Le Centre Spirite Lyonnais Allan Kardec


INTRODUCTION


 

La publication de l'ouvrage du Dr Hartmann sur le « Spiritisme » m'a procuré la plus vive satisfaction. Mon désir le plus sincère avait toujours été qu'un éminent philosophe n'appartenant pas au camp spirite s'occupât de cette question d'une manière absolument sérieuse, après avoir acquis une connaissance approfondie de tous les faits qui s'y rattachent ; je souhaitais qu'il les soumît à un examen rigoureux, sans tenir compte des idées modernes, des principes moraux et religieux qui nous gouvernent ; cet examen devait appartenir à la logique pure basée sur la science psychologique.
Dans le cas où il arriverait à cette conclusion que l'hypothèse proposée par le spiritisme était illogique, je désirais qu'il m'en indiquât les raisons, le pourquoi, et quelle serait, selon lui, l'hypothèse qui répondrait le mieux aux lois de la logique et aux exigences de la science contemporaine.
Sous ce rapport, l'ouvrage du Dr Hartmann constitue une œuvre de maître et présente la plus haute importance pour le spiritisme.
Dans notre journal hebdomadaire, le Rébus, se publiant à Saint-Pétersbourg, j'ai annoncé l'apparition de cet ouvrage dans un article intitulé : un Événement dans le monde du Spiritisme, article dans lequel je dis, entre autres : « Le livre de M. von Hartmann est pour les spirites un guide qui les mettra à même d'étudier une question de cette nature, et de se faire une idée du soin avec lequel ils doivent conduire leurs expériences, et de la circonspection dont ils doivent user en tirant leurs conclusions pour affronter avec confiance la critique de la science contemporaine. »
J'ai immédiatement proposé au Rébus de publier la traduction de cet ouvrage, comme l'avait fait le journal Light de Londres ; actuellement le livre du Dr Hartmann a paru tout à la fois dans le Rébus et en un volume séparé.
Nous pouvons donc espérer qu'avec le secours d'un penseur tel que M. Hartmann (nous avons tout lieu de croire que, dans l'avenir, il ne nous refusera pas le concours de ses lumières) — cette question, dont l'incommensurable importance pour l'étude de l'homme commence à apparaître, sera enfin mise à l'ordre du jour, commandera et provoquera l'appréciation à laquelle elle a droit.
Tous mes efforts en Allemagne (pays considéré par nous comme occupant le premier rang dans l'étude des questions philosophiques) ont eu pour but d'attirer sur le spiritisme l'attention impartiale de ses savants, dans l'espoir d'obtenir leur appui et les indications nécessaires pour poursuivre l'étude rationnelle de cette question.
L'Allemagne offrait pour l'investigation et la discussion d'un tel sujet le terrain libre que je ne pouvais trouver en Russie il y a de cela vingt ans ; je procédai de la manière suivante : j'ai publié en traduction allemande les matériaux les plus importants puisés dans la littérature anglaise, sur ce sujet ; ensuite, à partir de l'année 1874, j'ai édité, à Leipzig, un journal mensuel, Psychische Studien, qui avait pour mission de populariser ces écrits. Mes efforts furent accueillis par une violente opposition ; les savants allemands en majeure partie ne voulaient rien savoir de cette question réputée indigne ; ils niaient les faits, condamnaient la théorie, et cela malgré l'attitude encourageante de plusieurs écrivains célèbres, tels que : Emmanuel Fichte, Franz Hoffmann, Maximilien Perty et autres, qui me prêtèrent leur appui, tant en parole que par le fait en publiant des articles dans mon journal. L'entrée en scène de M. Zöllner a donné une nouvelle direction à cette controverse. Les matériaux que j'avais préparés pour la commission spirite, nommée en 1870 par l'Université de Saint-Pétersbourg, matériaux qui consistaient dans la démonstration ad oculos de faits tangibles, en la personne du Dr Slade, et qui ne furent point utilisés par ladite commission, qui avait hâte de se dissoudre, ne tardèrent pas néanmoins à porter leurs fruits en Allemagne.
Lorsque le professeur Zöllner, par le fait de la réussite de ses premières expériences avec Slade, voulut acquérir une plus ample connaissance en cette matière, il trouva, à sa satisfaction, tout ce qui lui était nécessaire, dans mes diverses publications. Plus d'une fois, il m'en a témoigné sa gratitude, et la constatation qu'il fit de la réalité des phénomènes médiumniques produisit en Allemagne une sensation immense.
Bientôt après parurent les ouvrages du baron Hellenbach, qui fut, en Allemagne, le premier chercheur indépendant dans cet ordre de phénomènes. Il fut bientôt suivi dans cette voie par un autre penseur distingué, le Dr Carl du Prel. D'ailleurs, depuis Zöllner, la question spirite avait engendré en Allemagne toute une littérature.
En même temps, les démonstrations publiques du magnétiseur hypnotiseur Hansen produisirent une révolution dans le domaine du magnétisme animal. Ces phénomènes, niés et dénigrés systématiquement pendant un siècle, furent enfin recueillis par la science ; les merveilles de l'hypnotisme, aujourd'hui reconnues dans toute leur réalité, préparent la voie qui doit conduire à l'acceptation des merveilles médiumniques.
Peut-être est-ce même à ce concours de circonstances que nous devons l'apparition du livre de Hartmann, car c'est précisément sur la théorie de la suggestion mentale en général et de la suggestion des hallucination s en particulier, que ce philosophe a basé une partie essentielle de son hypothèse.
Là aussi, mon humble travail préparatoire rendit de notables services, car c'est en majeure partie dans mes publications allemandes et dans mon journal Psychische Studien que Hartmann a puisé les faits qui lui ont servi à formuler son jugement sur la question spirite. Il m'a même fait cet honneur de recommander mon journal comme particulièrement utile à l'étude de ce sujet.
Enfin, du moment que Hartmann insiste sur la nécessité de soumettre les phénomènes médiumniques à un examen scientifique et demande que le gouvernement nomme à cet effet des commissions scientifiques, je puis en toute confiance considérer mon activité en Allemagne comme ayant pleinement atteint son but ; j'ai toutes les raisons de croire que, du moment où une voix aussi autorisée s'est fait entendre pour proclamer la nécessité d'une pareille investigation, la question spirite fera toute seule son chemin en Allemagne. Il est donc temps que je m'efface pour consacrer le reste de mes forces à la continuation de mon œuvre en Russie.
Cependant, avant de me retirer, il serait peut-être utile que j'exposasse aux lecteurs de mon journal les raisons qui ne me permettent pas d'accepter sans réserves les hypothèses et les conclusions du Dr Hartmann, lesquelles doivent être d'une autorité très grande, non seulement pour l'Allemagne, mais pour le monde philosophique entier. Le motif qui m'y pousse ne provient aucunement de ce fait que le Dr Hartmann s'est décidément prononcé contre l'hypothèse spirite ; pour le moment, je considère le côté théorique comme placé au second plan, comme d'une importance secondaire, et même prématurée au point de vue strictement scientifique ; M. Hartmann le reconnaît du reste lui-même, lorsqu'il dit : « Les matériaux dont nous disposons ne sont pas suffisants pour considérer cette question comme mûre pour la discussion. » (Der Spiritismus, p. 14.) Mon programme a toujours été de poursuivre avant tout la recherche des faits, pour en établir la réalité, suivre leur développement et les étudier, en tant que faits, dans toute leur prodigieuse variété. A mon avis, on passera par bien des hypothèses avant d'arriver à une théorie susceptible d'être universellement adoptée comme la seule vraie, tandis que les faits, une fois bien établis, resteront acquis à jamais. J'ai énoncé cette pensée il y a de cela vingt ans, en publiant ma traduction russe de l'ouvrage du Dr Hare[1], en ces termes :
« La théorie et les faits sont deux choses distinctes ; les erreurs de la première ne pourront jamais détruire la force de ces derniers, etc. » (Éd. all., p. LVIII.)
Dans ma préface à l'édition russe de W. Crookes, j'écrivais encore :
« Lorsque l'étude de cette question fera partie du domaine de la science, elle subira plusieurs phases qui correspondront aux résultats obtenus : 1° constatation des faits spiritualistes ; 2° constatation de l'existence d'une force inconnue ; 3° constatation de l'existence d'une force intelligente inconnue ; 4° recherche de la source de cette force, à savoir : se trouve-t-elle en dedans ou en dehors de l'homme ? Est-elle subjective ou objective ? La solution de ce problème constituera l'épreuve définitive, l’experimentum cruels de cette question ; la science sera alors appelée à prononcer le plus solennel verdict qui ait jamais été demandé à sa compétence. Si ce jugement est affirmatif pour la deuxième alternative, c'est-à-dire si elle décide que la force en question dérive d'une source en dehors de l'homme, alors commencera le cinquième acte, une immense révolution dans la science et dans la religion. » (Édition allem., p. XI-XIII.)
Où en sommes-nous actuellement ? Pouvons-nous affirmer que nous soyons au quatrième acte ? Je ne le pense pas. Je crois plutôt que nous sommes encore au prologue du premier acte, car la question, quant aux faits mêmes, n'est pas encore admise par la science, qui ne veut pas les connaître ! Nous sommes bien éloignés encore de la vraie théorie, en Allemagne surtout, où la partie phénoménale de cette question est si peu développée qu'on y est totalement dépourvu de médiums possédant une force suffisante pour les exigences de l'étude expérimentale.
Tous les faits sur lesquels Hartmann base son argumentation ont été acquis en dehors de l'Allemagne ; M. Hartmann n'a même pas eu l'occasion de les observer en personne. Il est vrai qu'il a eu le courage très méritoire d'accepter les témoignages d'autrui, mais personne ne pourra nier que, dans cette question, les expériences personnelles soient d'une importance capitale. Bien plus, la limite où peuvent atteindre ces faits est loin d'être tracée ; leur expansion, leur développement sont lents, mais constants ; ce que Hartmann en exige au point de vue de la critique doit encore être acquis.
Comme preuve que je ne tiens pas au triomphe exclusif de l'une ou de l'autre des hypothèses spirites, j'en appelle à ce fait : J'ai laissé à mon estimé collaborateur, M. Wittig, pleine liberté de publier sur les phénomènes en question ses idées personnelles ! qui tendent à en chercher l'explication dans la théorie dite psychique, plutôt que dans la théorie spirite.
Mais, tout en professant une parfaite tolérance à l'égard des diverses théories proposées, je ne puis garder la même attitude passive en présence de l'ignorance des faits, leur oubli, leur suppression, dès qu'ils ne paraissent pas être d'accord avec l'hypothèse émise. Celui qui désire être absolument impartial dans l'étude d'un problème aussi compliqué ne doit nécessairement jamais perdre de vue la totalité, l'ensemble des faits déjà acquis ; mais, malheureusement, l'une des erreurs ordinaires que commettent les promoteurs d'une hypothèse, c'est qu'en voulant à tout prix donner raison à leur système, ils oublient ou passent sous silence les faits qu'il s'agit précisément d'expliquer.
C'est dans cet ordre d'idées que je me suis vu forcé d'entamer une polémique avec M. Wittig, lequel poussa le développement de son hypothèse jusqu'à parler de la photographie d'une hallucination, ce qui est une flagrante contradictio in adjecto.
C'est probablement cette polémique que vise M. Hartmann lorsqu'il dit que M. Wittig n'a pu élever la voix pour la défense de sa théorie « que dans une lutte contre l'éditeur même du journal » (Spiritismus, p. 2). S'il y a eu lutte, elle n'a pas été engagée pour la défense de l'hypothèse même, mais pour la cause de la logique et de l'impartialité que l'on doit aux faits.
La critique de M. Hartmann est entièrement basée sur l'acceptation provisoire (conditionnelle) de la réalité des faits spirites, à l'exception des phénomènes de la matérialisation, qu'il nie purement et simplement. Cette licence, à elle seule, ne pourrait être laissée sans réplique. Mais, indépendamment de la matérialisation, il existe de nombreux faits qui ont échappé à la connaissance de M. Hartmann, ou sur lesquels il a gardé le silence, ou bien dont il n'a pas dûment apprécié les particularités. Or je crois de mon devoir de présenter tous ces faits, en faisant ressortir leur juste valeur. Je profiterai de cette occasion pour donner enfin les conclusions auxquelles je suis arrivé après de longues études sur ce sujet, conclusions que je n'ai pas publiées avant l'apparition de cet ouvrage.

 

[1] Recherches expérimentales sur les manifestations des esprits.

 

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