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V. - LA GAULE.


La Gaule a connu la grande doctrine. Elle l'a possédée sous une forme originale et puissante, et elle a su en tirer des conséquences qui ont échappé aux autres pays. « Il y a trois unités primitives, disaient les Druides : Dieu, la Lumière et la Liberté. » Alors que l'Inde était déjà organisée en castes immobiles, aux limites infranchissables, les institutions gauloises avaient pour bases l'égalité de tous, la communauté des biens et le droit électoral. Aucun des autres peuples de l'Europe n'a eu, au même degré que nos pères, le sentiment profond de l'immortalité, de la justice et de la liberté.

C'est avec vénération que nous devons étudier les tendances philosophiques de la Gaule, car la Gaule est notre grande aïeule, et nous retrouvons en elle, fortement accusés, toutes les qualités et aussi tous les défauts de notre race. Rien, d'ailleurs, n'est plus digne d'attention et de respect que la doctrine des Druides, lesquels n'étaient pas des barbares, comme on l'a cru à tort pendant des siècles.

Longtemps nous n'avons connu les Gaulois que d'après les auteurs latins et les écrivains catholiques, qui doivent, à juste titre, nous être suspects. Ces auteurs avaient un intérêt direct à dénigrer nos aïeux, à travestir leurs croyances. César a écrit ses Commentaires avec l'intention évidente de se rehausser aux yeux de la postérité : cette oeuvre fourmille d'inexactitudes, d'erreurs volontaires ; Pollion et Suétone le constatent. Les chrétiens ne voient dans les Druides que des hommes sanguinaires et superstitieux, dans leur culte que des pratiques grossières. Pourtant, certains Pères de l'Église, Cyrille, Clément d'Alexandrie, Origène, distinguent avec soin les Druides de la foule des idolâtres et leur décernent le titre de philosophes. Parmi les auteurs antiques, Lucain, Horace, Florus considéraient la race gauloise comme dépositaire des mystères de la naissance et de la mort.

Le progrès des études celtiques[1], la publication des Triades et des chants bardiques[2] nous permettent une plus juste appréciation des croyances de nos pères. La philosophie des Druides, reconstituée dans toute son ampleur, s'est trouvée conforme à la doctrine secrète de l'Orient et aux aspirations des spiritualistes modernes. Comme eux, ils affirmaient les existences progressives de l'âme à travers les mondes. Cette doctrine virile inspirait aux Gaulois un courage indomptable, une intrépidité telle qu'ils marchaient à la mort comme à une fête. Alors que les Romains se couvraient d'airain et de fer, nos pères se dépouillaient de leurs vêtements et combattaient la poitrine nue. Ils s'enorgueillissaient de leurs blessures et considéraient comme une lâcheté d'user de ruse à la guerre : de là, leurs échecs réitérés et leur chute finale.

Ils croyaient à la réincarnation[3] : leur certitude était si grande qu'ils se prêtaient de l'argent remboursable dans les vies à venir. Aux mourants, ils confiaient des messages pour leurs amis défunts. Les dépouilles des guerriers morts, disaient-ils, ne sont que des « enveloppes déchirées ». A la grande surprise de leurs ennemis, ils les abandonnaient sur les champs de bataille comme indignes de leur attention.

Les Gaulois ne connaissaient pas l'enfer. C'est ce dont Lucain les loue en ces termes, dans le chant I° de la Pharsale :

« Pour vous, les ombres ne s'ensevelissent pas dans les sombres royaumes de l'Érèbe, mais l'âme s'envole animer d'autres corps dans des mondes nouveaux. La mort n'est que le milieu d'une longue vie. Ils sont heureux, ces peuples qui ne connaissent pas la crainte suprême du trépas ! De là leur héroïsme au milieu des sanglantes mêlées et leur mépris de la mort. »

Nos pères étaient chastes, hospitaliers, fidèles à la foi jurée.

Nous trouvons dans l'institution des Druides la plus haute expression du génie de la Gaule. Elle ne constituait pas un corps sacerdotal. Le titre de druide équivalait à celui de sage, de savant. Il laissait à ceux qui le portaient toute liberté de choisir leur tâche. Quelques-uns, sous le nom d'eubages, présidaient aux cérémonies du culte, mais la plupart se consacraient à l'éducation de la jeunesse, à l'exercice de la justice, à l'étude des sciences et de la poésie. L'influence politique des Druides était grande, et leurs vues tendaient à réaliser l'unité de la Gaule. Ils avaient institué, dans le pays des Carnutes, une assemblée annuelle où se réunissaient les députés des républiques gauloises et où se discutaient les questions importantes, les graves intérêts du pays. Les Druides se recrutaient par voie d'élection. Il fallait vingt années d'études pour se préparer à l'initiation.

Le culte s'accomplissait sous la voûte des bois. Tous les symboles étaient empruntés à la nature. Le temple, c'était la forêt séculaire, aux colonnes innombrables, aux dômes de verdure que les rayons du soleil percent de leurs flèches d'or, pour se jouer sur les mousses en mille réseaux d'ombre et de lumière. Les plaintes du vent, le frémissement des feuilles l'emplissaient d'accents mystérieux qui impressionnaient l'âme et la portaient à la rêverie. L'arbre sacré, le chêne, était l'emblème de la puissance divine ; le gui, toujours vert, celui de l'immortalité. Pour autel, des blocs assemblés. « Toute pierre taillée est une pierre souillée, » disaient ces penseurs austères. Aucun objet sorti de la main des hommes ne déparait leurs sanctuaires. Les Gaulois avaient horreur des idoles et des formes puériles du culte romain.

Afin que leurs principes ne fussent ni dénaturés, ni matérialisés par des images, les Druides proscrivaient les arts plastiques et même l'enseignement écrit. Ils confiaient à la seule mémoire des bardes et des initiés le secret de leur doctrine. De là, la pénurie de documents relatifs à cette époque.

Les sacrifices humains, tant reprochés aux Gaulois, n'étaient, pour la plupart, que des exécutions de justice. Les Druides, à la fois magistrats et justiciers, offraient les criminels en holocauste à la puissance suprême. Cinq années séparaient la sentence de l'exécution. Dans les temps de calamité, des victimes volontaires se livraient aussi en expiation. Impatients de rejoindre leurs aînés dans les mondes heureux, de s'élever vers le cercle de félicité, les Gaulois montaient gaiement sur la pierre du sacrifice et recevaient la mort au milieu d'un chant d'allégresse. Mais ces immolations étaient déjà tombées en désuétude au temps de César.

Teutatès, Esus, Gwyon n'étaient, dans le Panthéon gaulois, que la personnification de la force, de la lumière et de l'esprit. Au-dessus de toutes choses, planait la puissance infinie que nos pères adoraient près des pierres consacrées, dans le majestueux silence des forêts. Les Druides enseignaient l'unité de Dieu.

Selon les Triades, l'âme se forme au sein de l'abîme, anoufn. Elle y revêt les aspects rudimentaires de la vie et n'acquiert la conscience et la liberté qu'après avoir été longtemps en proie aux bas instincts. Voici ce que dit le chant du barde Taliésin, célèbre dans toute la Gaule :

« Existant de toute ancienneté au sein des vastes océans, je ne suis point né d'un père et d'une mère, mais des formes élémentaires de la nature, des rameaux du bouleau, du fruit des forêts, des fleurs de la montagne. J'ai joué dans la nuit, j'ai dormi dans l'aurore ; j'ai été vipère dans le lac, aigle sur les cimes, loup-cervier dans la forêt. Puis, marqué par Gwyon (esprit divin), par le sage des sages, j'ai acquis l'immortalité. Il s'est écoulé bien du temps depuis que j'étais pasteur. J'ai longtemps erré sur la terre avant de devenir habile dans la science. Enfin j'ai brillé parmi les chefs supérieurs. Revêtu des habits sacrés, j'ai tenu la coupe des sacrifices. J'ai vécu dans cent mondes. Je me suis agité dans cent cercles[4]. »

L'âme, dans sa course immense, disaient les Druides, parcourt trois cercles auxquels correspondent trois états successifs. Dans anoufn, elle subit le joug de la matière ; c'est la période animale. Puis elle pénètre dans abred, cercle des migrations, que peuplent les mondes d'expiation et d'épreuves ; la terre est un de ces mondes.

L'âme s'incarne bien des fois à leur surface. Au prix d'une lutte incessante, elle se dégage des influences corporelles et quitte le cycle des incarnations pour atteindre gwynfid, cercle des mondes heureux ou de la félicité. Là s'ouvrent les horizons enchanteurs de la spiritualité. Plus haut encore se déploient les profondeurs de ceugant, cercle de l'infini, qui enserre tous les autres et n'appartient qu'à Dieu. Loin de se rapprocher du panthéisme, comme la plupart des doctrines orientales, le Druidisme s'en éloignait par une conception toute différente de la Divinité. Sa conception de la vie n'est pas moins remarquable.

D'après les Triades, l'être n'est, ni le jouet de la fatalité, ni le favori d'une grâce capricieuse. Il prépare, édifie lui-même ses destinées. Son but n'est pas la recherche de satisfactions éphémères, mais l'élévation par le sacrifice et par le devoir accompli. L'existence est un champ de bataille, où le brave conquiert ses grades. Une telle doctrine exaltait les qualités héroïques et épurait les moeurs. Elle était aussi éloignée des puérilités mystiques que des sécheresses décevantes de la théorie du néant ; elle semble cependant s'être éloignée de la vérité sur un point ; c'est en établissant[5] que l'âme coupable, en persévérant dans le mal, peut perdre le fruit de ses travaux et retomber dans les degrés inférieurs de la vie, redescendre dans les germes, d'où il lui faudra recommencer sa pénible et douloureuse ascension.

Toutefois, ajoutent les Triades, la perte de la mémoire lui permet de reprendre la lutte sans être entravée par les remords et les irritations du passé. Dans Gwynfid, elle retrouve, avec tous ses souvenirs, l'unité de sa vie ; elle en renoue les fragments épars dans la succession des temps.

Les Druides possédaient des connaissances cosmologiques fort étendues. Ils savaient que notre globe roule dans l'espace, emporté dans sa course autour du Soleil. C'est ce qui résulte de cet autre chant de Taliésin, dit « le chant du monde[6] » :

« Je demanderai aux bardes, et pourquoi les bardes ne répondraient-ils pas ? Je leur demanderai ce qui soutient le monde, pour que, privé de support, le monde ne tombe pas. Mais qui pourrait lui servir de support ? Grand voyageur est le monde ! tandis qu'il glisse sans repos, il demeure toujours dans sa voie, et combien la forme de cette voie est admirable, pour que le monde n'en sorte jamais ! »

César lui-même, si peu versé en ces matières, nous apprend dans ses Commentaires que les Druides enseignaient beaucoup de choses sur la forme et la dimension de la Terre, sur le mouvement des astres, sur les montagnes et les abîmes de la Lune. Ils disaient que l'univers, éternel, immuable dans son ensemble, se transforme incessamment dans ses parties ; que la vie, par une circulation sans fin, l'anime et s'épanouit sur tous ses points. On se demande où nos pères, dépourvus des moyens d'observation dont la science moderne dispose, pouvaient puiser de telles notions.

Les Druides communiquaient avec le monde invisible, mille témoignages l'attestent. On évoquait les morts dans les enceintes de pierre. Les druidesses et les bardes rendaient des oracles. Plusieurs auteurs rapportent que Vercingétorix s'entretenait, sous la sombre ramure des bois, avec les âmes des héros morts pour la patrie. Avant de soulever la Gaule contre César, il se rendit dans l'île de Sein, antique demeure des druidesses. Là, au milieu des éclats de la foudre[7], un génie lui apparut et lui prédit sa défaite et son martyre.

La commémoration des morts est de fondation gauloise. Le 1° novembre, on célébrait la fête des Esprits, non dans les cimetières, - les Gaulois n'honoraient pas les cadavres, - mais dans chaque demeure, où les bardes et les voyants évoquaient les âmes des défunts. Nos pères peuplaient les landes et les bois d'esprits errants. Les Duz et les Korrigans étaient autant d'âmes à la recherche d'une incarnation nouvelle.

L'enseignement des Druides se traduisait, dans l'ordre politique et social, en institutions conformes à la justice. Les Gaulois, se sachant animés d'un même principe, tous appelés aux mêmes destinées, se sentaient égaux et libres.

Dans chaque république gauloise, les chefs étaient élus par le peuple assemblé. La loi celtique punissait du supplice du feu les ambitieux, les prétendants à la couronne. Les femmes prenaient place aux conseils, exerçaient les fonctions sacerdotales, étaient voyantes et prophétesses. Elles disposaient d'elles-mêmes et choisissaient leurs époux. La propriété était collective, la terre appartenant à la république. A aucun titre, le droit héréditaire ne fut connu de nos pères ; l'élection décidait de tout.

La longue occupation romaine, puis l'invasion des Francs et l'introduction de la féodalité ont fait oublier nos véritables traditions nationales. Mais, un jour, le vieux sang gaulois s'est agité dans les veines du peuple. La révolution a entraîné dans son tourbillon ces deux importations de l'étranger : la théocratie, venue de Rome, et la monarchie, implantée par les Francs ; la vieille Gaule s'est retrouvée tout entière dans la France de 1789.

Une chose capitale lui manquait cependant : l'idée de solidarité. Le Druidisme fortifiait bien dans les âmes le sentiment du droit et de la liberté ; mais si les Gaulois se savaient égaux, ils ne se sentaient pas assez frères. De là ce manque d'unité qui perdit la Gaule. Courbée sous une oppression de vingt siècles, assagie par le malheur, éclairée par des lumières nouvelles, elle est devenue la nation une, indivisible. La loi de charité et d'amour, la seule que le Christianisme lui ait fait connaître, est venue compléter l'enseignement des Druides et former une synthèse philosophique et morale pleine de grandeur.

*

*     *

Du sein du moyen âge, comme une résurrection de l'esprit de la Gaule, se dresse une éclatante figure. Dès les premiers siècles de notre ère, Jeanne d'Arc était annoncée par une prophétie du barde Myrdwin ou Merlin. C'est sous le chêne des fées, près de la table de pierre, qu'elle entend souvent « ses voix ». Elle est chrétienne et pieuse, mais, au-dessus de l'Église terrestre, elle place l'Église éternelle, « celle de là-haut », la seule à qui elle se soumette en toutes choses[8].

Aucun témoignage de l'intervention des Esprits dans la vie des peuples n'est comparable à l'histoire touchante de la vierge de Domrémy. Au début du XV° siècle, la France agonisait sous le pied de fer des Anglais. A l'aide d'une jeune fille, d'une enfant de dix-huit ans, les puissances invisibles raniment un peuple démoralisé, réveillent le patriotisme éteint, enflamment la résistance et sauvent la France de la mort.

Jeanne n'agit jamais sans consulter « ses voix », et, soit sur les champs de bataille, soit devant ses juges, toujours celles-ci inspirent ses paroles et ses actes. Un seul instant, dans sa prison de Rouen, ses voix semblent l'abandonner. C'est alors, qu'épuisée par la souffrance, elle consent à abjurer. Dès que les Esprits s'éloignent, elle redevient femme, faiblit, se soumet. Puis les voix se font entendre de nouveau, et elle relève aussitôt la tête devant ses juges :

« La voix m'a dit que c'était trahison que d'abjurer. La vérité est que Dieu m'a envoyée ; ce que j'ai fait est bien fait. »

Sacrée par sa passion douloureuse, Jeanne est devenue un exemple sublime de sacrifice, un sujet d'admiration, un profond enseignement pour tous les hommes.



[1]     Voir Gatien Arnoult, Philosophie gauloise, t. I° ; Henri Martin, t. I° de l'Histoire de France ; Adolphe Pictet, Bibliothèque de Genève ; Alfred Dumesnil, Immortalité ; Jean Reynaud, l'Esprit de la Gaule.

[2]     Cyfrinach Beirdd Inys Prydain (Mystères des bardes de l'île de Bretagne), traduction Edward Williams, 1794.

[3]     V. César, Commentaires, l. VI, ch. XIV : « Les druides veulent en premier lieu persuader que les âmes ne meurent pas, mais, après la mort, passent dans d'autres corps humains » (non interire animas, sed ab aliis post mortem transire ad alios).

[4]     Barddas, cad. Goddeu.

[5]     Triade 26, Triades bardiques, publiées par l'école celtique de Glamorgan.

[6]     Barddas, cad. Goddeu.

[7]     Bosc et Bonnemère, Histoire nationale des Gaulois.

[8]     Procès de réhabilitation de la Pucelle (d'après les documents de l'École des Chartes). Voir aussi mon livre Jeanne d'Arc médium, ch. XVI.

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