Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


V. - RELATIONS AVEC LES ESPRITS DES MORTS.

 

Les premiers chrétiens communiquaient avec les esprits des morts et recevaient d'eux des enseignements. Aucun doute n'est possible sur ce point, car les témoignages abondent. Ces témoignages découlent des textes mêmes des livres canoniques, textes qui ont échappé aux vicissitudes des temps, et dont l'authenticité n'est pas douteuse[1] .
Le christianisme tout entier s'appuie sur des faits d'apparition et de manifestation des morts. Il fournit d'innombrables preuves de l'existence du monde invisible et des âmes qui le peuplent.
Ces preuves sont également abondantes dans l'Ancien et le Nouveau Testament. Dans l'un comme dans l'autre, on trouvera des apparitions d'anges[2] , celles des esprits des justes, des avertissements et des révélations donnés par les âmes des morts, le don de prophétie[3] et le don de guérir [4] . On trouvera dans le Nouveau Testament les apparitions de Jésus lui-même, après son supplice et son ensevelissement.
L'existence du Christ n'avait été qu'une communion constante avec le monde invisible. Le fils de Marie était doué de facultés qui lui permettaient de s'entretenir avec les Esprits. Parfois ceux-ci se rendaient visibles à ses côtés. Ses disciples effrayés le virent converser un jour sur le Thabor avec Moïse et Elie[5].
Dans les moments difficiles, lorsqu'une question l'embarrasse, comme dans le cas de la femme adultère, il évoque les âmes supérieures, et son doigt trace sur le sable la réponse à faire, comme le médium de nos jours, mû par une force étrangère, trace des caractères sur l'ardoise.
Ces faits sont connus, relatés, mais beaucoup d'autres, se rattachant à ce commerce continuel de Jésus avec l'invisible, sont restés ignorés des hommes, même de ceux qui l'entouraient.
Les rapports du Christ avec le monde des Esprits s'affirment par le soutien constant que cet envoyé divin a reçu de l'Au-delà.
Parfois, malgré son courage, malgré l'abnégation qui inspire ses actes, troublé par la grandeur de sa tâche, il élève son âme vers Dieu, il prie, il réclame des forces nouvelles, et il est exaucé. Un souffle puissant passe sur son front. Sous une impulsion irrésistible, il reproduit les pensées suggérées ; il se sent secouru, réconforté.
Aux heures de solitude, ses yeux distinguent des lettres de feu qui retracent les volontés d'en haut[6] ; des voix bruissent à ses oreilles, apportant la réponse à ses ardentes prières. C'est la transmission directe des enseignements qu'il doit répandre, des préceptes régénérateurs pour la propagation desquels il est venu sur la terre. Les vibrations de la pensée suprême qui anime l'univers sont sensibles pour lui ; elles lui inculquent ces principes éternels qu'il répandra et qui ne s'effaceront jamais de la mémoire des hommes. Il perçoit de célestes accents, et ses lèvres répètent les paroles entendues, révélation sublime, mystère encore pour beaucoup d'êtres humains, mais, pour lui, confirmation absolue de cette protection constante et des intuitions qui lui parviennent des mondes supérieurs.
Et, lorsque cette grande vie fut accomplie, lorsque le sacrifice fut consommé, que Jésus fut mis en croix, puis descendu dans une tombe, son esprit s'affirme par de nouvelles manifestations. Cette âme puissante, qu'aucune tombe ne pouvait retenir, apparaît à ceux qu'elle avait laissés sur la terre tristes, abattus, découragés. Elle leur dit que la mort n'est rien. Par sa présence, elle leur rend l'énergie, la force morale nécessaires pour accomplir la mission qui leur est confiée.
Les apparitions du Christ sont connues et ont eu de nombreux témoins. Elles présentent des analogies frappantes avec celles que l'on constate de nos jours, à tous les degrés, depuis la forme éthérée, sans consistance, apparue à Marie-Madeleine, et qui n'aurait supporté aucun contact, jusqu'à la matérialisation complète, telle que la vit Thomas, dont la main put toucher les plaies du Christ[7] . De là ces contrastes dans les paroles de Jésus : « Ne me touche pas », dit-il à Marie-Madeleine, alors qu'il engage Thomas à poser son doigt sur la marque des clous : « Approche aussi ta main, ajoute-t-il, et mets-la sur mon côté. »
Jésus apparaît et disparaît instantanément. Il pénètre dans une maison, les portes fermées. A Emmaüs, il s'entretient avec deux de ses disciples qui ne le reconnaissent pas, puis s'évanouit tout à coup. Il est en possession de ce corps fluidique, éthéré, qui se retrouve en chacun de nous, de ce corps subtil, enveloppe inséparable de chaque âme, qu'un esprit élevé comme le sien sait diriger, modifier, condenser, dissocier à volonté [8] . Et il le condense à tel point, qu'il se rend visible et tangible pour les assistants.
Les apparitions de Jésus après sa mort sont la base même, le point vital de la doctrine chrétienne, et c'est pourquoi saint Paul a dit : « Si le Christ n'est pas ressuscité, votre foi est vaine. » Dans le christianisme, l'immortalité n'est pas une espérance, c'est un fait naturel, un fait appuyé sur le témoignage des sens. Les apôtres ne croyaient pas seulement à la résurrection, ils en étaient sûrs.
Aussi leur prédication prenait-elle ce ton chaleureux et pénétrant qu'inspire une conviction ardente. Par le supplice de Jésus, le christianisme était frappé au coeur. Les disciples, consternés, étaient prêts à se disperser. Mais le Christ leur apparut, et leur foi en lui devint si profonde que, pour la confesser, ils bravèrent tous les tourments. Les apparitions du Christ après sa mort assurèrent la persistance de l'idée chrétienne, en lui donnant pour base tout un ensemble de faits.
Il est vrai que les hommes ont jeté la confusion sur ces phénomènes, en leur attribuant un caractère miraculeux. Le miracle est une dérogation aux lois éternelles, voulues et fixées par Dieu ; or il serait peu digne de la Puissance suprême de sortir de sa propre nature et de varier dans ses décrets.
Selon l'Eglise, Jésus serait ressuscité avec son corps charnel. Cela est contraire au texte primitif de l'Evangile. Des apparitions soudaines, avec changements de forme, se produisant dans des endroits clos, ne peuvent être que des manifestations spirites, fluidiques et naturelles. Jésus est ressuscité comme nous ressusciterons tous, lorsque notre esprit abandonnera sa prison de chair.
Dans Marc et Matthieu, et dans le récit de Paul (I° Cor., XV), ces apparitions sont décrites de la manière la plus concise. D'après Paul, le corps du Christ est incorruptible ; il n'a ni chair ni sang. Cette opinion découle de la tradition la plus ancienne. La matérialité n'est venue que plus tard, avec Luc. Le récit se complique alors et s'agrémente de détails merveilleux, dans le but évident d'impressionner le lecteur[9] .
Cette manière de voir, comme en général toute la théorie du miracle, résulte d'une fausse interprétation des lois de l'univers. Il en est de même de l'idée du surnaturel, qui correspond à une conception insuffisante de l'ordre du monde et des règles de la vie. En réalité, il n'y a rien en dehors de la nature, laquelle est l'oeuvre divine dans son majestueux épanouissement. L'erreur de l'homme provient de l'idée étroite qu'il se fait de la vie et de ses formes, limitées pour lui au cercle tracé par ses sens. Or, nos sens n'embrassent qu'une portion fort restreinte de l'empire des choses. Au-delà des bornes qu'ils nous imposent, la vie se déploie sous des aspects riches et variés, sous des formes subtiles, quintessenciées, qui se graduent, se multiplient et se renouvellent à l'infini.
A ce domaine de l'invisible appartient le monde fluidique ; il est peuplé des esprits des hommes qui ont habité la terre et ont dépouillé leur enveloppe grossière. Ils subsistent sous cette forme subtile dont nous venons de parler, forme encore matérielle, quoique éthérée, car la matière a bien des états qui ne nous sont pas familiers. Cette forme est l'image ou plutôt le canevas des corps charnels que ces esprits ont animés dans leurs vies successives. Ils passent, mais elle demeure, comme l'âme dont elle est l'organisme indestructible.
Les esprits occupent des situations variées, en rapport avec leur élévation morale. Leur rayonnement, leur éclat, leur puissance, sont d'autant plus grands qu'ils sont arrivés plus haut dans l'échelle des vertus, des perfections, et qu'ils ont servi avec plus de dévouement la cause du bien et de l'humanité. Ce sont ces êtres ou esprits qui se manifestent à toutes les époques de l'histoire et dans tous les milieux, par l'intermédiaire de sujets spécialement doués, que, suivant les temps, on nomme devins, sibylles, prophètes ou médiums.
Les apparitions qui marquent les premiers temps du christianisme, comme les époques bibliques plus lointaines, ne sont pas des phénomènes isolés, mais la manifestation d'une loi universelle, éternelle, qui a toujours réglé les rapports entre les habitants des deux mondes, le monde de la matière grossière, auquel nous appartenons, et le monde fluidique, invisible, peuplé par les esprits de ceux que nous appelons si improprement les morts[10] .
C'est seulement à une époque récente que cet ordre de manifestations a pu être étudié par la science. Grâce aux observations de nombreux savants, l'existence du monde des Esprits a été établie d'une manière positive, et les lois qui le régissent ont été déterminées avec une certaine précision.
On a pu constater la présence, en chaque être humain, d'un double fluidique, survivant à la mort, et, dans ce double, on a reconnu l'enveloppe impérissable de l'esprit. Ce double, qui se dégage déjà dans le sommeil et l'extase, qui se transporte et agit à distance pendant la vie, devient, après la séparation définitive du corps charnel, et d'une manière plus complète, le serviteur fidèle et le centre des forces actives de l'esprit.
C'est au moyen de cette enveloppe fluidique que l'esprit préside à ces manifestations d'outre-tombe, qui ne sont plus un secret pour personne, depuis que des commissions scientifiques en ont étudié les multiples aspects, jusqu'à peser et photographier les esprits, comme l'ont fait W. Crookes pour celui de Katie King, Russell Wallace et Aksakof pour ceux d'Abdullah et de John King [11] .
C'est ainsi que des phénomènes, étranges sans doute, peu étudiés jusqu'ici, mais parfaitement naturels, puisqu'ils sont produits par des esprits, c'est-à-dire par des êtres semblables à nous dans leur principe essentiel de vie, sont entrés peu à peu dans le domaine de l'observation et sont passés dans l'ordre des faits établis.
Il est probable que le don des langues, communiqué aux apôtres, présentait des analogies avec le phénomène que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de xénoglossie. La lumière odique de Reichenbach et la matière radiante expliquent l'auréole des saints ; les flammes ou « langues de feu », apparues le jour de la Pentecôte, se retrouvent à notre époque dans les faits signalés au Congrès spiritualiste de 1900, par le docteur Bayol , sénateur des Bouches-du-Rhône[12] . Enfin, les visions des martyrs sont des phénomènes du même ordre que ceux constatés de nos jours au moment du décès de certaines personnes[13] . De même, la disparition du corps du Christ dans le sépulcre peut s'expliquer par la désagrégation de la matière, observée il y a quelques années, au cours de séances d'expérimentation psychique[14].
Trop longtemps, les hommes n'ont vu là que des faits miraculeux, provoqués par Dieu même ou par ses anges, opinion entretenue soigneusement par les prêtres, afin de frapper l'imagination des masses et de les rendre plus dociles à leur pouvoir.
Nous trouvons dans les Ecritures des exemples fréquents des méprises dont ces phénomènes furent l'objet. A Pathmos, Jean voit apparaître un génie qu'il veut d'abord adorer, mais qui lui affirme être l'esprit d'un de ses frères, les prophètes[15] . Dans ce cas, l'erreur a été dissipée : l'esprit a fait connaître sa personnalité ; dans combien d'autres la méprise n'a-t-elle pas persisté ? Il en est de même de l'intervention si fréquente des anges dans la Bible. Il faut se mettre en garde contre les tendances des juifs et des chrétiens à attribuer à Dieu et à ses anges des phénomènes produits par les esprits des morts, et sur lesquels il appartenait à notre époque de faire la lumière, en les replaçant dans leur ordre véritable.
A l'époque de Jésus, la croyance à l'immortalité était affaiblie. Les Juifs étaient divisés au sujet de la vie future. Les sceptiques saducéens augmentaient en nombre et en influence. Jésus vient. Il ouvre plus larges les voies qui font communiquer le monde terrestre avec le monde spirituel. Il rapproche les invisibles des humains à tel point qu'ils peuvent correspondre de nouveau. De sa main puissante, il soulève le voile de la mort et, au sein de l'ombre, des visions apparaissent ; au milieu du silence, des voix se font entendre ; et ces visions et ces voix viennent affirmer à l'homme l'immortalité de sa vie.
Le christianisme primitif a donc ce caractère particulier d'avoir rapproché les deux humanités : terrestre et céleste ; il a rendu plus intenses les relations entre le monde visible et le monde invisible. En effet, dans chaque groupe chrétien, comme actuellement dans chaque groupe spirite, on se livrait à des évocations ; on possédait des médiums parlants, inspirés, à effets physiques, comme il est dit au chapitre XII de la I° Epître de saint Paul aux Corinthiens. Alors, comme aujourd'hui, certains sujets possédaient le don de prophétie, le don de guérir, de chasser les mauvais esprits[16] .
Dans l'épître citée, saint Paul parle aussi du corps spirituel, incorruptible, impondérable :
« L'homme est mis en terre comme un corps animal et il ressuscitera comme un corps spirituel ; de même qu'il y a un corps animal, il y a un corps spirituel. » (I Corinth., XV, 44.)
C'était un phénomène spirite, l'apparition de Jésus sur la route de Damas, qui avait fait de saint Paul un chrétien[17] . Paul n'avait pas connu le Christ et, au moment de cette vision qui décida de sa destinée, il était loin d'être préparé à sa tâche future : « Ne respirant toujours que menaces et carnage contre les disciples du Seigneur », et pourvu contre eux de lettres d'emprisonnement, il se rendait à Damas pour les persécuter. Ici, l'on n'invoquera pas, comme on pourrait le faire pour les apôtres, un phénomène d'hallucination, provoqué par l'idée constante de leur Maître. D'ailleurs, cette vision ne fut pas isolée : dans tout le cours ultérieur de son existence, Paul resta en rapports constants avec l'invisible et notamment avec le Christ, dont il recevait les instructions indispensables à sa mission. Lui-même nous apprend qu'il puise ses inspirations dans ses entretiens secrets avec le fils de Marie.
Saint Paul ne fut pas seulement assisté par des Esprits de lumière dont il était l'interprète, le porte-parole[18] ; des esprits inférieurs l'obsédaient parfois, et il devait résister à leur influence[19] . C'est ainsi que dans tous les milieux, pour l'éducation de l'homme et le développement de sa raison, la lumière et l'ombre, la vérité et l'erreur se mêlent. Il en est de même dans le domaine du spiritualisme moderne, où tous les ordres de manifestations se rencontrent, depuis les messages du caractère le plus élevé, jusqu'aux phénomènes grossiers produits par des Esprits arriérés. Mais ceux-là aussi ont leur utilité au point de vue des éléments d'observation et des cas d'identité qu'ils fournissent à la science.
Saint Paul connaissait ces choses. Instruit par l'expérience, il avertissait les prophètes[20] , ses frères, de se tenir en garde contre ces embûches. Et il ajoutait comme conséquence : « Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes » (I Cor., XIV, 32), c'est-à-dire qu'il ne faut pas accepter aveuglément les instructions des esprits, mais les soumettre au contrôle de la raison.
Dans le même sens, saint Jean disait :
« Mes bien-aimés, ne croyez pas à tout esprit, mais éprouvez si les esprits sont de Dieu. » (I Epît., IV, 1.)
Les Actes des Apôtres fournissent de nombreuses indications sur les rapports des disciples de Jésus avec le monde invisible. On y voit comment, en suivant les enseignements des Esprits[21] , les apôtres acquirent une plus grande largeur de vues. Ils en vinrent à ne plus faire de distinction entre les viandes, à ouvrir la barrière qui séparait les Juifs des Gentils, à remplacer la circoncision par le baptême[22] .
Les communications des chrétiens avec les âmes des défunts étaient chose si fréquente dans les premiers siècles, que des instructions précises circulaient parmi eux sur ce sujet.
Hermas, disciple des apôtres, le même que saint Paul fait saluer de sa part dans son Epître aux Romains (XVI, 14), indique, à son tour, dans son Livre du Pasteur[23] , les moyens de distinguer entre les bons et les mauvais esprits.
Dans les lignes suivantes, écrites il y a dix-huit cents ans, on croirait lire la description fidèle des séances d'évocations telles qu'elles se pratiquent de nos jours dans beaucoup de milieux :
« L'esprit qui vient de la part de Dieu est paisible et humble ; il s'éloigne de toute malice et de tout vain désir de ce monde, et se met au-dessus de tous les hommes. Il ne répond pas à tous ceux qui l'interrogent, ni aux personnes particulières, car l'esprit venant de Dieu ne parle pas à l'homme quand l'homme le veut, mais quand Dieu le permet. Donc, lorsqu'un homme qui a un esprit venant de Dieu vient dans l'assemblée des fidèles et que l'on a fait la prière, l'esprit remplit cet homme qui parle dans l'assemblée comme Dieu veut. » (C'est le médium parlant.)
« Au contraire, on reconnaît l'esprit terrestre, vain, sans sagesse et sans force, en ce qu'il s'agite, s'élève et prend la première place. Il est importun, bavard et ne prophétise pas sans récompense. Un prophète de Dieu n'agit pas ainsi. »
Les esprits manifestaient alors leur présence de mille manières, soit en se rendant visibles[24] , ou en désagrégeant la matière, comme ils le firent pour libérer Pierre de ses chaînes et l'extraire de sa prison[25] , soit encore en provoquant des cas de lévitation[26] . Ces phénomènes étaient parfois si impressionnants, que des magiciens eux-mêmes en étaient touchés au point de se convertir[27] .
Animés de cet esprit de charité, d'abnégation que leur communiquait le Christ, les premiers chrétiens vivaient dans une étroite solidarité. « Ils possédaient tout en commun » et « étaient aimés de tout le peuple[28] ».
La révélation des esprits se poursuivit longtemps après la période apostolique. Pendant les deuxième et troisième siècles, les chrétiens s'adressaient directement aux âmes des morts pour décider des points de doctrine.
Saint Grégoire le thaumaturge, évêque de Néo-Césarée, déclare « avoir reçu de Jean l'Evangéliste, dans une vision, le symbole de la foi, prêché par lui à son église[29] ».
Origène, ce sage que saint Jérôme considérait comme le grand maître de l'Eglise après les apôtres, parle souvent, dans ses oeuvres, des manifestations des morts.
Dans sa controverse avec Celse, il dit :
« Je ne doute pas que Celse ne se moque de moi, mais les railleries ne m'empêcheront pas de dire que beaucoup de personnes ont embrassé le christianisme comme malgré elles, leur coeur ayant été tellement changé soudain par quelque esprit, soit par une apparition, soit dans un songe, qu'au lieu de l'aversion qu'elles avaient pour notre foi, elles l'ont aimée jusqu'à mourir pour elle. Je prends Dieu à témoin de la vérité de ce que je dis : il sait que je ne veux pas rendre recommandable la doctrine de Jésus-Christ par des histoires fabuleuses, mais par la vérité de faits incontestables[30] . »
L'empereur Constantin était lui-même doué de facultés médianimiques et subissait l'influence des esprits. Les principaux événements de sa vie, sa conversion au christianisme, la fondation de Byzance, etc., sont marqués par des interventions occultes. Nous en trouvons la démonstration dans les faits suivants, dont nous empruntons le récit à M. Albert de Broglie, historien froid et sévère, peu enclin au mysticisme[31] :
« Au moment de porter la main sur Rome, un sentiment intérieur pressa Constantin de se recommander à quelque puissance surnaturelle, et d'appeler la protection divine à l'aide des forces humaines. Mais l'embarras était grand pour un Romain pieux de cet âge... Il se demanda avec anxiété de quel Dieu il allait implorer l'assistance. Il tomba alors dans une méditation rêveuse sur les vicissitudes politiques dont il avait été lui-même témoin. »
Il constate que placer sa confiance dans la multitude des dieux porte malheur, alors que son père Constance, secret adorateur du Dieu unique, avait fini ses jours en paix.
« Constantin se décida à prier le Dieu de son père de prêter main-forte à son entreprise.
« La réponse à cette prière fut une vision miraculeuse qu'il racontait lui-même, bien des années après, à l'historien Eusèbe, en l'attestant par serment et avec les détails suivants : un après-midi, pendant une marche qu'il faisait à la tête de ses troupes, il aperçut dans le ciel, au-dessus du soleil déjà incliné vers l'occident, une croix de lumière portant cette inscription : 'E (triomphez par ceci). Toute son armée et beaucoup de spectateurs qui l'environnaient, virent comme lui ce prodige avec stupéfaction. Il demeura fort en peine de savoir ce que signifiait cette apparition. La nuit le trouva encore dans la même perplexité. Mais, pendant son sommeil, le Christ lui-même lui apparut avec la croix qui s'était fait voir dans le ciel et lui ordonna de faire façonner, sur ce modèle, un étendard militaire dont il se servirait comme de protection dans les combats. Au point du jour, Constantin se leva et fit part de la révélation à ses confidents. Sur-le-champ, des orfèvres furent appelés, et
l'Empereur leur donna ses instructions pour que la croix mystérieuse fût reproduite en or et en pierreries.
»
Plus loin, au sujet de l'adoption de Byzance comme capitale de l'Empire, le même auteur relate ceci : Quand les yeux de Constantin s'arrêtèrent sur Byzance, elle ne présentait plus que les débris d'une grande cité. Dans le choix qu'il fit de cette ville, il crut que l'intervention divine ne lui avait pas fait défaut. Par une confidence miraculeuse, il avait su, disait-on, qu'à Rome l'Empire n'était pas en sûreté. Pour ce choix, on parlait aussi d'un songe, etc. Philostorge rapporte que :
« ... pendant qu'il (Constantin) traçait, une pique à la main, la nouvelle enceinte de la ville, ceux qui le suivaient, voyant qu'il avançait toujours de manière à comprendre un espace immense, lui demandèrent respectueusement jusqu'où donc il comptait aller. - J'irai, répondit-il, jusqu'à ce que celui qui est devant moi s'arrête[32] . »
Il est probable que Constantin subit, sans le savoir, l'influence des invisibles pour tout ce qui devait favoriser l'établissement de la nouvelle religion, souvent au détriment du bien de l'Etat et de ses propres intérêts. Son caractère, sa vie intime n'en furent nullement modifiés. Constantin resta toujours cruel et fourbe, réfractaire à la morale évangélique. Ceci démontre qu'il fut, pour le reste, un instrument entre les mains des hautes Entités dont la mission était de faire triompher le christianisme.
Sur la question qui nous occupe, le célèbre évêque d'Hippone, saint Augustin, n'est pas moins affirmatif. Dans ses Confessions[33] , il parle de ses efforts infructueux pour renoncer à sa vie de débauche. Un jour qu'il priait Dieu avec ferveur pour qu'il l'éclairât, il entendit subitement une voix lui répéter à différentes reprises ces mots : « Tolle et lege, prends et lis. » S'étant assuré que ces paroles ne provenaient pas d'un être vivant, il fut persuadé que c'était un ordre divin lui disant d'ouvrir les saintes Ecritures et d'y lire le premier passage qui tomberait sous ses regards. Ce furent des conseils de saint Paul sur la pureté des moeurs.
Dans ses lettres, le même auteur mentionne des « apparitions de défunts, allant et venant dans leur demeure accoutumée, - faisant des prédictions que les événements réalisent[34] ».
Son traité De Cura pro mortuis parle en ces termes des manifestations des morts :
« Les esprits des morts peuvent être envoyés aux vivants ; ils peuvent leur dévoiler l'avenir qu'eux-mêmes ont appris, soit par d'autres esprits, soit par les anges, soit par une révélation divine[35] . »
Dans sa Cité de Dieu, au sujet du corps lucide, éthéré, aromal, qui est le périsprit, il parle des opérations théurgiques, qui le rendent propre à communiquer avec les esprits et les anges et à recevoir des visions.
Saint Clément d'Alexandrie, saint Grégoire de Nysse, dans son Discours catéchétique, saint Jérôme lui-même, dans sa controverse fameuse avec Vigilantius le Gaulois, se prononcent dans le même sens.
Saint Thomas d'Aquin, l'Ange de l'école, nous dit l'abbé Poussin, professeur au séminaire de Nice, dans son ouvrage : Le Spiritisme devant l'Eglise (1866), « communiquait avec les habitants de l'autre monde, avec des morts qui lui apprenaient l'état des âmes auxquelles il s'intéressait, avec des saints qui le réconfortaient et lui ouvraient les trésors de la science divine[36] ».
L'Eglise, par la voix des conciles, crut bon de condamner les pratiques spirites lorsque, de démocratique et populaire qu'elle était à l'origine, elle devint despotique et autoritaire. Seule elle voulut posséder le privilège des communications occultes et le droit de les interpréter. Tous les laïques convaincus de rapport avec les défunts furent persécutés comme sorciers et brûlés.
Mais ce monopole des relations avec le monde invisible, malgré ses jugements et ses condamnations, malgré les exécutions en masse, l'Eglise n'a jamais pu l'obtenir. Au contraire, à partir de ce moment, les manifestations les plus éclatantes se produisent en dehors d'elle. La source des hautes inspirations, fermée pour les clercs, reste ouverte pour les hérétiques. L'histoire l'atteste. Ce sont les voix de Jeanne d'Arc, ce sont les génies familiers du Tasse et de Jérôme Cardan, les phénomènes macabres du moyen âge produits par des esprits d'ordre inférieur, les convulsionnaires de Saint-Médard, puis les petits prophètes inspirés des Cévennes, Swedenborg et son école ; mille autres faits encore forment une chaîne ininterrompue, qui, depuis les manifestations de la plus haute antiquité, nous amène au spiritualisme moderne.
Cependant, à une époque récente, au sein de l'Eglise, quelques rares penseurs scrutaient encore le problème de l'invisible. Sous le titre : Du Discernement des Esprits, le cardinal Bona, ce Fénelon de l'Italie, consacrait un ouvrage à l'étude des différentes catégories d'esprits qui peuvent se manifester aux hommes.
« On a sujet de s'étonner, - dit-il, - qu'il se soit pu trouver des hommes de bon sens qui aient osé nier tout à fait les apparitions et les communications des âmes avec les vivants, ou les attribuer à une imagination trompée ou bien à l'art des démons. »
Ce cardinal ne prévoyait pas les anathèmes des prêtres catholiques contre le spiritisme [37].
Il faut donc le reconnaître, les dignitaires de l'Eglise qui, du haut de la chaire, ont fulminé contre les pratiques spirites, se sont égarés. Ils n'ont pas su comprendre que les manifestations des âmes sont une des bases du christianisme, que le mouvement spirite, à vingt siècles de distance, est la reproduction du mouvement chrétien à son origine. Ils n'ont pas su se rappeler à temps que nier la communication avec les morts ou bien l'attribuer à l'intervention des démons, c'est se mettre en contradiction avec les Pères de l'Eglise et avec les apôtres eux-mêmes. Déjà les prêtres de Jérusalem accusaient Jésus d'agir sous l'influence de Belzébuth. La théorie du démon a fait son temps ; elle n'est plus de mise aujourd'hui.
En réalité, le spiritisme se retrouve dans tous les milieux, non comme une superstition, mais comme une loi fondamentale de la nature.
Les rapports entre les hommes et les esprits ont toujours existé, avec plus ou moins d'intensité. Par ce moyen, une révélation continue s'est répandue sur le monde. Il coule à travers les temps un grand courant de puissance spirituelle dont le monde invisible est la source. Parfois ce courant se cache dans l'ombre ; il se dissimule sous la voûte des temples de l'Inde et de l'Egypte, dans les sanctuaires mystérieux de la Gaule et de la Grèce ; il n'est connu que des sages, des initiés. Mais parfois aussi, aux époques voulues par Dieu, il sort des lieux cachés, il reparaît au grand jour, à la vue de tous ; il apporte à l'humanité ces trésors, ces richesses oubliées, qui vont l'embellir, l'enrichir, la régénérer.
C'est ainsi que les vérités supérieures se révèlent à travers les siècles, pour faciliter, stimuler l'évolution des êtres. Elles se manifestent par l'intervention au milieu de nous, à l'aide de médiums puissants, des Esprits de génie qui ont vécu sur terre, qui y ont souffert pour le bien et la justice. Ces Esprits d'élite sont retournés à la vie de l'espace, mais ils n'ont pas cessé de veiller sur l'humanité et de communiquer avec elle.
A certaines heures de l'histoire, un souffle d'en haut passe sur le monde ; les brumes qui enveloppent la pensée humaine se dissipent ; les superstitions, les doutes, les chimères s'évanouissent ; les grandes lois de la destinée se révèlent, la vérité apparaît !
Heureux alors ceux qui savent la reconnaître et l'accueillir !

[1] Voir note n° 6, à la fin du volume.

[2] En hébreu, comme en grec, le véritable sens du mot ange : melach est messager.

[3] Le don de prophétie ne consistait pas seulement à prédire l'avenir, mais, d'une manière plus étendue, à parler et à donner des enseignements sous l'influence des esprits.

[4] Voir, pour l'ensemble de ces phénomènes, la note complémentaire, n° 7, sur les faits spirites dans la Bible, à la fin du volume.

[5] Jésus avait choisi ses disciples, non parmi des hommes instruits, mais parmi des sensitifs et des voyants, doués de facultés médianimiques.

[6] Ces détails, qui étonneront peut-être le lecteur, ne sont pas un produit de notre imagination. Ils nous ont été communiqués par un Esprit élevé, dont la vie a été mêlée à celle du Christ. Il en est de même de plusieurs passages de cet ouvrage.

[7] Jean, XX, 14-17, 24-28.

[8] Voir note, n° 9, sur le périsprit ou corps fluidique.

[9] Clément d'Alexandrie rapporte une tradition qui circulait encore de son temps, d'après laquelle Jean aurait enfoncé sa main dans le corps de Jésus, et elle aurait passé au travers sans rencontrer de résistance. (Jésus de Nazareth, par ALBERT REVILLE, 2° volume, note de la page 470.)

[10] Voir mes autres ouvrages, notamment Après la mort et Dans l'Invisible : Spiritisme et Médiumnité.

[11]W. CROOKES, Recherches sur les phénomènes spirites ; RUSSELL WALLACE, le Moderne Spiritualisme ; AKSAKOF, Animisme et Spiritisme. Voir, pour toute une série de phénomènes analogues et plus récents : LEON DENIS, Dans l'Invisible : Spiritisme et Médiumnité, chap. XX.

[12] Voir Dans l'Invisible : Spiritisme et Médiumnité, p. 332.

[13] Voir la mort d'Etienne, Actes, VII, 55, 56.

[14]Voir Dans l'Invisible, p. 346.

[15] Apoc., XIX, 10.

[16] Actes, XXI, 11 ; XXVII, 22-24 ; III, 3-8 ; V, 12-16 ; VIII, 7 ; IX, 33, 34 ; XIV, 8 et suiv. ; XIX, 11, 12, etc.

[17] Actes, IX, 1-18.

[18] II Corinth., XII, 2-4.

[19] Ibid., XII, 7-9 ; Ephés., VI, 12.

[20]On appelait alors les médiums prophètes.

[21]Dans la version grecque des Evangiles et des Actes, le mot Esprit est souvent isolé. Saint Jérôme y ajoute celui de Saint, et ce sont les traducteurs français de la Vulgate qui en ont fait le Saint-Esprit. (Voir BELLEMARE, Spirite et Chrétien, pp. 270 et suiv.)

[22] Actes des Apôtres, X, 10-16, 28, 29, 44-48 ; XVI, 6-10 ; XXI, 4 ; Ep. aux Romains, XIV, 14 ; I Cor., XII et XIV. - Voir aussi note n° 6.

[23]Ce Livre du Pasteur était lu dans les églises, comme le sont actuellement les Evangiles et les Epîtres, jusqu'au cinquième siècle. Saint Clément d'Alexandrie et Origène en parlent avec respect. Il figure dans le plus ancien catalogue des livres canoniques reçus par l'Eglise romaine et publié par Caïus vers 220.

[24] Actes, VII, 55, 56 ; IX, 10, 12 ; XVI, 9, etc.

[25] Actes, XII, 7-10. Voir aussi V, 19 ; XVI, 26.

[26] Ibid., VIII, 39, 40.

[27] Ibid., VIII, 9-13.

[28] Ibid., II, 44-47 ; IV, 32-36.

[29] Abrégé de l'Histoire ecclésiastique, par l'abbé RACINE. Saint Grégoire de Nysse, dans sa Vie de saint Grégoire le thaumaturge, rapporte cette vision. Voir Oeuvres de saint Grégoire de Nysse, édition de 1638, t. III, pp. 545 et 546.

[30] Origène, édition bénédictine de 1733, t. I, pp. 361 et 362

[31] ALB. DE BROGLIE, l'Eglise et l'Empire romain au quatrième siècle, t. I, pp. 214 et suiv.

[32] Philostorge, II, 9. Voir l'Eglise et l'Empire romain au quatrième siècle, par ALB. DE BROGLIE, t. II, p. 153.

[33] Confessions, liv. VIII, ch. XII.

[34] Lettre à Evodius, Ep. CLIX, édition des Bénédictins, t. II, col. 562, et De Cura pro mortuis, t. VI, col. 523.

[35] De Cura pro mortuis, édition bénédictine, t. VI, col. 527.

[36] On lit dans la Somme (I, qu. 89, 8, 2°) : « L'esprit (anima separata) peut apparaître aux vivants. »

[37] Voir note complémentaire, n° 6, à la fin du volume.

 

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