Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


On a cherché à expliquer tous les phénomènes du spiritisme par la suggestion et la double personnalité. Dans les expériences, nous dit-on, le médium se suggestionne lui-même, ou bien il subit l'influence des assistants.

La suggestion mentale, qui n'est autre chose que la transmission de pensée, malgré les difficultés qu'elle présente, peut se comprendre et s'établir entre deux cerveaux organisés, par exemple entre le magnétiseur et son sujet. Mais peut-on croire que la suggestion agisse sur des tables ? Peut-on admettre que des objets inanimés soient aptes à recevoir et reproduire les impressions des assistants ?

On ne saurait expliquer par cette théorie les cas d'identité, les révélations de faits, de dates, ignorés du médium et des assistants, qui se produisent assez souvent dans les expériences, pas plus que les manifestations contraires à la volonté de tous les spectateurs. Bien des fois, des détails absolument inconnus de tout être vivant sur la terre ont été révélés par des médiums, puis vérifiés et reconnus exacts. On en trouve de remarquables exemples dans l'ouvrage d'Aksakof : Animisme et Spiritisme, et dans celui de Russell Wallace : le Moderne Spiritualisme, ainsi que des cas de médiumnité constatés chez des enfants en bas âge, qui, pas plus que les précédents, ne sauraient être expliqués par la suggestion.

Selon MM. Pierre Janet et Ferré[1] - et c'est là une explication dont se servent fréquemment les adversaires du spiritisme - on doit assimiler un médium écrivain à un sujet hypnotisé, auquel on suggère une personnalité pendant le sommeil, et qui a perdu au réveil le souvenir de cette suggestion. Le sujet écrit d'une manière inconsciente une lettre, un récit se rapportant à ce personnage imaginaire. C'est là, nous dit-on, l'origine de tous les messages spirites.

Tous ceux qui ont quelque expérience du spiritisme savent que cette explication est inadmissible. Les médiums, écrivant d'une manière automatique, ne sont pas plongés au préalable dans le sommeil hypnotique. C'est, en général, à l'état de veille, dans la plénitude de leurs facultés et de leur moi conscient, que les médiums écrivent sous l'impulsion des Esprits. Dans les expériences de M. Janet, il y a toujours un hypnotiseur en liaison magnétique avec le sujet. Il n'en est pas de même dans les séances spirites : ni l'évocateur ni les assistants n'agissent sur le médium ; celui-ci ignore absolument le caractère de l'Esprit qui va intervenir. Souvent même, les questions sont posées aux Esprits par des incrédules, plus disposés à combattre la manifestation qu'à la faciliter.

Le phénomène de la communication graphique ne consiste pas seulement dans le caractère automatique de l'écriture, mais surtout dans les preuves intelligentes, dans les identités qu'elle fournit. Or, les expériences de M. Janet ne donnent rien de semblable. Les communications suggérées aux sujets hypnotisés sont toujours d'une banalité désespérante, tandis que les messages des Esprits nous apportent souvent des indications, des révélations ayant trait à la vie présente et passée d'êtres que nous avons connus sur la terre, qui ont été nos amis ou nos proches, détails ignorés du médium et dont le caractère de certitude les distingue absolument des expériences d'hypnotisme.

On ne saurait, par la suggestion, faire écrire des illettrés, ni recevoir d'un guéridon des poésies comme celles recueillies par M. Jaubert, président du tribunal de Carcassonne, et qui obtinrent des prix aux jeux floraux de Toulouse. On ne saurait pas davantage, par ce moyen, susciter l'apparition de mains, de formes humaines, pas plus que l'écriture dont se couvrent les ardoises apportées par des observateurs, sans qu'ils s'en soient dessaisis.

Il faut se rappeler que la doctrine des Esprits a été constituée à l'aide de nombreux messages, obtenus par des médiums écrivains à qui ces enseignements étaient absolument étrangers. Presque tous avaient été bercés dès l'enfance par l'enseignement des Eglises, par les idées de paradis et d'enfer. Leurs convictions religieuses, leurs notions sur la vie future, étaient en opposition frappante avec les vues exposées par les Esprits. Il n'existait en eux aucune idée préalable de la réincarnation ni des vies successives de l'âme, pas plus que de la véritable situation de l'Esprit après la mort, toutes choses exposées dans les messages obtenus. Il y a là une objection irréfutable à la théorie de la suggestion.

Il est évident que, parmi l'énorme quantité de faits spirites actuellement enregistrés, il s'en trouve de faibles, de peu concluants ; d'autres peuvent être expliqués par la suggestion ou par l'extériorisation du sujet. Dans certains groupes spirites, on est trop porté à tout accepter comme émanant des Esprits, et l'on ne fait pas assez la part des phénomènes douteux. Mais, si large que soit cette part, il reste un ensemble imposant de manifestations inexplicables par la suggestion, l'inconscient, l'hallucination ou autres théories analogues.

Les critiques procèdent toujours de la même façon envers le spiritisme. Ils ne s'adressent qu'à un genre spécial de phénomènes et écartent à dessein de la discussion tout ce qu'ils ne peuvent comprendre ni réfuter. Dès qu'ils croient avoir trouvé l'explication de quelques faits isolés, ils s'empressent de conclure à l'absurdité de l'ensemble. Or, presque toujours, leur explication est inexacte, et laisse dans l'ombre les preuves les plus frappantes de l'existence des Esprits et de leur intervention dans les choses humaines.

Les professeurs Taine, Flournoy, les docteurs Binet, Grasset, etc., ont proposé les théories de la double conscience et de l'altération de la personnalité, pour expliquer les phénomènes de l'écriture et de l'incorporation ; mais leurs systèmes ne s'accordent pas avec les faits d'écritures en langues étrangères ignorées du médium, comme ce fut le cas avec la fille du grand juge Edmonds (voir Problème de l'Etre, p. 139). Ils ne concordent pas davantage avec les autographes obtenus de certains défunts, pas plus qu'avec les phénomènes d'écriture obtenus par des illettrés[2].

Aucune de ces hypothèses ne peut expliquer les faits d'écriture directe, obtenue par M. de Guldenstubbe, sans contact, sur des feuilles de papier non préparées[3], pas plus que l'expérience rapportée par sir W. Crookes[4], et dans laquelle une main d'Esprit, matérialisée, descendit du plafond, sous ses regards, dans son propre cabinet de travail, alors qu'il tenait dans ses deux mains celles du médium Kate Fox.

Dans toutes ces théories on confond presque toujours le subconscient, ou le subliminal, soit avec le double fluidique, qui n'est pas un être, mais un organisme, soit avec l'Esprit préposé à la garde de toute âme incarnée en ce monde.

Le pasteur Benezech, que les faits ont converti au spiritisme, a montré excellemment tout ce qu'ont d'arbitraire et d'invraisemblable ces explications prétendues scientifiques. Dans un livre récent il écrit à ce sujet[5] :

La table nous révélait une chose que nous étions dans l'impossibilité matérielle, absolue, incontestable de savoir. Quelqu'un le savait pour nous, puisqu'on nous le disait. La mémoire latente n'a pas pu intervenir, et si la subconscient est seul en jeu, de quel pouvoir ne dispose-t-il pas ! Il est en nous, il est une partie de nous-mêmes, et, par un caprice de la nature qui égale, quand on y réfléchit, les prodiges les plus invraisemblables, il pense, il conçoit des projets, il les exécute, tout cela à notre insu, et ensuite il nous dit ce qu'il a réalisé, alors que nous sommes, non pas endormis et à l'état de rêve, mais parfaitement éveillés et dans l'attente de ce qui va se produire. Les amateurs de fantastique ont de quoi être satisfaits.

Dans son dernier livre[6], sir Oliver Lodge rapporte, en ces termes, un fait qui ne peut être expliqué par aucune des théories chères aux adversaires du spiritisme :

« Le texte suivant fut obtenu par M. Stainton Moses, alors qu'il était en séance dans la bibliothèque du docteur Speer, et conversait, par le moyen de sa main qui écrivait automatiquement, avec divers interlocuteurs supposés :

S. M. - Pouvez-vous lire ?

Rép. - « Non, ami, je ne peux pas, mais Zacharie Gray ainsi que Rector le peuvent. »

S. M. - Y a-t-il ici l'un quelconque de ces Esprits ?

Rép. - « Je vais en amener un tout à l'heure. Je vais envoyer... Rector est ici. »

S. M. - J'ai demandé si vous pouviez lire. Cela est-il vrai ? Pouvez-vous lire un livre ?

Rép. - (L'écriture change.) « Oui, ami, mais difficilement. »

S. M. - Voulez-vous m'écrire la dernière ligne du Premier Livre de l'Enéide ?

Rép. - « Attendez... Omnibus errantem terris et fluctibus aestas. »

[C'était bien cela.]

S. M. - C'est bien. Mais il est possible que je l'aie su. Pouvez-vous aller dans la bibliothèque, prendre l'avant-dernier volume du deuxième rayon, et me lire le dernier paragraphe de la page 94 ? Je ne sais pas quel est le livre, et j'en ignore même le titre.

[Après un court laps de temps, on obtint ceci par l'écriture automatique] : « Je prouverai par un court récit historique que la Papauté est une nouveauté qui, graduellement, s'est élevée et a grandi depuis les temps primitifs du Christianisme pur, non seulement depuis l'âge apostolique, mais, même, depuis la lamentable union de l'Eglise et de l'Etat par Constantin. »

(Le volume en question se trouvait être une oeuvre bizarre ayant comme titre : Roger's Antipopopriestian, an attempt to liberate and purify Christianity from Popery, Politikirkality and Priestrule.

L'extrait donné ci-dessus était exact, saut le mot narrative substitué au mot « account ».)

S. M. - Comment se fait-il que je sois tombé sur une phrase aussi bien appropriée ?

Rép. - « Je ne sais, mon ami, c'est l'effet d'une coïncidence. Le mot a été changé par erreur. Je m'en suis aperçu quand c'était fait, mais je n'ai pas voulu le corriger. »

S. M. - Comment lisez-vous ? Vous écriviez plus lentement, par accès et par saccades.

Rép. - « J'écrivais ce que je me rappelais, et j'allais ensuite lire plus loin. Il faut faire un effort spécial pour lire. Cela n'a d'utilité que comme preuve. Votre ami avait raison hier au soir ; nous pouvons lire, mais seulement quand les conditions sont très bonnes. Nous allons lire une fois encore, nous écrirons, et ensuite nous vous donnerons l'impression du livre : « Pope est le dernier grand écrivain de cette école de poésie, la poésie de l'intelligence, ou plutôt de l'intelligence mélangée à l'imagination. » Ceci est vraiment écrit. Allez prendre le onzième volume sur le même rayon.

[J'y pris un livre intitulé : Poésie, Roman et Rhétorique.]

« Il va s'ouvrir pour vous à la page voulue. Prenez et lisez, et reconnaissez notre pouvoir et la permission que nous donne Dieu, grand et bon, de vous montrer notre puissance sur la matière. Gloire à Lui. Amen. » (Le livre, ouvert à la page 145, montra que la citation se trouvait parfaitement vraie. Je n'avais pas vu le volume auparavant ; il est certain que je n'avais aucune idée de ce qu'il renfermait. S. M.) [Ces volumes se trouvaient dans la bibliothèque du docteur Speer.]

Dans les dernières pages du même livre, en concluant, après avoir rapporté des faits innombrables, sir Lodge écrit :

Nous découvrons que des amis défunts, dont quelques-uns nous étaient bien connus et avaient pris une part active aux travaux de la société pendant leur vie, spécialement Gurney, Myers et Hodgson, prétendent constamment communiquer avec nous, dans l'intention bien arrêtée de prouver patiemment leur identité et de nous donner des correspondances croisées entre différents médiums. Nous découvrons aussi qu'ils répondent à des questions spécifiques, d'une manière caractéristique, de leurs personnalités connues et qu'ils témoignent de connaissances qui leur étaient propres.

Les théoriciens du subconscient font de celui-ci un être doué de propriétés intellectuelles transcendantales. Quoi d'étonnant s'ils paraissent expliquer ainsi certaines manifestations de l'esprit ? Mais tandis que la théorie spirite est claire, précise et s'adapte parfaitement à la nature des phénomènes, l'hypothèse de la subconscience reste vague et confuse.

Devant les faits que nous venons de signaler, on peut se demander en vertu de quel accord universel ces inconscients cachés dans l'homme, qui s'ignorent entre eux et s'ignorent eux-mêmes, sont unanimes, au cours des manifestations occultes, à se dire les Esprits des morts. Comment pourraient-ils connaître et communiquer des détails minutieux sur l'identité de ceux-ci ?

C'est ce que nous avons pu constater nous-même dans les innombrables expériences auxquelles nous avons pris part, durant plus de trente années, sur tant de points divers, en France et à l'étranger. Nulle part, les êtres invisibles ne se sont présentés comme les inconscients ou moi supérieurs des médiums et autres personnes présentes. Ils se sont toujours annoncés comme des personnalités différentes, jouissant de la plénitude de leur conscience, comme des individualités libres, ayant vécu sur la terre, connues des assistants, dans la plupart des cas, avec tous les caractères de l'être humain, ses qualités et ses défauts, et, fréquemment, ils donnaient des preuves de leur propre identité[7].

Ce qu'il y a de plus remarquable en ceci, croyons-nous, c'est l'ingéniosité, la fécondité de certains penseurs, leur habileté à échafauder des théories fantaisistes, dans le but d'échapper à des réalités qui leur déplaisent et les gênent.

Sans doute, ils n'ont pas prévu toutes les conséquences de leurs systèmes ; ils ont fermé les yeux sur les résultats qu'on en peut attendre. Ne se rendant pas compte que ces doctrines funestes annihilent la conscience et la personnalité en les divisant, ils aboutissent logiquement, fatalement, à la négation de la liberté, de la responsabilité et, par suite, à la destruction de toute loi morale.

En effet, avec ces hypothèses, l'homme serait une dualité ou une pluralité mal équilibrée, où chaque conscience agirait à sa guise, sans souci des autres. Ce sont de telles notions qui, en pénétrant dans les âmes et devenant pour elles une conviction, un argument, les poussent à tous les excès.

Au contraire, tout dans la nature et dans l'homme est simple, clair, harmonique, et ne parait obscur et compliqué que par un effet de l'esprit de système.

De l'examen attentif, de l'étude constante et approfondie de l'être humain, il résulte une chose, l'existence en nous de trois éléments : le corps physique, le corps fluidique ou périsprit et, enfin, l'âme ou esprit. Ce que l'on nomme l'inconscient, la personne seconde, le moi supérieur, la polyconscience, etc., c'est tout simplement l'esprit qui, dans certaines conditions de dégagement et de clairvoyance, voit se produire en lui comme une manifestation de puissances cachées, un ensemble de ressources que ses existences antérieures ont accumulées en lui et qui étaient momentanément cachées sous le voile de la chair.

Non, certes, l'homme n'a pas plusieurs consciences. L'unité psychique de l'être est la condition essentielle de sa liberté et de sa responsabilité. Mais il y a en lui plusieurs états de conscience. A mesure que l'esprit se dégage de la matière et s'affranchit de son enveloppe charnelle, ses facultés, ses perceptions, s'étendent, ses souvenirs se réveillent, le rayonnement de sa personnalité s'élargit. C'est là ce qui se produit quelquefois, à l'état de sommeil magnétique. Dans cet état, le voile de la matière retombe, l'âme se dégage et les puissances latentes reparaissent en elle. De là, certaines manifestations d'une même intelligence, qui ont pu faire croire à une double personnalité, à une pluralité de consciences.

Cependant, cela ne suffit pas à expliquer les phénomènes spirites ; dans la plupart des cas, l'intervention d'entités étrangères, de volontés libres et autonomes, s'impose comme la seule explication rationnelle.

C'est donc vainement que les critiques s'acharnent contre le spiritisme. Dès qu'on examine avec attention leurs arguments, ils s'évanouissent comme de la fumée : hallucination, suggestion, inconscient subliminal, ne sont que des mots. Quand on les a mis en avant, on croit avoir tout dit. En réalité, ils n'expliquent rien et les problèmes subsistent dans toute leur étendue. La pratique du spiritisme présente des ombres, des difficultés, des dangers. Mais n'oublions pas qu'il n'est aucune chose au monde, si belle et si profitable fût-elle, qui ne soit dangereuse si l'on en abuse.

Il en est ainsi du spiritisme. Etudiez ses lois, obéissez à ses règles, n'abordez l'expérimentation qu'avec un sentiment pur et élevé, et vous reconnaîtrez bientôt sa grandeur et sa beauté. Vous comprendrez qu'il deviendra la force morale de l'avenir, la preuve la plus certaine de la survivance, la consolation des malheureux, le suprême refuge des naufragés de la vie. Déjà il pénètre partout. La littérature en est imprégnée. La presse périodique lui consacre de fréquents articles. La science, qui l'a si longtemps bafoué, change peu à peu d'attitude envers lui. Les Eglises, qui pensaient en avoir facilement raison, se voient obligées de recourir à toutes leurs armes pour le combattre. Il est même proclamé dans un certain nombre de chaires ; tous les jours nous voyons des prêtres vénérables, des pasteurs et des croyants affirmer leur foi en lui.

Il triomphera, parce qu'il est la vérité, à qui rien ne peut résister. Il serait aussi difficile d'arrêter la marche des astres, de suspendre le mouvement de la terre, que d'arrêter les progrès de cette vérité qui s'est révélée au monde et de faire revenir les hommes à leurs doutes, à leurs incertitudes, à leurs négations antérieures.


[1] PIERRE JANET, l'Automatisme psychologique.

[2] Voir AKSAKOF, Animisme et Spiritisme.

[3] Voir Dans l'Invisible.

[4] Voir CROOKES, Recherches sur le Spiritualisme.

[5] A. BENEZECH, les Phénomènes psychiques et la question de l'Au-delà, 1 vol. ; Fischbacher, 1911.

[6] La Survivance humaine, par sir OLIVER LODGE, traduit par le docteur Bourbon. Paris, 1912, Félix Alcan, éditeur.

[7] Voir Dans l'Invisible, Identité des Esprits, chap. XXI.

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