, aucune ombre naturelle n'aurait pu se projeter accidentellement là où elle a été observée. Personne n'aurait pu jouer le rôle du fantôme car il avait, suivant le docteur Isnard, l'aspect que produit une toile d'araignée. Les témoins n'ont jamais éprouvé d'hallucinations. Voici un autre cas d'apparition qui fut aussi bien contrôlé.

 

Un malade apparaît simultanément à son frèe et à sa soeur

Le docteur Joseph Martini a publié dans la Revue Luce e Ombra de novembre 1906, le récit suivant[19] :
Dans le courant de l'année 1863, les membres de la famille de Mme Maria Bogliani, de Rubbiano (Parme), étaient très occupés, parce que depuis plus d'un mois ils étaient sans nouvelles d'Edmond, frère de Mme Bogliani, qui se trouvait alors dans un régiment de bersagliers à Reggio de Calabre. A cette époque, madame Maria et son autre frère Tullo étaient tous deux retenus au lit, dans leurs chambres respectives.
Un soir, vers 10 heures, leur mère se rendit dans la chambre de Tullo, âgé de 13 ans, qui lui dit qu'à l'instant même il venait de voir son frère Edmond portant son uniforme de bersaglier et le regardant avec une grande fixité. Il avait l'air triste et était aussi pâle qu'un mort.
Maria fit peu après un récit identique à sa mère. Les deux chambres des malades étaient éclairées et ni l'un ni l'autre n'avait la fièvre.
Ce ne fut que le lendemain qu'on reçut une communication de la part des chefs d'Edmond, annonçant sa maladie. D'autre part, un de ses camarades écrivit que, le jour même, de l'apparition, il se trouvait dans un état si grave, qu'on lui administra les derniers sacrements.
Cependant il échappa à la mort, et a son retour dans sa famille, il déclara qu'après avoir reçu les sacrements, se croyant à l'heure de la mort, il avait pensé avec une grande intensité à ses chers absents, avec le désir violent de les voir.
Des recherches faites, il résulta que l'apparition eut lieu exactement à ce moment.
Signé : Docteur Joseph Martini.

 

Apparition d’un vivant loin de son corps

CL-(348). Mme Elgee, 18, Woburn Road, Bedford[20].
1er  mars 1885).
Au mois de novembre 1864, je m'étais arrêtée au Caire, en allant aux Indes ; voici le curieux événement qui m'arriva :
A cause de l'affluence inaccoutumée de voyageurs, je dus, avec la jeune personne qui m'accompagnait (Mlle Dennys) et quelques autres passagers du courrier des Indes, m'installer dans un hôtel assez peu fréquenté. La chambre habitée par Mlle D... et moi-même était grande, haute de plafond et sombre ; le mobilier, des plus pauvres, était composé de deux petits lits placés presque au milieu de la chambre et qui ne touchaient pas du tout les murs, de deux ou trois chaises de cannes, d'une très petite toilette et d'un sofa de forme ancienne, qui était placé contre un battant de la grande porte de la chambre. Ce meuble était beaucoup trop lourd pour être déplacé, si ce n'est par deux ou trois personnes. On entrait par l'autre battant de la porte, la porte faisait face aux deux lits.
Je me sentais assez triste et sous l'impression d'un sentiment bizarre, et comme Mlle D... était une personne nerveuse, je fermai la porte à clef, et je mis la clef sous mon oreiller ; mais Mlle D... ayant fait la remarque qu'il pouvait y avoir une autre clef pour ouvrir la porte du dehors, je mis une chaise contre la porte, avec mon sac de voyage dessus, et ainsi disposé que, à la moindre pression du dehors, la chaise ou le sac devaient tomber sur le plancher, et faire assez de bruit pour me réveiller. Nous nous couchâmes alors ; le lit que j'avais choisi était près de l'unique fenêtre de la chambre, ses deux battants allaient presque jusqu'au plancher. A cause de la chaleur, je laissai la fenêtre ouverte, après m'être assurée que l'on ne pouvait entrer par là. La fenêtre donnait sur un petit balcon isolé, et nous étions à trois étages au-dessus du sol.
Je m'éveillai brusquement d'un profond sommeil avec le sentiment que quelqu'un m'avait appelée, et, m'asseyant dans mon lit, à mon étonnement sans bornes, je vis, à la claire lumière d'une lueur matinale qui entrait par la grande fenêtre déjà mentionnée, la forme d'un vieil ami que j'aimais beaucoup et que je savais être en Angleterre. Il me semblait très désireux de me parler, et je lui dis : “ Mon Dieu ! comment êtes-vous venu ici ? ” La forme était si nette que je remarquai chaque détail de son habillement, et même trois boutons en onyx qu'il portait toujours. Il sembla s'avancer d'un pas vers moi, lorsque tout à coup il montra du doigt l'autre côté de la chambre, et, en me retournant, je vis Mlle D... assise dans son lit et qui regardait cette forme avec une expression de terreur intense. Je me retournai, mon ami parut secouer la tête, et se retira pas à pas, lentement, jusqu'à la porte, puis il sembla s'enfoncer à travers le battant devant lequel le sofa se trouvait. Je n'ai jamais su ce qui m'arriva après cela, mais je ne me souviens que du brillant soleil qui inonda la chambre en traversant la fenêtre. Peu à peu le souvenir de ce qui était arrivé me revint, et cette question se présenta à mon esprit : Avais-je rêvé ou avais-je eu une vision de l'autre monde ? La présence corporelle de mon ami était absolument impossible. Me rappelant que Mlle D... avait paru voir la forme aussi bien que moi, je résolus de l'interroger pour savoir si c'était un rêve ou une vision. Je me gardai de lui en parler avant qu'elle ne m'en parlât elle-même. Comme elle semblait encore endormie, je me levai ; j'examinai la porte soigneusement, et trouvai le sac et la chaise à leur place, et la clef sous mon oreiller ; le sofa n'avait pas été touché, et le battant de la porte ne semblait pas avoir été ouvert depuis des années.
Peu après, Mlle D... s'éveilla ; elle regarda autour de la chambre, et jetant les yeux sur la chaise et le sac, elle fit la remarque que cela n'avait pas servi à grand chose. Je dis : “ Que voulez-vous dire ? ” Alors elle me dit : “ Mais, cet homme qui était dans la chambre ce matin a dû sortir d'une manière ou de l'autre ? Elle se mit alors à me décrire exactement ce que j'avais vu moi-même. Je ne lui dis pas ce que j'avais vu et je la mis en colère en traitant cela de pure vision ; Je lui montrai la clef encore sous mon oreiller ; la chaise et le sac encore en place. Je lui demandai alors si, puisqu'elle était si sûre d'avoir vu quelqu'un dans la chambre, elle savait qui c'était. “ Non, dit-elle, je ne l'ai jamais vu avant, ni personne comme lui”. Je dis :“ Avez-vous jamais vu son portrait ? ” Elle répondit non. Mlle Dennys ne sut jamais ce que j'avais vu, et cependant elle fit à une tierce personne la description exacte de ce que nous avions vu toutes les deux. ” Naturellement, j'avais l'idée que mon ami était mort. Ce n'était pas cependant le cas ; je le rencontrai quatre ans plus tard, et, sans lui parler de ce qui m'était arrivé au Caire, je lui demandai, en plaisantant, s'il pouvait se rappeler de ce qu'il faisait certain soir de novembre 1864. “ Ma foi, dit-il, vous me demandez d' avoir bonne mémoire ” ; mais après avoir réfléchi un peu il répondit : “ Mais c'est au moment où je me trouvais si tracassé en essayant de me décider pour ou contre le poste qu'on m'offrait, et où je désirais tellement vous avoir avec moi pour causer de celle affaire. Je restai assis très tard au coin du feu essayant de penser ce que vous m'auriez conseillé de faire. ”
Quelques questions et la comparaison des dates mirent en lumière ce fait curieux que, en égard à la différence d'heure qu'il y a entre l'Angleterre et le Caire, ses réflexions auprès du feu et mon hallucination avaient été simultanées. Lui ayant raconté les faits ci-dessus, je lui demandai s'il avait en conscience d'une sensation inaccoutumée ou particulière. Il dit que non, mais qu'il avait seulement désiré me voir.
E. H. Elgée.

On a pu avoir plus tard de Mlle Dennys, devenue Mme Ramsay, une confirmation complète du récit de Mme Elgée. La seule différence, c'est que suivant Mme Ramsay l'apparition portail toute sa barbe, tandis que l'ami de Mme Elgée, le colonel L..., ne portait que les favoris et la moustache. Cette divergence est de peu d'importance, si l'on tient compte de la terreur de Mlle D.., qui a pu ne pas attacher son attention sur un détail aussi insignifiant que celui de porter toute la barbe ou seulement des moustaches et des favoris. Il est bon d'observer que c'est l'apparition qui désigne par un geste la terreur de Mlle Dennys, ce qui établit que ce n'était pas celle-ci qui produisait l'hallucination. D'autre part, Mme Elgée dormait quand le fantôme apparut ; il est donc bien improbable que ce soit elle qui ait crée cette forme. Le dédoublement apparaît ici nettement comme l'explication la plus vraisemblable.

 

Vision collective prémonitoire

Sous le titre : Gostley Visitors, Stainton Moses, dont la haute notoriété est bien établie, a publié une série de récits qu'il affirme avoir vérifiés et dont il garantit l'authenticité. On y rencontre, entre autres, le fait suivant :
Mme Mc D... raconte qu'un soir, par un splendide clair de lune, elle rentrait de promenade avec sa sœur, lorsqu'elle vit une jeune servante sortir de sa maison, enveloppée dans un linceul de couleur sombre. S'avançant doucement sous les rayons de la lune, elle traversa l'espace entre la maison et les deux dames, comme si elle voulait les effrayer, puis disparut tout à coup.
Rentrée chez elle, Mme Mc D…lui demanda ce que signifiait son étrange conduite. Mais elle affirma qu'elle n'avait pas franchi le seuil de la porte. Peu après, elle fut atteinte de la variole et succomba. Son linceul fut fait d'une étoffe identique à celle que Mme Me D..., lui avait vu porter dans la nuit en question.
Le double semble avoir, dans ce cas, une connaissance anticipée de l'avenir. Nous verrons en étudiant les cas d'autoscopie, c'est-à-dire de vision de son image par le sujet lui-même, que Goethe et d'autres personnes ont vu leur sosie revêtu d'un costume identique à celui qu'ils ont porté plus tard. Ces sortes de prémonitions n'ont évidemment plus aucun rapport avec la télépathie, et renforcent l'hypothèse que l'apparition est de nature animique.

 

Le cas de M. Barwell

Dans l'exemple de Mme Elgée, on a vu que la préoccupation du colonel, qui aurait voulu consulter son amie, pouvait être considérée comme la cause de son dédoublement, de même que le bersaglier avait pensé avec une grande intensité à ses parents en désirant les revoir, ce qui est un motif suffisant pour amener le dédoublement de ceux qui possèdent ce pouvoir. Dans le récit suivant, il semble bien que l'hôte n'était pas préoccupé de la réception de ses amis, et s'il a pu se dégager pendant sa syncope pour se transporter vers eux, le motif est moins évident que dans les exemples précédents ; on ne peut pas bien expliquer non plus pourquoi il est apparu en wagon. Voici le fait[21]:

CLII-(356). M. H. G. Barwell, 33 Surrey Street, Norwich. 1883.
Pendant la deuxième semaine de 1882, M. et Mme W... et sa famille s'étaient installés confortablement dans une maison qu'ils avaient louée à “ Thé Lizard ” Cornwall ; et quelques jours plus tard M. Cox, un artiste amateur de Liverpool les rejoignit. M. Barwell s'était arrangé pour rejoindre M. Earle, un artiste qui habitait Londres (ils ont signé tous deux le document) pour le lundi 7 août 1882, dîner avec lui et prendre le train poste de nuit à Paddington ; ils avaient pris leurs billets pour Peryn, Cornwall ; des voitures menaient les voyageurs de cette station à Helston, et de là au Lizard, où ils allaient rejoindre M. W... et sa famille, comme maintes fois auparavant.
Barwell et Earle partirent par conséquent, comme ils l'avaient arrangé, par le train poste de Paddington à 8 h. 10 du soir, le jour du Bank Holiday, lundi 7 août 1882. Ils voyagèrent toute la nuit ; le train à son arrivée à Peryn avait un peu plus de 15 minutes de retard, arrivant à destination le mardi matin, 8 août 1882, à 7 h. 23. Il ne descendit pas d'autres voyageurs à cette station. Ils éprouvèrent quelque difficulté pour trouver un porteur pour charger leur bagage sur l'omnibus en station à la gare. Le cocher leur dit que s'ils ne venaient pas de suite, il serait obligé de partir sans eux. Pour lui les voyageurs ne comptaient pas, il devait se charger des sacs de dépêches et les distribuer aux différents villages sur la route. Ils éveillèrent le porteur et insistèrent auprès de lui ; pendant ce temps-là leur train était parti et un autre train, allant de Falmouth à Londres, entra en gare (à l'heure exacte, 7 h. 24 du matin). On plaçait leur bagage sur l'omnibus; Earle avait déjà grimpé sur son siège près du cocher, et Barwell ayant vu tout leur bagage placé en sûreté sur le véhicule, grimpait à côté de lui, lorsque Earle s'écria : “ Mais, regarde là ! ” Et Barwell levant les yeux, vit dans le train, qui venait de quitter la station et de partir dans la direction de Londres, leur ami W..., de Lizard, qui leur faisait des signes de la main, tout en se penchant anxieusement par la portière, pour s'assurer apparemment s'ils étaient arrivés. Ils rendirent le salut cordialement et le train disparut dans une courbe, W... était toujours penché à la portière et agitait la main.
Les deux amis firent alors différentes conjectures sur les raisons qui avaient pu faire partir M. W..., le jour même de leur arrivée ; et sur l'endroit où il pouvait bien aller... (ici ces conjectures sans intérêt pour le récit).
Ils arrivèrent en temps voulu à Helston, déjeunèrent, et se promenèrent à travers la vieille ville jusqu'à ce que la diligence partît pour le Lizard, c'est-à-dire jusqu'à 11 heures du matin. En approchant du Lizard, ils guettaient anxieusement les enfants de M. W.., ils espéraient, recevoir, comme à l'ordinaire, leur cordial accueil de bienvenue à l'arrivée de la diligence et apprendre d'eux où ils devaient loger. La diligence arriva, mais il n'y avait là aucun membre de la famille W...
Le bagage fut descendu de la diligence et déposé sur la pelouse en face de l'hôtel, jusqu'à ce que l'on sut où les chambres avaient été retenues. Les deux amis s'éloignèrent, mais rencontrèrent bientôt deux des fils W...à qui ils demandèrent pourquoi leur père était parti. Ils semblèrent assez surpris de la question et répondirent que leur père était malade au lit chez lui, et que leur mère était aussi à la maison et très inquiète à son sujet. Les fils accompagnèrent Earle et Barwell à la maison de leur père dans le village. Mme W... sortit et les accueillit cordialement, leur disant en peu de mots que M. W... avait eu une syncope grave le matin même, et qu'elle le veillait avec une grande inquiétude.
M. Cox rentra alors de son travail du matin, et, après avoir salué Earle et Barwell, leur raconta les détails suivants sur la syncope de M. W... : M. W... ses deux fils et lui-même étaient partis du Lizard à 7 heures du matin, pour aller se baigner à Housel Cove à une distance d'un peu plus d'un demi-mille. Lorsque W... était sorti de la mer, il s'était assis contre un roc. Tout à coup il s'évanouit ; Cox fut terriblement secoué et alarmé, car pendant un moment il ne put sentir les battements du cœur, et il craignit que W... ne fût mort ou mourant. Il employa tout les moyens qu'il put se rappeler, et étendit W. sur le sol : les pulsations se firent alors sentir et W... se remit alors un peu, mais se sentit trop faible pour faire, de longtemps, un mouvement. On alla chercher Mme W... et l'on déjeuna à Cowe, et lorsque M. W.., se sentit assez de vigueur pour grimper la côte raide avec l'aide de quelqu'un ils rentrèrent à la maison.
L'évanouissement de W... avait eu lieu à 7 h. 30 du matin à Housel Cove, au moment précis où Earle et Barwell avaient vu W... agiter la main par la portière du train de Penryn.
On a demandé à M. W... s'il avait pensé à Earle et à Barwell, ou s'il les avait vus soit avant soit pendant sa syncope, mais il ne se rappelle rien de la sorte.
Signés : ch. Earle, 9 Duke Street, Portland Place, London ;
H. G. Barwell, Surrey Street, Norwich ;
Ch. H. Cox, Shrewsbury Road, N. Birkenhead.
Les auteurs anglais font remarquer qu'il est difficile de supposer une erreur d'identité, car les témoins étaient dans un état d’esprit qui diffère totalement de celui où l'on se trouve quand on attend un ami. Et puis la figure qu'ils ont vue ensemble bien nettement semble les avoir reconnus, de sorte qu'il faudrait supposer qu'ils ont pris quelqu'un pour leur ami, mais que ce quelqu'un les connaissait aussi, ce qui est une hypothèse tout à fait improbable. On observe également que deux personnes douées d’une excellente vue, comme c'est ici le cas, ne pouvaient guère se tromper en même temps sur une ressemblance.

 

Remarque importante

En étudiant les cas que nous allons citer maintenant, nous nous éloignons insensiblement de l'hypothèse télépathique, d'après laquelle la vision serait toujours causée par la pensée d'un agent agissant sur l'imagination du percipient. Déjà, avec la vision collective de l'apparition, nous avons reconnu qu'il était bien difficile de supposer une identité complète dans la description du fantôme puisque celui-ci, qu'il soit construit individuellement par chacun, ou projeté d'un percipient sur l'autre, subirait nécessairement des déformations individuelles, ce qui n'a pas lieu, et plaide en faveur de l'existence objective du fantôme.
Mais, maintenant, nous allons assister à des apparitions collectives de vivants qui ne sont engendrées par aucune action télépathique, et, bien mieux, qui se produisent contre la volonté de l'agent, ou, en tout cas, le plus souvent à son insu. Il semble que nous sommes, ici, en présence d'une faculté naturelle de dédoublement à laquelle les théories précédentes ne peuvent s'appliquer ni de près ni de loin. L'étude un peu détaillée de ces curieuses manifestations nous montrera combien il faut être réservé dans les généralisations, et ne pas vouloir absolument ouvrir toutes les serrures avec la même clef. Nous avons vu que l'hallucination pure et simple existe ; puis que l'hallucination peut avoir une cause extérieure, être en un mot véridique ; nous sommes arrivés ensuite, progressivement, au dédoublement causé par une émotion violente, un désir intense de revoir des êtres chers ; maintenant voici le dédoublement naturel, que rien de sérieux ne motive, sinon une prédisposition innée, une anomalie physiologique qu'il sera intéressant d'étudier expérimentalement, comme nous verrons que cela peut se faire.

 

Apparitions du double de Melle Emilie Sagée

Nous empruntons à l'ouvrage d'Aksakof[22], la traduction qu’il a faite de ce récit. Voici d'abord les renseignements indispensables relatifs à l'auteur qui a relaté ce cas :
Nous sommes redevable de ce fait à Robert Dale Owen[23]qui le tenait de première main de la baronne Julie de Güldenstubbe et en à donné dans son Footfalls on the boundary of Another world[24], un court récit que Perty a mentionné[25] mais plus tard, des renseignements plus détaillés, fournis par la baronne Güldenstubbe elle-même, ont été publiés dans le Light de 1883, p. 366 ; comme le cas est extrêmement remarquable et, en somme, pas très connu, je le cite en entier.
En 1845 existait en Livonie (et existe encore), à environ 36 milles anglais de Riga et à une lieu et demie de la petite ville de Volmar, un institut pour jeunes filles nobles, désigné sous le nom de “pensionnat de Neuwelcke ”. Le directeur à cette époque était M. Buch.
Le nombre des pensionnaires, presque toutes de familles livoniennes nobles, s'élevait à 42, parmi elles se trouvait la seconde fille, du baron de Güldenstubbe, âgée de treize ans.
Au nombre des maîtresses il y avait une Française, Mlle Emilie Sagée, née à Dijon. Elle avait le type du Nord : c'était une blonde à très belle carnation avec des yeux bleu clair ; elle était élancée et de taille un peu au-dessus de la moyenne ; elle avait le caractère aimable, doux et gai, mais elle était un peu timide et d'un tempérament nerveux, un peu excitable. Sa santé était ordinairement bonne, et, pendant le temps (un an et demi) qu'elle passa à Neuwelcke, elle n'eut qu'une ou deux indispositions légères. Elle était intelligente et d'une parfaite éducation et les directeurs se montrèrent parfaitement satisfaits de son enseignement et de ses aptitudes pendant tout le temps de son séjour. Elle était alors âgée de trente-deux ans.
Peu de semaines après son entrée dans la maison, de singuliers bruits commencèrent à courir sur son compte parmi les élèves.
Quand l'une disait l'avoir vue dans telle partie de l'établissement, une autre assurait l'avoir rencontrée ailleurs au même moment, disant : “ Mais non, cela ne se peut, je viens de la croiser dans l'escalier ”, ou bien elle assurait l'avoir vue dans quelque corridor éloigné. On crut d'abord à une méprise ; mais, comme le fait ne cessait de se reproduire, les jeunes filles commencèrent par trouver la chose très bizarre et, enfin, en parlèrent aux autres maîtresses. Les professeurs mis au courant déclarèrent, par ignorance ou par parti pris, que tout cela n'avait pas le sens commun et qu'il ne fallait pas y attacher une importance quelconque.
Mais les choses ne tardèrent pas à se compliquer et prirent un caractère qui excluait toute possibilité de fantaisie ou d'erreur. Un jour qu'Emilie Sagée donnait une leçon à treize de ces jeunes filles, parmi lesquelles Mlle de Güldenstubbe, et que, pour faire mieux comprendre sa démonstration, elle écrivait le passage à expliquer au tableau noir, les élèves virent tout à coup, à leur grande frayeur, deux demoiselles Sagée, l'une à côté de l'autre. Elles se ressemblaient exactement et faisaient les mêmes gestes. Seulement la personne véritable avait un morceau de craie à la main et écrivait effectivement, tandis que son double n'en avait pas et se contentait d'imiter les mouvements qu'elle faisait pour écrire.
De là, grande sensation dans l'établissement, d'autant plus que toutes les jeunes filles, sans exception, avaient vu la seconde forme et étaient parfaitement d'accord dans la description qu'elles faisaient du phénomène.
Peu après, une des élèves, Mlle Antoinette de Wrangel obtint la permission de se rendre, avec quelques camarades, à une fête locale du voisinage. Elle était occupée à terminer sa toilette et Mlle Sagée, avec sa bonhomie et sa serviabilité habituelles, était venue l'aider et agrafait sa robe par derrière. La jeune fille, s'étant retournée par hasard, aperçut dans la glace deux Emilie Sagée qui s'occupaient d'elle. Elle fut tellement effrayée de cette apparition qu'elle s'évanouit.
Des mois se passèrent et des phénomènes semblables continuèrent à se produire. On voyait de temps à autre, au dîner, le double de l'institutrice, debout, derrière sa chaise, imitant ses mouvements, tandis qu'elle mangeait, mais sans couteau ni fourchette ni nourriture dans les mains. Élèves et domestiques servant à table en on témoigné également.
Cependant, il n'arrivait pas toujours que le double imitât aussitôt les mouvements de la personne véritable. Parfois, quand celle-ci se levait de sa chaise, on voyait son double y rester assis. Une fois, étant couchée à cause d'un grand rhume, la jeune fille dont il a été question, Mlle de Wrangel, qui lui lisait un livre pour la distraire, la vit tout à coup pâlir et se raidir, comme si elle allait se trouver mal : là-dessus, la jeune fille, effrayée, lui demanda si elle se sentait plus mal. Elle répondit que non, mais d'une voix très faible et mourante. Mlle de Wrangel, se retournant par hasard quelques instants après, aperçut très distinctement le double de la malade ce promenant de long en large, dans la chambre. Cette fois, la jeune fille eut assez d'empire sur elle-même pour garder son calme et ne pas faire la moindre observation à la malade, mais, peu après, elle descendit toute pâle et raconta ce dont elle venait d'être témoin.
Mais le cas le plus remarquable de cette activité, en apparence indépendante, des deux formes, est certainement le suivant :
Un jour toutes les élèves, au nombre de quarante-deux, étaient, réunies dans une même pièce et occupées à des travaux de broderie. C'était une grande salle au rez-de-chaussée du bâtiment principal, avec quatre grandes fenêtres, ou plutôt quatre portes vitrées qui s'ouvraient directement sur le palier et conduisaient dans un assez grand jardin attenant à l'établissement. Au milieu de la salle était une grande table devant laquelle s'assemblaient habituellement les différentes classes pour se livrer à des travaux d'aiguille ou d'autres semblables.
Ce jour-là les pensionnaires étaient toutes assises devant la table, et elles pouvaient très bien voir ce qui se passait dans le jardin ; tout en travaillant, elles voyaient Mlle Sagée, occupée à cueillir des fleurs, non loin de la maison ; c'était une de ses distractions de prédilection. A l'extrémité supérieure de la table se tenait une autre maîtresse, chargée de la surveillance et assise dans un fauteuil de maroquin vert. A un moment donné, cette dame s'absenta, et le fauteuil resta vide. Mais ce ne fut que pour peu de temps, car les jeunes filles y aperçurent tout à coup la forme de Mlle Sagée. Aussitôt, elles portèrent leurs regards dans le jardin et la virent toujours occupée à cueillir des fleurs ; seulement, ses mouvements étaient plus lents et plus lourds, pareils à ceux d'une personne accablée de sommeil ou épuisée de fatigue.
Elles portèrent de nouveau leurs yeux vers le fauteuil, où le double étais assis, silencieux et immobile, mais avec une telle apparence de réalité que si elles n'avaient pas vu Mlle Sagée, et qu'elles n’eussent su qu'elle avait apparu dans le fauteuil sans être entrée dans la salle, elles auraient pu croire que c'était elle-même. Mais certaines qu'elles n'avaient pas affaire, à une personne véritable, et quelque peu habituées à ces étranges manifestations, deux des élèves les plus hardies s'approchèrent du fauteuil, et, touchant l'apparition, crurent y rencontrer une résistance comparable à celle qu'offrirait un léger tissu de mousseline ou de crêpe. L'une osa même passer au devant du fauteuil et traverser en réalité une partie de la forme. Malgré cela, celle-ci dura encore un peu de temps, puis s'évanouit graduellement. On observa aussitôt que Mlle Sagée avait repris la cueillette de ses fleurs avec sa vivacité habituelle. Les quarante-deux pensionnaires constatèrent le phénomène de la même manière.
Quelques-unes d'entre elles demandèrent ensuite à Mlle Sagée si, à cette occasion, elle avait éprouvé quelque chose de particulier ; elle répondit qu'elle se souvenait seulement d'avoir pensé à la vue du fauteuil vide : “ J'aimerais mieux que l'institutrice ne s'en fût pas allée ; sûrement, ces demoiselles vont perdre leur temps et commettre quelque espièglerie.”
Ces curieux phénomènes durèrent avec diverses variantes environ dix-huit mois, c'est-à-dire pendant tout le temps que Mlle Sagée conserva son emploi à Neuwelcke (durant une partie des années 1845-1846) ; il y eut cependant des intervalles de calme d'une ou plusieurs semaines. Ces manifestations avaient lieu principalement à des moments où elle était très préoccupée ou très appliquée à sa tâche. On remarqua qu'à mesure que le double devenait plus net et prenait plus de consistance, la personne elle-même devenait plus raide et s'affaiblissait et réciproquement, qu'à mesure que le double s'évanouissait, l'être corporel reprenait ses forces. Elle-même était inconsciente de ce qui se passait et n'en avait connaissance que d'après ce qu'on lui disait ; elle en était ordinairement instruite par le regard des personnes présentes ; jamais elle ne vit l'apparition de son double[26], pas plus qu'elle ne semblait s'apercevoir de la raideur et de l'inertie qui s'emparaient d'elle dès que son double était vu par d'autres personnes.
Remarquons en passant, car je reviendrai sur ce point, qu'il existe une relation entre l'activité vitale de la jeune fille et le fantôme ; quand les fonctions de la vie ordinaire diminuent chez elle d'intensité, le double devient plus visible, et se concrète davantage, comme si une partie de l'énergie de l'organisme servait à le matérialiser. Ici, nous sommes loin de toute action télépathique, car les élèves ne sont pas hallucinées par Mlle Sagée, puisque elle-même non seulement ignorait l'existence de son dédoublement au moment même où il était visible pour d'autres, mais qu'elle redoutait cette éventualité, et qu'elle s'y serait opposée si cela lui avait été possible, car ce fut, comme nous allons le voir, un véritable tourment pour elle et la cause de la perte successive de toutes ses places :
Pendant les dix-huit mois où la baronne Julie de Güldenstubbe eut l'occasion d'être témoin de ces phénomènes et d'entendre les autres en parler, jamais ne se présenta le cas de l'apparition du double à une grande distance, par exemple à plusieurs lieues de la personne corporelle ; quelquefois, cependant, le double apparaissait pendant ses promenades dans le voisinage, quand l'éloignement n'était pas trop grand. Le plus souvent, c'était dans l'intérieur de l'établissement. Tout le personnel de la maison l'avait vu. Le double paraissait être visible pour toutes les personnes sans distinction d'âge ni de sexe.
Ou peut aisément se figurer qu'un phénomène aussi extraordinaire ne pouvait se présenter avec cette insistance pendant plus d'un an, dans une institution de ce genre, sans lui causer de préjudice. Dès qu'il fut bien établi que l'apparition du double de Mlle Sagée, constatée d'abord dans la classe qu'elle dirigeait, puis dans toute l'école, n'était pas un simple fait d'imagination, la chose arriva aux oreilles des parents. Quelques-unes des plus craintives parmi les pensionnaires témoignaient d'une vive excitation et se répandaient en récriminations chaque fois que le hasard les rendait témoins d'une chose si étrange et si inexplicable. Naturellement les parents commencèrent à éprouver un scrupule de laisser leurs enfants plus longtemps sous une pareille influence, et beaucoup des élèves parties en vacances ne revinrent pas. Au bout de dix-huit mois, il ne restait plus que douze élèves sur quarante-deux. Quelque répugnance qu'ils en eussent, il fallut que les directeurs sacrifiassent Emilie Sagée.
En recevant son congé, la jeune personne, désespérée, s'écria en présence de Mlle Julie de Güldenstubbe : “ Hélas ! déjà la dix-neuvième fois ; c'est dur, très dur à supporter ! ”
Lorsqu'on lui demanda ce qu'elle entendait par là, elle répondit que partout où elle avait passé, — et depuis le début de sa carrière d'institutrice à l'âge de seize ans, elle avait été dans dix-huit maisons avant de venir à Neuweclke, — les mêmes phénomènes s'étaient produits et avaient motivé son renvoi. Comme les directeurs des établissements étaient contents d'elle à tous les autres points de vue, ils lui donnaient chaque fois d'excellents certificats. En raison de ces circonstances, elle était obligée de chercher chaque fois une nouvelle place dans un endroit aussi éloigné que possible du précédent.
Après avoir quitté Neuwelcke, elle se retira pendant quelque temps non loin de là, auprès d'une belle-sœur qui avait plusieurs enfants tout jeunes. Mlle de Güldenstubbe alla lui faire visite là, et apprit que ces enfants, âgés de trois et quatre ans, connaissaient les particularités de son dédoublement ; ils avaient l'habitude de dire qu'ils voyaient deux tantes Emilie. Plus tard, elle se rendit dans l'intérieur de la Russie, et Mlle de Güldenstubbe n'en entendit plus parler.
Je tiens tous ces détails de Mlle de Güldenstubbe elle-même, et elle m'accorde volontiers l'autorisation de les publier avec l'indication de noms, de lieu et de date ; elle resta à l'institution de Neuwelcke pendant tout le temps que Mlle Sagée y enseigna ; personne n'aurait donc pu donner une relation aussi fidèle des faits avec tous leurs détails.
Il est regrettable qu'un fait aussi démonstratif n'ait pas été appuyé par d'autres témoignages ; mais nous n'avons aucune raison de suspecter l'entière bonne foi de Mlle de Güldenstubbe, et la fidélité de ses souvenirs, puisque le renvoi de Mlle Sagée semble établir la réalité complète de ce dédoublement. D'ailleurs, nous allons le constater, il existe pour d'autres phénomènes analogues des attestations très sérieuses, bien que le nombre des témoins ait été généralement moins grand ; nous verrons un cas, où le double est encore plus matérialisé et vu par toute une assemblée de fidèles. C'est celui de M. Stead. Dans ces exemples, c'est donc bien à l'apparition de vivants que l'on assiste, sans discussion possible, car l'hallucination réitérée des élèves, des domestiques, des maîtres de dix-neuf établissements est positivement une hypothèse plus invraisemblable que celle du dédoublement.
L'absence d'une action télépathique causée par une vive émotion de l'agent est encore très évidente dans les exemples qui suivent, car il ressort des récits eux-mêmes que la pensée ou la volonté de l'agent n'a eu presque aucune part dans le phénomène, qui se produit fortuitement, à l'insu du sujet, qui poursuit le cours de sa vie ordinaire.

 

Apparition à deux dames d’un de leurs amis

CXXXIX-(327). Mme Moberly, Tynwald, Hyte[27]
9 mai 1884.
Une de mes amies et moi, nous avons éprouvé une hallucination assez étrange. Nous fûmes toutes deux convaincues d'avoir vu, une après-midi, passer un ami devant la fenêtre derrière laquelle nous étions, et entrer dans le jardin. Nous le saluâmes toutes les deux, et nous crûmes qu'il nous avait répondu. Il resta en vue un moment, assez longtemps pour que nous puissions le reconnaître, et la route qu'il suivait passait près de la fenêtre où nous étions. C'était un chemin de campagne très tranquille ; nous connaissions tous les passants de vue et par leur nom, et notre ami était un homme facile à reconnaître et que l'on ne confondait pas facilement avec les autres : un homme de petite taille, vif et souple ; il avait l'air d'un étranger, les cheveux noirs et les favoris blancs, un pardessus qui n'était pas du tout de coupe anglaise, une manière de saluer qui lui était particulière ; il agitait son chapeau et se courbait profondément devant nous, toutes les fois qu'il nous rencontrait. Nous espérâmes en vain l'entendre annoncer.
En retournant chez elle, mon amie rencontra le fils de ce monsieur qui fut très surpris d'apprendre que son père était venu chez nous. Il avait eu l'intention de venir, mais, se trouvant occupé, il avait envoyé son fils à sa place. Naturellement, lorsque nous nous rencontrâmes, on discuta sur ce mystère à perte de vue, et l'on arriva finalement à la conclusion que c'était un mystère.
Fras Moberly.
En réponse aux questions qu'on lui fit, Mme Moberly dit que le fait a eu lieu en 1863, qu'elle avait alors dix-neuf ans, qu'elle se portait bien et qu'elle n'avait jamais eu d'autre hallucination. L'autre témoin refuse de répondre à toute question “ par principe ”. Mme Moberly ajoute : “ Elle n'a pas oublié les faits, elle serait bien heureuse qu'il en fût ainsi. ”
En somme, il semble bien que la seule pensée d'aller voir ses amies a suffi pour produire le dédoublement de ce monsieur et le fantôme, comme toujours, est, habillé ainsi que l'était l'agent lui-même. Des observations identiques sont applicables au cas suivant, extrait des Proceedings de la S. P. R. Volume X, page 306.

 

Le cas de Miss C. J. E.

Mars 1892.
Au mois d'août 1889, je jouais de l'harmonium dans l'église de X..., lorsque je vis ma sœur aînée portant un rouleau sous le bras, traverser l'église et se diriger vers le chœur. Lorsque je regardai de nouveau, elle avait disparu, et je pensai qu'elle n'était restée que quelques minutes et qu'elle était repartie.
Mais lorsque je lui demandai plus tard ce qu'elle cherchait dans l'église, elle en fut très étonnée, me disant que pendant toute l'après-midi elle était restée dans la bibliothèque de la cure, à consulter des tables généalogiques. Je ne pourrais citer la date exacte, mais je suis certaine de l'époque.
J'avais l'habitude de jouer de l'harmonium, et autant que mes souvenirs me permettent de l'affirmer, je me portais parfaitement et je n'avais aucun sujet d'inquiétude. J'avais dix-huit ans et une sœur plus jeune se trouvait à ce moment dans l'église. Elle était près de moi, debout sur une vieille tombe en pierre, et elle vit comme moi notre sœur aînée traverser l'église, avec un rouleau de papier sous le bras, mais elle ne vit là rien d'exceptionnel et regarda autre part. Lorsqu'elle reporta ses yeux dans cette direction, notre sœur avait disparu.
Ma sœur aînée avait son apparence ordinaire et ma jeune sœur remarqua comme moi qu'elle avait son chapeau et une jaquette. Elle marchait vivement en regardant devant elle. Elle nous affirma qu'elle n'avait pas quitté de toute l'après-midi la bibliothèque du presbytère, qui était à un jet de pierre de distance.
Interrogée pour savoir si elle avait eu d'autres genres de visions, Miss G. J. E. répondit :
Lorsque je me trouvais seule, la nuit dans ma chambre, j'ai quelquefois vu des formes sombres, mais comme je suis nerveuse, j'ai cru qu'il n'y avait là rien de réel et que c'était un effet de mon imagination. Quant à l'apparition de ma sœur, je l'ai bien positivement vue.
Plus tard, miss E. écrivait encore :
14 avril 1892.
Je suis absolument certaine que ce n'était personne ressemblant à K..., car j'ai vu très distinctement tous ses traits et ses formes, ainsi que ses vêtements dans leurs moindres détails, et j'ai bien remarqué qu'elle regardait droit devant elle. Ma vue est excellente et j'affirme que je n'ai pas pu me tromper. Je puis dire que lorsque je regardai, elle n'était pas à plus de trois mètres de moi. La forme a pu passer derrière moi sans que je m'en aperçoive, mais cela n'est pas probable, car j'avais la face tournée vers la nef qu'elle venait de traverser.
Miss H. E., l'autre percipiente, écrit :
Ma sœur et moi, nous passions la journée chez notre oncle à X... Comme il est pasteur, son jardin donne dans le cimetière. Pendant l'après-midi, je me rendis à l'église avec ma sœur C... Elle se mit à jouer de l'harmonium et je me tenais debout sur une tombe en pierre, en posant la main sur son épaule. Ma sœur jouait une hymne et je suivais les paroles des yeux sur le livre. C... leva les yeux, je fis comme elle ; et regardant dans la même direction, j'aperçus K... traverser l'église en se dirigeant vers nous, en portant sous le bras un grand rouleau de papier, ce qui me surprit beaucoup. Nous ne fîmes aucune observation et ne prîmes pas garde à ses mouvements, car lorsque nous venions à X..., nous nous rendions souvent à l'église. C'était certainement K... elle-même, j'ai vu parfaitement sa figure. C….et moi avons fini notre hymne et elle avait disparu. Aussitôt après, nous sommes allées prendre le thé. Pendant que nous le prenions K... nous dit : “ Je regrette de n'être pas allée voir l'église cette après-midi, car je cherchais des documents dans la bibliothèque et en y allant je suis passée devant la porte. Je fus sur le point d'y entrer, mais je changeai de direction. ” C... et moi nous échangeâmes un regard, mais sans faire d'observation. Cependant, le lendemain matin la conversation revint avec K...sur ce sujet. Celle-ci se montra fort étonnée, affirmant qu'elle n'était certainement pas entrée dans l'église ; qu'elle avait été dans la bibliothèque consulter les archives de la famille, puis qu'elle était allée vers la porte de l'église, mais avait rebroussé chemin.
Ma sœur et moi nous avons une excellente vue. Il semble bien impossible que K... ait visité l'église, et cependant nous sommes absolument certaines de l'avoir vue ou sa ressemblance. Nous avons toutes deux décrit son costume dans ses détails et K... nous a dit que c'était effectivement celui qu'elle portait ce jour-là. Avant de quitter X….j'ai vu l'arbre généalogique et nous avons constaté que c'étaient bien les papiers que K... portait sous le bras. Tels sont les détails de ce cas, sans exagération ni diminution, autant que ma mémoire puisse être fidèle.
Il est possible, mais tout à fait improbable, que K... ait quitté l'église sans que nous nous en soyons aperçues, car elle aurait été pour cela obligée, de repasser sous nos yeux.
Enfin Miss K. E. écrit elle-même :
Pendant l'après-midi que ces faits étranges se passèrent, je me promenai quelque temps dans le jardin de mon oncle et j'eus une velléité d'entrer dans l'église, mais je changeai d'idée et ne le fis pas. J'allai dans la bibliothèque, et comme je m'intéressai à notre généalogie, j'étudiai les documents de Camille de mon oncle jusqu'à l'heure du thé, et je fis remarquer à mes sœurs que je n'étais pas entrée dans l'église pendant l'après-midi. Elles me dirent qu'elles m'y avaient vue. Je n'éprouvai rien de particulier pendant tout ce temps et j'ai été fort étonnée de cet incident.
On remarquera encore que le sosie du vivant est toujours vêtu comme la personne qu'il figure ; ainsi que cela s'est présenté dans les cas précédents. La circonstance que le double tenait un rouleau de papier sous le bras, tandis que miss K... n'en avait probablement pas, puisqu'elle étudiait des documents, nous met en présence d'un attribut du fantôme qui semble créé par lui. Je signale ce fait en passant, car nous le verrons se reproduire très souvent pour les apparitions de défunts, et nous chercherons l'explication de ce phénomène qui a été invoqué comme une preuve que la vision était hallucinatoire car, suivant les critiques, on ne peut concevoir des vêtements fluidiques, pas plus que des formes fantomales de tous les objets usuels.
L'exposé des cas authentiques rassemblés par les savants d'outre-Manche, par leur variété même, montre que si ces études étaient poursuivies méthodiquement, dans tous les pays, on en recueillerait un nombre suffisant pour que le dédoublement de l'être humain fût reconnu comme phénomène rare, mais naturel, d'une incontestable réalité. Certaines personnes semblent, comme Emilie Sagée, prédisposées à se monter dédoublées. Quelques exemples le prouveront suffisamment.

 

Dédoublements réitérés

XCII-(254). Mme Hawkins[28], Beyton Rectory, Bury Saint Edmonds.
Voici les deux récits, écrits indépendamment, par les deux dames qui ont vu le dédoublement de Mme Hawkins. Le premier est de Mlle Dickins :
Cherington, Shipston-on-stour, 29 septembre 1884.
Je vous envoie les deux récits que Géorgie et moi, nous avons écrits à propos de votre apparition. Nous les avons écrits indépendamment l'une de l'autre, et je pense qu'ainsi ils constitueront un témoignage d'une qualité exceptionnelle. Ils concordent, en effet, presque dans les moindres détails, à une exception près : je croyais que Géorgie m'avait rejointe pour vous chercher dans la cour, tandis qu'elle pense que non. Mais ceci n'a rien à faire avec le fait essentiel de l'histoire, avec la ferme croyance que nous vous avions vue en chair et en os.
Pendant l'automne de 1845, nous étions toute une troupe de jeunes gens à la maison, et un certain jour nous jouions à une espèce de jeu de cache-cache, dans lequel il nous était permis de nous rendre d'une cachette à l'autre jusqu'au moment où nous étions pris par quelqu'un de l'autre camp. Derrière la maison, il y avait une petite cour qui donnait d'un côté sur le verger et de l'autre sur la cour des écuries ; il y avait d'autres bâtiments sur la gauche. Je tournais autour de ces bâtiments lorsque je vis ma cousine se tenant sous les arbres à environ dix yards de moi ; je distinguai parfaitement sa figure. Ma sœur qui apparut à ce moment de l'autre côté la vit également et m'appela pour lui donner la chasse.
Ma cousine courut entre nous deux dans la direction de la petite cour, et quand elle atteignit la porte, nous étions toutes deux tout près d'elle, et nous la serrions de très près, mais lorsque nous entrâmes dans la cour, elle avait entièrement disparu, quoique une seconde à peine se fût écoulée. Nous nous regardâmes tout étonnées, et nous fouillâmes tous les recoins de la cour, mais sans succès.
Lorsque nous la trouvâmes quelques temps après, elle nous assura qu'elle n'avait jamais été derrière la maison ni de ce côté-là ; mais qu'elle était restée cachée à la même place jusqu'au moment où un des ennemis l'avait découverte.
S. F. D.
On pourrait croire que Mme Hawkins a voulu faire une plaisanterie de jeune fille en soutenant qu'elle n'était pas à l'endroit où toutes les deux la virent, mais la seconde lettre indique que le frère des jeunes filles était caché avec Mme Hawkins, ce qui confirme son assertion. La voici :
Je me rappelle fort bien l'incident où votre double (your fetch) nous est apparu. Je crois que j'ai noté dans le temps les détails de cette aventure, mais je ne sais pas ce que ces notes sont devenues, il faut donc que je me fie à ma mémoire pour me rappeler les circonstances dans lesquelles elle a eu lieu ; mais je ne crains nullement qu'elle soit devenue infidèle, quoique 40 années se soient écoulées depuis lors.
Nous étions en train de jouer à notre jeu favori de golowain, qui consistait à nous séparer en deux camps pour jouer à cache-cache. Le camp qui se cachait avait le droit de circuler d'un endroit à l'autre jusqu'au moment où il atteignait le but, à moins qu'il n'eût été pris par l'autre camp.
Comme je me trouvais à l'extrémité du jeu dans le verger (je faisais partie du camp de ceux qui cherchaient), je vous vis vous glisser de mon côté ; vous étiez de l'autre camp. Comme vous portiez le même costume que votre sœur, et qu'à cause de cela je pouvais vous prendre pour elle, qui était de mon camp, je l'appelai par son nom et elle ne répondit de l'autre côté du bois. Je vous donnai alors la chasse, et comme vous vous tourniez alors vers moi en riant, je vis distinctement votre figure. Mais au même moment Nina, qui était de mon camp, mais votre adversaire, apparut au coin d'un bâtiment, et comme elle se trouvait encore plus près de vous que moi, je lui abandonnai la gloire de vous capturer. Elle vous serrait de près tandis que vous vous sauviez dans la cour des étables. J'étais tellement certaine que votre sort était décidé que je la suivis plus lentement, et comme la cloche, qui, suivant les règles de notre jeu nous rappelait au but, se faisait entendre, je me rendis à son appel. Je trouvai au but Nina qui vous reprochait de nous avoir aussi mystérieusement échappé dans la cour auprès de l'étable.
Tout étonnée, vous nous dites que vous n'étiez jamais allée de ce côté-là. Naturellement je soutins l'assertion de ma petite sœur ; tandis que notre frère confirmait votre dire, et nous assurait qu'il était resté caché avec vous, et comme vous étiez fatiguée, vous étiez tous les deux reniés cachés au même endroit, jusqu'au moment où la cloche vous avait avertis que le jeu était fini. Cet endroit, c'était la buanderie qui se trouvait dans les communs, séparée de la cour de l'étable où nous avions cru vous donner la chasse.
G. M. (née Dickins.)
En réponse aux questions habituelles, Mlle Dickins et Mme Malcolm dirent qu'elles n'avaient jamais eu d'autres hallucinations visuelles. Signalons encore combien l'hypothèse d'une hallucination identique pour les deux jeunes filles est difficile à admettre, étant donné qu'elles jouaient et que leur esprit ne paraissait guère disposé à recevoir une impression télépathique, Mme Hawkins ne songeant nullement à les influencer. Pour que deux sujets voient la même chose sans s'être parlé, et par conséquent suggestionnés ; pour que la prétendue figure imaginaire exécute exactement les mêmes mouvements dans les jeux hallucinations, il faudrait une identité de réceptivité que les circonstances ne nous paraissent, pas possible de supposer. C'est pourquoi je range ce cas dans les apparitions produites par un dédoublement involontaire et inconscient du sujet.
La bilocation semble s'être produite un certain nombre de fois clans la vie de Mme Hawkins, qui continue sa narration en ces termes :
La seconde apparition de mon double a eu lieu au printemps, en février ou mars de l'année 1847 à Leigh Rectory, Essex. Mon père, le révérend Robert Eden (actuellement Primat d'Ecosse) était alors recteur de cette paroisse.
Ce fut la bonne d'enfants qui vit mon double. Je ne suis pas absolument sûre de son nom ; mais je crois que c'était une certaine Caroline. Comme elle est morte depuis de longues années, je ne puis vous faire ce récit que d'après mon propre souvenir, qui est très net. Elle avait raconté cette histoire, tout agitée et les larmes aux yeux.
Mais il faut vous dire tout d'abord qu'à ce moment j'avais les oreillons et que je me promenais la tète entourée d'un bandeau. La seule autre personne dans la maison, qui avait cette même indisposition, était mon petit frère, qui avait dix ans de moins que moi, et qui ne pouvait pas être confondu avec moi. Au premier étage du presbytère de Leigh se trouve un corridor qui tient toute la longueur de la maison et qui aboutit à la porte d'une chambre qui servait alors de chambre d'enfants.
Un matin, vers 10 heures et demie, Caroline sortait delà chambre d'enfants et comme elle s'avançait le long du corridor, elle passa devant une porte qui s'ouvrait sur l'escalier qui conduisait dans le “ hall ”. En passant, elle regarda en bas et m'aperçut ( j'étais reconnaissable au mouchoir blanc que j'avais autour de la tête et j'avais le visage tourné de son côté). Je sortis du salon et je traversai le coin du hall pour aller à la bibliothèque. Elle continua son chemin dans le corridor et arrivant au pied de l'escalier du dernier étage elle rencontra notre femme de chambre qui lui dit : “ Savez vous ou se trouve Mlle Eden ? J'ai besoin d'aller dans sa chambre. Oh ! oui, répondit Caroline, je viens de la voir entrer dans la bibliothèque. ” Elles montèrent alors ensemble dans ma chambre, qui était une des mansardes et m'y trouvèrent assise ; j'étais là depuis au moins une demi-heure à écrire une lettre.
Après un moment de stupeur, elles se sauvèrent, bien que je leur eusse dit d'entrer. Quand je descendis quelques minutes plus tard et que j'arrivai dans le corridor, je vis dans la chambre des enfants un groupe de domestiques qui avaient toutes l'air troublé, si bien qu'au lieu de continuer à descendre le grand escalier, je me rendis dans la chambre d'enfants et demandai ce qui était arrivé. Mais comme personne ne répondait et que la bonne d'enfant pleurait, je pensai qu'elles s'étaient disputées et je partis sans me douter que j'étais la cause de leur trouble.
Lucy Hawkins.
Le récit suivant est du fils de Mme Hawkins :
20 juin 1885.
Pendant l'automne de l'année 1877, je demeurais dans la maison de mon père, Beyton Rectory, à Bury Saint Edmunds. Il y avait en ce moment à la maison, mon père, ma mère, mes trois sœurs et trois servantes. Une nuit où il faisait clair de lune, je dormais depuis plusieurs heures, lorsque je fus réveillé par un bruit qui se produisait tout près de ma tête, et qui ressemblait à celui que l'on produit en faisant sonner de l'argent. Mon idée en me réveillant fut donc qu'un homme, essayait de prendre mon argent dans la poche de mon pantalon, qui se trouvait sur une chaise à la tête de mon lit. En ouvrant les yeux, je fus étonné de voir une femme et je me rappelle avoir songé avec tristesse que ce devait être une de nos domestiques qui essayait de dérober mon argent. Je mentionne ces deux réflexions que je fis, afin de bien montrer que je ne pensais en aucune façon à ma mère. Lorsque mes yeux se furent habitués à la lumière, je fus plus étonné que jamais de voir que c'était ma mère dans un costume très particulier, gris argent, qu'elle avait fait faire à l'origine pour un bal costumé. Elle était debout, les deux mains étendues, comme si elle cherchait son chemin ; et dans cette position elle s'éloignait lentement de moi, passant devant la toilette qui était placée en face de la fenêtre entourée de rideaux. Une faible lueur était projetée par la lune à travers cette fenêtre. Naturellement mon idée fut, pendant tout ce temps, qu'elle était somnambule. En arrivant de l'autre côté de la table, son image s'effaça dans l'obscurité. Je m'assis alors dans mon lit et j'écoutai. N'entendant rien, je m'aperçus à travers l'obscurité que la porte qui se trouvait au pied de mon lit était toujours fermée. Pour y arriver, ma mère était forcée de passer par l'endroit éclairé. Je sautai alors de mon lit, j'allumai, et au lieu de trouver ma mère à l'autre bout de la chambre, comme je m'y attendais, je constatai que la chambre était vide. Je supposai alors pour la première fois que c'était une apparition et je craignais grandement que ce fût un présage de mort pour elle.
Je puis ajouter ici qu'à ce moment, j'avais complètement oublié que ma mère avait apparu à qui que ce fût a d'autres moments, ça dernière apparition remontait en effet à l'année 1847, c'est-à-dire à trois ans avant ma naissance.
Edward Hawkins.
Le narrateur n'a jamais eu d'autre hallucination, disent les auteurs anglais.
Je signale, dans les deux derniers récits, que les deux servantes et le fils de Mme Hawkins ont été très effrayés en voyant le double de cette dame, parce qu'ils supposaient que ce pouvait être un présage de mort. Il existe, en effet, une croyance populaire très répandue en Angleterre et en Allemagne que l'apparition d'un vivant est un signe précurseur de sa fin prochaine. Sans doute, il arrive très souvent que l'on constate une coïncidence remarquable entre une vision télépathique et le décès de la personne ainsi apparue ; mais ce n'est pas une règle absolue, tant s'en faut, puisque nous remarquons pour Mme H. qu'elle a continué de vivre, comme nous l'avons signalé déjà pour Mme Beaumont et comme nous le noterons dans bien d'autres cas.
Je classe les apparitions de Mme Hawkins parmi les dédoublements, à cause de la vision simultanée de son fantôme par ses jeunes compagnes. Bien que les apparitions ultérieures n'aient pas été collectives, je suppose qu'on doit les attribuer à des extériorisations de cette dame puisqu'elle en offre un cas incontestable, suivant moi, qui est le premier cité. D'ailleurs, nous verrons plus tard, dans le chapitre consacré à l'étude expérimentale du dédoublement, que certains organismes semblent prédisposés à produire ce genre de phénomène, sans qu'il intervienne aucune action télépathique.
Ce point étant assez important à signaler, je vais citer quelques exemples de ces apparitions réitérées qui paraissent établir chez l'agent : ou bien un pouvoir télépathique très développé, ou bien une faculté de dédoublement, involontaire et inconsciente, qu'il est utile et intéressant de connaître.
Revenons au livre des auteurs anglais que j'emploie de préférence à d'autres, à cause de la sûreté des documents.

 

Trois apparitions d’un clergyman

XCIII-( 255 ). Rév. T. L. Williams, pasteur de Porthleven, près Helston[29].
1er  août 1884.
Il y a quelques années (je ne puis vous donner de dates, mais vous pouvez accepter les faits en toute confiance), pendant une de mes absences de la maison, ma femme en s'éveillant un matin vit, à son grand étonnement et à sa grande frayeur, mon (eïdolon) debout près du lit et qui la regardait. Dans sa frayeur, elle se cacha la figure dans les couvertures, et, lorsqu'elle osa regarder de nouveau, l'apparition avait disparu.
Une autre fois (je n'étais pas absent ce jour-là), ma femme était allée à une réunion hebdomadaire de chant, qui avait lieu durant la semaine. A son arrivée à la porte du cimetière qui se trouve à environ une quarantaine de mètres de la porte de l'église, elle me vit, à ce qu'elle se l'imagina, venir de l'église en surplis et avec mon étole. Je m'avançai un peu vers elle, dit-elle, puis je tournai au coin du bâtiment et elle me perdit de vue. L'idée qui traversa son esprit fut que je sortais de l'église pour aller à un enterrement. A ce moment-là, j'étais dans l'église, à ma place dans le chœur, et elle fut fort étonnée de me voir lorsqu'elle pénétra dans l'édifice. J'ai souvent essayé d'ébranler la conviction qu'avait ma femme d'avoir réellement vu ce qu'elle imagine avoir vu. Pour le premier cas, je lui ai dit : “ Tu n'étais qu'à moitié éveillée et peut-être rêvais-tu ?” Mais elle affirme toujours avec une ferme conviction qu'elle était tout à fait éveillée, et elle est bien certaine de m'avoir vu. Pour le second cas elle a la même conviction.
Ma fille m'a souvent dit, et maintenant elle me répète l'histoire, qu'un jour, lorsqu'elle habitait chez nous avant son mariage, elle passait devant la porte de mon cabinet de travail qui se trouvait grande ouverte, et qu'elle avait regardé pour voir si j'y étais. Elle m'avait vu assis dans mon fauteuil, et, au moment où elle me regardait, j'avais étendu les bras et je m'étais passé les mains sur les yeux, geste qui m'est familier, paraît-il. Je n'étais pas à la maison à ce moment, mais dans le village. Cela s'est passé il y a bien des années, mais ma femme se rappelle que ma fille lui fit part de l'incident à ce moment-là.
Rien ne survint au moment, ou à peu près au moment de ces apparitions qui pût leur servir de raison d'être. Je n'étais pas malade et rien d'inaccoutumé ne m'était arrivé. Je ne puis prétendre donner une explication, mais je rapporte simplement les faits comme me les ont racontés des personnes à la parole desquelles je puis me fier ;
Voici un autre fait que je puis aussi bien raconter : il y a bien des années, une jeune fille très pieuse habitait dans ma paroisse : elle avait l'habitude de passer presque tout le temps dont elle pouvait disposer à l'église, en méditation et en prières. Elle affirmait qu'elle me voyait souvent debout devant l'autel, lorsque certainement je n'étais pas là corporellement. Au début elle avait peur, mais ayant revu l'apparition plusieurs fois, elle cessa d'éprouver la moindre frayeur. Elle est maintenant sœur de la Miséricorde à Honolulu.
Thomas Lockyer Williams.

Une lettre de Mme Williams confirme les visions qui la concernent ; elle déclare qu'elle ne dormait certainement pas pour la première, et qu'elle ne peut en aucune façon expliquer ces visions.
M. Williams écrit que ni sa femme ni sa fille n'ont jamais eu d'autres hallucinations.
Celte observation, comme la précédente et certains cas qui suivent, nous placent, je tiens à le répéter, en face d'un problème qui ne relève plus de la théorie télépathique, du moins telle que les auteurs anglais nous l'ont fait connaître. L'agent nous dit lui-même que rien d'inaccoutumé ne lui est survenu, qu'il n'a passé par aucune crise grave, que sa pensée ne s'est portée en aucune façon vers les percipientes ; il vit normalement, et cependant son image est aperçue avec autant de netteté par les sujets que si l'hallucination était d'origine télépathique.
D'autre part, les sujets sont, eux aussi, dans les conditions de la vie ordinaire, et rien ne les prédispose à subir une hallucination ; si celle-ci a lieu pour la femme et la fille du Révérend, et même pour une étrangère, sans aucun motif émotionnel, si c'est le même personnage qu'elles voient indépendamment les unes des autres et à des époques différentes, leur santé étant normale, c'est que ce n'est pas chez elle qu'il faut chercher la raison de cette prétendue hallucination, puisqu'elles n'en ont jamais eu ni avant, ni après.
Dès lors, il faut penser à faire intervenir une autre cause que la télépathie, et celle d'une extériorisai ion, de la projection involontaire et inconsciente de l'image objective du Révérend s'adapte mieux aux faits que l'hypothèse d'une hallucination, car ce fantôme semble n'être qu'un simulacre, un décalque de la réalité, une sorte de mirage dénué de pensée.
Lorsque nous étudierons expérimentalement, avec M. de Rochas l'extériorisation de l'être humain, et divers cas d'autoscopie, je reviendrai sur ces exemples, qui peuvent servir en quelque sorte d'intermédiaires entre les phénomènes d'hallucinations télépathiques et les véritables cas de dédoublements. Actuellement, l'important est d'établir d'abord l'existence des faits. Je continue donc cet exposé.
Dans le récit suivant, c'est encore la même personne qui se dédouble à plusieurs reprises, et cela, sans aucune participation consciente ou volontaire de sa part.

 

Apparitions multiples du même sujet

XCV-( 257). Mme Stone, Shute Haye, Walditch, Bridport[30]. 1883
J'ai été vue trois fois, alors que je n'étais pas réellement présente, et chaque fois par des. personnes différentes. Là première fois, ce fut m'a belle-sœur qui me vit. Elle me veillait après la naissance de mon premier enfant. Elle regarda vers le lit où je dormais, et elle me vit distinctement, ainsi que mon double. Elle vit d'une part mon corps naturel, et de l'autre mon image spiritualisée et affaiblie. Elle ferma plusieurs fois les yeux, mais en les rouvrant elle voyait toujours la même apparition : la vision s'évanouit au bout d'un peu de temps. Elle pensa que c'était signe de mort pour moi, et je n'entendis parler de cela que plusieurs mois après.
La seconde vision fut aperçue par ma nièce. Elle habitait avec nous à Dorchester. C'était un matin de printemps, elle ouvrit la porte de sa chambre. J'étais habillée d'une robe de deuil noire, j'avais un col blanc, un bonnet blanc, c'étaient les vêtements que je portais habituellement, étant alors en deuil de ma belle-mère. Elle ne me parla pas, mais elle me vit, et elle crut que j'allais dans la nursery. A déjeuner, elle dit à son oncle : “ Ma tante était levée de bonne heure ce matin, je l'ai vue dans la nursery. — Oh ! non, Jane, répondit mon mari, elle n'était pas très bien, et elle doit déjeuner dans sa chambre avant de descendre.
Le troisième cas fut le plus remarquable. Nous avions une petite maison à Weymouth, où nous allions de temps en temps pour jouir de la mer. Une certaine Mme Samways nous servait quand nous étions là et gardait la maison en notre absence ; c'était une femme agréable et tranquille, tout à fait digne de confiance ; elle était la tante de notre chère vieille domestique Kitty Balston, qui était alors avec nous à Dorchester. Kitty avait écrit à sa tante le jour qui précéda la vision ; elle lui annonçait la naissance de mon plus jeune enfant et lui disait que j'allais bien.
La nuit suivante, Mme Balston alla à une “ réunion de prières ” près de Clarence Buildings ; elle était baptiste. Avant de partir, elle ferma une porte intérieure qui conduisait à une petite cour derrière la maison ; elle ferma la porte de la rue, elle emporta les clefs dans sa poche. A son retour, en ouvrant la porte de la rue, elle aperçut une lumière à l'extrémité du passage ; en approchant elle vit que la porte de la cour était ouverte. La lumière éclairait la cour dans tous ses détails, j'étais au milieu. Elle me reconnut distinctement ; j'étais couverte de vêtements blancs, très pâle et l'air fatigué. Elle fut très effrayée, elle s'élança vers la maison d'un voisin (celle du capitaine Court) et s'évanouit dans le passage. Lorsqu'elle fut revenue à elle, le capitaine Court l'accompagna dans la maison, qui était exactement telle qu'elle l'avait laissée ; la porte de la cour était hermétiquement fermée. J'étais à ce moment très faible, je restai plusieurs semaines entre la vie et la mort.
Il semble résulter du récit de cette dame que sa santé laissait à désirer et que c'était pendant qu'elle était couchée que son image se dégageait. Pour que l'hypothèse de l'hallucination pût expliquer ces apparitions, à trois personnes inconnues les unes des autres, et cela à des époques différentes, il faudrait supposer à Mme Stone un pouvoir hallucinatoire qu'elle aurait exercé à son insu, et encore ne comprendrait-on guère comment Mme Balston, une étrangère se trouvant à une grande distance, aurait pu en être influencée.
Remarquons également que la vision du double par la belle-sœur n'est pas subjective, puisqu'à plusieurs reprises elle ferme les yeux et que pendant ce temps la vision disparaît, pour redevenir visible lorsque de nouveau elle les ouvre.

XCIV- (256). Mlle Hopkinson, 37, Woburn place, W. C. Londres[31].
20 février 1886.
Dans le cours de ma vie, j'ai été accusée quatre fois d'apparaître aux gens. Je ne puis donner aucune explication de ces visites supposées. Voici l'exposé de ces cas dont il faut accepter le récit tel quel, car un certain nombre des témoins sont morts, d'autres refusent de s'occuper de ces faits et pour un autre, Mademoiselle H. ne veut pas lui demander son témoignage.
Cas I.  C'était il y a bien des années déjà, une jeune fille qui couchait dans une chambre contiguë à la mienne déclara que pendant la nuit j'étais allée la voir ; elle était réveillée, disait-elle, et je lui avais rendu quelques légers services. Elle maintint ses affirmations avec tant d'énergie que, malgré toutes mes dénégations, ceux qui t'entouraient ne me crurent pas. J'étais absolument certaine de n'avoir pas quitté ma chambre, je n'aurais pu le faire sans qu'on s'en fût aperçu. Je n'aurais pas confiance dans ma mémoire pour d'autres détails, après un si long laps de temps.
Signalons, en passant, combien il est utile pour les personnes qui exposent des faits de cette nature de bien donner tous les détails, même ceux qui semblent les moins importants. On conçoit de quelle nécessité serait ici l'exposé des raisons pour lesquelles Mlle Hopkinson n'aurait pu quitter sa chambre “ sans qu'on s'en fût aperçu ”. En effet, s'il était démontré qu'elle ne pouvait pas effectivement sortir sans qu'on le sût, le fait du dédoublement serait certain, puisque son double “ aurait rendu quelques légers services ” à la jeune fille qui couchait dans la chambre voisine, tandis que dans l'indécision où nous sommes, sans mettre en doute la bonne foi du témoin, nous pouvons supposer qu'elle a fait cette visite en état de somnambulisme, ce qui l'a empêchée de s'en souvenir au réveil. Continuons :
Cas II. IL y a sept ans, j'étais allée dans la Cité (endroit que j'évite toujours) ayant à m'occuper d'une petite affaire qui concernait un de mes parents. Je tenais beaucoup à ce qu'il ne sut rien de ma démarche. Mes pensées étaient donc concentrées sur lui. Je fus tirée de ma rêverie par l'horloge de Bow Church qui sonnait trois heures. Le soir je vis mon parent et la première chose qu'il me dit fut : “ L..., où êtes-vous allée aujourd'hui ? Je vous ai vu venir chez moi, vous avez passé devant mon bureau, et je ne sais ce que vous êtes devenue. ” Je lui répondis : “ A quel moment avez-vous été assez ridicule pour penser que j'aurais pu aller vous voir ? Au moment où la pendule sonnait trois heures ”, répliqua-t-il.
Je changeai de sujet et depuis je ne suis plus revenue là-dessus. Ce monsieur me connaissait fort bien et savait comment je m'habillais d'ordinaire. Il va de soi que je n'allais pas le voir, si ce n'est pour affaires et lorsqu'il me donnait rendez-vous.
Cet épisode rentre complètement dans l'interprétation télépathique ; mais le suivant semble impliquer quelque chose de plus, puisqu'il est question d'une porte ouverte :
Cas III. C'était il y a environ six ans ; j'habitais une maison de province à 100 milles de Londres. On était fort occupé dans la maison et d'esprit fort positif. Il y avait aussi beaucoup de jeunes gens très gais. Un matin je descendis déjeuner comme pressée par une sensation que je ne pouvais comprendre ni secouer. L'après-midi, cette sensation fut remplacée par l'idée obsédante d'une de mes parentes de Londres. Je lui écrivis pour lui demander ce qu'elle faisait, mais sa lettre se croisa avec la mienne, elle m'adressait la même question. Quand je la vis, elle me dit ce qu'elle m'a encore répété la semaine dernière ; elle était assise et travaillait tranquillement, lorsque la parle s'ouvrit et j'entrai, ayant mon air habituel. Bien qu'elle me sût fort loin, elle conclut en me voyant que j'étais revenue. Elle ne s'aperçut du contraire que lorsque je fus retournée et que je fus sortie de la chambre.
On ne voit pas bien dans le récit, comment la parente de Mlle H., s'aperçut que ce n'était pas elle en chair et en os, puisqu'elle se conduisit comme si elle avait été là corporellement. Malgré cela, on a quelque difficulté à comprendre comment l'agent a pu produire une série d'actes aussi compliqués sans en avoir conscience et sans s'être endormie. Il en est de même pour le récit suivant :
Cas IV. Il y a quatre ans, une jeune fille m'assura que je m'étais tenue au pied de son lit (elle était souffrante à ce moment-là) et que je lui avais dit distinctement de se lever, de s'habiller, que je la croyais suffisamment bien pour le faire ; elle obéit. Je lui dis qu'elle s'était trompée et que je n'avais rien fait de pareil. Elle pensa évidemment que je niais le fait pour un motif quelconque. A ce moment-là j'étais à une distance de vingt minutes de marche de la chambre de cette jeune fille. Elle était sûre de ce qu'elle affirmait et je n'aurais pas voulu discuter la question avec elle. Sa maladie n'était pas une maladie mentale.
Louisa Hopkinson.

Si ces cas avaient été mieux documentés, ils auraient pu prendre place dans la catégorie de ceux où l'apparition exerce une action physique sur la matière. Comme les renseignements font défaut, je ne les cite que pour montrer que les exemples d'apparitions multiples du même agent sont moins rares qu'on ne pouvait le supposer d'abord, et comme les personnes qui ont eu les visions sont inconnues les unes des autres, et que ceci s'est produit à des intervalles de temps assez éloignés, il faut en conclure que c'est Mlle H. qui est la cause involontaire de ces phénomènes, qui se rapprochent du dédoublement proprement dit.

 

Résumé

L'énumération ci-contre, encore que très sommaire, des cas d'apparitions collectives de vivants, a prouvé l’antiquité et la généralité de ces phénomènes qui, par cela même, devraient attirer sérieusement l'attention des psychologues. Si la vision d'un fantôme par une seule personne peut être attribuée par les incrédules à un dérangement momentané des facultés du percipient, j'ai montré que cette explication devait tenir compte de la coïncidence qui existe entre cette hallucination et l'accident survenu à ce moment môme à l'agent.
Ensuite, j'ai appelé l'attention du lecteur sur les cas où tout se passe comme si une véritable scission s'opérait dans l'individu, de sorte que sa conscience paraissait s'extérioriser pour prendre connaissance de ce qui se passait au loin, et alors on voyait le fantôme du clairvoyant justement à l'endroit où il avait la sensation d'être transporté.
Ces faits, déjà bien remarquables, acquièrent un caractère de réalité encore plus grand, quand c'est la même personne qui est vue à un certain nombre de reprises soit isolément, soit collectivement, car une hallucination identique atteignant des témoins qui ne sont pas en relation de sympathie, d'amitié ou de parenté avec l'agent, est bien extraordinaire, puisque l'observation montre que chaque percipient extériorise ses hallucinations sous des formes visuelles, auditives ou motrices, donc différentes les unes des autres. Si un fantôme est vu, décrit d'une manière semblable par les assistants, il est plus que probable que c'est parce que, n'étant pas subjectif, il occupe un certain lieu de l'espace ambiant et qu'il est perçu oculairement.
Il est encore une seconde constatation qui a non moins de valeur, et qui plaide en faveur du phénomène physique du dédoublement, c'est que dans les cas de Mlle Emilie Sagée, du révérend Lockyer Williams, de Mme Stone, de miss C. J. E., et Hopkinson, il n'existe aucun motif sensationnel pour halluciner simultanément ou successivement, un grand nombre de personnes à l'état normal. La fréquence, relative, de ces dédoublements sans cause sérieuse m'incite à croire qu'ils relèvent plutôt d'une idiosyncrasie physiologique des agents, que d'une cause nettement psychologique. Ce serait une sorte d'anomalie biologique particulière, qui permettrait à l'agent de projeter inconsciemment une émanation concrète de lui-même à l'endroit où se dirige sa pensée. Il faut noter, en effet, que les apparitions appartenant à cette catégorie semblent dénuées de conscience. Elles font l'effet de simples simulacres de l'individu, d'images virtuelles, pour ainsi dire, tandis que le fantôme de vivant indique par son attitude, ses gestes, comme le double du colonel, dans le cas de Mme Elgée, qu'il a une intelligence et qu'il se rend compte de ce qui se passe.
La conséquence qui découle donc de l'examen des faits, c'est que les apparitions, pour si réelles qu'elles soient, ne sont pas toujours voulues par l'agent, ce qui n'empêche nullement le double d'avoir toutes les apparences de la réalité.
Déjà l'exemple de Mlle Sagée nous a mis en présence d'une forme fluidique qui avait assez de consistance pour offrir une certaine résistance au toucher, analogue à l'impression que produit du tulle ou de la mousseline ; cette sensation tactile confirme l'objectivité du double. Je montrerai dans les chapitres suivants que les caractères physiques de certaines apparitions sont si nets qu'il ne peut plus rester de doutes sur la véritable matérialité du fantôme. C'est ainsi que par des degrés insensibles, par des transitions imperceptibles la nature nous fait passer des apparitions purement hallucinatoires à celles qui ont leur raison d'être dans une cause extérieure, pour arriver enfin au double, qui est lui-même un être véritable, bien que son existence à l'endroit où il est perçu soit seulement fugitive et momentanée.

 

 

[1] Tacite, Histoires, liv. IV, chap. LXXXI et LXXXII. Traduct. de Burnouf.

[2] Laurentium. De Probatis Sanctorum hisloriis, etc., t. III, p. 732. Voir aussi Acta Sanctorum des Bollandistes. vol. II. Anvers. 1698.

[3]P. Bouhours, Vie de saint François-Xavier.

[4]Henrion, Histoire générale de l'Église. Paris. 1851. t. II, p. 272.

[5] Elementi della Storia de somni pontifici, in Roma, 1822. Tome XV , P. 210.

[6]Myers, Human Personnality, appendice au chapitre VI, p. 615 et suiv.

[7] Hallucinations télépathiques, p. 354.

[8]Hallucinations télépathiques, p. 350.

[9] Carl Du Prel, Expérimental Psychologie und experimental Métaphysik, pp. 60 à 63. Cité par M. Sage.

[10] F.-W.-H. Myers, la Conscience subliminale. Hallucinations provoquées. Annales psychiques, mars-avril 1900.

[11]Wesermann écrivit trois récits de ces expériences. Le plus complet dans un ouvrage : Der Magnetismus und die Allgemeine Weltsprache, publié en 1822. il n'était pas connu des auteurs des Phantasms quand celui qu'ils ont donné (v. I. p. 101) a été publié. Un résumé des trois récits de Wesermann a été imprimé dans le Journal de la Société, en mars 1890. Voir aussi le cas rapporté par M. Wiltze d'hallucination auditive, collective et provoquée : Congrès des Sciences psychiques de l'Exposition colombienne. Malheureusement ce récit, peu précis, n'est pas de première main et les témoins n'ont pas signé de procès-verbal.

[12] Kerner, la Voyante de Prévorst. Traduction française du docteur Dusart, p. 61.

[13] Traduction française dans la Revue des Études psychiques, octobre- novembre 1902.

[14]L'épisode du traîneau peut être rapproché des autres cas où la vision se montre accompagnée d'objets accessoires : canne, parapluie, cheval, voiture, etc., qui n'ont aucune réalité objective, matérielle, mais existent cependant en image éthérée, car, parfois, ces sortes de mirages psychiques sont perçus simultanément par tous les témoins de l'apparition télépathique (G. D.)

[15] Hallucinations télépathiques, p. 372.

[16]Hallucinations télépathiques, p. 383.

[17] Annales psychiques, 1891 : Le cas de la rue Jacob, p. 196. 

[18] Très souvent les apparitions ont de ces sortes de draperies qui recouvrent la tête.

[19] Voir Revue scientifique et morale du Spiritisme, numéro de mai 190S, p.700.

[20]Hallucinations télépathiques, p. 373.

[21]Hallucinations télépathiques, p. 380.

[22]Aksakof, Animisme et spiritisme, p. 499.

[23]Auteur américain très connu, qui fut ambassadeur des États-Unis auprès de l'ancienne cour de Naples, C'est à lui que fut emprunté déjà le cas du capitaine Whealtcroft.

[24] Echos de pas sur les frontières d'une autre vie.

[25]Réalité des forces magiques, p. 367.

[26] Nous verrons plus loin, que parfois, le double est visible pour l'auteur du phénomène, en même temps que pour les assistants.

[27] Les Hallucinations télépathiques, p 357.

[28]Les Hallucinations télépathiques, p. 270. Voir l'ouvrage au sujet des explications préliminaires de Mme Hawkins, trop longues pour être reproduites ici.

[29] Les Hallucinations télépathiques, p. 275.

[30] Les Hallucinations télépathiques, p. 278.

[31]Les Hallucinations télépathiques, p. 277.

 

Fin de la moitié du premier tome




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